dimanche 30 juin 2013

« CÉLINE, un exemple de radicale insoumission » par Dominique VENNER (2013)

Les éditions P.-G. de Roux viennent de publier Un samouraï d'Occident, Le Bréviaire des insoumis, « livre-testament » de Dominique Venner, mort de manière spectaculaire le 21 mai dernier. Cet « historien méditatif » se penche dans cet ouvrage sur la longue tradition des Européens, son histoire, son avenir. Quelques lignes sont consacrées à Céline...

Certains exemples inattendus de retour à des représentations antiques affranchies du christianisme ont des précédents célèbres et bien répertoriés. En Allemagne, Goethe, Nietzsche ou Heidegger ; en Espagne, Ortega y Gasset ; en Italie, Croce, Pareto, Marinetti et Julius Evola. En France, dans la période contemporaine, on songe aux positions explicites d'Hyppolyte Taine, Anatole France, Ernest Renan, Fustel de Coulanges, Maurice Barrès, Thierry Maulnier, Jacques Laurent, Lucien Rebatet, Emile Cioran. Mais on peut s'attarder un instant sur les exemples de Montherlant, Maurras, Céline et, dans une moindre mesure, du maréchal Lyautey qui tous ont laissé des témoignages écrits auxquels on peut se référer.

[...]

La virulente polémique de Céline
Considéré comme le plus grand écrivain français du XXè siècle, rénovateur de la langue et du style, habité par une sorte de délire prophétique, Louis-Ferdinand Destouches, Céline en littérature, constitue un autre exemple de radicale insoumission. Gravement blessé au cours des premiers combats de 1914, il fut décoré et réformé. Ayant entrepris des études de médecine, il soutint sa thèse en 1924 sur la vie et l'oeuvre du Dr Semmelweis. Entré au service d'hygiène de la S.D.N., il fut envoyé en mission aux U.S.A., en Europe et en Afrique jusqu'en 1927. Cinq ans plus tard, il publiait Voyage au bout de la nuit, salué aussitôt comme une oeuvre littéraire capitale. Tout comme Léon Daudet dans L'Action française, l'intelligentsia de gauche réserva un accueil chaleureux à un auteur qui semblait lui appartenir, mais l'écrivain-médecin était rétif à tout embrigadement. La publication de Mea culpa (1936), après un voyage en U.R.S.S., montra qu'il n'avait pas été dupe du paradis soviétique. Ce livre consomma son divorce avec une gauche que dominaient les communistes.
Sentant venir une nouvelle guerre, Céline en attribua la responsabilité à une conspiration juive. Coup sur coup, il publia deux pamphlets qui le firent soudain apparaître comme un antisémite enragé : Bagatelles pour un massacre (1937) et L'École des cadavres (1938). Vitupérant la guerre et les charniers à venir, il dénonçait à sa façon « la coalition du capitalisme anglo-saxon, du stanilisme et du lobby juif » dont l'objectif (selon lui) était d'envoyer au massacre la jeunesse française en une guerre franco-allemande où elle-même n'interviendrait pas avant l'épuisement des combattants sacrifiés.
Dans un genre assez différent, Céline publia en 1941 un nouveau pamphlet, Les Beaux draps, sans doute la seule de ses oeuvres qu'illumine un léger halo d'espérance. A côté d'une célèbre tirade sur le « communisme Labiche », il livrait une méditation poétique sur l'esprit de la France, écrite dans le style des ballades et des virelais du XVè siècle, non sans quelques coups de patte fort injustes donnés à Montaigne.
Ce curieux livre, où l'antisémitisme, quoique présent, est assez estompé, délivrait cette fois un message furibard à l'encontre de la prédication chrétienne, ultime recours du régime de Vichy qu'il méprisait : « Propagée aux races viriles, aux races aryennes détestées, la religion de "Pierre et Paul" fit admirablement son oeuvre, elle décatit en mandigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race... Ainsi la triste vérité, l'aryen n'a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de religion blanche... Ce qu'il adore, son coeur, sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses pires ennemis... » Dans un langage différent, Nietzsche n'avait pas dit autre chose.
L'ouvrage fut interdit par les services de Vichy en zone Sud et suscita les plus vives réserves de la Propaganda Abteilung...

Dominique VENNER, Un samouraï d'Occident, Le Bréviaire des insoumis, P.-G. de Roux, 2013.
Commande possible sur Amazon.fr.

vendredi 28 juin 2013

« Se débarrasser de PROUST et CÉLINE ? » par Philippe VILAIN - Service Littéraire (juillet 2013)

Céline par Redon (2013)
Il me semble que le débat récent, réactualisé à l'occasion du centenaire de "Du côté de chez Swann", autour de la question relative à l'héritage proustien dans la littérature contemporaine - comment se débarrasser de Proust ? - repose sur une idée reçue, une perception erronée du rôle occupé par une oeuvre comme "A la recherche du temps perdu", peu lue en dehors de l'université, dont les quelques épigones demeurent en minorité visible dans le paysage littéraire de ce début de XXIè siècle. La question serait, à mon sens, de se demander pourquoi vouloir se débarrasser de Proust qui a cessé d'être un modèle pour les écrivains contemporains ? Un examen attentif montre bien, en effet, que la littérature dominant ce paysage est oralisante, célinienne, écrite au présent, singulative (qui raconte une fois ce qui s'est passé une fois), et qu'elle s'écrit contre la littérature itérative proustienne qui, synthétique, intellectuelle, analytique, soucieuse de capter l'essence du monde, raconte, elle, une fois ce qui s'est passé plusieurs fois : l'écriture ne s'est pas proustisée, elle s'est célinisée. On est passé d'une écriture rationnelle à une écriture émotionnelle, d'une écriture de l'intellection à une écriture de l'expression, de la musique à la chanson, du style à la voix narrative. Plus que de proust, c'est de Céline, plutôt, modèle scriptural plus accessible, formellement plus consommable, dont il faudrait songer à se débarrasser.

Plus judicieux serait ainsi de se demander, sur la base de ce constat, pourquoi Proust continue de faire de l'ombre, et, en conséquence, pourquoi il dérange encore, étant si peu représenté. Les écrivains se sont débarrassés de Proust depuis qu'ils ont cessé d'envisager le style comme une valeur littéraire et qu'ils se contentent d'oraliser l'écriture, selon le procédé de ce que Roland Barthes nommait la « verbalisation immédiate ». On trouvera malhonnête de fustiger l'académisme hérité de Proust et l'esthétique du Beau qui en découle, sachant qu'il est toujours plus aisé de dé(cons)truire que de construire, d'esthétiser que d'inesthétiser, sachant surtout que, de même qu'il faut maîtriser le dessin pour s'abstraire de la forme en peinture, l'on ne saurait, en écriture, dépasser l'académisme sans se l'être d'abord approprié, le contester sans l'avoir assimilé. La littérature contemporaine n'a ni le temps d'apprendre l'académisme, ni l'humilité de se donner des modèles majeurs, littérairement les plus exigeants. Je souscris volontiers à l'écriture oralisée lorsqu'elle procède d'une évolution littéraire témoignant une assimilation de l'académisme (Duras), non lorsqu'elle est pratiquée d'emblée. A fustiger l'académisme, on s'en recrée une autre, marchand, formaté pour notre société de consommation, une « litteraturacademy » faite par ceux qui, prisonniers d'autres activités, n'ont guère le temps de se consacrer à la littérature, ou, peu formés à la littérature, font de l'écriture un hobby, non un travail patient. Prendre Proust pour modèle, c'est faire de la littérature une religion, c'est choisir l'excellence, l'exigence absolue, c'est vouloir écrire en mode majeur ; c'est préférer Mozart à David Guetta, la champions league à la ligue 2. Cette exigence est-elle condamnable ?  

Philippe VILAIN
Service littéraire n°64, Juillet-Août 2013

jeudi 27 juin 2013

« Gangster Holliday » : un synopsis de film de Louis-Ferdinand CÉLINE

« Gangster Holliday » - Lettre de Céline à Henri MAHÉ (1934) - Cliquez pour agrandir
Ce synopsis de film a été publié par Henri MAHÉ dans La brinquebale avec Céline (La Table Ronde, 1969, réédition chez Écriture en 2011). Le Bébi dont il est question dans la première phrase était un clown célèbre, ami d'Henri MAHÉ, qui se produisait dans les cirques du monde entier. Source : Cahiers Céline VIII : Progrès, suivi de Œuvres pour la scène et l’écran (Gallimard, 1988).


 « Gangster Holliday »

Je vois beaucoup mieux ton Bébi dans un  « Gangster qui se dégonfle ». Je le connais très peu, mais il me semble convenable à cet emploi. 
Un petit employé des contributions voit passer beaucoup d'argent : il est amoureux... On le méprise... Ça le dégoûte... Il va aux courses. Il perd... Il va au cinéma... Il voit Chicago... Ça lui donne des idées... Il attend le moment de ses vacances... « Gangster Holliday » ... j'appellerais ça... Et le voilà sur la route... Il a loué une Rosengart 1 500 F par mois... Il va arrêter des limousines... Mais on se demande ce qu'il veut... On lui offre du secours... On le remorque... jusqu'à Trou-la-Ville... Au casino il repique. Il essaye de tenter un coup au Baccara... Mais il a l'air trop honnête... On lui refuse l'entrée de la salle... Il vole une glace à la fraise... Il est content... Etc., etc. Il finit dans l'honnêteté, des contributions. Son oncle vient de mourir. Tout s'arrange. Il achète la Rosengart en dix-huit versements.
Mais je n'ai pas la fibre. Cependant c'est la direction.


Le clown Béby 
par Éric MAZET

Le clown Béby par Henri MAHÉ (litographie, 1930)
Le clown Béby
Beby le clown,dit Beby l'Admirable : Aristodemo Frediani, né à Bielefeld dans la Ruhr en 1880 (ou 1889), mort en 1958 à Castres, dans le Tarn, où il possédait un château. Enfance picaresque narrée dans "mémoires d'un clown". Parlait dix langues, dont le patois de Mazamet. Dix-sept fractures dues à des chutes de cheval (avait débuté comme acrobate à cheval), d'où sa démarche arquée. Partenaire et souffre-douleur d'Antonet pendant 15 ans, de 1918 à 1932. Se produisait en 1930 à Medrano où Henri Mahé fit son portrait et l'invita sur la Malaoma. En 1935, vedette du film "Sous la griffe" tourné au Cirque d'hiver et en 1935 de "Juanita", film de Pierre Caron, avec Nane Germon, autre familière de la Malamoa. En 1936, joue dans "Les Frères Delacliche", court métrage de Maurice Keroul, et en 1938 dans "La Vie des artistes" de Bernard Rolland. En 1944, avec Georgius, attribua le prix Goncourt à René Barjavel.
Mais à cette lettre qui peut dater de 1934, il manque une phrase qui vient après "Mais je n'ai pas la fibre" : "Roger doit l'avoir". Roger ? Roger Lécuyer, poète et chansonnier, ami de Mahé.
Le musée du cirque d'Albi a recueilli des souvenirs de Beby l'Admirable.



mercredi 26 juin 2013

Échos céliniens...

> Presse : Loredana Kahn n'a pas été sensible aux romans et au style céliniens. Elle nous l'explique dans un article intitulé « Céline m'emmerde » paru le 13 juin 2013 sur La cause littéraire : www.lacauselitteraire.fr. 

> CAPES 2014 : « Vous ferez une étude stylistique du texte en insistant sur les formes et enjeux de la parodie » est l'une des questions auxquelles ont dû répondre les candidats au CAPES 2014 section Lettres modernes pour l'épreuve de grammaire après la lecture d'un extrait de Voyage au bout de la nuit. A télécharger ici.

> Presse : Culture, le magazine culturel de l'Université de Liège rend compte de la sortie en format de poche des Lettres à la NRF (Gallimard, 2011) : http://culture.ulg.ac.be. 

> Théâtre en Argentine : Une fiction basée sur la récente histoire Argentine à partir de Céline : L'oeuvre Voyage au bout de la guerre, de Gabriel Fernandez Chapo, est décrite comme un spectacle teinté de politique et d'investigation théâtrale et basé sur Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. A l'Espace Théâtral Polonia (Fritz Roy 1477, Buenos Aires) tous les dimanches à 20h jusqu'au 28 juin 2013. A partir de ce texte classique et controversé, la pièce essaie d'imaginer d'autres histoires possibles sur ce qu'a pu vivre l'Argentine à partir de la crise de décembre 2001. Dans cette fiction, les ex-généraux de la dernière dictature militaire profitent du chaos vécu de l'époque, qui a inclus de nombreux assassinats par les forces de sécurité, pour armer une escarmouche qui commence à les remettre dans la course. Les protagonistes Juan Mako et Giovanni Bellizzi, avec la voix-off de Nacho Rosetti, les lumières de Claudio Del Bianco, costumes et mise en scène de Emilia Pérez Quintero, avec des jeux de lumières de Juan Mendoza. www.elcomercial.com.ar. Voir aussi www.escena.cc.

> Reliure : L'atelier Anne Giordan propose une édition originale de Voyage au bout de la nuit ornée d'une exceptionnelle reliure. A découvrir sur http://annegiordan.fr.

> Passage Choiseul : Le Passage Choiseul vient de faire peau neuve. La journaliste du quotidien 20 Minutes n'oublie pas d'évoquer Céline : www.20minutes.fr.

mercredi 19 juin 2013

« La manie de la perfection m’est plus précieuse que la vie même » : lettre de CÉLINE à J. DEVAL (1935)

Jacques DEVAL (1890-1972)
Face au succès rencontré par Voyage au bout de la nuit, Céline a très tôt souhaité le voir adapter au cinéma. Par l'intermédiaire de son ami Henri Mahé, il entrera en contact avec Jacques Deval, scénariste et réalisateur. Cette lettre, qui n'a pas été publiée dans le volume des Lettres en Pléiade, évoque le film (1). Ce projet, il seront nombreux, ne verra finalement pas le jour. Cette même année 1935, Jacques Deval réalisera Tovaritch, dans lequel Céline fera une apparition.


« Mon vieux,
Voici les titres que je vois bien

PORT PROMIS

Moins bien

PORT PERDU

Reste le film.
Tu comprends bien les choses. Tu sais que je n’ai pas beaucoup de raisons pour vivre hors des petites histoires que je fabrique. C’est ma dernière belotte…
D’autre part j’ai si bien réduit ma vie que j’ai bien assez d’argent. Cette cinématographie me remplit d’effrois !... Pour rien au monde je ne voudrais de concessions boulevardières, de recherches plaisantes. Dans mon genre, toute recherche d’atténuation mène au désastre. Il faut malmener ou disparaître. C’est la loi du casseur d’assiette. Le fauve ne demande qu’à me bouffer.
Je voudrais par cette histoire demeurer dans le ton triste, doux et impitoyable, avec des bouffées de frénésie absolues comme en Bretagne, comme la mer, et surtout laconique. Sans dialogueries capricantes, obliques et finement moulées d’astuces. Tout ce qui plait, je le sais bien en détaillant. Si poésie, poésie vraie, si l’on peut, sinon rien.

J’aime mieux ne rien toucher du tout et que le truc soit scrupuleux que de toucher un million pour collaborer avec Schlonberg. A n’importe quel prix je refuse de tricher à une belotte. Cela ne veut pas dire que je tiens à ce qu’on arrive (illisible) en dame. C’est autre chose dont je cause. Tu sais ce que je veux dire à merveille. Mais je n’ai pas la vanité non plus de plier le marché à ma petite mégalomanie. J’ai honte même, toi si affectueux et si bienveillant de te donner cette tirade et j’en comprends le ridicule mais je ne sais pas après tout si même commercialement parlant je n’ai pas tout à fait raison. J’ai eu d’autres exemples. Le scénario, si tu persistes évidemment, toi seul peut et doit le faire. Tu as dans ce sens un prodigieux talent, mais lui je voudrais qu’il ne dévie pas et par cela je voudrais bien qu’on s’entende sans mauvaise foi, sans amour propre. Tu sais que je suis bien intentionné toujours. Je me demande qu’à me convaincre mais je veux être convaincu. Qu’on arrête la forme définitive d’un bon et total accord. La question pognon, m’est tout à fait secondaire. Tu ne me dois qu’en honoraire même rien du tout si tu veux. Mais la manie de la perfection m’est plus précieuse que la vie même.
Tu me comprends. Je ne délire pas. Je joue.
Je sais bien que dans 20 ans, tout cela ira aux ursulines pépère. Et sans doute peut-être encore à cause de la perfection.

Bien affectueusement à toi et tout reconnaissant.

Louis ».


Note
1 - Gaël RICHARD, dans La Bretagne de L.-F. Céline, rattache le projet évoqué ici à l'adaptation du scénario Secrets dans l'île, et non à Voyage au bout de la nuit comme nous le précisait la galerie Thomas Vincent, propriétaire de cette lettre inédite (qui a depuis été vendue).

Sur le sujet :
> Céline figurant dans Tovaritch de Jacques Deval (1935) 
> Céline au cinéma par Emile Brami
> Christophe Malavoy, son projet cinéma

mardi 18 juin 2013

Échos céliniens...

Extrait d'une lettre de Céline à Jacques Deval (1935)
> Presse : The Guardian consacre un long article à Céline : "Céline's journey to the cutting edge of literature" de Tobor Fisher. www.guardian.co.uk. Nous faisons une nouvelle fois appel à vos talents de traducteurs... 

> Lettre autographe : la galerie Thomas Vincent propose une lettre autographe de Céline à Jacques Deval datée de 1935 à propos de l’adaptation cinématographique du Voyage au bout de la nuit. Prix : 6 000 €. www.galeriethomasvincent.fr.

> Japon : La revue Stella, "études de langue et littérature françaises" publiée par l'Université de Kuyshu a publié un article sur Céline de Motochika Kinoshita dans son 31è numéro. Cerise sur le gâteau, Le Petit Célinien se voit cité. A télécharger ici. 

> Théâtre : Jean-François Balmer interprétera Voyage au bout de la nuit au théâtre du Palais des Congrès de Saint-Raphaël le mardi 18 février 2014 à 20h30. www.aggloscenes.com ; et le jeudi 20 février 2014 au Théâtre municipal de Grenoble à 20h30. www.theatre-grenoble.fr ; le jeudi 20 mars 2014 au Théâtre Forum de Meyrin (Suisse) à 20h30. www.forum-meyrin.ch. Adaptation de Nicolas Massadau, mise en scène Françoise Petit. 

> Cinéma : Nous vous annoncions dans notre Rétrospective 2012 la présence de Céline dans deux extraits du film Sur la route, film réalisé par Walter Salles, tiré du roman de Jack Kerouac. Avec Sam Riley, Kristen Stewart, Garett Hedlung et Viggo Mortensen. Ce dernier évoque deux fois Céline : lors d'un dialogue où il traite des difficultés de traduction du style célinien, ensuite lorsque le réalisateur propose, en fond sonore d'un épisode de délire lié à la fièvre, les premières lignes mises en exergue de Voyage au bout de la nuit : « Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. », etc... Voici ces deux passages réunis : http://youtu.be/jg-It2nKsUs

> Parution : la sortie de La Bretagne de Céline de Gaël Richard aux éditions Du Lérot est prévue pour mi-juillet 2013. Prix de souscription : 60 euros jusqu'à parution, 68 euros après parution. Détails et commande sur www.duleroteditur.fr ou 05 45 31 71 56.

lundi 17 juin 2013

Vente d'une importante bibliothèque célinienne le 29 juin 2013 à Marseille

Céline par Gen Paul (1936) Lot 307
Jacques d'Aspect, Expert près la cour d'appel et les tribunaux, et l'étude Dianous-Dard organiseront la vente d'une importante bibliothèque célinienne (première partie) à Marseille le samedi 29 juin 2013 à 14h30.  Au catalogue de cette vente figureront des éditions originales, exemplaires dédicacés, grands papiers, lettres autographes, manuscrit, pamphlets, et rare portrait à l'eau-forte par Gen PAUL dédicacé. Mais aussi des études, essais, critiques, entretiens, journaux, revues, documents, discographie, iconographie, biographies, bibliographies, etc...


Samedi 29 juin 2013
Lieu de vente :
Maître Gérard de DIANOUS & Emmanuel DARD
Marseille Enchères Provence
51 rue Alfred Curtel
13010 Marseille 

Renseignements
Jacques d'Aspect
04 91 85 36 55 - daspect.jacques@neuf.fr
Catalogue disponible contre 5 €
ou sur interencheres.com 10 jours avant la vente.

dimanche 16 juin 2013

Frédéric DARD : « Je suis sûrement un enfant de CÉLINE »

Extrait de l'émission Une maison, un écrivain (série documentaire proposée par Patrick Poivre d'Arvor) consacrée à Frédéric Dard. Un film de Marie-Christine Gambart diffusé en 2012 sur France 5.




Sur le sujet :

> Louis-Ferdinand CÉLINE - Frédéric DARD
(suivi du documentaire "Cette mort dont je parlais")

> « Une maison, un écrivain » - Frédéric DARD (2012)

vendredi 14 juin 2013

Louis-Ferdinand CÉLINE : « Une légende, une vie » (1976)

Documentaire Louis-Ferdinand Céline, une légende, une vie de 1976 réalisé par Claude-Jean Philippe et Monique Lefevre. Vous pourrez y entendre le Dr Wuillemin, François Gibault, Eliane Bonabel, Michel Simon, Arletty, Raphaël Sorin, le Pasteur Löchen et Philippe Sollers. Durée 1h05.


Durée 1h05 (1976)

A (re)voir :
> Louis-Ferdinand CÉLINE : LES DOCUMENTAIRES

jeudi 13 juin 2013

Échos céliniens...

> Archives : Dans un article publié sur le site Germanica « Métaphysique et Rationalisme. Le débat littéraire aux Pays-Bas entre 1916 et 1950 », l'auteur J.-J. Oversteegen cite le nom de Céline qui se serait, selon lui, lié d'amitié avec l'auteur néerlandais Cola Debrot, qui « mena à bien à la fois des études de droit et de médecine, il vécut également trois ans à Paris où il se lia d’amitié avec Louis-Ferdinand Céline qui venait d’entreprendre l’écriture de son roman Voyage au bout de la nuit. ». http://germanica.revues.org/1936

> Théâtre : Jean-François Balmer se produira au Théâtre de Narbonne les 6 et 7 février 2014 avec son spectacle adapté de Voyage au bout de la nuit. www.letheatre-narbonne.com.

> Vente aux enchères : Editions originales dédicadées de Mort à cédit et de Scandale aux abysses, manuscrit autographe de Céline seront mis en vente vendredi 14 juin 2013 à Drouot. Tous les détails sur www.interencheres.com.

> A paraître : Les Actes du colloque de l'ACFAS (« Les pamphlets de Céline : enjeux d’une réédition et bilan de la recherche », 7 et 8 mai 2013, Université de Laval, Québec) pourraient paraître prochainement aux éditions Huit. Plus de détails à parution. www.editionshuit.com.

> Presse : le site micetto.com nous propose un article sur le chat de Céline « Bébert, chat exceptionnel » : www.micetto.com. 

> Gallimard : « Longtemps membre du comité de lecture de la prestigieuse maison d'édition, Robert Gallimard est mort samedi à l'âge de 87 ans. Il fut un fidèle soutien de son oncle, Gaston. Robert Gallimard rejoint l'équipe de la rue Sébastien-Bottin en 1949, à l'âge de 24 ans. Dans les années 50, ce personnage effacé, qui avait toujours privilégié les coulisses à la scène, se voit confier l'édition des œuvres de Jean-Paul Sartre, et ce, jusqu'à la mort de l'auteur des Mots, en 1980. En 1960, il reprend les rênes de la collection de la « Pléiade » et y fait entrer Louis-Ferdinand Céline, son premier coup d'éclat. Ce même Céline qui lui avait conseillé d'arrêter l'édition pour se consacrer à la quincaillerie, « parce que les clous, on en aura toujours besoin ». Source 

mercredi 12 juin 2013

« Un autre Docteur Destouches » par Patrick CHEVREL

Louis Dantès DESTOUCHES (1893-1947)
C’est en mettant une dernière main à la biographie que je consacre à mon aïeul Maxime NEMO (1888-1975) qu’en cet été 2010, je décide de relire et de classer sa volumineuse correspondance. Entre une lettre de Francis Carco et une autre d’André Gide, je tombe sur plusieurs enveloppes postées à Troyes d’un Dr Destouches. Intrigué, je les parcours et découvre un texte manuscrit : « Voyage au bout de la nuit ». Poème en prose de 1944 comme d’autres qui l’accompagnent, ce dernier m’amène à m’interroger sur son auteur à partir des éléments dont je dispose et à remonter le fil de cette correspondance amicale entre les deux hommes.
S’agit-il d’un pastiche de l’original ? Apparemment non. L’autre Docteur L.D. Destouches habite 23 rue de la Paix à Troyes et pratique la médecine générale homéopathique, il consulte de 1h30 à 4h sauf le lundi comme le précise le papier à en tête qu’il adresse régulièrement à Maxime Nemo jusqu’au 24 février 1947 à la veille de son départ définitif pour Haïti avec sa secrétaire Yvonne Tourdot dite « Vonnick » qui deviendra sa seconde femme.
La lettre composée de quatre feuillets se termine comme il en a l’habitude par un poème « Mirage » puis plus rien, les échanges s’arrêtent brutalement. Rien d’autre dans les liasses minutieusement archivées afin de reconstituer la chronologie. L’homme a disparu…
C’est grâce à la généalogie des Destouches que je découvre un site qui lui est consacré ainsi qu’à ses lointains ancêtres et que je rétablis le contact avec ses descendants en la personne de sa petite fille.
De la rencontre des deux hommes et de leur amitié profonde, peu d’éléments fiables, sans doute a-t-elle pris naissance lors du séjour de Maxime Nemo et de sa compagne également prénommée Yvonne, à Troyes lors d’une de ses conférences.
C’est grâce à la petite fille de L. D. Destouches, qui a réalisé une généalogie assez exhaustive, que l’on comprend mieux qui était le personnage fantasque et parfois misanthrope, ce qui n’était pas pour déplaire au fondateur de la Société J.-J. Rousseau, alors installé à Montmorency après la guerre.
En réponse à ma lettre, le 17 septembre 2010, un mél posté de Bruxelles émanant de M. Stephane Paryski-Van Reeth m’en apprend un peu plus sur Louis Dantès Destouches :

 « 1944 représente la période d'idylle entre lui et sa secrétaire, Yvonne Tourdot, qui va devenir sa deuxième femme et qu'il va convaincre de partir en Haïti avec leur petite fille de quelques mois. Yvonne partira avec sa mère, son frère et deux cousins qui resteront tous en Haïti après le décès inopiné de Dantès, lors de la fête célébrant son retour... Yvonne racontait que Dantès se promenait à Troyes avec une canne-épée pour se défendre d'agresseurs le prenant pour l'autre Dr Destouches... C'est vrai qu'ils n'avaient que quelques mois de différence et ont tous deux été médecins militaires pendant la première guerre. Mais comme je l'ai reconstitué il y a un peu moins d'un an, il n'existe aucun lien familial entre eux. »
Louis Etienne Stanislas Dantès-Destouches est né le 6 février 1893 et meurt d'un arrêt cardiaque lors de la fête qui célébrait son retour en Haïti le 6 juillet 1947 ; Plusieurs citations pour son courage au sein de la Légion Etrangère pendant la Grande Guerre, il est fait Chevalier de la Légion d'honneur en 1929. Une généalogie de la famille Destouches permet de remonter dans le temps jusqu’en 1720 à partir des Archives d’Haïti et de Documents familiaux et de découvrir les SURREAU DE VILLENEUVE et un premier personnage « le bon Docteur » Nicolas Louis Dantès DESTOUCHES (né le 6-2-1862 et mort le 22-1-1912) Une monographie imprimée à Port au Prince en 1917 lui est même consacrée.

Le second Docteur Destouches n’a donc aucun lien avec Céline contrairement à ce que certains de ses contemporains auraient pu croire.

Patrick Y. CHEVREL
Le Petit Célinien, 12 juin 2013.

Lettre du Dr L. D. Destouches de 1947 (cliquez pour agrandir)

lundi 10 juin 2013

« Un art conscient : structures, symboles et significations dans les derniers romans » (1976)


par Colin W. NETTELBECK 

Depuis Voyage au bout de la nuit jusqu'aux deux volumes de Guignol's Band, les romans de Céline, malgré leur richesse, leur violente énergie et la nouveauté déroutante de leur écriture, restent accessibles à une compréhension plus ou moins facile, surtout par le fait qu'ils se rattachent aux traditions établies du roman picaresque et du Bildungsroman. À partir de Féerie pour une autre fois, cependant, le roman célinien change de route : ici, comme dans D'un château l'autre, Nord et Rigodon, le récit se fait plus abstrait et sa signification plus difficile à déchiffrer. Devant l'apparent désordre de ces ouvrages, il est tentant de n'y trouver qu'une ombre du « vrai » Céline, un vieillard aigri qui raconte sa hargne avec des moyens affaiblis ; ou bien, de vouloir tout expliquer – la confusion des événements et l'incohérence explosive des images - selon les termes de la d'un prophète d'apocalypse en délire. Ces hypothèses renferment assez de vérité pour avoir nourri une grande partie de la critique, et pourtant elles ne prennent aucun compte de l'idée plus fertile d'un art conscient, idée que Céline n'a cessé de proclamer, tant dans sa correspondance que dans Entretiens avec Ie Prolesseur Y et ses nombreuses interviews. Évidemment, ces « hors-texte », si intéressants qu'ils soient en eux-mêmes, si utiles pour indiquer l'existence d'un système artistique (1), ne seront jamais, face aux romans, que des déclarations d'intentions. Mais justement, à partir des romans eux-mêmes, nous pouvons voir que tous les éléments du récit, depuis le Je de la narration jusqu'aux images les plus oniriques, sont sciemment soumis à une structure préconçue qui les ordonne et qui gouverne leur signification.
Deux remarques préliminaires. D'abord, en employant le mot « artistique », nous envisageons moins les problèmes de « style » proprement dit que le complexe esthético-éthique qui est le ressort de l'écriture célinienne. Ensuite, sans nier leur valeur individuelle, nous considérons les derniers romans de Céline comme un tout, dans lequel les deux volumes de Féerie pour une autre fois ont une place essentielle. On a très peu parlé de Féerie, et lorsqu'on en parle c'est comme d'un ouvrage « à part » (2). En fait, ce roman est la base même de la dernière entreprise romanesque de Céline. Déjà sur le plan de l'anecdote, en expliquant les raisons de l'exode des protagonistes et en annonçant leur itinéraire (3), il s'impose comme un point de départ. Mais ce qui est plus important, Féerie, comme nous allons le voir, permet d'établir la structure générale de l'ensemble, et fournit les données fondamentales de sa symbolique.
Entre le début de Féerie et la fin de Rigodon, le mouvement romanesque est déterminé par les images du Danemark qui le commencent et le terminent. Évidemment, le Danemark ne fonctionne pas ici comme un lieu géographique réel, mais comme la projection symbolique d'un état d'être. Dans Féerie, c'est une métaphore d'emprisonnement, de menace de mort, de stagnation : toute la première partie du roman est dominée par des images du narrateur dans sa cellule, hurlant sa douleur et sa peur, collé à son siège par la pellagre et aboyant pour ses « lavements ». Dans Rigodon, le Danemark est devenu lieu de refuge, de paix et de libération. La structure de l'ensemble est ainsi à la fois circulaire et transformatrice, et nous verrons qu'elle est reflétée dans tous les romans de la série, la partie « chronique » de chacun servant comme un moyen de changer une contrainte initiale en libération. Nous verrons également que de roman en roman, il y a une évolution non linéaire, mais pour ainsi dire en spirale. Les données s'agrandissent, chaque moment de libération amenant une perspective qui élargit les dimensions emprisonnantes du réel, ce qui, à son tour, entraîne la nécessité d'une force de transformation plus grande, et ainsi de suite jusqu'à la libération finale. Il est entendu que cette structure ne se discerne que rétrospectivement, après la lecture de tous les romans de la série dans leur ordre de présentation, c'est-à dire quand le lecteur joue le jeu selon les règles que Céline a établies.
Les règles sont celles d'une psychothérapie où le lecteur joue le rôle de patient et où le diagnostic et le traitement sont contrôlés par le romancier. Cette intention positive est explicite dès la première partie de Féerie : « [...] le livre qui vous réjuvène l'âme ! boyaute le boyau ! poudroie les soucis ! »
F1,209) - et encore : « Avec Féerie tout est autre !... la circonstance est tragique mais vous êtes plus qu'à la hauteur !... votre moral est extraordinaire !... [...] La mort ? Tudieu !... par le bon bout ! » (223). Et tout au long des romans, I'activité médicale du narrateur - ses efforts pour sauver Delphine dans Féerie, Mme Niçois dans D'un château l'autre, les personnages de Zornhof d.ans Nord,les enfants abandonnés dans Rigodon - revient comme un motif qui affirme la valeur de la vie et qui, sur le plan métaphorique, traduit le rapport que le rfomancier entend nouer avec le lecteur. Quoique difficile à accepter, le rôle de malades que Céline nous attribue est, dès le départ, partie intégrante de sa démarche littéraire : « [...] le spectacle est à I'intérieur, dans votre péritoine, pas dans les idées du tout ! plus d'idées !... le drame dans votre ventre pas ailleurs ! » (221). En dédicaçant Féerie aux animaux, aux prisonniers et aux malades, il n'exclut en fait personne. Selon l'optique du romancier, chaque lecteur, dans la mesure où il a intériorisé les valeurs de la civilisation occidentale, est victime d'un monde bloqué, est pourri, et a besoin de libération.
Si le but de l'écriture célinienne est avant tout moral, éthique, les moyens par lesquels il associe le lecteur à son jeu ne peuvent qu'être esthétiques. Pour être efficace le médecin de l'esprit doit être poète : « [...] la chanter qu'il faut l'ordonnance ! la leur faire apprendre par coeur ! en choeur ! vous pareil ! Le trop concret, sans note avec, vous évadez ! votre nénette dérobe !... Je vous retrouve plus !... Il faut tout vous chanter! Rechanter ! » (F1, 174). L'idée du chant fait valoir le côté direct et affectif du style célinien, la « petite musique » qui accroche le lecteur en lui donnant l'impression d'une voix qui parle dans sa tête (EY,122). Mais soulignons que Céline ne chante pas pour le plaisir : au contraire, c'est pour assurer son emprise sur le lecteur et pour le diriger vers les souterrains de l'émotion et du rêve. Le chant est ainsi une espèce de drogue - on pense aux 2 cc de morphine avec lesquels le narrateur traite Mme Niçois -, un moyen de mettre le lecteur dans une position de dépendance à l'égard du narrateur. Plongés d'emblée dans une narration dont le ton et les perspectives sont constamment en train de changer, nous sommes en effet obligés d'accepter cette dépendance, rien que pour suivre le récit à son niveau le plus superficiel. Du coup, nous nous constituons les prisonniers de Céline. Notre propre appareil psychique et affectif devient l'instrument dont le romancier joue, et nous nous identifions, non seulement avec le narrateur ou avec l'un ou l'autre des personnages, mais avec tout le mouvement du récit. Par cette identification, nous pouvons participer au processus de transformation.
Tel, du moins, est le calcul du poète. Sa réussite dépend de la mesure dans laquelle le lecteur peut reconnaître dans Ia vision célinienne une image de sa propre angoisse, ou d'une angoisse culturelle qui l'implique - une extériorisation de ce qui est dans son ventre. C'est pour cette raison que le romancier insiste si souvent sur la vérité objective de ses « chroniques ». Évidemment, la prétention à la vérité porte moins sur les événements racontés que sur le caractère représentatif des événements et des personnages qui les animent. Tout en répétant sans cesse qu'il nous transmet une vérité littérale, Céline élabore en fait une vérité rêvée, mais capable de nous atteindre par ses dimensions archétypales. Par la représentation de sa vision personnelle, il cherche à nous représenter (c'est la fonction principale de la métaphore-leitmotiv du narrateur en tant que bouc émissaire), et à nous représenter à nous-mêmes. Chaque étape du processus qui mène vers la libération est ainsi marquée par la mise en place d'un modèle microcosmique dont la valeur symbolique est en même temps assez précise pour traduire la vision particulière de l'auteur, et assez générale pour embrasser la sensibilité du lecteur. À ce niveau, cependant, Céline ne peut plus se contenter d'une disponibilité passive de la part du lecteur, il a besoin d'une collaboration active, voire créatrice : « [...] vous faites l'effort avec moi je continue... vous le faites pas, vous m'aidez pas ? flûte ! je renonce ! [...] vous saurez rien et puis c'est tout !... » (F2, 146).

Le récit principal de Féerie commence et se termine devant l'atelier de Jules (F1, 234 ; F2, 364). A l'intérieur du récit, le modèle microcosmique est assez schématique, représentant d'une part la Matière, et d'autre part l'Esprit. L'atelier de Jules, en tant qu'image d'un monde où l'esprit créateur est subordonné à la Matière, est la situation initiale qu'il s'agit de transformer ; le bombardement, agrandissement de l'atelier, permet de voir plus clairement les forces qui sont en jeu et d'agir sur elles d'une façon plus efficace. Le domaine de la Matière est ainsi symbolisé par la loge, un monde clos, encombré d'objets matériels qui entravent toute liberté de mouvement, et occupé par une humanité tiraillée entre la terreur et des appétits déchaînés. En somme, la loge est une reprise métaphorique généralisée de l'image du narrateur en prison; et à l'intérieur d'un tel monde, toute manifestation créatrice ne peut être que fausse (comme le chant de la dame sous la table, ou les activités du couple Rodolphe-Mimi). En situant le lecteur dans la loge avec le narrateur (4), Céline entend bien lui faire subir la confusion violente d'une civilisation en déroute, émotion qui serait intolérable si nous en restions là, car elle n'admet aucun élément de choix.
C'est que le choix a déjà été fait : « [...] des déployements de fureurs volcaniques féeriques pareils demandent que l'Esprit participe !... abjure le Bien ! appelle au Mal ! Le Mal c'est pas tout le monde qui l'a ! je le connais moi le Mal dans sa caisse ! » (F2, 27). En incarnant tout le Mal dans le seul personnage de Jules, Céline simplifie les données du problème, tout en leur conférant une envergure plus universelle. Jules est le mythe même de la civilisation de la loge, l'incarnation d'une énergie qui a été mise au service du non-être. C'est à ce niveau de l'Esprit, cependant, que le choix fondamental peut se refaire. À Jules, « l'abîmeur de grâces » , (F1,274), Céline oppose un autre mythe, incarné dans la danseuse Lili qui, elle, est « toute harmonie », « noblesse toute » (158). La perfection physique de Lili, sa vitalité, son sens de l'aventure, sa confiance riante, sa connaissance des secrets de la danse - et à ses attributs personnels il faut ajouter l'instinctive indépendance de Bébert - forment une constellation de valeurs dont la puissance positive dépasse de loin l'esprit de négation représenté par Jules. (Lili n'a même pas besoin de lutter contre Jules : elle peut poser pour lui impunément, et aller jusqu'à s'inquiéter de son bien-être, elle reste invulnérable. Et tandis que Jules s'épuise à diriger le cataclysme, Lili, pour qui ce n'est que du ballet, danse sur les toits. À l'égard du monde de la loge, aussi, Lili va et vient comme elle veut.) Elle transcende tout, et son existence est une perpétuelle célébration de l'être. Elle devient ainsi l'issue idéale du drame, l'objet de la quête de l'art célinien.
Encore faut-il l'atteindre, et dans Féerie Céline n'y arrive que partiellement. On peut même dire qu'ici, la fonction du mythe « Lili », autant que de montrer la voie de la transcendance, est d'accentuer la distance qui la sépare de l'expérience humaine telle que celle-ci nous est transmise par le narrateur. Lili a beau être la femme du narrateur, elle ne dépend pas de lui, et elle ne lui appartient pas. Dans la majeure partie du récit, elle est invisible et insaisissable. Toutefois, à la fin du roman, Céline met en scène un jeu de symboles qui permet un renversement de la situation du début, et qui fait que le climat final se rapproche davantage de l'esprit représenté par Lili. A travers le personnage d'Ottavio, d'abord, est évoqué l'idée d'un art capable de surmonter les vicissitudes de l'expérience directe et de reconstituer un sentiment de libération et d'unité : Ottavio sauve le narrateur de la loge, retrouve Lili, et découvre la maison jumelle intacte à côté de celle que le bombardement a détruite. Ensuite, le personnage de Norbert Loukoum (c'est le Robert Le Vigan des derniers romans, très légèrement déguisé) indique la composition nécessaire à la forme artistique, la transposition qu'il faut pour transformer la réalité. Enfin, Céline remplace le bombardement nocturne et l'espace fermé de la loge par un matin ensoleillé et la perspective plus ouverte de l'avenue, où l'air est rempli, non plus d'avions et de feu, mais par les écrits du narrateur qui « voltigent avec les moineaux » (F2, 365). La réalité artistique s'étant substituée à celle du monde, l'atmosphère est presque complèternent détendue.
Il reste cependant de l'ambiguïté et une certaine angoisse. D'une part, la mort demeure une préoccupation sensible : l'image du cadavre de Mme Gindre est très puissante et, en revêtant son narrateur du péplum de la morte, Céline associe cette image inquiétante à la fin de son récit. D'autre part, quoique Lili accompagne le narrateur à la fin, Céline minimise sa force spirituelle symbolique en insistant beaucoup plus sur la présence de la concierge, Mme Toiselle, gardienne des valeurs de la loge. Ces éléments négatifs (auxquels il faut ajouter la certitude, chez le narrateur, que les avions vont revenir) entravent le sentiment de libération que le lecteur a pu éprouver quelques pages auparavant. C'est qu'au fond, dans Féerie, Céline cherche surtout à amener le lecteur à une compréhension affective des termes de la question d'Hamlet : To be or not to be (cf.
« Binotoubi », Fl,214) (5). Certes, en extériorisant et en exorcisant les principaux démons du « not to be » (Normance, l'attachement à la matière, et Jules, l'énergie destructrice), il peut orienté son récit, et nous orienter, vers le « to be », Lili. Il y a donc en embryon, la possibilité d'une réponse affirmative. Mais pour que cette possibilité soit réalisable (et convaincante pour le lecteur), il faudrait qu'elle se situe dans une dimension qui manque au microcosme de Féerie : le temps. Féerie comporte une chronologie et beaucoup de mouvement, mais aucune véritable temporalité. Le seul temps du roman est celui qu'impose le déluge : c'est un « moment » à l'intérieur duquel beaucoup de choses se passent, mais qui ne se rapporte à aucune continuité extérieure à lui-même. Cet aspect du récit, nettement voulu par Céline (la fixité de la pose de Norbert Loukoum en est le pendant métaphorique), est utile, et sans doute nécessaire pour éclairer les données du problème sur le plan existentiel pur ; mais le concept d'un temps clos, suspendu, donne naissance à une forme qui n'est adéquate qu'à une prise de conscience et de position. Une telle forme ne saurait jamais renfermer la pleine signification « to be » célinien (6) qui, comme nous l'avons vu, est la danse, la célébration de la vie : en d'autres termes, non la suspension, mais la transcendance du temps. Pour transcender le temps, il faut d'abord vivre son passage. Dans Féerie, Céline établit son narrateur comme un « chroniqueur », c'est-à-dire comme quelqu'un qui se soumet au mouvement du temps pour en devenir le témoin oculaire, mais, en fait, ce n'est qu'avec D'un château l'autre que le temps de la chronique devient une continuité capable de porter l'esprit de la vie. 

Dans D'un château l'autre, non seulement la dimension temporelle est une partie intégrante du modèle microcosmique (la ville de Siegmaringen), mais la création même du microcosme dépend d'une continuité extérieure q le romancier souligne de deux façons différentes. La première, métaphorique, est l'épisode de la barque de Caron, La Publique. En plaçant cette image mi-grotesque, mi-comique de la mort au début de son récit, Céline affirme que la mort elle-même fait partie d'un processus qui la dépasse. C'est toujours la mort, mais « par le bon bout ». A cet égard, la présence sur La Publique de Le Vigan, un vivant parmi les morts, agit comme un signal pour le lecteur qui a assimilé Féerie : Céline associe le symbole de sa propre création artistique à une vision qui accentue non la fin de la vie mais sa continuation. Cette métaphore sera reprise tout à la fin du roman, où l'agonique Mme Niçois (de chez qui le narrateur voit Le Publique pour la première fois) est dédoublée et éclipsée par Mme Armandine, personnage vigoureux, souple, gai, et surtout pas prêt à mourir (7). 
La deuxième manière dont Céline insiste sur le caractère dynamique du temps est par un procédé structurel, celui de maintenir tout au long du roman deux couches temporelles : celle du temps de la narration, et celle des événements racontés (8). Dès Mort à crédit, Céline avait créé une sorte de prologue qui montrait le narrateur au moment de la narration, et on retrouve ce procédé jusque dans Féerie ; mais à partir de D'un château l'autre, le romancier insère régulièrement des passages traitant du « présent » dans la narration du passé, créant ainsi une pulsion rythmique qui correspond davantage à la fluidité temporelle de la vie. Il y a un autre signal que Céline lance à ses initiés : la présence beaucoup plus fréquente, aux deux niveaux temporels, de Lili. L'esprit de célébration commence à s'intégrer à la perception même du réel.
Dans la chronique de Siegmaringen, Céline construit son microcosme à partir des trois centres géographiques de la ville : le Château, l'hôtel Löwen, et la gare. Le Château, «  formidablement historique » (CA, 103), accroché au bord du Danube «  si brisant furieux » (112), contient toute une histoire symbolique de l'Europe moderne, du moins l'histoire des maîtres, de ceux qui ont cultivé et perpétué des traditions et des institutions capables de résister au passage du temps. Au moment de la chronique, cette histoire a cessé de se développer d'une façon organique, et le Château n'est plus qu'un musée près de s'écrouler en renfermant les restes d'un système sans vitalité. Si Céline insiste beaucoup sur la connaissance, chez le narrateur, du Château et de ses habitants, c'est que l'histoire d'une civilisation, même si elle tire à sa fin, offre une perspective dominante sur l'actualité. Il faut noter que le narrateur ne fait pas partie du monde du Château : il ne peut y pénétrer que grâce à sa fonction de médecin. Situation donc privilégiée (qui correspond à celle de I'artiste), mais en nous la faisant partager, Céline nous rapproche de la situation également privilégiée de Lili qui, avec Bébert, est « comme chez elle » dans tous les mystères du Château. 



Colin W. NETTELBECK 
La Revue des Lettres modernes n° 462-467, 1976, « L.-F. Céline (2) : Écriture et esthétique ». 


Nous remercions chaleureusement l'auteur d'avoir bien voulu nous autoriser à reproduire ce texte.

vendredi 7 juin 2013

Louis-Ferdinand CÉLINE : « Le reclus de Meudon » (2011)

Rediffusion. Une maison, un écrivain, série documentaire proposée par Patrick Poivre d'Arvor. Un épisode écrit et réalisé par François Caillat, diffusé la première fois sur France 5 le dimanche 24 juillet 2011 et rediffusé ce vendredi à 20h. Durée 26 min.


 

A (re)voir :
> Louis-Ferdinand CÉLINE : LES DOCUMENTAIRES