jeudi 24 novembre 2011

Justice rendue à Céline - Journal de Genève - 8 décembre 1961

Passé le temps de sa mort ou autour de l’homme et de l’œuvre, l’ancienne querelle a de nouveau flambé, Louis-Ferdinand Céline n’aura pas attendu longtemps d’être porté à cette manière de Panthéon littéraire qu’est la collection de « La Bibliothèque idéale » (1).
On en connaît la formule : l’homme y est présenté au gré de témoignages de ses contemporains, son curriculum est énoncé avec autant de précision que possible, puis l’œuvre est étudiée et avec une analyse des livres, des extraits, des critiques, une bibliographie, voire une discographie complètent ce qui, en dépit du format réduit, n’est pas loin d’être une somme et d’une vie et d’une œuvre.
Le traitement qu’on inflige à ces auteurs – morts ou vivants – promus à la gloire m’est apparu souvent inégal. Mais, en l’aventure, Céline a qui la chance n’a guère souri, au long d’une vie toute de tribulations, et tragiques à plus d’un tournant, a trouvé un commentateur qui, sans ignorer quelques-unes des erreurs de l’auteur du « Voyage au bout de la nuit » a su mesurer toute la signification d’une œuvre où s’inscrit la crise morale, sociale et politique d’une époque et qui demeurera dans l’histoire littéraire comme un prestigieux monument.
M. Marc Hanrez aura réussi à débarrasser la renommée de Céline de tout un lot considérable de jugements téméraires, vite devenus, par le redoutable truchement de la presse avide d’un prétendu nouveau et des hebdomadaires plus redoutables encore, des lieux communs. Avec lui, c’est à une véritable découverte que s’engageront bien des lecteurs pressés et nombre aussi de ceux qui croyant le connaître, se verront ouvrir bien des perspectives nouvelles quant à la pensée et à l’art de cet écrivain d’occasion – car sa vocation c’était la médecine – mais qui n’a été peut-être aussi grand que par son contact passionné avec le mal et la souffrance humaine.
A lire l’analyse de Marc Hanrez, on prend mieux conscience de ce qu’il y avait d’universel dans le témoignage de Céline et qu’au travers de ses grands morceaux prophétiques, il y avait et elle y est présente plus encore aujourd’hui – une lucide vision du monde. Même de ce qu’il a dit – et qu’on a tant contesté – sur le racisme, l’actualité vous fait voir que le racisme a changé de camp.
Mais M. Hanrez ne s’est pas borné à mettre à sa juste place l’œuvre entière, il a poussé plus loin ses investigations et son rapport et son apport en ce qui concerne l'étude de la langue et du style est d’un homme qui est allé à la racine même de l’art de Céline.
M. Hanrez est trop modeste qui veut laisser aux faiseurs de thèses de demain le soin de mettre au jour les secrets de l’écrivain et ses procédés : sur ce qu’il appelle la vicissitude des mots, sur l’argot, sur l’usage du calembour, il a mieux que jalonné l’œuvre à l’intention des chercheurs futurs, c’est – du vocabulaire à l’ordonnance de la phrase – un plan et un guide sans défautqu’il a dressé à l’intention de ce qui voudra goûter mieux, goûter dans plénitude le génie célinien.

Eugène FABRE
Journal de Genève, 8 décembre 1961.


1 – Marc Hanrez, Céline, La Bibliothèque idéale, Gallimard, 1961.
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> A écouter : Marc Hanrez était invité mercredi 16 novembre 2011 sur Radio Courtoisie.

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