dimanche 28 juillet 2013

Louis-Ferdinand CÉLINE, écrivain breton ?

La Bretagne de L.-F. Céline de Gaël RICHARD
Pour un lecteur qui n'aurait lu que les romans de Céline, un volume de près de 600 pages pour évoquer ses relations avec la Bretagne pourrait, à première vue, paraître un projet audacieux. Il y a en effet une absence quasi totale de références à la Bretagne dans les romans céliniens. C'est en se penchant sur la vie de l'écrivain que l'on comprend mieux l'intérêt du livre que publie aujourd'hui Gaël Richard aux éditions du Lérot.

Sous le titre La Bretagne de L.-F. Céline, Gaël Richard regroupent les morceaux du puzzle qui relient Céline à la Bretagne, de sa plus tendre enfance aux dernières évocations de ce qui sera pour lui le « pays Divin » (1), en commençant par mettre à mal la légende d'une mère bretonne, légende alimentée par Céline lui-même. Ici, la généalogie de l'écrivain est précisément rétablie, notamment sa branche paternelle, qui se voit partager entre Normandie et Bretagne. La jeunesse de « Petit-Louis » se passe bien sûr à Paris, mais des vacances avec ses parents, le mariage de l'oncle Louis Guillou à Nantes, le travail des dentellières bretonnes visible dans la boutique parisienne de sa mère lui permettront de garder un lien avec la terre de ses aïeux. Cette jeunesse se terminera avec la rencontre en 1914 au 12è régiment de cuirassiers de Rambouillet des soldats bretons, rudes gaillards ne parlant pas tous français. Il en retracera le portrait dans Casse-Pipe et Voyage au bout de la nuit.

Le hasard des rencontres va amener une nouvelle fois Céline en Bretagne en 1918. Après la guerre, Londres et l'Afrique, durant toute l'année, il va parcourir de long en large la terre de ses ancêtres comme conférencier de la commission Rockefeller de lutte contre la tuberculose. Ce parcours est méthodiquement retracé par Gaël Richard par « le dépouillement de la presse et des archives locales bretonnes ». Céline pourra désormais « arguer de sa connaissance intime des paysages et des hommes de Bretagne ». A Rennes, en mars 1918, la rencontre du Dr Athanase Follet, alors Président du comité départemental de lutte contre la tuberculose, va marquer la vie de Céline. Il rencontre sa fille, qu'il épousera un an et demi plus tard, après lui avoir fait assidument la cour, et lui donnera une fille, Colette, qui naîtra le 15 juin 1920. Céline reprendra ses études et deviendra, avec l'aide de son beau-père, médecin. Supportant difficilement la petite vie bourgeoise et provinciale qu'il mène à Rennes, il décide de quitter sa famille pour de nouvelles aventures qui le mèneront notamment en Suisse, comme médecin à la Société des Nations. Il y fait la rencontre d'Elizabeth Craig, danseuse américaine, qu'il ramène avec lui à Paris. Mais jamais la Bretagne ne sera oubliée. Avant la parution de Voyage au bout de la nuit en 1932, Céline y emmène Elizabeth, et y retourne, cette fois pour raison professionnelle, pendant l'été 1932, comme visiteur médical pour les laboratoires Cantin.

Les années 30 vont voir naître une profonde amitié avec le peintre Henri Mahé, avec qui Céline peut partager son amour de la Bretagne, à Paris sur la péniche La Malamoa ou sur les côtes bretonnes, où les deux amis se lieront autour de leurs passions communes des bateaux et des danseuses.
A Dinard et Saint-Malo, qui restera sa destination privilégiée, Céline partagera son temps entre amitiés et écriture. Mort à crédit, Guignol's band, Bagatelles pour un massacre ou encore L'École des cadavres y seront en partie rédigés. « Toujours dans l'oeil cette lueur de gouaille et de désespoir. Homme étrange fleur de ruisseau ». Par ces mots, Théophile Briant, poète et directeur du Goéland, nous décrit Céline. Tous deux partageront à Saint-Malo leurs intérêts littéraires et l'amour de la mer. Des extraits inédits de son Journal viennent d'ailleurs compléter le récit de cette amitié. Inédite aussi la correspondance avec le Docteur Desse, que Céline rencontrera dans l'entourage du Docteur Tuset à Quimper. (2)
Après la publication des pamphlets, qui marquent une rupture, « plus qu'à l'identité bretonne, ce fut désormais au celtisme que Céline empruntait ses revendications d'appartenance » à la Bretagne qui ne sera plus pour lui que souvenirs et nostalgie (il ne reverra plus ce « pays Divin » après mars 1944, date de son dernier séjour breton) ce qu'il exprimera dans sa correspondance (« Comme je voudrais être à Saint-Malo » confie t-il à sa femme dans une lettre du 6 septembre 1946) et, par discrètes touches, dans son oeuvre, notamment dans les versions primitives de Féerie pour une autre fois.

Jusqu'aux derniers instants, alors reclus à Meudon, Céline gardera le projet d'une installation définitive à Saint-Malo, mais seul un trois-mâts gravé sur sa tombe meudonnaise l'emmènera une dernière fois naviguer sur les mers bretonnes...

M.G.
Le Petit Célinien, 28 juillet 2013

Notes
1 - Lettre de Céline à Henri Mahé du 10 janvier 1933. 
2 - L'ouvrage propose aussi des photos inédites de Céline.

Gaël RICHARD, La Bretagne de L.-F. Céline, Du Lérot, 2013
Le volume 68 € à :
Du Lérot, éditeur
Les Usines Réunies
16140 TUSSON



 Dans la presse :
Sur le sujet :




samedi 27 juillet 2013

Échos céliniens...

> Autographe : la librairie Autographes des siècles (Lyon) propose une lettre de Céline au maire de Bezons, Frédéric Empeytaz, datée du 28 août 1941 sur papier à en-tête du dispensaire municipal de la ville de Bezons. Prix 2600 €. www.autographes-des-siecles.com.

> Pléiade : Le Point nous plonge dans "le secret des Dieux" par une visite des ateliers Babouot d'où sortent depuis 80 ans les prestigieux volumes de la Pléiade : www.lepoint.fr.

> Biographie : Les éditions Perrin font paraître en édition de poche la biographie de l'abbé Mugnier de Ghislain de Diesbach, L'abbé Mugnier, le confesseur du Tout-Paris. Y est racontée la rencontre du religieux avec Céline lors d'un déjeuner chez la famille Descaves en compagnie du peintre Vlaminck. Comme possible sur Amazon.fr.

> Presse : Pierre Ancery et Clément Guillet se sont penchés sur quatre grands classiques de la littérature qui n'ont jamais été adaptés au cinéma dans un article paru sur Slate.fr le 7 juillet 2013. Céline avec Voyage au bout de la nuit fait partie du quatuor :  www.slate.fr.

> Dieppe : Le nom de Céline modestement cité dans cette article paru sur le site Paris Normandie qui évoque la libellisation "Maison des illustres" du château qui a vu naître Guy de Maupassant : www.paris-normandie.fr.

> Anthologie : Une Petite Anthologie du désamour de Paris vient de paraître chez Parigramme. Anne Reverseau a rassemblé une série de "poèmes, lettres, extraits de romans de toutes époques et de toutes origines" pointant les mille et un défauts de Paris et des parisiens. Un très court extrait de Voyage au bout de la nuit est reproduit. Commande possible sur Amazon.fr.

> Denoël : Les Editions du Léopard Masqué devrait faire paraître en septembre 2013 une BD sur Robert Denoël, "Le père Denoël est-il une ordure ?".

> Danube : Le Figaro propose cette été une série de reportages sur les grands fleuves du monde. Le passage de Céline à Sigmaringen est rapidement évoqué dans l'épisode consacré au Danube : www.lefigaro.fr.

Théâtre : « Y'en a que ça emmerde qu'il y a des gens de Courbevoie... ? » (août-septembre 2013)

Stanislas de la Tousche reprendra son spectacle « Y'en a que ça emmerde qu'il y a des gens de Courbevoie... ? » les vendredi 2 et 9 août 2013 au château d'Amou (Landes), à Hauterives (Drôme) et le 28 septembre à Florange. Mis en scène par Géraud Benech, ce spectacle est construit à partir de Féerie pour une autre fois, D'un château l'autre, Rigodon, de la correspondance et des derniers entretiens. La meilleure interprétation de Céline aujourd'hui !

  
Vendredi 2 août 2013 à 20h30
Cour Carrée du château d'Amou
40330 Amou
06 22 39 01 84

Vendredi 9 août 2013 à 20h30
Librairie Le Baz'Art des mots
1050 rte de Tersanne
26390 Hauterives
Entrée 10 €
04 75 68 95 40

Samedi 28 septembre 2013 à 20h30
Théâtre La Passerelle
50, avenue de Lorraine
57190 Florange
http://passerelle-florange.fr/


> Télécharger le dossier de présentation

vendredi 26 juillet 2013

Vient de paraître : VILLON & CÉLINE de Pierre de BONNEVILLE

Les éditions Dualpha viennent de publier Villon & Céline de Pierre de Bonneville. Initialement paru aux éditions Improbable, ensuite publié en plusieurs partie par Le Bulletin célinien puis repris sur notre site (ici), ce texte fait un parallèle très intéressant entre les deux illustres écrivains, leurs vies, leurs époques, leurs styles...


Pierre de BONNEVILLE, Villon & Céline, Dualpha, 2013.
98 pages, 15 €
Commande sur www.francephi.com.


Quatrième de couverture 
Villon et Céline : près de cinq siècles les séparent, mais ils ont beaucoup de points communs. Parmi ceux-ci, l’auteur a relevé l’identité, la personnalité, le milieu, le génie, l’invention, le parcours, le destin, la musique, le comique et le tragique. Dans un parallèle rigoureux, il nous trace ces ressemblances, qui sont l’occasion de replonger dans les citations, les textes de ces deux écrivains d’exception.
« Les études comparatistes ne sont plus guère à la mode. Le fait que notre auteur renoue avec cette tradition se justifie tant il est vrai que le parallèle entre l’œuvre et l’itinéraire respectifs de Villon et Céline apparaît ici comme une évidence. Se basant notamment sur la somme du grand médiéviste Pierre Champion, il passe en revue tout ce qui les réunit. Leur destin d’écrivain maudit bien sûr, mais surtout ce lyrisme basé sur l’émotion et les ressources du langage populaire » (Marc Laudelout).

mercredi 17 juillet 2013

1925 : « CÉLINE, un médecin aux Amériques »

Le Dr Destouches et le groupe de médecins latino-américains (1925)
Nous sommes en 1925. L'année précédente, Louis Destouches a soutenu sa thèse de médecine « La vie et l'œuvre de Philippe Ignace Semmelweis » et a été recruté par le Dr Ludwig Rachjman qui dirige alors la section Hygiène de la Société des Nations. Céline signe son contrat le 10 août 1924 pour être nommé au poste de « responsable des échanges de médecins spécialistes ». 
C'est sous l'égide de cette organisation internationale que Céline, alors seulement connu sous le nom de Docteur Louis Destouches (Voyage au bout de la nuit se sortira qu'en 1932) se verra confier, après une mission au Pays-Bas et à Paris (novembre 1924-janvier 1925), la direction d'une délégation de médecins sud-américains qui l'amènera à traverser toute l'Amérique de Nord. De Cuba en Louisiane, De New York à Montréal, les quatre mois du voyage se feront sur un rythme soutenu.
Objectif du voyage : la création d'un réseau mondial d'échanges visant à l'amélioration du niveau de santé publique. Les intérêts du jeune médecin français se portent justement sur ces problématiques d'hygiène et de santé publique. Il précise sa pensée dans une correspondance au Dr Rajchman du 17 mars 1925 : « Je fais une étude qui m'intéresse sur un point tout à fait précis. L'amélioration des conditions sanitaires de l'ouvrier correspond-elle à un meilleur rendement industriel de celui-ci ? ». C'est d'ailleurs par les lettres et les différents rapports qu'adresse Céline au Dr Rajchman basé en Suisse que le détail des étapes et des pérégrinations du voyage nous seront connues. La presse locale relatera aussi l'arrivée et l'accueil offerts à la délégation de médecins étrangers.1 

Le 14 février 1925, Céline s'embarque à bord du Minetonka pour l'Amérique. Il débarque à New York le 24 février après « toutes sortes de délais et de contre-marches, brouillard, mauvais temps, etc... » et envoie ses premières impressions à son directeur : « Tout ce que je vois ne ressemble à rien, c'est insensé comme la guerre »2. Le même jour, les premiers contacts avec la Fondation Rockefeller, qui finance une partie de ces activités, sont pris. Le 27, il est à Washington pour y rencontrer le Surgeon-General Cumming, chef du Service de la santé publique aux États-Unis, d'un premier abord « très amical »3.
Le programme que suivra désormais le groupe sera très chargé – Céline le fera remarquer à de très nombreuses reprises à sa hiérarchie de Genève. 

Cuba (2-9 mars 1925) 
Le passage à La Havane a pour but essentiel de rassembler le groupe de médecins latino-américains. Avant l'arrivée de tous les participants, Céline est accueilli à la Direction de la Sanidad « grand et magnifique palais », un ministère qui « possède par ailleurs des moyens financiers qui surpassent ce qu'on pourrait imaginer quand on a vécu en Europe »4. La qualité des infrastructures médicales et le faste de la ville frappe Céline dès son arrivée : « L'or en effet ruisselle à Cuba. [...] J'ai visité un hôpital Mercedes où sont réunis pour le bien de 200 malades à peine tout ce que la science moderne peut offrir de plus coûteux y compris 500 milligrammes de radium. L'aspect de la ville et de ses environs a quelque chose d'invraisemblable par le luxe et la beauté réelle de l'ensemble »5 mais Céline remarquera tout de même quelques jours plus tard que « les prix de toutes choses sont terrifiants » et notera « aucune réception officielle, aucune auto, rien. L'accueil est charmant mais réservé. »6 
Tous les médecins invités étant réunis, le départ de La Havane pour les Étas-Unis est organisé pour le 7 mars 1925. Dans un échange avec sa hierarchie daté du 6 mars, Céline brosse un rapide portrait de ses collègues sud-américains. Le plus amicale y cotoîe le plus méprisant : « intelligent, mou, à secouer, a une culture réelle, surtout envie de dormir, petite créature gentille, tout à fait intelligent »7

Dr L. Rajchman
Louisiane (10-21 mars 1925)
Le 10 mars 1925, Céline arrive seul à La Nouvelle-Orléans « pour arriver à l'heure » faisant voyager les autres membres de la délégation sur une ligne maritime plus lente, mais à l'avantage d'être « moins coûteuse ». Ces questions de budget traverseront l'ensemble des échanges de Céline avec son directeur. Les premiers contacts sont pris le jour même de son arrivée avec les officiels pour l'organisation de l'inspection des infrasctructures de différentes municipalités lousiannaises. Voyage « en autocar et en chemin de fer » et visites des hopitaux et des institutions publiques. Une douzaine de villes seront visitées. La Nouvelle-Orléans aura droit au jugement sévère de Céline : « ville infiniment sale et ce quartier français le plus malpropre d'entre tous »8 
Le rythme des visites en Louisiane est jugé « frénétique », ce qui sera peut-être à l'origine de l'accident survenu aux médecins le 16 mars entre Lake Charles et Shreveport. Céline en fait le rapport au Dr Rajchman : « Ce que je craignais hier au soir est arrivé dans la nuit. Nous fûmes en une seule journée de Lake Charles à Shreveport soit près de 500 kilomètres ! Après avoir risqué plusieurs fois l'accident, il a fini par nous arriver hier au soir ou plutôt dans la nuit vers 11 heures à 6 km de Shreveport. La première de nos trois voitures où nous étions : Dr Rowling conducteur, Alvarez, Gubetich et moi-même au passage d'un pont trop étroit a renversé une Ford dans une petite rivière et nous-mêmes sommes allés en pleine vitesse nous retourner dans le fossé à 60 mètres de là. Gubetich, Alvarez et moi sommes légèrement blessés. Gubetich au front, Alvarez à la jambe et moi-même à la face et au front. A peine nous avait-on ramassés dans une voiture de secours que cette même voiture était tamponnée par une autre automobile et projettée sur un trottoir de Shreveport. Enfin nous sommes arrivés et aujourd'hui nous continuons. Tous ces gens n'ont aucun bon sens. Je ne comprends pas que Washington ait donné son approbation à un programme aussi ridicule et frénétique surtout. »9 
Mais ce passage en Louisiane ne sera pas totalement négatif et permettra aux médecins de se rendre compte « des conditions rustiques dans lesquelles vivent la plupart des habitants », le « souci de propreté et de prophylaxie »10 des autorités sanitaires, « les problèmes sanitaires très spéciaux créés par le caractère mixte de la population », « la bonne surveillance du lait de consommation » ou encore le rejet par la population de la vaccination malgré les campagnes de propagande que Céline explique par la présence « de devins, de charlatans »11 en nombre important. 

Mississipi & Alabama (22 mars-3 avril) 
Arrivée à Jackson dans l'Etat du Mississipi le 22 mars 1925. Le groupe de médecins est reçu à dejeuner par le Gouverneur de l'Etat. Suivra une série de conférences, la visite d'un asile d'aliénés, de cliniques, d'hôpitaux et de laboratoires. Le 29 mars est réservé à l'inspection de l'hôpital et de l'organisation sanitaires de la Steel Corporation qui a mis en place une politique d'hygiène industrielle qui intéresse particulièrement la délégation. Céline fera remarquer l'écart, dans ces états du sud américian, entre les villes et leurs campagnes : « l'architecture est facilement hygiénique ici, l'eau est bonne. Mais leur souci majeur c'est l'aménagement sanitaire des campagnes où tout cela est à faire. »12 

Washington (6-11 avril 1925) 
Après une rencontre à New York avec les responsables de la Fondation Rockefeller, Céline se retrouve à Washington pour le point culminant de cette tournée américaine : une rencontre à la Maison-Blanche le 10 avril 1925 avec le Président des Etats-Unis, Calvin Coolidge, fraîchement élu, « puritain du Massachusets que les américains appelaient "Silent Cal" et dont le faciès dénué d'expression était d'une tristesse comparable à celle du masque de Buster Keaton »13. Dans une lettre confidentielle au Dr Rajchman, Céline fera remarquer l'attitude des autorités à nier absolument le rôle de la S.D.N. dans l'organisation de cette mission. 

New York (18-28 avril 1925) 
Le marathon continue pour la délégation de médecins latino-américians qui parcourent, les derniers jours du mois d'avril, New York et les villes de la région. Des écoles, trois abattoirs, un égout collecteur, plusieurs administrations, des cliniques, une station de quarantaine sont au programme. Le 27, c'est Ellis Island et son service d'inspection des immigrants qui est présenté aux visiteurs. Un passage qui restera dans les souvenirs du futur écrivain puisqu'elle sera source d'inspiration d'une scène de Voyage au bout de la nuit.

Céline avec la délégation SDN à Toronto (mai 1925)
Détroit & Pittsburgh (5-8 mai 1925) 
L'intérêt du jeune Dr Destouches se porte pendant cette période de sa vie sur les politiques de santé publique et l'amélioration générale du niveau de santé des populations ouvrières, mais sa perspective s'alignera toujours sur celle de l'employeur, comme le montre parfaitement le rapport qu'il envoie au Dr Rajchman en avril 1925 : « Nous avons eu le désir de savoir si les frais occasionnés par la création et l'entretien d'un service médical spécial pour les ouvriers et les employés d'une industrie d'un genre ou d'un autre se trouvaient être récupérés par les actionnaires de cette industrie sous la forme d'un meilleur rendement du travail humain. » Céline s'attache donc la collaboration des médecins liés aux grands industriels américains qui lui confirment l'intérêt de regrouper les services médicaux car il a été constaté que « les frais du service médical diminuent à mesure que le nombre des ouvriers augmente », que « dans les fabriques où un dentiste est en fonction l'économie réalisée par le fait d'une diminution des jours d'absence pour ondotologie est tout à fait démonstrative », de l'intérêt de supprimer les coûts de l'aide aux premiers secours pour plutôt « renforcer les mesures qui ont pour but de spécialiser les ouvriers dans un genre de travail adapté non seulement à leurs aptitudes mais surtout à leur insuffisance physique ou psychique, leurs infirmités », en n'oubliant pas de noter, dans le même rapport, qu'aux « usines Ford, les aveugles mêmes sont employés », et de conclure en rapportant les propos de M. Close, directeur des services sociaux et sanitaires de la United States Steel Corporation (qui emploie plus de 260 000 employés à travers les États-Unis) : « Il ne sort pas un dollar de nos caisses pour un but philantropique, pour deux raisons – tout d'abord parce que la philantropie ne nous regarde pas, et ensuite parce que nous considérons la philantropie comme une dégénérescence industrielle ». « L'homme sain travaille mieux que l'homme diminué physiquement » résume Céline. 

De la visite de Detroit puis Pittsburgh du 5 au 8 mai 1928 sortiront les principaux enseignements que retiendra Céline de son voyage américain et qu'il regroupera dans deux rapports : « Note sur l'organisation des usines Ford à Detroit » et « Notes sur le service sanitaire de la compagnie Westinghouse de Pittsburgh »14. Deux visites pour deux types bien différents de politique médicale. Si dans les usines automobiles Ford, symbole de la production standardisée de masse, travaillent même les déficients physiques et mentaux, chez Westinghouse, l'amélioration de la santé des ouvriers a un impact réel sur leur rendement (par une baisse de l'absentéisme, ou celle du turn-over) : « Nous sommes venus à Detroit avec l'intention de savoir si l'hygiène appliquée à l'industrie augmentait le rendement de cette industrie, la chose nous est apparue prouvée par l'expérience de la maison Westinghouse à Pittsburg ; mais chez Westinghouse les produits préfabriqués sont divers encore, la standardisation n'est pas encore possible, l'ouvrier garde sa valeur d'ouvrier. [...] Chez Ford la santé de l'ouvrier est sans importance, c'est la machine qui lui fait la charité d'avoir encore besoin de lui, les facteurs sont inversés. »
Dans un article publié en 1928 dans la presse médicale, « Les Assurances sociales et une politique économique de la santé publique »15, Céline retiendra cette expérience américaine qui viendra alimenter ses réflexions et permettra la formulation de réformes, audacieuses pour l'époque, en évoquant notamment la création de véritables bataillons de « médecins d'assurances-maladie d'entreprises », des médecins du travail (ce que nous connaissons aujourd'hui) qui, en devenant de véritables « praticiens du travail »« viendront aider au travail » sur le lieu même d'activité car « en vue d'une assurance sociale efficace, n'hésitons pas à concevoir que le malade doit travailler ».
De ce passage chez le fabricant automobile, Céline laissera croire, quelques années plus tard à certains de ces interlocuteurs, y avoir travailler quatre années. Une autre trace de la capacité de l'écrivain à inventer sa propre vie...

Céline et la délégation avec Mussolini en Italie (août 1925)
Canada (10 – 21 mai 1925) 
Niagara est la dernière étape américaine du groupe avant son arrivée le 10 mai en territoire canadien. A Toronto, Ottawa, Montréal, Trois-Rivières, Grand'Mère et Québec, conférences, banquets et visites rythmeront les quelques jours de leur présence. La presse locale fera largement échos au passage de la délégation internationale à la Faculté de Médecine de Montréal, aux visites de la laiterie de Joubert pour assister au processus de pasteurisaton, au musée, à l'Hôpital Notre-Dame, ou encore au dispensaire anti-tuberculeux de Trois-Rivières :

The Gazette, 16 mai 1925
 Le Canada, 16 mai 1925
 Canada, 18 mai 1925
 Gazette, 18 mai 1925
 Patrie, 18 mai 1925
 Presse, 18 mai 1925

Le 22 mai 1925, c'est le départ pour l'Angleterre du Dr Destouches sur Le Mont Royal qui accostera à Liverpool le matin du 30 mai. Les travaux du groupe de médecins sud-américains sous sa houlette se poursuivront eu Europe avec des programmes de rencontres et de visites en Grande-Bretagne, Hollande, Belgique, France et Italie.

En 1938, Céline reviendra visiter les terres américaines, au Canada, mais pour un tout autre voyage...

M.G. 
Le Petit Célinien, 17 juillet 2013

>Télécharger cet article (pdf, 7 pages)


Notes 
1 - Cf. Théodore D. DIMITROV, Louis-Ferdinand Céline (Dr Destouches) à la Société des Nations (1924-1927), Foyer Européen de la Culture, Genève, 2001.
2 - Lettre du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 24 février 1925. Lettre à en-tête de l'Hotel McAlpin de New York.
3 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 27 février 1925.
4 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 2 mars 1925.
5 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 2 mars 1925.
6 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 5 mars 1925.
7 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 6 mars 1925.
8 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 10 mars 1925. Lettre à en-tête de l'Hôtel « The Lafayette, Hôtel de luxe ».
9 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 16 mars 1925. Lettre à en-tête de l'Hôtel Jefferson, Shreveport, Louisiane.
10 - Rapport du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 18 mars 1925
11 - Rapport du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman.
12 - Lettre Du Dr L. Destouches au Dr L. Rajchman le 29 mars 1925.
13 - François GIBAULT, Céline, Tome I, p.255, Mercure de France, 1985.
14 - Repris dans Cahiers Céline 3, « Semmelweiss et autres écrits médicaux ».
15 - Repris dans Cahiers Céline 3, « Semmelweiss et autres écrits médicaux ».


dimanche 14 juillet 2013

« Portraits » : Exposition de Marc-Édouard NABE jusqu'au 31 juillet 2013 à Aix-en-Provence

« Céline narquois » par M.-E. NABE (1986)
Marc-Édouard NABE expose une série de 250 portraits d'écrivains, poètes, jazzmen, révolutionnaires, philosophes, peintres jusqu'au 31 juillet 2013 à Aix-en-Provence. Vous pourrez y découvrir une série de 5 portraits de Céline et celui de... son pied !


De James Joyce à Che Guevara en passant par Georges Simenon, Mozart, Picasso, Kafka, Céline, Bud Powell, Gandhi, Jimi Hendrix et Thérèse de Lisieux. 


« Portraits »
Tous les jours de 10h à 23h
Cours Mirabeau
1, Place Forbin
Aix-en-Provence

mercredi 3 juillet 2013

Louis-Ferdinand CÉLINE : « En plein moment où tout palpite »

Céline par Sam DILLEMANS (2006)
C'est trop bête, je fais plus attention... je regarde les fleurs, les tombes autour... C'est l'épanouissement partout, les marguerites, les roses, jaunes, rouges... vraiment c'est la profusion... clématites, jacinthes... des beautés de couleurs fraîches comme ça n'existe qu'au coeur d'été, en plein moment où tout palpite, où la joie des plantes exhubère, tourne folle, entête, que les papillons, les piafs virent voguent à portée, ivres, posent, butinent, titubent en l'air d'odeur... Ah ! puis les lilas, y en avait encore de juin, des géraniums incarnat à pas croire ses yeux de violence... En pente tout ceci de l'inclinaison des allées... vous voyez ce que je veux dire... le couchant de la Butte... entre Caulaincourt et Joffrin... l'enclos des Troënes... cimetière privé presque... enfin mettons deux trois cent tombes... et tout à l'extrême, au Lapin, en bordure de rue, des peupliers des acacias, pas un arbre triste... juste un petit sapin dans un coin... mais tout en haut le vent passait, la moindre brise... C'était un bruissement, toute la voilure de Montmartre, tout un froufrou vert sur le bleu...

Louis-Ferdinand CÉLINE, Maudits soupirs pour une autre fois, 1985.
Commande possible sur Amazon.Fr.

Le Bulletin célinien n°354 - Juillet/Août 2013

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°354. Au sommaire : 

Marc Laudelout : Bloc-notes
Émeric Cian-Grangé : Entretien avec Jean Guenot
Éric Séébold : Un écrivain de grand talent
Jean-Paul Louis : Un farouche défenseur de l’autoédition
François Marchetti : À Jean Guenot
Éric Mazet : Goûteur d’encres et guide ès lettres
Éric Mazet : Céline et Gen Paul. Retouches à un portrait.

Le Bulletin célinien, Bureau Saint-Lambert, B. P. 77, 1200 Bruxelles
Courriel : celinebc@skynet.be.

Abonnement (11 numéros) : 55 €

mardi 2 juillet 2013

Échos céliniens...

> Thèse : Bianca Roumaniuc-Boularand publie sur Fabula une présentation de sa thèse de Doctorat en Langue et Littérature françaises soutenue en 2010 à l'Université de Paris Est : « La traduction du Voyage au bout de la nuit en roumain : questions de rythme et de poétique » : www.fabula.org

 > Musique : L'ensemble de musique contemporaine Ars Nova interprétera l'adaptation de A l'agité du bocal le 24 mai 2014 au Théâtre de Cornouaille de Quimer. Un spectacle joué pour la première fois à Poitiers le 7 mars 2013. (A écouter ici). www.theatre-cornouaille.fr.

> La librairie de l'Avenue propose dans son catalogue une édition de 1942 de Voyage au bout de la nuit avec 15 dessins réhaussés en noir à la main par Gen Paul et avec envoi au photographe Roger Shall. Prix 1500 €. Librairie de l'Avenue, 31, rue Lécuyer, 93400 Saint-Ouen. http://librairie-avenue.com.

> Paris : le site de la ville de Paris publie un article à l'occasion de la rénovation du Passage Choiseul : www.paris.fr.

> Théâtre : Denis Lavant sera sur scène le 16 novembre 2013 au théâtre du Kremlin-Bicêtre avec Faire danser les alligators sur la flûte de pan, un texte d'Emile Brami d'après la correspondance de Céline. Une reprise du spectacle donné en 2012. http://ecam-lekremlinbicetre.com.
 


> Danse : Mathile Monnier, chorégraphe, évoque "Madame Céline" dans sa dernière création où « la plus âgée des protagonistes évoque la fameuse classe, à Meudon, de Lucette Destouches, l’épouse ballerine de Louis-Ferdinand Céline, entraperçu assoupi parmi ses chats. » www.midilibre.fr. 

> Parution en format de poche de Ceci n'est pas une autobiographie de Daniel Filipacchi. Un court passage est consacré à la visite de l'auteur à Céline au Danemark. 432 pages, 6,75 €. Commande possible sur Amazon.fr.

lundi 1 juillet 2013

« Ceux de 14 » - Les écrivains dans le Grande Guerre - Le Figaro Hors-série

Le Figaro vient de sortir un numéro hors-série consacré aux écrivains dans la Grande Guerre. En vente en kiosque, 8,90 €. Un article est consacré au soldat Destouches signé Irina de Chikoff : « Bas les coeurs ! », suivi d'un parallèle entre les oeuvres de Drieu la Rochelle et Céline par Paulin Cesari. A télécharger ici :