mercredi 30 novembre 2011

Théâtre : Casse-pipe vendredi 2 décembre 2011 à St-Jean-d'Angély

Pour son prochain « Coup de théâtre », la Médiathèque de Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime) accueillera Jérôme Berthelot, de la Comédie de l’Eperon, dont la pièce intitulée « Casse-Pipe » sera programmée le vendredi 2 décembre à 20h30.

Adaptation théâtrale d’un texte de Louis-Ferdinand Céline, « Casse-pipe » raconte la première nuit à la caserne d’un jeune engagé, Ferdinand, en 1912. Antihéros jeté dans la tourmente, le personnage a un air de famille avec Charlot et, au-delà, fait résonner l’univers sombre, mélancolique, parfois désespéré mais irrésistiblement drôle des clowns.

Ce spectacle est mis en scène par Jérôme Berthelot lui-même. Seront également présents une accordéoniste et la conteuse Justine Devin.

Entrée gratuite.

Médiathèque de Saint-Jean-d'Angély
Abbaye Royale
17400 Saint Jean d'Angély
Tél. : 05.46.32.61.00
http://bibliotheque.angely.net/

Rabelais, une biographie de Mireille Huchon

Présentation de l'éditeur
Comment rendre compte d’une vie qui comporte tant d’inconnues ? Quelques témoignages, des vestiges de correspondance, des archives longtemps restées muettes restituent, par fragments, l’existence tumultueuse du premier géant des lettres françaises. Mais c’est dans son oeuvre surtout, marquée par les bruits et les fureurs du siècle, ou encore dans ses liens avec les grands du royaume et de la culture humaniste que se laisse découvrir le véritable Rabelais. Mireille Huchon fait revivre le destin exceptionnel d’un homme intimement engagé dans les affaires du temps et constamment en quête de tous les savoirs : juriste, médecin, mathématicien, sans doute alchimiste, poète, romancier, éditeur aussi, très impliqué dans le travail de l’imprimerie, lieu alors de toutes les audaces et de tous les dangers. Défilent ainsi les multiples figures d’un Rabelais souvent impudent, parfois imprudent, successivement franciscain, bénédictin, curé, à la fois humaniste et espion, commensal de voluptueux prélats et contempteur des vices de la papauté, coureur de bénéfices aussi bien que de femmes. Cet « Eschyle de la mangeaille », cet « Homère bouffon » a hissé la satire à des cimes jusque-là inégalées en puisant dans l’insondable réservoir de l’apparente trivialité des choses. C’est pourtant une oeuvre aux enjeux philosophiques et moraux longuement médités, une réflexion exceptionnelle sur la langue française et la création d’une prose littéraire, que Rabelais invite à décrypter sous les rires et les éclats provoqués par Gargantua, Pantagruel et leurs compagnons. Au fil des pages se dessine, derrière le manipulateur des mots et des êtres, un portrait inédit de l’extravagant maître François Rabelais.

L'auteur
Professeur à l'université Paris-Sorbonne, membre de l'Institut universitaire de France, Mireille Huchon est notamment l'éditeur des Oeuvres complètes de Rabelais dans la Bibliothèque de la Pléiade (1994).

Mireille Huchon, Rabelais, Gallimard, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

mardi 29 novembre 2011

Céline a fini son tragique voyage - Journal de Genève - 5 juillet 1961

Le romancier français Louis-Ferdinand Céline (« Voyage au bout de la nuit », « Mort à crédit », « Bagatelles pour un massacre », etc.) est mort à Meudon (dans la banlieue parisienne) où il vivait retiré depuis près de dix ans. Il était âgé de 66 ans. Il a succombé dimanche à une crise cardiaque, mais la nouvelle de son décès avait été tenue secrète jusqu’à ce matin. Les obsèques ont lieu ce matin même.

Quand, la dépêche lue, on trouve un livre de Céline – c’est « Dormance » [sic] que ma main a pris – et qu’on se jette au flot tumultueux de ses violences, de ses injures, de ses grossièretés énormes, et qu’on prend un temps pour ressaisir tout un argot surabondant, on s’interroge : « Est-ce possible qu’un tel écrivain ait fait une révolution dans l’histoire du roman ? Car il l’a faite, on n’en peut pas douter, et l’on n’aurait pas de peine à dénombrer ce que lui doivent, si dissemblables qu’ils apparaissent, un Henry Miller comme un Jacques Perret, un Marcel Aymé comme un Félicien Marceau.
C’est à trente-huit ans qu’il a débuté et que Léon Daudet, grand découvreur de talents, s’est employé à lui gagner le Prix Goncourt. Mais c’en était trop, tout de même, pour l’Académie, de l’audace : ce sont les jeunes du « Renaudot » qui le repêchèrent. Etait-ce d’ailleurs utile ? Le succès avait éclaté, et son souffle avait ébranlé les vitres des librairies. Il y avait, dans cet immense engouement du public, autre chose que la joie d’aborder un écrivain novateur : nombreux en demeuraient à se gargariser d’une langue imprévue où l’ordure prenait forme, à s’ébahir aux dislocations d’une syntaxe frénétique, mais ceux qui cherchaient dans un livre autre chose que la satisfaction d’une curiosité médiocre, perçurent sitôt, dans « Voyage au bout de la nuit », les accents d’une Apocalypse nouvelle. Dans le flux d’un monde sans repères dérivant sous le vent de l’absurde, un homme se jetait, prophète injurieux, clamant ses vérités et, sans jouer au moralisateur, employant toute sa violence à dresser un tableau de son temps, dont il devait du moins espérer, généreux comme il l’était, que les hommes s’y reconnaîtraient et en ressentiraient une salutaire épouvante.
Ce vociférateur, quel était-il ? un enfant du peuple, né dans la banlieue parisienne où il y a des recoins d’enfer, et dès ses douze ans jeté au travail, mais qui, chaque soir, desserré le licol de l’apprentissage, faisait, studieux, méthodique, d’interminables lectures. A vingt ans la guerre le saisit : tout héros qu’il ait été, fidèle à sa nature profonde, il en réchappe. On l’a trépané, mais, convalescent, il passe son bachot, qui va le conduire aux études médicales dont il rêve. Il y rêvera assez longtemps, si l’on ose dire, forestier en Afrique jusqu’à ce qu’il soit en mesure de s’inscrire à la Faculté. C’est une tête scientifique d’une exceptionnelle qualité, et, sa thèse achevée, et plus que brillamment, il va, médecin à bord des paquebots, poursuivre des recherches qui auront l’agrément tour à tour et de la Fondation Rockfeller et de la Société des Nations.
Aussi, quand il regagnera Paris pour y diriger un dispensaire populaire, car si sa charité n’était pas universelle, il se sentait, et jusqu’à sa fin se sentit, le frère du pauvre, il aura accumulé – enfance, adolescence, âge d’homme – une somme considérable d’expériences humaines.
Et puis, un jour, il sent monter en lui l’exigence de témoigner, mais alors sans concession, l’œil sur le réel, qui, pour qui se dépouille des conventions et des préjugés, est affreux ; et comme il est médecin, et que la confession des corps exclut tout mensonge ou toute dérobade, il va étaler désormais dans ses livres la vie telle qu’il la voit et la médite et, comme pour la saisir mieux et plus profond, usant des mots sans noblesse dont les misérables hommes la souillent. Un gargouillis d’enfer, mais où, si vous y êtes attentif, soudain s’élève un soupir, une plainte, où de ces êtres – ils sont légion – qui n’ont rien à se dire exhalent leur total dénuement.
Il n’y a rien d’autre à expliquer. Mais la critique s’en mêlera, et Céline lui-même, pris au jeu littéraire. On verra dans son écriture un effort pour rejoindre le cinéma, ce qui est exact si l’on songe à la multiplicité des images et à leur rapide succession, mais ce qui ne serait pas complet si l’on ajoutait qu’une émotion continue les lie les unes aux autres.
Voilà l’homme et l’écrivain, mais si l’on regarde à l’œuvre, on ne peut pas ne pas constater que l’indignation première de Céline est allée s’exaspérant, et qu’au paroxysme de ses colères elle a donné dans l’injustice et jusque dans la haine. A « Mort à crédit », qui semble un de ses livres les plus accomplis, « Bagatelles pour un massacre » et « L’Ecole des cadavres » s’entachèrent d’un antisémitisme – qu’il devait d’ailleurs lourdement expier – succédèrent et « Féerie pour ne autre fois » et sa suite « Normance » quittèrent le ton du pamphlet pour évoquer – sept ans passés – « les déflagrations du monde » et, avec « D’un château l’autre », apporter un ultime témoignage aussi bien sur l’exil du gouvernement Pétain à Sigmaringen que sur les atroces et parfois odieuses tribulations qui furent celles de Céline, la défaite allemande survenue.
Le temps décantera utilement cette œuvre surabondante et n’en laissera subsister que l’essentiel, mais qui aura marqué un climat nouveau des lettres françaises.
Quant à l’homme qui portait sur son temps un regard de cynisme aigu et qui écrivait tout cru : « Dès que dans l’existence ça va un tout petit peu mieux on ne pense plus qu’aux saloperies » ; les haines apaisées, effacées les violences coupables, on se souviendra que, l’âge venant, il écrivait aussi : « On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans le silence de vérité. Et où aller dehors, je vous le demande, dès qu’on n’a plus en soi la somme suffisante de délire ? la vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. »

Eugène FABRE
Journal de Genève, 5 juillet 1961.

En librairie en février 2012 : Lettres à Milton Hindus de Louis-Ferdinand Céline

Gallimard publiera au début de l'année 2012 dans la collection "Les Cahiers de la N.R.F." les Lettres à Milton Hindus 1947-1949 de Louis-Ferdinand Céline. Une édition établie par Jean-Paul Louis.

Présentation de l'éditeur
« Je ne crée rien à vrai dire – Je nettoye une sorte de médaille cachée, une statue enfouie dans la glaise – Tout existe déjà c’est mon impression – Lorsque tout est bien nettoyé, propre, net – alors le livre est fini. Le ménage est fait – On sculpte, il faut seulement nettoyer, déblayer autour – faire venir au jour crû – avoir la force c’est une question de force – forcer le rêve dans la réalité – une question ménagère – De soi, de ses propres plans il ne vient que des bêtises – Tout est fait hors de soi – dans les ondes je pense – Aucune vanité en tout ceci – C’est un labeur bien ouvrier – ouvrier dans les ondes. »
Comment se fait-il que Céline, après quelques lettres amorçant cette correspondance, se livre en 1947 et 1948, avec finesse et précision, sur l’intimité de son travail stylistique, à un inconnu de la veille, Milton Hindus ? Nulle part ailleurs, avant les Entretiens avec le Professeur Y, nous ne rencontrons avec autant d’explications métaphoriques, soumises à des variations d’une rare beauté, un aussi magistral cours de littérature de la part de Céline. Bien entendu, Hindus étant juif et américain, il est un atout précieux dans le cercle restreint des soutiens de l’écrivain en exil, et Céline ne peut manquer de chercher à en tirer profit. Cela ne suffit pas cependant à expliquer le ton constamment confiant et patient sur lequel il répond, pendant plus d’un an, à son correspondant, ni surtout les remarquables confessions de l’artiste au travail. Confiance, patience et confession qui ne résisteront pas à la visite de Milton Hindus à l’exilé : le jeune universitaire, après avoir rendu tant de bons offices, dont le principal est d’avoir été à l’origine de cette correspondance, retourne sa veste en même temps qu’il regagne les Etats-Unis et quitte le domaine de la littérature pour écrire un terrible pamphlet, sous forme de ses impressions de voyage au Danemark.
Cette édition, qui compte 97 lettres (dont 13 partiellement ou totalement inconnues) et de nombreux documents inédits, donne des rapports entre Céline et Hindus une image neuve.
Jean Paul Louis a publié de Céline, dans cette même collection, les Lettres à Maria Canavaggia et les Lettres à Albert Paraz. Il est le co-éditeur du volume Lettres (Bibliothèque de la Pléiade) et de L’Année Céline (De Lérot éditeur, 21 volumes parus). Le présent volume est le onzième de la « Série Céline ».

Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Milton Hindus 1947-1949, Gallimard, 2012.

lundi 28 novembre 2011

Louis-Ferdinand Céline : rencontre avec Yves Pagès et David Alliot mardi 6 décembre 2011

Une rencontre autour de Louis-Ferdinand Céline est organisée par la librairie La Réserve et le Collectif 12 mardi 6 décembre 2011 à 20h45 à la librairie La Réserve, avec Yves Pagès et David Alliot.

Librairie La Réserve
81 avenue Jean Jaurès
78711 Mantes-la-Ville
01 30 94 53 23
www.librairielareserve.fr

Théâtre : Voyage au bout de la nuit jeudi 15 décembre 2011 à Mantes-la-Jolie (Yvelines)

La compagnie de théâtre Möbius-Band jouera une adaptation théâtrale de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline le jeudi 15 décembre à 20h30 au Collectif12 de Mantes-la-Jolie, dans le cadre du festival Jeunes Zé Jolie.

Mise en scène : Pauline Bourse
Avec : Elise Roth, Clara Chabalier, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre et Jean-Christophe Laurier
Musique : Benjamin Jarry (violoncelle) et Basile ferriot (batterie)
Dramaturgie : Sarah Oppenheim
Chorégraphie : Fanny Gannat
Lumières : Antoine Clémot
Texte publié aux éditions Gallimard

Production : Cie Möbius-Band, co-production : le Collectif 12 de Mantes la Jolie et la Pléiade de La Riche. Avec le soutien de la Spedidam, l'aide à la création de la région Centre, l'aide à la résidence de la DRAC Centre, la Mairie de Tours, Défi Jeune, l'accueil en résidence du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis et de l'Echalier/La Grange de Saint-Agil.


Collectif12 – Friche A.Malraux
174 Boulevard du Maréchal Juin
78200 Mantes-la-Jolie

Réservation : 01.30.33.22.65
communication@collectif12.org
www.collectif12.org

La correspondance à Alexandre Gentil

Dans le numéro de décembre de la Revue des Deux Mondes Olivier Cariguel présentera des lettres (inédites) de Céline à son confrère, le Dr Alexandre Gentil. Ci-dessous un article paru à l’occasion de la vente de cette correspondance en vente publique.

Trente-six lettres autographes de Louis-Ferdinand Céline, adressées de 1939 à 1948 au Dr Alexandre Gentil, directeur d’une clinique à Nogent-sur-Marne, spécialisée dans le traitement de la thyroïde, et ami très proche de l’écrivain, ont été acquises le 10 mai pour près de 100.000 euros par un collectionneur français. Ces 116 pages sont encore inédites. Les lettres adressées au Dr Gentil, qui avait connu le Dr Destouches au Val de Grâce pendant la Première Guerre mondiale, sont importantes pour la compréhension des années « noires » de l’auteur, sa fuite en 1944, son emprisonnement au Danemark jusqu’en 1947, puis son exil sur les bords de la Baltique jusqu’en 1951. Il est l’un des premiers correspondants de Céline en prison. C’est aussi l’une des rares personnes que l’auteur de Nord avertit de son départ en 1944. Encore faut-il préciser qu’il n’indique pas que Lucette et lui quittent la France pour l’Allemagne : « Il a fallu d’une façon pressante partir à la campagne ! Bien chagrinés tous les deux de ne t’avoir pas vu avant le départ ! ». Alexandre Gentil, partisan de la Collaboration (il était membre du Cercle européen), n’est guère connu des céliniens. Seuls des livres à lui dédicacés par Céline étaient connus jusqu’ici. En 1995, Jean-Paul Louis lui consacra une notice de son Index analytique des Lettres à Marie Canavaggia car, dans cette correspondance, Céline le cite comme témoin à décharge au moment de l’instruction de son procès. Pendant l’Occupation, Gentil « élève des lapins à Saint-Mandé et vient parfois rue Girardon, le samedi, où il dort sur place pour cuisiner le lendemain un de ces animaux ». En 1939, Céline est, on le sait, à la recherche d’un emploi : « Je suis pourri d’ambition. On me dit qu’il n’y a pas de médecin à l’opéra, est-ce exact ? Qu’ils sont tous partis plus ou moins en zone libre… Pour raisons juives… Ces bruits m’affriolent... ». Dans une lettre ultérieure, il précise : « Pour l’O.C. [Opéra Comique] je me suis expliqué de travers. Je serai bien entendu infiniment flatté d’être de l’O.C. Mais tu sais le chant, moi… Je ne suis pas initié. Tandis que je suis féru, ravagé par la danse. Alors puisqu’il s’agit de mirages ! Je préfèrerais l’opéra. C’est dans ce sens que je t’écrivais. Et pour que simplement tu tâches de savoir par “ceux” de l’opéra s’ils ont des disponibilités éventuelles – lointaines… Vaguement possibles… À moins que la chose soit simplement comme je le soupçonne tout bonnement réservée aux juifs et aux internes. Dans ce cas il faudrait que je me dispose encore à provoquer l’émeute. C’est bien mon souci... ». Céline obtiendra finalement un poste de médecin-chef au dispensaire de Bezons, comme on sait. En vacances, il lui adresse une vue de Saint-Malo : « Te voici aux grandes récoltes certainement ! Pendant que nous folâtrons au bord des océans. Nous irons te voir dans ta Thélème ! ». C’est encore le temps de la relative insouciance. En exil, il vitupère contre Gen Paul : « Il est dans la tradition des peintres ivrognes et maudits. Son rêve d’ailleurs c’est que tout le monde crève sur la butte. Et qu’il demeure seul avec tout le vin et toutes les filles. C’est un monstrueux égoïste délirant et l’esprit du mal, c’est le diable. ». Propos plus ambivalent à l’égard de sa secrétaire Marie Canavaggia : « Admirable mais imbaisable (…) – donc platonique et hystérique – et Corse. Jalouse de Lucette à en crever... ». Évoquant son séjour à Sigmaringen, il précise qu’il n’y a trouvé « que trois véritables patriotes : Laval que je n’aime pas, le Dr Jacquot et moi-même – patriotes absolus déroulédiens fourvoyés – trompés. ». Tout serait à citer. Une correspondance assurément passionnante qui fera un jour, espérons-le, l’objet d’une publication.

Marc LAUDELOUT
Le Bulletin célinien n°331, juin 2011.

Source : Catalogue Artcurial, « Vente 1975 – Livres et manuscrits – 9 et 10 mai 2011 – Paris – Hôtel Marcel Dassault ».

vendredi 25 novembre 2011

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°16

Pour recevoir gratuitement par courriel à chaque parution la lettre d'actualité du Petit Célinien, laissez-nous votre mail à l'adresse habituelle : lepetitcelinien@gmail.com.

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°16.

jeudi 24 novembre 2011

Justice rendue à Céline - Journal de Genève - 8 décembre 1961

Passé le temps de sa mort ou autour de l’homme et de l’œuvre, l’ancienne querelle a de nouveau flambé, Louis-Ferdinand Céline n’aura pas attendu longtemps d’être porté à cette manière de Panthéon littéraire qu’est la collection de « La Bibliothèque idéale » (1).
On en connaît la formule : l’homme y est présenté au gré de témoignages de ses contemporains, son curriculum est énoncé avec autant de précision que possible, puis l’œuvre est étudiée et avec une analyse des livres, des extraits, des critiques, une bibliographie, voire une discographie complètent ce qui, en dépit du format réduit, n’est pas loin d’être une somme et d’une vie et d’une œuvre.
Le traitement qu’on inflige à ces auteurs – morts ou vivants – promus à la gloire m’est apparu souvent inégal. Mais, en l’aventure, Céline a qui la chance n’a guère souri, au long d’une vie toute de tribulations, et tragiques à plus d’un tournant, a trouvé un commentateur qui, sans ignorer quelques-unes des erreurs de l’auteur du « Voyage au bout de la nuit » a su mesurer toute la signification d’une œuvre où s’inscrit la crise morale, sociale et politique d’une époque et qui demeurera dans l’histoire littéraire comme un prestigieux monument.
M. Marc Hanrez aura réussi à débarrasser la renommée de Céline de tout un lot considérable de jugements téméraires, vite devenus, par le redoutable truchement de la presse avide d’un prétendu nouveau et des hebdomadaires plus redoutables encore, des lieux communs. Avec lui, c’est à une véritable découverte que s’engageront bien des lecteurs pressés et nombre aussi de ceux qui croyant le connaître, se verront ouvrir bien des perspectives nouvelles quant à la pensée et à l’art de cet écrivain d’occasion – car sa vocation c’était la médecine – mais qui n’a été peut-être aussi grand que par son contact passionné avec le mal et la souffrance humaine.
A lire l’analyse de Marc Hanrez, on prend mieux conscience de ce qu’il y avait d’universel dans le témoignage de Céline et qu’au travers de ses grands morceaux prophétiques, il y avait et elle y est présente plus encore aujourd’hui – une lucide vision du monde. Même de ce qu’il a dit – et qu’on a tant contesté – sur le racisme, l’actualité vous fait voir que le racisme a changé de camp.
Mais M. Hanrez ne s’est pas borné à mettre à sa juste place l’œuvre entière, il a poussé plus loin ses investigations et son rapport et son apport en ce qui concerne l'étude de la langue et du style est d’un homme qui est allé à la racine même de l’art de Céline.
M. Hanrez est trop modeste qui veut laisser aux faiseurs de thèses de demain le soin de mettre au jour les secrets de l’écrivain et ses procédés : sur ce qu’il appelle la vicissitude des mots, sur l’argot, sur l’usage du calembour, il a mieux que jalonné l’œuvre à l’intention des chercheurs futurs, c’est – du vocabulaire à l’ordonnance de la phrase – un plan et un guide sans défautqu’il a dressé à l’intention de ce qui voudra goûter mieux, goûter dans plénitude le génie célinien.

Eugène FABRE
Journal de Genève, 8 décembre 1961.


1 – Marc Hanrez, Céline, La Bibliothèque idéale, Gallimard, 1961.
Commande possible sur Amazon.fr.

> A écouter : Marc Hanrez était invité mercredi 16 novembre 2011 sur Radio Courtoisie.

mardi 22 novembre 2011

On pense à moi dans les ténèbres...

Le merle a chanté tout l'hiver, tout l'hiver passé... dans la neige même, dans les bourrasques... Brave petit merle... C'est le rossignol à présent...

_ Clémence! Clémence! entends!...
Je voudrais qu'elle l'entende aussi, comme il chante, vocalise haut... C'est la nuit donc dans pas longtemps... Je vais avoir peur tout à l'heure, lorsqu'il fera tout à fait noir... j'ai peur de la nuit à présent... le gouffre qui s'ouvre, l'énorme vallée là au-dessous de la maison, tout Paris en creux aux ténèbres... tout à faire peur par instants et des heures entières dans mon lit éveillé tremblant... je n'ose pas le dire à Lucette... un homme n'a pas peur il paraît... il faut qu'il se taise tout au moins... cela aussi est difficile... j'ai reçu trois petits cercueils, dix lettres de faire-part, au moins vingt lettres de menaces, deux couteaux à cran d'arrêt, une petite grenade anglaise et cinquante gramme de cyanure... on pense à moi dans les ténèbres... Tout ce soir qui tombe me parle de ma mort, là le bleu étoilé en haut du Sacré-Coeur qui tourne violet puis sombre sombre... Je n'entendrai plus le merle cet hiver, le rossignol l'été prochain, je ne verrai plus ces arbres, le jardin de Barbe-Bleue, les décombres à Péladan là sous ma fenêtre, l'ancien atelier à Delâtre, dans la cour, à présent tout ombre, le château du Roi Rouge tout étouffé sous un tilleul, au rebord de la rue Lepic... Tout cela est fini pour moi, pour nous deux Lucette... Il n'y a plus pour nous que le gouffre là, l'autre côté du couloir après la fenêtre, l'énorme vallée, tout Paris millions millions de vengeances de je ne sais quoi, des toits à l'infini, pointus, aigus, coupants, atroces, remplis d'êtres qui nous haïssent...

Louis-Ferdinand Céline, Maudits soupirs pour une autre fois, Gallimard, 1985, p.32.
Commande possible sur Amazon.fr.

Céline, Garcin, Sandfort, Naud...

Le site louisferdinandceline.free.fr met en ligne des extraits de la correspondance de Céline :

Louis-Ferdinand Céline - Der Spiegel - 1961

Voici deux articles parus dans les numéros 29 et 30 de Der Spiegel de 1961 annonçant le décès de Louis-Ferdinand Céline.

GESTORBEN LOUIS-FERDINAND CELINE

Louis-Ferdinand Céline, 67, französischer Schriftsteller und Arzt (bürgerlicher Name: Henri-Louis Destouches); an einer Embolie in Paris. Er begann als Armenarzt, war von 1921 bis 1925 beim Genfer Völkerbund als Mitglied der Hygienekommission tätig und arbeitete von 1926 bis 1936 an der Staatsklinik Clichy. 1932 veröffentlichte er seinen ersten Roman, "Reise bis ans Ende der Nacht". Während der deutschen Besatzungszeit kollaborierte er mit den Nationalsozialisten, worauf er 1944 mit der Vichy-Regierung des Marschalls Pétain, dessen Leibarzt er war, nach Sigmaringen fliehen mußte. Ober diese Zeit fluchte und tobte er in seinem Buch "Von einem Schloß zum andern". Erst nach seiner Amnestierung 1951 kehrte Céline nach Frankreich zurück, wo er bis zuletzt wieder als Armenarzt in kümmerlichen Verhältnissen lebte.

Der Spiegel n°29, 12 juillet 1961.
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CELINE, REISE ANS ENDE

Unser Baum verliert immer mehr Blätter", schrieb Jean Cocteau melancholisch und erläuterte den herbstlichen Vergleich: "Der Tod Célines nach dem Tod Hemingways."

Auch Cocteau, weltprominentes Mitglied im exklusiven Kreis der französischen "Unsterblichen", der Académie Francaise, war ein Opfer dessen geworden, was die Pariser Zeitungen später die "Verschwörung des Schweigens" nannten. Louis-Ferdinand Célinie, der leidenschaftlich verteidigte, bestimmt leidenschaftlich gehaßte französische Schriftsteller, war nicht nach, sondern vor Hemingway gestorben.

Noch am Montag, dem 3. Juli, als Hemingsways Tod in aller Welt bekanntgeworden war, hatte Lucette Almanzor, Célines zweite Frau, Leiterin der Ballettschule Almanzor, ein Kommuniqué veröffentlichen lassen: "Der Gesundheitszustand Louis-Ferdinand Célines, der seit einigen Monaten an einem Herzleiden krankt, hat sich plötzlich verschlechtert." Zu dieser Zeit war Céline bereits zwei Tage tot, in aller Einsamkeit seines Barackendaseins zwischen Papieren, Hunden und medizinischen Geräten im Alter von 67 Jahren gestorben am Sonnabend, dem 1. Juli, gegen achtzehn Uhr.


Der Spiegel n°30, 19 juillet 1961.

dimanche 20 novembre 2011

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°16

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Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°16.

samedi 19 novembre 2011

Céline et la question de l’anarchie par Charles-Louis Roseau

« De droite » ou « de gauche », on a souvent qualifié Louis-Ferdinand Céline d’anarchiste. Le romancier, quant à lui, se réclamait parfois de ce mouvement. Pourtant, on sait bien qu’il est peu prudent de prendre les dires de l’auteur pour argent comptant, ce d’autant que les assertions céliniennes de la veille sont souvent démenties par les déclarations du lendemain. J’admire infiniment les auteurs qui ont la patience et la culture suffisantes pour décortiquer la pensée politique de Céline et la présenter comme un tout cohérent, systémique, comme une sorte de mécanique dans laquelle chaque rouage s’ordonne et s’ajuste aux engrenages qui précèdent et qui suivent. J’avoue, en ce qui me concerne, ne pas parvenir à m’élever suffisamment haut pour jeter sur le discours politique célinien un regard synthétique. Ce qui me rassure, en revanche, c’est que les études confirment, en les étoffant de maints exemples et arguments, une intuition qui m’assaille dès qu’il s’agit d’analyser le raisonnement célinien. Je parle évidemment de la tendance contradictoire permanente sur laquelle le romancier a bâti son discours. Céline n’est jamais tout à fait « de droite », ni « de gauche ». Jamais tout à fait « fasciste », ni complètement « anarchiste ». Souvent un peu « patriote », mais parfois absolument « antimilitariste ». Les concepts politiques forgés depuis le XVIIIe siècle à grand renfort de nuances, d’alinéas et d’exceptions qui confirment la règle, seraient-ils inaptes à qualifier une réalité terriblement complexe ? Ou, peut-être, est-ce le discours célinien, dont les échos innombrables ponctuèrent les péripéties politiques du siècle dernier, qui, trop alambiqué, refuse de rentrer dans les cases de la boîte à classification ?
J’ai été formé à l’Université française. Ma logique argumentative en a pris les plis et les défauts. Je refuse d’avouer mon incompétence. Je ne sais pas dire que je ne sais pas. Alors, plutôt que d’affronter l’énigme de face, je la contourne. Comme on dit : « je déplace le problème ». L’objectif n’est alors plus de cataloguer la pensée politique célinienne, mais plutôt d’interroger cette impossible catégorisation. À plusieurs reprises, j’ai évoqué une stratégie d’écriture établie par l’auteur afin de se conformer aux attentes versatiles de son lectorat. Ce pouvait être, selon moi, l’une des causes de la tempérance ou des revirements politiques de l’auteur. Cela pouvait aussi expliquer le plongeon soudain dans la dérive antisémite.

Qu’en est-il de l’anarchie chez Céline ? Céline est-il anarchiste ? Je l’avoue tout de suite : ce n’est pas à cette dernière question que j’entends répondre. Je me souviens d’une étude que j’ai faite en 2007 à propos des anarchistes francophones sur Internet (1). J’avais envoyé un questionnaire aux webmasters de tous les sites dignes d’intérêt répertoriés sur la toile. L’un d’entre eux m’avait répondu : « Juste un conseil, ne vous lancez pas dans les tendances de l'anarchisme, vous risqueriez d'y perdre votre tête, conservez juste les affiliations, cela suffira à votre propos, les unes ne reflétant pas les autres. Des gens de la même tendance pouvant être soit à la fois, soit séparément dans diverses organisations ou groupe ou revue ou, ou, ou… La mouvance libertaire est, comme les sables, mouvante. » J’ai gardé ce conseil dans un coin de ma tête. Encore aujourd’hui, je ne manque pas de l’appliquer ; cela m’évite de dire des bêtises. Pour se prononcer sur l’anarchisme de Céline, il faudrait donc concevoir clairement et l’homme et le concept… J’en suis malheureusement bien loin. Alors que faire ? M’arrêter ? Le lecteur qui, entamant cet article, se réjouissait d’avance à l’idée de pouvoir « ranger » Céline dans une mouvance, sera sans doute déçu. Il peut en rester là. Celui qui, au contraire, se demande pourquoi on cherche encore à savoir si Céline est anarchiste, celui-ci, qu’il n’hésite pas à me suivre.

L’anarchisme est l’un de ces courants politiques sur lesquels plus on lit, moins on en sait. Quelle que soit l’approche, chaque livre allonge la liste des complexités, des nuances et des diversités internes. Cela ne facilite vraiment pas la tâche, surtout quand il convient d’être synthétique. Historiquement, la définition moderne et politique de l’anarchie naît avec l’État-nation. C’est après la Révolution française, et, plus particulièrement, au cours du XIXe siècle, que le mouvement, ses penseurs et ses principes se sont peu à peu mis en place. Mais quels principes au juste ? Si l’on en croit les auteurs de L’Encyclopédie anarchiste : « Ce qui existe et ce qui constitue ce qu’on peut appeler la doctrine anarchiste, c’est un ensemble de principes généraux, de conceptions fondamentales et d’applications pratiques sur lesquels l’accord s’est établi entre individus qui pensent en ennemis de l’autorité et luttent isolément ou collectivement, contre toutes les disciplines et contraintes politiques, économiques, intellectuelles et morales qui découlent de celle-ci. Il peut donc y avoir et, en fait, il y a plusieurs variétés d’anarchistes, mais tous ont un trait commun qui les sépare de toutes les autres variétés humaines. Ce point commun, c’est la négation du principe d’autorité dans l’organisation sociale et la haine de toutes les contraintes qui procèdent des institutions fondées sur ce principe. (2) » Cette définition pour le moins générique qui, tout en suggérant des sous-ensembles, se garde bien de les détailler, semble englober le cas célinien. En effet, on connaît les critiques que l’auteur adresse à la morale, à la religion, au capitalisme, à la démocratie et au militarisme. L’empreinte anarchiste est d’autant plus vivace, chez Céline, qu’il en est de la littérature comme de la vie : la première impression est souvent la plus vivace. Dans cette perspective, Voyage au bout de la nuit, le roman liminaire, celui par lequel tout lecteur commence son périple célinien, n’en finit jamais d’orienter les opinions. Il est sans doute le roman le plus réaliste de Céline. L’auteur y fustige la guerre, y dénonce la marchandisation des hommes, la misère des classes populaires, les méfaits du colonialisme et du capitalisme… De ce fait, il a été et est toujours perçu comme un roman politique, à tendance populiste, dont l’auteur refusait de prendre parti. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les échos parus dans la presse à partir de 1932 (3) : on y parle de roman révolutionnaire, de cri, de souffle nouveau, de peinture réaliste et misérabiliste… À l’époque où chaque intellectuel se devait de choisir un camp et où le communisme figurait la seule expression envisageable de la révolte, tout individu qui, bien qu’ayant des sympathies pour les idées révolutionnaires, refusait de s’encarter, se voyait dédaigneusement taxé d’anarchisme (4) . N’est pas le cas de Bardamu qui, dans les premières pages de Voyage au bout de la nuit, se voit traiter d’ « anarchiste » parce qu’il refuse de défendre la « race française » chère à Arthur Ganate ? C’est donc par défaut que Céline est devenu anarchiste, un peu comme ces étrangers que l’on traitait de « rastaquouères » à la fin du XIXe siècle. Parce qu’il convenait de lui donner une étiquette, mais qu’aucune ne lui correspondait véritablement.

Pourtant, à y regarder de plus près, de l’anarchiste, Louis-Ferdinand Céline n’a que la posture. Très vite, il se présente comme le reclus, le révolté incompris dont la parole rebelle perturbe la bienséance et l’équilibre politique établi. Tout au long de sa carrière, il alimentera cette image d’insoumis, d’abord par ses discours, puis, à la fin de sa vie, à l’aide de photos le représentant en guenilles, lui, l’homme du peuple, dans son « en-dehors » de Meudon. Il y a en effet une forme d’anarchisme ostentatoire chez Céline, mais qu’on ne s’y trompe pas, elle n’entretient aucun rapport avec le politique. Car « la vérité de ce monde, c’est la mort », et il n’y a rien à espérer, rien à construire, rien à autogérer, tant l’homme est viscéralement pourri. La seule once d’anarchisme présente chez Céline, on la doit donc, je pense, à son incroyable égoïsme. À cette indestructible conviction qui fait de l’ego la seule réalité possible, le point de départ et le critère de tout jugement. Il faut relire les lettres d’Afrique (5) pour saisir l’émergence de cette individualisme égocentrique et contestataire qui inscrit Destouches dans la droite lignée du philosophe allemand Max Stirner (6) et de certains de ses homologues français, à commencer par Georges Palante… On parlera alors d’anarchisme « littéraire », « philosophique », « apolitique », « du mépris », « de droite »… N’en reste pas moins qu’il s’agit avant tout d’une posture : d’un « être au monde » ostensible qui n’engage que soi.

L’anarchiste par défaut, c’est aussi l’individu qui « fréquente le milieu », cette nébuleuse gauchisante difficile à cerner pour celui qui la regarde de loin. Or Céline a toujours entretenu une relation ambivalente avec les anarchistes, acceptant leurs éloges sans répondre à leurs invitations, applaudissant leurs idées sans pour autant y adhérer totalement. Le 18 mars 1933, Céline adresse une lettre à Elie Faure qui, beaucoup moins radical que son oncle Elisée Reclus, s’est rangé aux côtés des socialistes. Le romancier y explique son refus de suivre l’Association des Ecrivains et des Artistes révolutionnaires, alors sous le patronage du PCF: « Je me refuse absolument à me ranger ici ou là. Je suis anarchiste jusqu’aux poils. Je l’ai toujours été et je ne serai jamais rien d’autre. Tous m’ont vomi, depuis les Inveszias jusqu’aux nazis officiels, Mr de Régnier, Comoedia, Stavinsky, le président Dullin, tous m’ont déclaré imbuvable, immonde et dans des termes à peu près identiques.» (7). Quelques mois plus tard, c’est au tour des libertaires de courtiser l’auteur de Voyage. Connu pour ses positions antimilitaristes qui lui valurent l’exil, le beau-fils du polémiste anarchiste Laurent Tailhade, Pierre Châtelain-Tailhade, s’adresse à Céline en ces termes : « Descendez dans la "rue des hommes"; allez serrer de ces mains jeunes, Céline, de ces mains qui, lorsqu'elles battront la générale pour le rassemblement des espoirs, ne la battront pas sur des tambours voilés ! » (8). Mais l’auteur de Voyage ne semble pas séduit et préfère garder ses distances. Comment, dès lors, comprendre ce curieux manège ? Pourquoi se prétendre anarchiste devant ceux qui ne le sont pas, et refuser de suivre ceux qui le sont vraiment ? C’est sans doute que le terme possède une définition très souple et qu’il renvoie une image dont le reflet brille différemment selon l’angle depuis lequel on le regarde. Ce rapport indécis se poursuit d’ailleurs après la Seconde Guerre mondiale. Dans une lettre à Albert Paraz datée du 14 novembre 1949, Céline déclare : « Vive l’Anarchie nom de Dieu Pour être un bon anarchiste il faut avoir tenu bon en tôle. (9)» Quelques jours plus tard, il modère pourtant son élan : « J’aime bien les anarchistes mais cette idolâtrie des grandes figures est niaise. C’est l’impuissance mentale. Ils remarquent ceux qui ont souffert pour la cause 2 siècles trop tard et encore tout de travers ! ou pas souffert du tout ! On est dans la connerie ». C’est aussi à cette même époque que l’on voit réapparaître les noms de fervents défenseurs de l’anarchie dans la correspondance de l’auteur. Michel Ragon, par exemple, proche de la Fédération Anarchiste, mais surtout, Louis Lecoin, théoricien de l’ « objection de conscience » et pacifiste viscéral coutumier de l’insoumission et des prisons. De ce dernier, isolé au Danemark, Céline reçoit quelques exemplaires de la revue Défense de l’Homme, dont le numéro de février 1950 a d’ailleurs proposé une étude favorable à Céline (10). Paradoxalement, la presse anarchiste fait paraître une enquête assez conciliante à l’égard de l’écrivain taxé de collaborationnisme. Publié entre le 13 et le 27 janvier 1950 sur trois numéro du Libertaire, l’organe du Front communiste libertaire, « Que pensez-vous du procès Céline ? », laisse la parole à des écrivains, des journalistes ou des peintres dont la popularité n’est nullement contestée. On recense notamment les textes de Louis Pauwels, de Marcel Aymé, de Jean Dubuffet, d’Albert Camus, de René Barjavel ou encore de Jean Paulhan. Ce dernier écrit : « Si l’anarchisme est un crime, qu’on le fusille. Sinon qu’on lui foute une fois pour toute la paix ». Prononcés par un homme de lettres et d’idées, ces propos ont sans doute déplu aux militants pragmatiques qui n’ont pas manqué de souligner la primauté de certaines réalités politiques et sociales. L’enquête se clôt notamment sur une lettre signée par cinq activistes du groupe Sacco-Vanzetti de la Fédération anarchiste. Voici ce qu’on y lit : « En admettant même que Céline ait « la meute au cul », cette meute ne nous paraît pas comparable à celle qui s’acharne contre les persécutés sociaux d’Espagne, de Bulgarie, de Bolivie, de Grèce, d’Europe orientale, des Indes, du Vietnam ou, sans aller si loin, d’Afrique du Nord et de France (voir mineurs, déserteurs, etc.) » (11).

[Photo :Louis Lecoin] L’anarchie célinienne, me semble-t-il, fonctionne comme un trompe l’œil : réaliste de loin et improbable de près. Si l’auteur aime à paraître anarchiste, il ne voit aucun intérêt, je pense, à l’être concrètement. Les anarchistes, quant à eux, n’ont pas l’air de considérer le romancier comme un porte-parole. Et, quand, touché par tel ou tel discours, l’un des leurs se tourne vers l’écrivain, la main ne reste jamais longtemps tendue. L’usage de la référence anarchiste se situe donc ailleurs que dans le champ du politique et de l’engagement solidaire. Il relève au contraire d’une stratégie personnelle, voire tout à fait intime, liée à des vertus symboliques et esthétiques. Dans son essai sur Céline (12), Michel Bounan présente l’écrivain comme un conservateur antisémite et réactionnaire qui se serait sciemment « déguisé » en anarchiste pour mieux véhiculer ses idées. Sans tomber dans les excès d’une telle démonstration, il ne me semble pas déplacé de retenir la thèse du travestissement utilitaire. Comme il le fit pour son statut d’ancien combattant, Céline se serait donc fabriqué, ou simplement contenté d’entretenir, une image d’écrivain anarchiste. Il faut bien reconnaître que la verve révolutionnaire de ses premiers romans, tout comme le récit fantasmé de son enfance populaire et son statut de clochard céleste, ont contribué à alimenter la veine populiste qui participe de la symbolique anarchiste. De même, sa position d’écrivain frondeur, ses frasques judiciaires, son exil et son passage en prison le rangent, du moins en apparence, aux côtés des réfractaires. Pour le non-initié, ou pour l’intellectuel libertaire davantage soucieux de la posture que de l’engagement pratique, Céline pouvait donc aisément passer pour un anarchiste. Mais comment expliquer ce camouflage... Dont je ne saurais même pas m’aventurer à dire s’il était conscient ou non ? À y regarder de plus près, l’idéologie libertaire, vidée de ses applications pratiques, figure l’aboutissement de la marche initiée au siècle des Lumières. Les notions de critique, d’individu et de libre-pensée, qui s’inscrivent au cœur même de la mouvance libertaire, sont également des gages de qualité qui surent s’imposer dans l’histoire politique et littéraire. Dans cette perspective, l’étiquette anarchiste possède des vertus fédératrices qui ne purent que servir les intérêts du romancier. De plus, si l’anarchie reste un concept d’autant plus nébuleux qu’on le regarde de loin, il n’en reste pas moins une pensée politique légitime, humaniste, voire romantique, que seuls les réactionnaires d’un autre temps remettent radicalement en cause. De ce point de vue, Céline avait quelques avantages médiatiques à passer pour un anarchiste : d’abord parce qu’il est inconcevable d’être simultanément libertaire et fasciste. Mais aussi, parce qu’ainsi, sa cause devenait encore plus noble et tolérable.

Il est toujours malvenu de conclure une réflexion sur une série d’hypothèses. Les certitudes, comme le meilleur, sont pour la fin. Je souhaiterais donc clore cet article sur un lien qui, sans aucun doute, rapproche Céline de l’anarchie. Cette attache d’ordre esthétique a été étudiée en détails par Yves Pagès dans son livre sur la pensée politique de l’auteur (13). Il s’agit de l’influence des anarchistes de la Belle Epoque sur l’œuvre célinienne. Plutôt que de résumer cette brillante étude, j’invite le lecteur à la parcourir. Il y découvrira combien le jeune Destouches dut être impressionné par la série d’attentats anarchistes qui ponctuèrent son enfance et sévirent souvent dans son quartier. Il y croisera les figures de Caserio, d’Emile Henry, d’Auguste Vaillant, de Liabeuf, ou encore de tous ceux qui formèrent la bande à Bonnot. Les polémistes insoumis aussi : Libertad, Zo d’Axa… Étrangement, certains de ces personnages semblent refaire surface dans l’œuvre célinienne. On pense évidemment à Bardamu, mais aussi au Borokrom de Guignol’s Band. Dès lors, on ne peut que tomber d’accord avec Yves Pagès. Le projet littéraire célinien est semblable aux combats de ces libertaires accrochés au tournant des siècles. C’est une révolte individuelle perdue d’avance.
Un cri populaire d’autant plus déchirant qu’il est conscient de sa propre fin. L’acte d’un forcené assiégé qui refuse de se rendre.

Charles-Louis ROSEAU
Le Petit Célinien, 19 novembre 2011.


1 - Charles-Louis Roseau, Les Anarchistes francophones et Internet, Mémoire de Master sous la direction de Véronique Richard, Centre d'études littéraires et scientifiques appliquées (Celsa), Paris IV – La Sorbonne, 2007.
2 - Sébastien Faure (sous la direction de), Encyclopédie anarchiste, Paris, Œuvre internationale des Éditions anarchistes, 4 Vol, 1934-1935.
3 - André Derval – textes réunis et présentés par – Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, Critiques 1932 – 1935, Paris, Ed. de l’IMEC, 1993.
4 - Le 9 décembre 1932, Paul Nizan écrit dans l’Humanité : « Céline n'est pas parmi nous : impossible d'accepter sa profonde anarchie, son mépris, sa répulsion générale qui n'acceptent point le prolétariat. Cette révolte pure peu le mener n'importe où : parmi nous, contre nous ou nulle part. Il lui manque la révolution.» Cité dans Ibid., p. 61.
5 - Louis-Ferdinand Céline, Cahiers Céline n°4Lettres et premiers écrits d’Afrique 1916 – 1917, textes réunis et présentés par Jean-Pierre Dauphin, Paris, Gallimard, 1978.
6 - Max Stirner, L’Unique et sa propriété, Lausanne, l’Âge d’homme, 1972. Paru en Allemagne en 1845, ce livre a été traduit pour la première fois en français en 1899.
7 - Cité dans Lettres, édition établie par Henri Godard et Jean-Paul Louis, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 2009, p. 416.
8 - Cité par Bruno Jouy dans Voyage au bout de la nuit, Etude d’une réception, Thèse de Doctorat sous la direction de Pierre Lainé, Université de Bretagne occidentale, 1992.
9 - Lettres, Op. cit., p. 1243.
10 - Jean Vita, « Céline et l’enfance », dans Défense de l’Homme, N°17, février 1950, p.25-27. Dans cet article initialement paru en 1944, l’auteur présente Céline comme un « anarchiste ».
11 - Une synthèse complète de cette étude publiée sur trois numéros est disponible sur : http://florealanar.wordpress.com/2011/01/26/un-peu-dhistoire/
12 - Michel Bounan, L’Art de Céline et son Temps, Editions Allia, Paris, 2004.
13 - Yves Pagès, Les Fictions du politique chez L.-F Céline, « L’Univers historique », Paris, Le Seuil, 1994.

A paraître le 24 novembre : La rue Pigalle... la place... de Claude Dubois

Nouvel opus de Claude Dubois sur l'histoire des rues parisiennes : La rue Pigalle... la place... la ville aimante se meurt... sort le 24 novembre 2011 aux éditions Jean-Paul Rocher.

Présentation de l'éditeur
Festif, ludique, patrimonial, touristique etc., Paris est devenu cette ville «désarmante de bêtise» qu’annonçaient les Histoires de la nuit parisienne de Louis Chevalier dès 1981. Tout beaux qu’ils soient dans les vitrines, les beaux livres sont cois sur Paris en tant que Paris.
Paris, Claude Dubois est le dernier à réellement en parler.
Après La Bastoche et La rue Saint-Antoine en 2011, il attaque 2012 avec La rue Pigalle… La place… La ville aimante se meurt. Cette fois, l’historien et ex-Titi du Figaroscope démarre sur des souvenirs personnels récents. 2009: la splendide, ondulante et mystérieuse Aleks rencontrée dans un bar à deux baisers de là… Claude Dubois aime le coin place-rues Pigalle et Frochot. 1896, Léautaud y rejoint ses amies galantes. 1903, Maurice Chevalier s’y fait déniaiser et, 1911, Fréhel, délaissée par Maurice, veut le tuer. L’amour délétère de Chevalier et de Fréhel, c’est Pigalle. Les passions et les frasques de la Fréhel d’avant 1914 symbolisent cette «ville aimante» qui entête Dubois. Comment oublierait-il Germinie Lacerteux, Nana, la Sapho d’Alphonse Daudet, la Fernande de Carco, la Carlotta d’Aragon ou Jeanne Cordelier ?
Après la littérature et les dames, la réalité et ces messieurs du milieu. 1930, quand Papillon bute Legrand, boulevard de Clichy, les Corses sont déjà les rois de la mandoline qui tousse… Spécialiste du fait divers, Dubois en détaille quelques-uns, il y en a eu tant à Pigalle. Fidèle à feu son ami Louis Chevalier, Montmartre du plaisir et du crime, Claude Dubois raconte Pigalle autant de manière érudite qu’empirique. En 1963-64, à ses débuts dans le maquereautage, Michel Ardouin alias Porte-Avions, l’équipier de Mesrine, remonte la rue Pigalle. En 1870-71, Victor Hugo aussi: il suit, jusque chez elle sur la butte Montmartre, Zoé, femme de trottoir… La rue Pigalle… La place… La ville aimante se meurt réserve d’autres surprises. Par exemple Sidney Bechet, pionnier du jazz à Pigalle, jouant du pistolet en 1928… Qu’il parte sur les traces d’Hugo, d’Halévy, de Fréhel, de Carco, de Bechet, de Kessel, de Cordelier ou se la fasse coquette au Narcisse avec Gégé le Catcheur, Dubois transmute l’histoire en une sorte de roman haletant, parfois presque de «Série noire». Toutes vraies, les anecdotes d’hier ou d’aujourd’hui qu’il livre enluminent Pigalle d’éternité. Dubois sait manier l’argot, il est rigolo. Mais grave à répéter cette simple phrase de la belle Aleks, son leitmotiv:
– C’est important, les lieux…
Claude Dubois est sans espoir pour Paris. Il n’empêche: sa Rue Pigalle… La place… La ville aimante se meurt est inspirée. Et instructive pour les chagrins de Pigalle et de la Grand’Ville: Sébastien Lapaque ne l’a pas surnommé «le Lévi-Strauss de la plèbe» pour rien.

Claude Dubois, La rue Pigalle... la place... la ville aimante se meurt..., JP Rocher éditeur, 2011.
Pré-commande possible sur Amazon.fr.

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vendredi 18 novembre 2011

Les différentes demeures de Céline à Klarskovgaard (Danemark)

Photos en haut à gauche et à droite : Skovly, "A l'abri de la fôret". Au milieu à gauche : Bestyrer bolig, "L'habitation du régisseur". Au milieu à droite : Gaestehuset, "La maison d'amis". En bas à gauche : Fanehuset, "La maison du drapeau". En bas à droite : Hovedhuset, "La maison principale".

Fabrice Luchini et Henri Godard à l'Ecole Normale Supérieure de Paris

Fabrice Luchini a proposé une lecture de Louis-Ferdinand Céline ce jeudi 17 novembre 2011 à l'Ecole Normale Supérieure de Paris. Une lecture commentée par Henri Godard, professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne, qui a publié cette année Céline chez Gallimard.

La Voix d’un texte, est la rencontre, une fois par mois, d’un comédien et d’un professeur autour des textes d’un grand auteur de la littérature française : cette lecture commentée se propose de mettre en lumière l’attitude et la voix qui portent le texte. Organisée par Anne Duguet (Département Philosophie) et Delphine Meunier (Département Lettres classiques).

Théâtre de l’ENS
4 rue Erasme
75005 Paris

jeudi 17 novembre 2011

Louis-Ferdinand CÉLINE (Radio Courtoisie,16 novembre 2011)

Emmanuel Ratier a consacré son Libre Journal du mercredi 16 novembre 2011 à Louis-Ferdinand Céline. Une émission de trois heures avec pour invités : Marc Laudelout (Le Bulletin célinien), David Alliot (D'un Céline l'autre), Alain de Besnoit (Céline et l'Allemagne, 1933-1945), Marc Hanrez (Céline), Joseph Vebret (Spécial Céline), Valéria Ferretti, et Matthias Gadret (www.lepetitcelinien.com).




Ouvrages évoqués :
Tout sur Céline (Bibliographie - filmographie - phonographie - internet), d'Alain de Benoist, Arina Istratova et Marc Laudelout à paraître début 2012.
Joseph Vebret, Céline, l'infréquentable ?, Ed. Picollec, 2011.
David Alliot, D'un Céline l'autre, Laffont, 2011 et Céline, idées reçues sur un auteur sulfureux, Ed Le Cavalier bleu, 2011.
Céline ci scrive, Lettres de Céline à la presse collaborationniste 1940-1944, Ed. Il Settimo Sigillo (Italie), 2011.
Henri Godard, Céline, Gallimard, 2011.
Jean-Pierre Dauphin, Bibliographie des articles de presse et des études en langue française consacrés à L.-F. Céline. 1914-1961, Ed. du Lérot, 2011.

Vient de paraître : Voyage au bout de la nuit en Folio luxe

Gallimard sort dans sa collection folio luxe Voyage au bout de la nuit, à l'occasion du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline. Un marque-page aimanté, en métal, accompagne chaque coffret. Prix : 11, 50 €.

Cette année, André Malraux, Marcel Proust, Jean-Paul Sartre, John Steinbeck et Albert Cohen sont aussi au programme de cette collection.

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Folio luxe, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

Dédicace samedi 19 novembre à Paris : David Alliot et Joseph Vebret

David Alliot et Joseph Vebret dédicaceront leurs ouvrages samedi 19 novembre 2011 à la librairie Facta de 14 à 18h.

Librairie Facta
4, rue de Clichy
75009 PARIS
01 48 74 59 14
librairiefacta@wanadoo.fr

Décès de Pierre Dumayet

Un lecteur nous annonce le décès de Pierre Dumayet, créateur de l'émission "Lecture pour tous".
Louis-Ferdinand Céline y fut invité le 17 juillet 1957.


Plus de détails sur L'Express.fr.




mercredi 16 novembre 2011

Hergé, amateur des jurons de Céline - L'Express - 15 novembre 2011

Des feuillets manuscrits sur lesquels le père de Tintin et du capitaine Haddock a retranscrit des jurons céliniens viennent de faire surface.

Et si les célèbres jurons du capitaine Haddock avaient bien été inspirés par les insultes des pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline ? L'hypothèse, avancée par Emile Brami dans Céline, Hergé et l'affaire Haddock (éd. Ecriture), en 2004, avait suscité les sarcasmes des tintinophiles (lire ci-dessous). Mais voilà qu'un document signé de la main du dessinateur, exhumé ces jours-ci par la revue Les Amis d'Hergé, semble donner du crédit à cette thèse. Sur l'un de ces trois feuillets, il a écrit : "Céline L.-F." et, en regard, neuf expressions - "Empetrouillé", "Taratabule", "Troufignolisé", "Estouffatoire", "Calamitudes", "Charabiaterie", "Tintamarrerie", "Vacarmerie", "Mirmidon"... - tirées du pamphlet L'Ecole des cadavres. Certes, rien ne permet de dater avec certitude les feuillets d'Hergé et on ne retrouvera pas ces neufs mots dans les albums de Tintin. Mais désormais, on ne pourra plus parler de coïncidence : Hergé avait bien lu, plus qu'attentivement, au moins l'un des brûlots céliniens.

L'Express.fr, 15/11/2011.



Lire (juillet 2004) a demandé à des spécialistes de Céline et d'Hergé de réagir à la thèse d'Emile Brami. Leurs avis sont contrastés.

«Evident»
François Gibault, avocat, auteur d'une biographie de référence en trois volumes de Louis-Ferdinand Céline, parue au Mercure de France. «Emile Brami a découvert une perle, comme cela arrive parfois aux membres de la Société d'études céliniennes que je préside depuis une vingtaine d'années. Le rapprochement entre Bagatelles pour un massacre et les jurons du capitaine Haddock me paraît évident et je suis surpris que personne - y compris moi - ne l'ait établi plus tôt. Il y a trop de termes en commun pour que cela soit dû au hasard. La parenté entre les pamphlets céliniens et le personnage de Haddock se situe dans l'outrance (André Gide a d'ailleurs écrit que cette outrance l'empêchait de prendre au sérieux Bagatelles pour un massacre). Tout comme Céline, Hergé critique la société bourgeoise par le grotesque et la dérision. Haddock est un personnage célinien, caricatural, extravagant, qui fait parfois penser au Courtial des Pereires de Mort à crédit. Par ailleurs, ce rapprochement confirme que, consciemment ou inconsciemment, la révolution célinienne a touché tous les auteurs, y compris Hergé. On ne peut plus écrire après Céline comme on écrivait avant.»

«Sceptique»
Benoît Peeters, scénariste, auteur de Hergé, fils de Tintin, biographie passionnante publiée chez Flammarion en 2002. «Ce rapprochement entre Bagatelles... et les jurons de Haddock me laisse sceptique. Pour ma biographie, j'ai lu de nombreuses correspondances d'Hergé - y compris celle avec Robert Poulet - et jamais le nom de Céline n'y apparaît. Hergé n'était pas un grand lecteur de romans. Il lisait surtout pour se documenter (National Geographic, Le Crapouillot). Mais rien n'indique qu'il ait eu entre les mains Bagatelles pour un massacre ni même le Voyage au bout de la nuit, d'ailleurs. Son admiration le portait plutôt vers un écrivain comme Montherlant, certes plutôt à droite, mais par bien des côtés aux antipodes de Céline. D'une manière générale, il s'intéressait peu à la littérature et encore moins à la littérature antisémite, même si l'abbé Wallez, qui exerça une grande influence sur lui, pouvait se montrer antisémite. Par ailleurs, il me semble qu'Hergé et Céline n'utilisent pas les insultes tout à fait de la même manière: le père de Tintin détourne des mots déjà existants en se laissant guider par les sonorités, alors que Céline invente, crée des néologismes. Je crois donc que le rapprochement relève plus d'une coïncidence que d'une influence

«Une vieille tradition»
Albert Algoud, auteur du Petit Haddock illustré, recueil commenté des jurons du capitaine (Casterman). Rédacteur en chef de Fluide glacial.
«Peut-être Hergé avait-il lu Céline, bien que nulle part il n'y ait fait référence. En revanche, dans une interview de 1960, il cite Proust, qui, dans Sodome et Gomorrhe, demandait: "Pourquoi tonnerre de Brest? "La tradition de l'invective ne se limite pas à l'extrême droite. On pourrait établir des rapprochements entre les jurons de Haddock et les emportements de polémistes libertaires ou ceux d'écrivains politiquement inclassables. Je pense à Ubu roi de Jarry, auquel Hergé a d'ailleurs emprunté l'idée d'un Etat "bordure". On trouve, notamment à l'acte V, scène II d'Ubu roi des bordées d'injures: "Musulman! Mécréant! "ou "Savoyard! Mouchard! " Ce goût pour les listes d'invectives existe aussi chez Marcel Schwob, par exemple dans son texte De la controverse politique, dite polémique (1926). On y trouve des "Jocrisse", "Accapareur" ou"Vampire", également proférés par Haddock. On pourrait encore citer Rabelais, l'anarchiste Laurent Tailhade, qui usa de "moule à gaufre", Tristan Corbière, familier de "Mille sabords"... Sans compter les surréalistes belges des années 1930. Hergé, qui comme tout créateur fonctionnait comme une éponge, s'inscrit dans cette pratique littéraire de l'invective qu'en dépit de son génie Céline n'inventa pas

Louis-Ferdinand Céline sur Radio Courtoisie - Mercredi 16 novembre 2011 - de 18 à 21h

Emmanuel Ratier consacrera son Libre Journal du mercredi 16 novembre 2011 à Louis-Ferdinand Céline. Une émission exceptionnelle de trois heures (18 à 21h) avec pour invités : Marc Laudelout (Le Bulletin célinien), David Alliot (D'un Céline l'autre), Alain de Besnoit (Céline et l'Allemagne, 1933-1945), Marc Hanrez (Céline), Philippe Alméras (Céline entre haines et passion), Joseph Vebret (Spécial Céline), Arina Istratova, Valéria Ferretti, et Matthias Gadret (www.lepetitcelinien.com).


Radio Courtoisie
Mercredi 16 novembre 2011
De 18 à 21 h
www.radiocourtoisie.net


>>> Ecouter l'émission ici.

lundi 14 novembre 2011

Les Entretiens du Petit Célinien (IV) : Christophe MALAVOY

Pour son quatrième entretien, Le Petit Célinien a donné la parole à Christophe Malavoy. Acteur, réalisateur, metteur en scène, écrivain, Christophe Malavoy travaille actuellement à la réalisation d'un long-métrage consacré à l'exode de Louis-Ferdinand Céline, ainsi qu'à une adaptation théâtrale des Entretiens avec le Professeur Y. Il est également l'auteur d'un ouvrage paru cette année, aux éditions Balland : Céline, même pas mort !.

Ce livre, qui a pour titre Céline, même pas mort !, est un véritable manifeste de votre part. Pourquoi avoir ressuscité l'auteur de Voyage au bout de la nuit l'année du cinquantième anniversaire de sa mort ?
Je ne l’ai pas ressuscité, pour la simple raison que Céline n’a pas besoin de moi ni de quiconque pour exister. C’est encore le plus lu des auteurs aujourd’hui. Anniversaire ou pas, Céline reste, qu’on le veuille ou non, l’auteur qui aura mis la littérature en mouvement et n’aura pas, comme il le dit très justement, laissé le temps à l’émotion de s’habiller en phrase. Je n’ai pas attendu le cinquantième anniversaire de sa mort pour écrire sur Céline. On n’écrit pas un livre sur Céline, comme ça, parce qu’on n’a pas d’autre chose à faire. Cela fait longtemps que je m’intéresse à Céline, et plus précisément quatre ans que je travaille sur un projet de long-métrage sur une partie de la vie de Céline, avec toutes les difficultés de mise en production que vous pouvez deviner. L’écriture du livre répond à une démarche de créer une dynamique pour favoriser la réalisation du film. Je ne pensais pas du tout écrire un livre sur Céline. Les choses se sont présentées comme ça. On croit décider de tout mais le plus souvent ce sont les évènements qui décident pour vous. On ne fait rien d’autre que de suivre ce qui a été décidé, parce que cette chose-là était tout naturellement déjà en vous.

Pour écrire ces entretiens, vous avez pris la liberté de mêler fiction et réalité. Quelles sont les raisons qui ont dicté un choix aussi téméraire ? D'une façon générale, quel accueil a reçu votre ouvrage ?
La seule raison qui vaille en littérature, c’est de prendre des libertés. C’est d’ailleurs ce que n’a pas cessé de faire Céline : Prendre des libertés. Que ce soit avec la grammaire, la syntaxe, le vocabulaire, la ponctuation, mais aussi le conformisme, l’académisme, le politiquement correct… Ce qui a dicté mon choix, c’est simplement de faire vivre Céline, de l’animer, de le sentir bouger, de ne pas en faire un cliché, une momie, de lui donner de la chair, du souffle, de la colère, de la tendresse, de faire entendre sa souffrance, sa poésie autant que ses excès… et surtout, de ne pas faire ce qui a déjà été fait. J’ai voulu un Céline vivant, loin des cercles et des salons, loin des commentaires, des explicââtions, de ceux qui ont des avis, des idées… j’ai voulu être le plus proche de Céline quand il dit « j’ai pas d’idées moi ! aucune ! je trouve rien de plus vulgaire, de plus commun, de plus dégoûtant que les idées ! (Entretiens avec le Professeur Y) Ce qui m’a dicté, c’est surtout une musique, la petite musique de la phrase, le ton juste… la vérité du « bouton de col à bascule. »
Quant à l’accueil que mon ouvrage a reçu, je n’en ai aucune idée. Mon éditeur ne m’a pas adressé un mot depuis la sortie du livre. Silence radio. Il est peut-être mort, je ne sais pas. Je ne lis pas les rubriques nécrologiques, je suis donc très mal informé. La seule chose que je sais, c’est que ceux qui lisent m’adressent parfois un petit mot via mon site internet [www.christophemalavoy.com] et me disent le plaisir qu’ils ont eu à la lecture. C’est déjà beaucoup. Et je les en remercie…

Dans les toutes premières pages du livre, vous êtes pris à partie par un donneur de leçons qui n’a pas lu Céline. Ne pensez-vous pas que la personnalité peu avenante de l’écrivain soit un frein à l’envie de découvrir son œuvre ? Comment susciter le désir de lire Maudits soupirs pour une autre fois, ouvrage que vous considérez, « peut-être », comme le chef-d’œuvre de Céline ?
Ce que j’ai voulu dire en ouverture du livre, c’est que les « idées reçues » font plus facilement et même plus dangereusement leur chemin que l’opinion personnelle que chacun peut tirer de telle ou telle lecture. Il est assez surprenant de constater que tout le monde a un point de vue sur les pamphlets de Céline alors que très peu de gens les ont eus entre les mains, et par conséquent, les ont lus. Mais tout le monde s’accorde pour répéter ce que chacun a pu entendre dire, combien ils sont violents, abjects, nauséabonds… c’est en général les adjectifs que l’on entend. C’est cela que j’ai voulu mettre en relief et contre lequel je m’élève : condamner sans avoir vu, en l’occurrence sans avoir lu. Vous même, vous dites « la personnalité peu avenante de l’écrivain n’est-elle pas un frein à l’envie de découvrir son œuvre ? » C’est extraordinaire d’imaginer qu’il faudrait une personnalité avenante pour avoir envie d’aller vers un auteur et de le découvrir. Le pire des vices peut être un défaut en morale, pas en littérature. Vous imaginez le nombre d’auteurs qui ne seraient jamais lus ? Le meilleur de la littérature n’est que très rarement écrit par des gens « comme il faut », des gens « avenants » comme vous dites. Sade est-il un salaud ? Tolstoï est-il un salaud quand il écrit La sonate à Kreutzer ? Le plus violent pamphlet contre les femmes. Doit-on faire approuver sa façon de penser par la morale des autres ? « Ce n’est pas ma façon de penser qui a fait mon malheur, disait Sade, c’est celle des autres. » Savez-vous ce qui relie des auteurs aussi différents que le Marquis de Sade, Voltaire, Villon, Chénier, Chamfort, Chateaubriand, Victor Hugo, Vallès, Céline… la liste est longue… eh bien, c’est la prison et l’exil, et je ne parle pas de tous ceux qui ont eu maille à partir avec la justice comme Flaubert, Baudelaire et bien d’autres… La littérature a été portée par la folie, sinon par la maladie, avec des noms aussi illustres que Lautréamont, Proust, Kafka, Nietzsche, Céline… que cherche-t-on ? Des histoires d’amour qui finissent bien ?... Une morale bien bourgeoise qui sauvegarde les apparences et protège les atteintes aux mœurs ?... Vous me demandez comment susciter le désir de lire Maudits soupirs pour une autre fois, il y a dans cette œuvre la féerie d’un Marc Chagall et les hallucinations d’un Goya ou d’un Jérôme Bosch. André Gide avait d’ailleurs, à mon sens, très bien résumé le style célinien. « Ce n’est pas la réalité que peint Céline, disait-il, mais l’hallucination que la réalité provoque. » Maudits soupirs… est une première version de Féerie pour une autre fois. Je la trouve personnellement supérieure.

Le lecteur pourrait vous reprocher une certaine mansuétude à l'égard des engagements idéologiques qui ternissent l'œuvre de Céline. N'avez-vous pas le sentiment, en développant une rhétorique que d'aucuns pourraient qualifier de spécieuse, d'être l'avocat du diable ? N'y a-t-il aucune provocation à faire dire à Céline : « Qui est responsable des charniers de Katyn et de Vinitzia ? » ou « A côté de Staline, Hitler était à l'époque un jeune puceau ! » ?
Je n’épargne pas l’hystérie antisémite de Céline ni ses furies antibourgeoises, anticommunistes, anticléricales, antimilitaristes… je tente de mettre en lumière toutes les contradictions du personnage et elles sont nombreuses. Je donne la parole aux faits et restitue ce qu’il a dit avant la guerre, bien avant l’extermination des Juifs par les nazis, mais aussi ce qu’il a pu dire après la guerre, comme par exemple ce propos sur l’antisémitisme qu’il confie en 1947 à un étudiant américain, Milton Hindus, lors d’un échange épistolaire qui sera réuni par ce dernier dans un livre L F Céline tel que je l’ai vu. Il dit ceci : « Il n’y a plus d’antisémitisme possible, concevable – L’antisémitisme est mort d’une façon bien simple, physique si j’ose dire… il est temps de mettre un terme à l’antisémitisme par principe, par raison d’idiotie fondamentale, l’antisémitisme ne veut rien dire – on reviendra sans doute au racisme, mais plus tard et avec les juifs – et sans doute sous la direction des juifs si ils ne sont point trop avilis, abrutis – ou trop décimés dans les guerres. » Ce que les gens savent peu, c’est que Céline avait une véritable admiration pour les juifs, il appréciait leur intelligence, leur sens de la solidarité, leur côté messianique… paradoxalement, il a pu dire « Vive les juifs bon Dieu ! » ou encore « j’étais fait pour m’entendre avec les youtres ! ».
Je ne porte pas un jugement moral sur l’homme ni sur l’écrivain, mais je tente de comprendre la « tragédie » de Céline et comment la mort, la grande inspiratrice de toute son œuvre, va le conduire jusqu’au bout de la nuit. Je remets l’homme au cœur du contexte, au cœur de l’histoire sans laquelle on ne peut saisir les enjeux. Je ne pense pas qu’il y ait provocation à faire dire à Céline « À côté de Staline, Hitler était à l’époque un jeune puceau ! » ni même « Qui est responsable des charniers de Katyn et de Vinitzia ? » N’oubliez pas le contexte dans lequel je les fais dire à Céline. Si vous sortez ces phrases de leur contexte, elles peuvent apparaître comme vous dites provocantes, mais si vous les replacez dans le contexte, c’est autre chose… nous sommes en 1938, avant l’Holocauste, quand je fais dire à Céline « …Et le danger à l’époque, c’était qui ? Hitler ou Staline ?... Qui a déporté durant la collectivisation des terres des millions de personnes dans les camps de travail du goulag en Sibérie ?... et qui les a fait crever d’épuisement et de faim ?... Qui a réalisé les Grandes Purges de 1937 ?... qui ont encore fait des milliers de morts et disparus ?... Qui a fait déporter intégralement toutes les minorités du pays ? Qui a sédentarisé par la force toutes les populations nomades d’Asie centrale ?... Qui a nié l’existence des famines de 1932 et 1933 qui ont fait encore des milliers de morts ?... Qui a créé la police politique ?... la redoutable Tcheka, véritable rouleau compresseur des libertés individuelles ?... Qui a créé les juridictions spéciales du NKVD qui décrétaient sans appel les sentences de mort ?... Qui est responsable des charniers de Katyn et de Vinitzia ? Des milliers d’officiers polonais abattus d’une balle dans la nuque ? Toute l’intelligentsia polonaise supprimée de la carte !... À côté de Staline, Hitler à l’époque était un jeune puceau ! il faut se remettre dans le contexte de l’époque, je le répète, je rabâche, je sais, je gâtouille !... j’ai le droit, je suis vieux !... C’est bien facile de juger l’Histoire une fois qu’elle a eu lieu ! C’est comme les trains, c’est plus facile de les regarder passer que de les faire partir à l’heure ! »
Voilà le contexte. Pardonnez la longueur de la citation mais elle me semble nécessaire pour éclairer le lecteur. On ne peut pas citer le point sans le contrepoint. C’est usurper le sens, et c’est un peu commode.
Je ne pense pas faire preuve de mansuétude à l’égard des engagements idéologiques de Céline, je tente de faire comprendre les enjeux et la complexité des évènements dans une période très tourmentée dans laquelle il n’était pas si facile de voir clair. Pour la majorité des Français, le danger venait de l’Est et du bolchevisme qu’ils craignaient de voir s’étendre jusqu’à Brest. Beaucoup voyait en Hitler un rempart contre le danger bolchevique. L’Histoire s’écrit toujours du côté des vainqueurs. Il faut se méfier des raccourcis et des idées reçues. Et quand on cite une phrase, toujours la remettre dans le contexte. C’est le devoir du journaliste comme de l’Historien. Vous connaissez l’aphorisme, « donnez-moi deux phrases de n’importe qui et je le ferai pendre ! ».

On a parfois le sentiment que « Ferdinand furieux » sert de porte-voix idéal pour esquinter, entre autres... la presse, les éditeurs, les hommes de lettres, le cinéma, la musique, la politique, la télévision, la publicité, la finance, le bonheur, l'humanité, l'école, la culture... N'est-il pas devenu commode de fulminer dans l’ombre de « l’homme en colère » ? Pensez-vous par ailleurs que « l'accomplissement de l'homme se fasse dans la résistance (...) » ?
Je n’ai pas le sentiment avec ce livre de me mettre dans l’ombre de « l’homme en colère ». Ecrire un livre sur Céline est un travail très délicat qui nécessite une connaissance de l’œuvre mais aussi de l’Histoire dans laquelle cette œuvre a vu le jour. Céline est un grand chroniqueur, comme il aimait d’ailleurs se définir lui-même, et à ce titre il avait une grande admiration pour des personnalités comme Jean de Joinville ou encore Philippe de Commynes. Mon travail sur la vie et l’œuvre de Céline m’ont conduit à en saisir la grande modernité, et de le mettre au cœur de la réalité d’aujourd’hui me semblait être intéressant pour mettre en relief sa contemporaénité. Que dirait-il de la presse, des éditeurs, des hommes de lettres, du cinéma, de la télévision, de la publicité, de la finance… il dirait, je pense, la même chose, et même pire, car l’homme n’a hélas pas changé, il est toujours aussi lourd, vulgaire, « rampant, abruti, pénible de lenteur insistante »… c’est en cela que Céline est moderne, de toutes les époques, et ses colères sont encore aujourd’hui criantes de vérité… c’est cela que j’ai voulu mettre en avant. Je me sers bien sûr de Céline pour dire certaines choses comme Platon se servait de Socrate… Et cependant, même quand Céline parle de Houellebecq, de madame Bettencourt ou des moines de Tibérine, comme je le lui fait dire, c’est en partie le vrai Céline qui parle… ce sont ses mots parfois qui jaillissent… seuls les céliniens, bien sûr, peuvent reconnaître la phrase originale. À ce propos, il y en a un qui s’est fait prendre au piège. J’en suis vraiment désolé pour lui. C’est le critique du Nouvel ObservateurNouvel Obs/ 9-06-11 - qui, après avoir dit que j’avais écrit n’importe quoi, et pour bien souligner sa connaissance de l’œuvre de Céline et surtout illustrer la médiocrité de mon livre, termine en ces termes : « Imagine-t-on Céline dire : « Le monde est un théâtre, je ne suis plus de l’acte qui se joue. » Manque de chance, ce monsieur, qui ne connaît sans doute pas bien Céline - on ne peut pas bien sûr le lui reprocher – est tombé pile sur une des phrases de Céline lui-même, une phrase au demeurant très belle, mais ça, faut-il encore un peu de finesse et de goût pour s’en rendre compte. On ne peut pas non plus le lui reprocher. C’est toujours mieux de parler des choses que l’on connaît. Comme disait Coluche…
Quant à savoir si l’accomplissement de l’homme se fait dans la résistance, je pense que Céline en est un bel exemple. Sa vie entière fut bâtie sur la résistance… résistance au conformisme, à l’académisme, à l’ordre établi, à la pensée bourgeoise, « bien butée et bien conne », à l’insignifiance, à la bêtise, à « ce vague ronron d’optimisme, cet accompagnement de tisanes, ce chœur de niaiseries digestives », Céline n’a pas cessé de résister à l’idée reçue, aux stéréotypes, à la norme… mais aussi à la maladie, les migraines, les névralgies, les insomnies, les crises de palu, les vertiges, les déficiences biliaires, les maux intestinaux, les rhumatismes, la paralysie du bras et de la main… celle qui écrit… l’accomplissement de Céline, il est, comme disait Nietzsche, dans cette victoire sur la douleur par la Connaissance. La connaissance de l’homme et de l’art littéraire. Oui, comme l’art naît de la contrainte, je pense que l’homme s’accomplit dans la résistance. C’est le b.a ba de la psychanalyse.

A propos d'opposition, nous connaissons votre détermination à vouloir adapter Céline au cinéma, ainsi que les difficultés que vous rencontrez depuis plusieurs années (lire à ce sujet l'interview réalisée par David Alliot, dans le deuxième numéro du trimestriel Spécial Céline). Qu'en est-il de votre projet de jouer les Entretiens avec le Professeur Y au théâtre ? Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Que représente le Professeur Y ?
Je poursuis cette âpre tâche qui consiste à trouver un partenaire financier pour mettre mon projet de long-métrage en production. C’est un travail qui demande beaucoup d’énergie, de courage et d’humilité. Le soutien des frères Brizzi qui collaborent au film pour sa partie animation m’est précieux. Ce sont des artistes de grand talent qui croient beaucoup au projet et s’y investissent avec passion. J’espère sincèrement que le film pourra se faire avec les moyens qu’il mérite. Un film tourné en cinémascope et en 3 D. Une version 2D est à mon avis également à envisager. Ce serait une grande première dans l’histoire du cinéma. Jamais Céline n’a été porté à l’écran. Il serait étrange de pouvoir faire des films sur Hitler, Staline, Franco, Pinochet, Pol Pot, Amin Dada… et que Céline fût censuré.
Quant aux Entretiens avec le Professeur Y, c’est un projet qui me tient à cœur pour sa dimension comique mais aussi pour son caractère très iconoclaste, son délire, et son anticonformisme. Céline s’y exprime très librement, avec beaucoup de fantaisie, et la confrontation avec le Professeur Y qui meurt de trouille et finit par faire dans son pantalon est un grand moment de comédie et de burlesque très jouissif. C’est aussi une mise en cause de la pensée unique, de la norme qui tuent nos sociétés standardisées.

Terminons cet entretien par une interrogation plus large. Céline affirmait : « Une langue c'est comme le reste, ça meurt tout le temps, ça doit mourir ». Pour le Bulletin célinien de juin 2011, Philippe Alméras répondait à la question posée par Marc Laudelout : « Pensez-vous, comme certains, qu'il pourrait devenir difficilement lisible par les nouvelles générations ? ». Réponse de l'intéressé : « Il lui arrivera sans doute ce qui est arrivé à Rabelais (qui, ne l'oublions pas, « a raté son coup ») : on apprendra le Céline pour lire Céline, comme on apprend le Rabelais pour lire Rabelais (...) ». En 2011, Christophe Malavoy écrit un livre qui a pour titre Céline, même pas mort ! Que restera-t-il de Céline et de son œuvre dans un siècle ?
J’ai le sentiment que la lumière de Céline nous parviendra encore dans un siècle, comme celles de Rabelais ou de Villon nous éclairent encore plusieurs siècles plus tard. Ce sont un peu comme des étoiles… Socrate, Platon, Epicure… sont toujours là. Que se passera-t-il dans un siècle ? Personne ne le sait, et pour cause… on peut citer Céline qui disait « ils achèveront plus tard mes livres, beaucoup plus tard, quand je serai mort, pour étudier ce que furent les premiers séismes de la fin, et de la vacherie du tronc des hommes, et les explosions des fonds d’âme… ils savaient pas, ils sauront ! »
Mais peut-on savoir ce que la postérité retiendra ? Les hommes savent-ils jamais la vérité sur ce qui se passe ? En littérature comme en toute chose, il faut beaucoup d’humilité. Juger les gens est toujours hasardeux… c’est très idiot… la littérature n’est pas un concours. Quelle importance… et qui sera là pour vérifier ? Mon sentiment est que Céline n’a pas fini de faire couler de l’encre… lui qui ne rêvait que d’une seule chose : Qu’on lui foute la paix, ce qui n’est pas le cas.

Propos recueillis par Emeric CIAN-GRANGÉ
Le Petit Célinien, 14 novembre 2011.

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