lundi 28 novembre 2011

La correspondance à Alexandre Gentil

Dans le numéro de décembre de la Revue des Deux Mondes Olivier Cariguel présentera des lettres (inédites) de Céline à son confrère, le Dr Alexandre Gentil. Ci-dessous un article paru à l’occasion de la vente de cette correspondance en vente publique.

Trente-six lettres autographes de Louis-Ferdinand Céline, adressées de 1939 à 1948 au Dr Alexandre Gentil, directeur d’une clinique à Nogent-sur-Marne, spécialisée dans le traitement de la thyroïde, et ami très proche de l’écrivain, ont été acquises le 10 mai pour près de 100.000 euros par un collectionneur français. Ces 116 pages sont encore inédites. Les lettres adressées au Dr Gentil, qui avait connu le Dr Destouches au Val de Grâce pendant la Première Guerre mondiale, sont importantes pour la compréhension des années « noires » de l’auteur, sa fuite en 1944, son emprisonnement au Danemark jusqu’en 1947, puis son exil sur les bords de la Baltique jusqu’en 1951. Il est l’un des premiers correspondants de Céline en prison. C’est aussi l’une des rares personnes que l’auteur de Nord avertit de son départ en 1944. Encore faut-il préciser qu’il n’indique pas que Lucette et lui quittent la France pour l’Allemagne : « Il a fallu d’une façon pressante partir à la campagne ! Bien chagrinés tous les deux de ne t’avoir pas vu avant le départ ! ». Alexandre Gentil, partisan de la Collaboration (il était membre du Cercle européen), n’est guère connu des céliniens. Seuls des livres à lui dédicacés par Céline étaient connus jusqu’ici. En 1995, Jean-Paul Louis lui consacra une notice de son Index analytique des Lettres à Marie Canavaggia car, dans cette correspondance, Céline le cite comme témoin à décharge au moment de l’instruction de son procès. Pendant l’Occupation, Gentil « élève des lapins à Saint-Mandé et vient parfois rue Girardon, le samedi, où il dort sur place pour cuisiner le lendemain un de ces animaux ». En 1939, Céline est, on le sait, à la recherche d’un emploi : « Je suis pourri d’ambition. On me dit qu’il n’y a pas de médecin à l’opéra, est-ce exact ? Qu’ils sont tous partis plus ou moins en zone libre… Pour raisons juives… Ces bruits m’affriolent... ». Dans une lettre ultérieure, il précise : « Pour l’O.C. [Opéra Comique] je me suis expliqué de travers. Je serai bien entendu infiniment flatté d’être de l’O.C. Mais tu sais le chant, moi… Je ne suis pas initié. Tandis que je suis féru, ravagé par la danse. Alors puisqu’il s’agit de mirages ! Je préfèrerais l’opéra. C’est dans ce sens que je t’écrivais. Et pour que simplement tu tâches de savoir par “ceux” de l’opéra s’ils ont des disponibilités éventuelles – lointaines… Vaguement possibles… À moins que la chose soit simplement comme je le soupçonne tout bonnement réservée aux juifs et aux internes. Dans ce cas il faudrait que je me dispose encore à provoquer l’émeute. C’est bien mon souci... ». Céline obtiendra finalement un poste de médecin-chef au dispensaire de Bezons, comme on sait. En vacances, il lui adresse une vue de Saint-Malo : « Te voici aux grandes récoltes certainement ! Pendant que nous folâtrons au bord des océans. Nous irons te voir dans ta Thélème ! ». C’est encore le temps de la relative insouciance. En exil, il vitupère contre Gen Paul : « Il est dans la tradition des peintres ivrognes et maudits. Son rêve d’ailleurs c’est que tout le monde crève sur la butte. Et qu’il demeure seul avec tout le vin et toutes les filles. C’est un monstrueux égoïste délirant et l’esprit du mal, c’est le diable. ». Propos plus ambivalent à l’égard de sa secrétaire Marie Canavaggia : « Admirable mais imbaisable (…) – donc platonique et hystérique – et Corse. Jalouse de Lucette à en crever... ». Évoquant son séjour à Sigmaringen, il précise qu’il n’y a trouvé « que trois véritables patriotes : Laval que je n’aime pas, le Dr Jacquot et moi-même – patriotes absolus déroulédiens fourvoyés – trompés. ». Tout serait à citer. Une correspondance assurément passionnante qui fera un jour, espérons-le, l’objet d’une publication.

Marc LAUDELOUT
Le Bulletin célinien n°331, juin 2011.

Source : Catalogue Artcurial, « Vente 1975 – Livres et manuscrits – 9 et 10 mai 2011 – Paris – Hôtel Marcel Dassault ».

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