mercredi 31 août 2011

En kiosque : Spécial Biographie n°4

Le magazine "Spécial Biographie" consacre 8 pages à Céline dans son numéro 4 (août, septembre et octobre 2011) avec un article de Pauline Pouzankov "Louis-Ferdinand Céline, voyage au bout de sa vie". En vente en kiosque ou sur www.journaux.fr.

De Destouches à Céline - Nonfiction.fr - 29 août 2011

Ça a débuté comme ça. En 1936, l’“année de tous les dangers”, dit Henri Godard, l’année où Céline a basculé dans un antisémitisme furieux. Lui l’écrivain à succès, lui l’écrivain à scandales, lui qui a ouvert de si nombreuses portes littéraires avec Voyage au bout de la nuit ferme désormais la porte à la critique et à ses semblables.

Comment en est-il arrivé là ? C’est la question que pose Henri Godard dans l’imposante biographie qu’il fait paraître chez Gallimard. Imposante mais loin d’être indigeste. Toute la force de Godard est là : ces quelque 580 pages ne racontent pas Céline. Elles l’analysent, le sondent, l’expliquent dans la mesure du possible. Comment Louis Destouches, le petit garçon obéissant promis au même avenir de petit commerçant que ses parents en vient-il à écrire le plus perturbant des romans de la première moitié du XXe siècle ? Comment ce médecin attaché à éduquer les classes populaires à l’hygiène et à soigner gratuitement les plus démunis en est-il venu à nourrir les idées les plus atroces à l’endroit des juifs et à produire les pamphlets de la violence que l’on sait ?

Déchiffrer Destouches
Pour tenter de répondre à ces questions, Henri Godard ne garde de la vie de Céline que l’essentiel, ce qui explique son cheminement littéraire et humain, plus imbriqué chez lui que chez n’importe quel auteur. Godard ne s’embarrasse pas des détails, il oublie le superflu, ce qui, dans la vie de Destouches n’a pas mené à Céline, ce qui, dans la vie de Céline, n’a pas mené à grand-chose. Sa première femme, sa fille, ses relations stériles, son travail journalier, son quotidien sclérosant. Il ne conserve que ce qui fournit des bribes d’explication, des pistes parfois floues, souvent entremêlées, pour comprendre qui était cet homme qui a suscité tant d’admiration et déchaîné tant de haines.

Et Henri Godard n’est pas toujours tendre avec Céline. Au-delà même de son antisémitisme, l’auteur reproche à l’écrivain ses contradictions, ses petits arrangements avec la vérité. Le mythe qu’il a bâti autour de son enfance , ses rapports avec ses parents, le harcèlement et la haine dont il affirme faire l’objet, témoin de sa paranoïa maladive. L’auteur n’hésite pas à pointer les carences scientifiques de sa thèse, et le plagiat éhonté dans ses pamphlets d’articles antisémites eux-mêmes plagiés d’œuvres pseudo-scientifiques. Godard démonte méticuleusement les affirmations parfois tardives de Céline : il montre, correspondance à l’appui, à quel point le jeune Destouches était choyé sinon surprotégé par ses parents, qui mandataient, encore pendant son service militaire, ses supérieurs pour leur écrire des lettres les informant de sa santé physique et mentale. Les Destouches se sont saignés aux quatre veines pour payer à leur fils unique les séjours à l’étranger nécessaires à ses études. Louis Destouches est alors un jeune homme docile, soucieux dans ses lettres de satisfaire ses parents. Nous sommes loin du publiciste antijuif enragé des années 1930, et Godard est inspiré de nous montrer le Louis d’alors, le Louis qui aurait pu reprendre le commerce maternel et ne jamais devenir Céline.

Le tournant de la guerre
1914 va tout bouleverser. Louis Destouches est mobilisé, appelé à se battre contre l’ennemi d’Outre-Rhin. Dans les tranchées, l’écrivain connaît l’infernal ballet des mitraillettes et des obus, et rencontre, abasourdi, le côté le plus sombre de la nature humaine. Henri Godard interroge le patriotisme forcené que Destouches montre dans sa correspondance : faut-il y voir un patriotisme de circonstance où les prémices d’un nationalisme raciste dont Céline se fera l’apôtre ? Volontaire pour une mission dangereuse, Destouches en revient grièvement blessé, et est éloigné du front jusqu’à la fin de la guerre. Le jeune homme n’est pas encore devenu Céline, mais il n’est plus vraiment lui-même. Fataliste, il est persuadé que la guerre est amenée à se répéter de façon cyclique et inexorable. Choqué, il n’en tire pas moins les honneurs auxquels il peut prétendre, la reconnaissance de ses pairs, de sa famille, de son entourage qui font de lui un héros de guerre. Ce sentiment d’avoir vécu le pire et d’en avoir triomphé ne quittera plus le Céline écrivain, qui jouera, jusqu’à la fin de son statut de rescapé-éclopé, de sage qui sait car il a vu.

En 1915, Louis Destouches quitte la France pour Londres, où il fera l’apprentissage des bandes de copains et d’une certaine forme de débauche. Henri Godard souligne avec finesse ce changement abrupt dans la vie du jeune homme, premier pavé sur le chemin de sa nouvelle identité. De petit garçon obéissant et jeune soldat capricieux, Louis Destouches est devenu un homme porté sur les femmes et les distractions, au caractère affirmé. Henri Godard utilise abondamment la correspondance de Céline, qui restera conséquente jusqu’à la fin de sa vie, pour étayer son propos. Hygiéniste à la Société des nations, il écrit des lettres d’une grande familiarité à son supérieur hiérarchique, distillant son avis acerbe sur ses collègues . On sent déjà poindre la plume si particulière de l’écrivain, dix ans avant la rédaction de Voyage.

Le tournant antisémite
1936 marque un deuxième palier, plus sensible encore dans la vie de l’écrivain. Henri Godard y consacre un chapitre entier. Le Front populaire et la montée du fascisme en Europe créent un climat délétère où les mouvements d’extrême droite s’en prennent de la façon la plus virulente qui soit à la gauche et aux Juifs, boucs émissaires désignés. Céline a connu un succès notable avec Voyage au bout de la nuit, succès polémique qui attendait d’être confirmé avec le deuxième roman de l’auteur : Mort à crédit. Ce dernier, publié en 1936, n’obtiendra pas les suffrages escomptés. Pour Henri Godard, l’actualité politique et le racisme ambiant vont s’ajouter à la violente déception de l’écrivain, et révélé sa haine envers les Juifs. Peut-on expliquer cette poussée antisémite uniquement par le revers littéraire essuyé par Céline ? Probablement pas, et ce n’est pas le propos de Godard. L’auteur insiste à maintes reprises sur l’antisémitisme latent de Céline, antisémitisme daté et partagé alors par une majorité de Français sans créer de volonté de nuire aux Juifs pour autant. Il rappelle également que Céline a fait son éducation notamment littéraire seul, en lisant des revues de jeunesse, dans lesquelles les présupposés racistes étaient légion. Autant d’éléments qui peuvent éclairer le déchaînement soudain de Destouches envers les Juifs, mais ne peuvent se comprendre qu’à la lueur de son caractère.

C’est ce qu’Henri Godard s’attache à montrer dans son ouvrage : Céline était un génie littéraire, mais un homme complexe, perclus de paradoxes, écartelé entre paranoïa et mégalomanie. Un caractère difficile, que l’on approche bribe par bribe, au gré des chapitres et des morceaux choisis par Godard de sa correspondance. On découvre un Céline persuadé que le monde entier , lui en veut et lui fera, un jour, payer ses écrits. Une idée fixe que l’écrivain développe alors même qu’il n’a pas commencé sa carrière de pamphlétiste . Au fil des pages, la figure d’un Céline sûr de son talent et de son apport à la littérature se confirme également. Sa correspondance avec son éditeur, Denoël en atteste : Céline refuse que soit changée la “moindre virgule”, et lorsque l’éditeur lui demande de réécrire quelques passages, jugés obscènes, de Mort à crédit, Céline préfère laisser des blancs. Dans ses correspondances, l’écrivain s’offusque également de ne pas recevoir de récompense littéraire, ce qui alimente encore sa paranoïa et lui fait dire que le monde de la critique est, évidemment, dominé par les Juifs. Sûr de lui, Céline refuse de se mettre au niveau de ses lecteurs, de leurs attentes. Une surdité qui explique, selon Godard, le peu d’écho qu’aura Mort à crédit en 1936 .

Que garder de Céline ?
Comment se situer aujourd’hui dans la “polémique Céline”, relancée par les cinquante ans de sa mort et son exclusion de la liste des célébrations nationales pour 2011 ? Difficile pour un célinien tel que Godard de ne pas prendre parti. Pourtant, l’auteur y parvient, avec une fois de plus, beaucoup de finesse. Henri Godard a pris la décision de ne pas reproduire de passages des pamphlets de Céline , mais, pour illustrer l’antisémitisme virulent de l’écrivain, de publier quelques-uns des passages de ses lettres les plus violentes. La vie de Louis Destouches a copieusement servi l’œuvre de Céline, qui puisera, jusqu’à la fin, dans ses souvenirs pour écrire ses romans : on ne peut comprendre Céline sans embrasser toute son œuvre. Henri Godard est ainsi persuadé que les pamphlets seront un jour réédités, avec des notes et explications, car pour lui, l’atrocité de leur contenu ne doit pas masquer l’apport essentiel qu’ils offrent à la compréhension de l’écrivain, en tant qu’homme, mais également en tant qu’artiste. Et Godard de souligner que le travail minutieux et perfectionniste de Céline pour ses romans se transforme en logorrhée incontrôlable dans les pamphlets, sans rien pour autant gâcher du verbe . Mais pour l’auteur, Céline n’est pas que l’infâme antisémite et l’écrivain de talent. Un des grands apports de cette biographie est également de nous faire découvrir un Céline passionné de musique et de danse, qui tentera, à plusieurs reprises de publier des arguments de ballets et des légendes.

L’œuvre de Céline est absolument indissociable de ce qu’il est intrinsèquement. Céline n’est pas qu’un nom d’emprunt, il est ce que Louis Destouches est devenu, pour le pire comme pour le meilleur. L’écrivain le sait et ne renie aucun de ses écrits. Pis, il se joue des critiques, et utilise, sans sourciller, sa fuite en Allemagne et son passage à Sigmaringen pour alimenter le premier roman de sa dernière trilogie, D’un château l’autre, conscient que parler de sa fuite collaborationniste au début des années 1950 fera scandale. Mais Céline ne craint pas le scandale. Il l’a cherché toute sa vie, a provoqué polémiques et disputes aves ses confrères, n’a jamais hésité à donner son avis, plus fort, plus violemment, toujours, que les autres. Louis Destouches mourra Céline, épuisé, jamais vraiment remis de ses années danoises. Céline mourra antisémite, ruiné, mais jamais vraiment ébranlé dans ses certitudes. Ca s’est terminé comme ça.

Clémence ARTUR
Nonfiction.fr, 29/08/2011.

Article extrait du dossier sur Céline de Nonfiction.fr, coordonné par Alexandre Maujean.


>>> Henri Godard, Céline, Gallimard, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

D’un Céline l’autre : un portrait en éclats - Nonfiction.fr - 29 août 2011

Le volume de 1171 pages intitulé D’un Céline l’autre rassemble après une courte préface de François Gibault et une biographie synthétique (d’une centaine de pages tout de même) rédigée par David Alliot, deux cents témoignages chronologiquement classés sur la vie de Louis-Ferdinand Céline. Ces textes variés offrent un portrait en éclats du médecin Louis Destouches, du romancier Céline et de l’auteur dépourvu de remords des pamphlets antisémites. Les témoignages sont suivis par des annexes : deux cartes (les banlieues de Céline, sa fuite en Allemagne), une chronologie, une bibliographie et un index des noms propres. On appréciera particulièrement la mise en contexte systématique réalisée par de courtes introductions et par des notes en général très bien faites.

En revanche, David Alliot s’abstient volontairement de commenter les témoignages, sauf pour signaler d’éventuelles coquilles ou inexactitudes. Il laisse ainsi au lecteur toute liberté de recomposer le portrait de Céline vu par ses contemporains dans toute sa diversité. Comme pour l’édition des Lettres de Céline par Henri Godard et Jean-Paul Louis dans la “Bibliothèque de la Pléiade”, le choix judicieux a été fait de respecter la chronologie. Le lecteur peut ainsi suivre l’ensemble de la vie de Céline au fil de ces témoignages plus ou moins nombreux (ils sont particulièrement rares sur la période anglaise, mal connue) qui vont d’une main courante de l’école de la rue d’Argenteuil à un entretien de 1985 avec Lucette Destouches.

Entre-temps, le volume nous aura fait parcourir les principales étapes biographiques qui transforment Destouches en Céline (je reprends ici les principales sections de l’ouvrage) : “La jeunesse (1894-1912)”, “Le cuirassier Destouches (1912-1914)”, “La guerre (1914-1915)”, “L’Angleterre (1915-1916)”, “L’Afrique (1916-1917)”, “La fondation Rockefeller (1918-1919)”, “La vie du Carabin Destouches (1919-1924)”, “À la Société des nations (1924-1927)”, “Céline à Clichy (1927-1937”, “La publication de Voyage au bout de la nuit (1932-1933)”, “La publication de Mort à crédit et les pamphlets (1934-1939)”, “Le voyage à Léningrad (1936)”, “L’Occupation (1940-1944)”, “De Baden-Baden à Siegmaringen (1944-1945)”, “L’exil danois (1945-1951)”, “Meudon-Célingrad (1951-1961)”.

Des éclairages nouveaux sont apportés par ces témoignages dont les deux tiers étaient, avant la publication de ce volume, difficiles d’accès pour le grand public ou inédits. La diversité des témoignages, dont certains sont bien sûr sujets à caution, d’autant qu’ils sont souvent écrits a posteriori, fait apparaître des aspects divers, et parfois contradictoires, d’un personnage qui a particulièrement frappé ses contemporains. Les provenances en sont très diverses : correspondances, journaux intimes, mémoires, entretiens, extraits de romans (celui d’Édith Follet, par exemple), etc. Il est difficile de donner une idée de ce livre foisonnant, que l’on peut lire dans la continuité chronologique aussi bien que dans le désordre – comme un hypertexte – pour y découvrir des aspects tantôt familiers tantôt méconnus du grand homme…

On sourit en lisant la main courante de l’école d’Argenteuil : “Enfant assez intelligent mais gâté par la famille : aussi se croît-il une merveille et est-il vaniteux au-delà du possible”, ou les lettres des créanciers mécontents datant de l’époque où Céline était employé à la SDN et ne réglait pas toujours ses factures… Certains comme Georges Geoffroy, un des rares témoins de la période londonienne ont des remarques lumineuses : “Céline, pour moi, c’était un homme du Moyen Âge ou de la Renaissance revenu sur terre qui supportait mal le XXe siècle.” On retrouve avec plaisir, outre les étonnants témoignages sur la mission Rockefeller de lutte contre la tuberculose en Bretagne, celui de Robert Debré sur les débuts de Louis Destouches en médecine ou celui d’André Lwoff sur le chercheur qu’il a connu à l’Institut Pasteur, au temps où il se rêvait en grand scientifique. Les propos d’Élisabeth Craig, recueillis tardivement par Alphonse Juilland, apportent des informations précieuses sur les conditions mentales de l’écriture du Voyage : “Quand il sortait de son bureau, je lui disais : ‘Tu deviens dingue.’”

Il est amusant de noter les discordances de points de vue entre ceux qui le dépeignent comme un monstre : “Laid, gris, hirsute, peu soigné, jamais assis, vautré. L’allure veule, la parole faubourienne” (Hélène Gallet) et ceux qui voient en lui, à la même période pourtant : “Un garçon solide, bien droit, aux yeux bleus, avec une franche figure éclairée. Il était bien bâti, en type un peu américain qu’il imitait par son allure et son habillement sportif” (Marcel Brochard, en 1919). Son antisémitisme semble avoir été précoce (rappelons que L’Église, probablement écrite vers 1929, fonde déjà sa critique de la SDN sur des clichés antisémites) comme en atteste cette rencontre avec Pierre Chenal, intéressé par une adaptation du Voyage et que Céline aurait rencontré en 1932. Après lui avoir déclaré que “les youpins tiennent tout, y compris le cinéma français”, Céline lui aurait dit : “Moi, Chenal, les youtres, je les renifle. Et de loin. J’ai le pif pour ça.” Furieux, Chenal se lève alors et lui jette : “Céline, je m’appelle Cohen, et je t’emmerde.” Bien sûr, il n’a plus été question de l’adaptation…

Sur la période controversée de l’Occupation, on retrouve avec intérêt le passage des Mémoires de Benoist-Méchin – presque trop célinien pour être vrai – où lors d’un dîner à l’ambassade d’Allemagne avec Otto Abetz et Drieu la Rochelle, Céline aurait prétendu qu’Hitler était mort et que les Juifs l’avaient remplacé par l’un des leurs. David Alliot rappelle dans son introduction biographique que Céline a été plusieurs fois convié à l’ambassade ou à l’Institut allemand, que “régulièrement, [il était] invité aux manifestations politiques organisées par les partisans de l’Europe allemande. Non sans malice, il y participe parfois, se moquant généralement de ces collaborateurs qu’il juge bien trop timorés”. Alliot rappelle même sa protestation auprès des organisateurs de l’exposition sur “Le Juif et la France”, non pas bien sûr à propos de la discrimination raciale dont elle est un des sommets, mais parce que ses pamphlets ne sont pas vendus dans la librairie attenante !

La gamme des témoignages habituels sur Céline (Poulet, Mahé, Vandromme, etc.) assortis des nombreuses correspondances – dont l’édition de la Pléiade susmentionnée offre un large choix – se voit ici encore élargie grâce aux recherches et aux compilations minutieuses de David Alliot. On signalera parmi bien d’autres beaux témoignages, celui de Colette Destouches, la fille de Céline récemment disparue, qui reconnaît “spirituellement” son père dans le héros du Voyage et de Mort à crédit. Céline lui avait donné le conseil suivant : “Ne fais pas de littérature. On y laisse sa peau. Si tu veux vivre normalement, ne t’occupe pas de ça.” Lucette, sa deuxième épouse déclare quant à elle : “J’ai vécu en courant derrière lui, toujours je marchais dans son ombre.” Le recueil met en évidence la diversité des facettes du personnage de Céline. Il fait tout de même apparaître une certaine constance chez lui du sentiment antisémite – issu probablement, on l’a souvent dit, des idées politiques étriquées de son milieu d’origine – sentiment qui passe au premier plan à partir de l’échec de Mort à crédit.

Apparaît également la transformation progressive du jeune homme aimant la vie, les voyages et les femmes en un vieil homme aigri qui se réfugie dans le travail, ressassant ses griefs. Difficile de se composer une image cohérente de Céline, entre l’homme généreux et celui qui ne lâche pas ses billets facilement (sa pingrerie est légendaire), entre le médecin soucieux de la bonne alimentation des enfants en période de rationnement et l’écrivain qui se compose un personnage nihiliste, s’invente une trépanation, se fabrique une enfance “noircie” dans un milieu plus pauvre que le sien. Comment réunir en un seul homme celui qui continue à disserter sur le péril juif pendant l’Occupation et fréquente des dignitaires allemands, et celui à qui il ne viendrait pas à l’idée de dénoncer les résistants qui se réunissent à côté de chez lui.

Parmi quelques images qui subsistent à la fin de la lecture de ce fort volume, on notera le témoignage de Jean-Marc Dejan de la Batie qui raconte comment Céline, bénéficiant du régime accordé aux anciens combattants de 14-18 a été amnistié, sous l’impulsion de maître Tixier-Vignancourt et du colonel Camadau, par le président Roynard sous le nom de Louis Destouches, domicilié rue de Turenne (alors qu’il est encore en exil au Danemark !), à l’aide d’un dossier solidement ficelé pour éviter au président – qui ne savait pas de qui il s’agissait – la tentation de l’ouvrir ! On gardera aussi en mémoire le récit de Christian Dedet, médecin et écrivain qui a vu Céline l’avant-veille de sa mort et rapporte cette dernière visite dans un style presque célinien : “À la rage du soleil, Louis-Ferdinand Céline rit, pleure, se gratte les aisselles, proteste, ronchonne, éructe, invoque le ciel, se frappe le front. Voilà. Nous y sommes. Céline joue Céline. Céline par lui-même. Bienheureux Céline qui, jusqu’aux buées de l’agonie, aura conservé une enfance intacte.”

Alain SCHAFFNER
Nonfiction.fr, 29/08/2011

>>> David Alliot, D'un Céline l'autre, Ed. Robert Laffont, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

Article extrait du dossier sur Céline de Nonfiction.fr, coordonné par Alexandre Maujean.

mardi 30 août 2011

Céline mis à nu - Nonfiction.fr - 29 août 2011

Le site Nonfiction.fr consacre un dossier à Céline à l'occasion des nombreuses parutions de cette année. Voici l'article de Sébastien Baudoin, "Céline mis a nu", pour la réédition, aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, de Céline, entre haines et passions de Philippe Alméras.

Tout le monde connaît les grands épisodes de la geste célinienne : le carabin, l’hygiéniste de la SDN, le médecin de banlieue, le pamphlétaire antisémite, le paria, l’exilé, le retour en grâce et la mort. Tout le monde a en tête le style inimitable, la gouaille littéraire de l’écrivain écorché vif par l’existence qui justifie le titre ambivalent à dessein de la biographie de Philippe Alméras, Céline entre haines et passion. C’est que les déchaînements de ses contemporains, comme les dissensions de la critique, sont à la hauteur d’une passion unique et entière qui guide la trajectoire existentielle de Louis-Ferdinand Céline. Tel est en tous les cas le postulat critique de Philippe Alméras : l’emportement chronique de l’écrivain et celle du pamphlétaire ne sont plus pensés comme deux Céline contradictoires, l’un génial, l’autre antisémite, raciste et fou à lier. La gageure du biographe est de concilier les deux visages de ce Janus bifrons de la littérature, qui gêne aux entournures l’esprit et le style. Le critique avertit à la fin de sa postface en guise de panneau annonciateur de l’enfer dantesque qui attend le lecteur devant ce Céline mis à nu : “Attention, c’est le Céline total et non retouché que propose ma biographie.” Nous voilà prévenus. Un Céline sans fard.

Fort d’une documentation très fournie, fondée sur le dépouillement et l’analyse d’une abondante correspondance, Philippe Alméras nous fait entrer dans les coulisses du personnage Céline avec le souci du détail et de la précision qui ne nous fait perdre aucun instant de ses turpitudes : le chercheur s’y révèle enquêteur, fin limier pourrait-on même avancer. Les étapes de l’épopée Céline sont ainsi retracées à l’aune de dix stations aux titres aussi éloquents que brefs, le lapidaire et le définitif étant aussi une marque de Céline l’expéditif : “Jeune chien”, “Cuirassier”, “Colon”, “Étudiant”, “Médecin”, “Écrivain”, “Militant”, “Occupé”, “Émigré”, “Réprouvé puis ressuscité”. Céline Lazare aux milles vies, comme il aimait à se présenter, écartelé entre diverses existences qui ont fait sa richesse autant que son scandale. Céline démaquillé, démasqué plus exactement.

Le bal commence dans la marginalité qui sera l’empreinte de l’écrivain abhorré, celle du “passage Choiseul” qui le marque au fer rouge du vocable des marchands populaires, à Paris, au début du XXe siècle. L’expérience du “jeune chien” Céline est déjà celle de Bardamu voyageur, en apprentissage de la langue germanique en Allemagne, en proie à l’hostilité d’autrui. Le retour à la “taupinière” du passage Choiseul n’est guère long et l’errance se poursuit en quête d’un métier sur la Côte d’Azur, à Nice puis à Paris. “Cuirassier”, Céline engagé dans la grande guerre se révèle inadapté pour l’emploi : blessé, rapatrié, ainsi se construit le mythe de Céline trépané, comme son personnage et double Bardamu. Médaillé de guerre, il vit une “vie rêvée” à Londres puis s’enrôle comme expatrié et colon en Afrique. “Louis des Touches” en fait le paradis de l’écriture contre l’enfer du climat et des autres, encore eux : il cherche à attirer à lui son ami Milon, lui promettant l’argent facile. En 1917, quitter Bikobimbo revient à épouser la condition de Carabin et à revenir aux origines de l’hygiénisme familial. Collaborateur à la revue Eurêka, Louis-Ferdinand Destouches se fait même un temps conférencier. La réussite des examens de médecine rime avec littérature, la thèse – La Vie et l’œuvre de Semmelweiss – devient un “roman hugolien à sujet médical” selon la formule de Philippe Alméras. Le médecin annonce déjà l’écrivain : les deux sont indissociables et Céline ne lâchera jamais complètement la médecine.

Recruté dans la “section hygiène” de la SDN par la fondation Rockefeller, le médecin Destouches fait encore patienter l’avènement de Louis-Ferdinand Céline : encore le voyage comme seconde vie, l’Amérique et Ford, matière à venir d’un épisode du Voyage au bout de la nuit. Céline voyage au bout de l’hygiène. Exit Edith sa femme et sa fille Colette, bonjour Elizabeth Craig, première d’une longue série de danseuses qui vont partager sa vie tumultueuse. Leur rencontre à Genève est fugace mais Elizabeth vient vite le rejoindre : premières amours et premières danses, premiers espoirs d’écrivain rapidement avortés avec L’Église et Semmelweiss, refusés par Gallimard respectivement en 1927 et 1928. Céline, une fois désengagé de la SDN, devient “médecin des pauvres” au dispensaire de Clichy : se crée alors une “bulle américaine” de 1926 à 1932, où Elizabeth danse et lui gribouille le Voyage au bout de la nuit dans les intervalles de son activité de médecin. C’est désormais dans leur location de Montmartre que le mythe de Céline écrivain va se dessiner.

L’édition du Voyage est aussi une épopée : cette “sorte de roman” selon les mots de l’auteur est acceptée par Denoël, mais Gallimard le fait un peu trop lanterner, trop sans doute. Céline opte pour le premier des deux. La parution du roman détonne : style “cru, parfois populacier” pour Daudet, “comble du naturel et de l’artifice” pour Maurras. Ce livre de la “décadence” obtient un franc succès et fait espérer un temps le Goncourt, permettant à Céline de publier rapidement “L’Église, script premier du Voyage”. La pièce est dédiée à Karen Marie Jensen, qui évince Elizabeth Craig auprès de lui. Encore une danseuse. La valse des conquêtes va de pair avec les pérégrinations littéraires à la recherche d’un style radicalement nouveau. Mort à crédit réalise une avancée sur ce plan, même si l’activité littéraire n’est encore aux yeux de Céline qu’un “extra”, comme le fait remarquer Philippe Alméras. La montée des périls en Europe en 1933 précipite la mutation de Céline désengagé en “militant”.

Séparé officiellement d’Elizabeth, Céline revient des États-Unis animé d’un vent de changement qui passe d’abord par la littérature dans le Montmartre de l’époque, où il rencontre Gen Paul, sublime faussaire à ses yeux, avec qui il restera longtemps lié. Céline rencontre Lucienne Desforges et se lie avec elle. Il trouve alors sa “langue”, une langue “nordique”, crue et directe, celle de Mort à crédit. Lucette Almanzor fait désormais danser son cœur. Sa source d’inspiration change, pas son style : Mea culpa, texte bref, coupe court aux rumeurs de communisme de l’auteur et est à prendre “dans son contexte chrétien”. La sortie de Bagatelles en 1938 surprend autant que son succès est grand : Céline antisémite défraie la chronique. Le langage comme ressourcement, le “racisme littéraire” sont bien resitués par Philippe Alméras dans un contexte lui-même fortement antisémite, celui du Paris d’avant-guerre. Avec le polémiste – la “mangouste” – naît aussi “Céline-victime”, le 4 mars 1937, théorisé par l’auteur dans une lettre à Henri Poulain. Cela deviendra le leitmotiv de toute son existence. L’École des cadavres, sinistre suite donnée à Bagatelles, exploite toujours la veine antisémite de la période militante mais la clôt aussi par un échec éditorial et deux poursuites en diffamation. Posant le “primat du pouvoir juif”, Céline-mangouste, réformé, reste combattif malgré la tempête qui déferle sur lui. Le contexte devient oppressant : les Allemands sont aux portes de Paris, Pétain signe l’armistice. Céline, démobilisé, se voit privé de son poste de médecin à Sartrouville et se retrouve comme en 1939, sans emploi.

Sous l’Occupation, Céline transparaît à vif à travers sa correspondance, qui permet à Philippe Alméras de suivre les moindres mouvements d’un homme qui tente de peser sur les événements : obnubilé par les Juifs et déçu par les Allemands, Céline retrouve Destouches et devient médecin à Bezons. C’est l’époque de la parution des Beaux Draps, de l’or stocké en Hollande et saisi par les Allemands comme “bien ennemi”. Dépité, Céline devient cependant de plus en plus convaincu que “le fait juif est le fait central de cette guerre” : il développe alors ce qu’il appelle l’“esprit mangouste” (lettre à Alain Laubreaux), en “ennemi des serpents”, animé du “vrai instinct de lutte à mort”. Céline se compromet alors en répondant à l’invitation du Pilori, animé par son combat antijuif. En mission à Berlin au cours d’un voyage scientifique médical, Céline poursuit sa croisade, en “superpatriote” : malgré la défaite qui s’annonce pour l’Allemagne, il vit toujours sa “supervie”, retranché à Saint-Malo. 1944 signe le retour à la littérature après la période pamphlétaire controversée avec la parution de Guignol’s band. La liberté vis-à-vis de la langue devient de plus en plus totale : à coups de néologismes et de points de suspensions répétés, l’œuvre “enregistre comme un sismographe les secousses du conflit en cours”. Le rythme et le style avant tout. Revenu en “littérature pure”, il voit cependant l’histoire le rattraper avec le bombardement de Montmartre, le précipitant dans l’exil.

Émigré, Céline part tout d’abord en Allemagne et se calfeutre. Puis vient le départ pour Sigmaringen et Copenhague, odyssée retranscrite dans Rigodon. Céline fuit les bombardements et se fait appeler Courtial alors que l’Allemagne capitule. Les journaux lui apprennent les épurations en France. C’est la période du reniement : qualifié de “brute folle”, Hitler est voué aux gémonies. Denoël assassiné, il vient remplir la “besace au chagrin” déjà bien lourde avec la mort de la mère de Céline, Marguerite Destouches. Arrêté et emprisonné pour trahison et intelligence avec l’ennemi, Céline redoute d’être transféré en France, même s’il vit mal, moralement parlant, un tel enfermement. Il se présente alors comme un être persécuté, réprouvé et souffrant. Libéré, il rompt avec Denoël et prend la posture définitive qui sera la sienne jusqu’à la fin de sa vie, celle de l’animal traqué. Il tourne alors casaque : “Puisque les Aryens non solidaires ont perdu la patrie, vivent les Juifs vainqueurs et utiles ! Le système n’est pas aboli, il est inversé”, comme le précise Philippe Alméras. “Philosémite” pour deux ans seulement, jusqu’en 1949, Céline reprend sa vie littéraire, en contact avec Jean Paulhan, Gallimard et la NRF. Logé dans un hôtel miteux, il débute sa “période clochard” : le soutien de Milton Hindus, qui perçoit chez lui des signes de folie, n’est qu’un écran de fumée avant leur brouille. Le jugement approche : le cas Céline est évalué dans une parodie de procès. Selon la formule de Philippe Alméras, “c’est guignol au Palais”. Pris pour un pitre, Céline est tout de même convoité par Gallimard, bien que terré dans son “archi-bled” danois. Il entre dans cette “écurie” littéraire durant l’hiver 1949. L’amnistie arrive à ce moment et, au printemps, lui permet d’organiser sans crainte son retour en France.

Réprouvé puis ressuscité, Céline demeure aux aguets ou plutôt à l’affût. En bête traquée, il passe de Neuilly à Meudon, vit reclus avec son chat et Lucette, brouille les pistes. Le pli du retrait prudent est pris. La parution de Féérie pour une autre fois, le 27 juin 1952, revient sur le trauma de la guerre en exposant le “Bombardement Montmartre”. La presse en parle peu, Céline affiche sa misère, apparente seulement, il harcèle Gallimard avec plus d’exigences encore que du temps de Denoël, demande des paiements rubis sur l’ongle, des avances. Le visage du “rénovateur génial du discours littéraire” lui colle désormais à la peau : Céline, fort de son statut, négocie Mort à crédit et le Voyage en poche, exige la Pléiade, monte sur ses ergots. Les œuvres s’enchaînent : Nord puis Rigodon, une plongée dans “la violence des temps de frustration” face à un livre de combat. Mais l’hémorragie cérébrale qui le frappe mortellement coupe court à la “dernière fabrique de récits, de mythes et d’interprétation” de Meudon. Céline avait encore “le Danemark, ses prisons, son exil à raconter”.

Dans cette biographie conséquente et abondamment documentée, Céline est mis à nu et dévoile son double visage sans fard. Philippe Alméras répond bel et bien à son “parti pris de ne rien ignorer”. En peignant le portrait de l’auteur en détestable génie, il rend à Céline ce qui est à Céline, sa part de scandale et le miroir sombre de son talent. Ainsi est-il à prendre, ou à laisser.

Sébastien BAUDOIN
Nonfiction.fr, 29/08/2011.


>>> Philippe Alméras, Céline, entre haines et passion, Ed. P-G de Roux, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

lundi 29 août 2011

C'est un travail de fée c'est tout...

Et puis préserver mes brouillons... enfin brouillons... mieux ! des rendus... rendus émotifs !... déjà en presque formes venues... des dix vingt mille heures de travail. Que c'est des mises à jour des oeuvres. Ca se débrousse comme le temple d'Anghkor. C'est de l'acharnement de terrassier... de terrassier d'ondes... tout petit trait de scalpel prés, le temple fripe, effrite ? S'efface... vous attrapez plus rien, rien vient... C'est la magie... La plume est un scalpel de mage... de mage en terrasses... Tout est enfoui dans l'atmosphère... Faut fouiller plein par plan... souffles, oh si doucement que le sable s'envole...C'est horrible n'est-ce pas, c'est horrible... Je veux dire de délicatesse, d'effleurement... C'est un travail de fée c'est tout, où l'homme périt damné, perd l'âme, la bonne gentillesse, la bite, tout...[...] Oh ! c'est du tourment pas dicible.

Louis-Ferdinand Céline, Maudits soupirs pour une autre fois, Gallimard, 1985 (rééd. 2007).

dimanche 28 août 2011

Le Bulletin célinien n°333 - septembre 2011

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°333. Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
François Gibault : Céline n’a pas besoin de célébration nationale
Michel Uyen : Un nouveau livre sur l’exil danois
M. L. : Réception critique du Céline de Henri Godard
Philippe Alméras : Céline à la sauce velours
M. L. : Jérôme Dupuis, Rouletabille du journalisme littéraire
M. L. : Pierre Duverger, photographe de Céline
Pierre de Bonneville : Villon et Céline (2)
M. L. : L’Année Céline 2010

Un numéro de 24 pages, 6 € franco. Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

samedi 27 août 2011

Céline : The Genius and the Villain - The New York Times - 29 juin 2011

The New York Times a fait paraître le 29 juin 2011 un article d'Alan Riding "Céline, The Genius and the Villain". Nous vous en proposons aujourd'hui la traduction, assurée par Carine Marret, que nous remercions.

Les anniversaires constituent généralement une bonne occasion de célébrer les grands artistes du passé. Il en paraissait ainsi de l’écrivain français connu sous le nom de plume de Louis-Ferdinand Céline qui s’est éteint il y a cinquante ans. L’organisation des commémorations était d’ailleurs bien engagée jusqu’à ce qu’il fut rappelé que Céline était un antisémite notoire, ayant attisé la haine à l’égard des Juifs avant et pendant l’occupation allemande en France.

Le problème réside dans le fait que les Français continuent d’adorer Céline, non pas pour ses visions politiques mais pour son talent littéraire, déployé notamment dans « Voyage au bout de la nuit. » Quand ce roman semi-autobiographique rageur fut publié en 1932, cinq ans avant que Céline ne fasse de l’antisémitisme son nouveau crédo, il fut aussitôt considéré comme un chef-d’œuvre. En effet, il occupe à ce jour dans la littérature moderne française une place comparable à celle d’Ulysse de James Joyce dans la littérature anglo-saxonne.

Alors, l’écrivain peut-il être dissocié de l’homme?

Dans le cas de Céline, les frontières sont poreuses car il a aussi signé trois pamphlets antisémites (« Bagatelles pour un massacre » en 1937, « L’Ecole des cadavres » en 1938 et « Les Beaux Draps » en 1941) dont le succès fut directement lié à la notoriété de l’auteur. Pour ses admirateurs, cependant, seule compte son œuvre littéraire.

Ce sentiment de malaise causé par le comportement personnel d’artistes adulés n’est bien sûr pas nouveau. Nous avons besoin de percer le mystère des talents les plus flamboyants et sommes attirés par les biographies qui « humanisent » les créateurs célèbres en soulignant leurs manquements conjugaux, leur insécurité névrotique ou leur dépendance à l’alcool et à la drogue.

Mais il en est autrement quand les artistes cherchent à influencer l’opinion publique, que ce soit de leur propre initiative ou en réponse à une attente extérieure. Dans de tels cas, ils sont inévitablement jugés au-delà de leur art.

Il existe de nombreux exemples d’artistes, des écrivains pour la plupart, ayant affirmé leurs positions politiques. Ceux qui se souviennent par exemple d’Alexandre Soljenitsyne dénonçant le communisme soviétique sont plus nombreux que ceux qui ont lu ses livres. Le prix Nobel de littérature de l’année dernière, Mario Vargas Llosa, s’est présenté sans succès à la présidence du Pérou en 1990. Et la dissidence affichée de l’artiste chinois Ai Weiwei l’a mené récemment en prison.

Dans le même temps, s’engager politiquement fait courir le risque de se retrouver ensuite du mauvais côté de l’histoire. Ainsi, un parallèle peut être établi entre Céline et Richard Wagner.

Dans « Le Judaïsme dans la musique », un essai publié sous pseudonyme en 1850, Wagner évoque « notre répugnance naturelle pour l’esprit juif ». Bien que son aversion envers les Juifs ne fût pas aussi véhémente que celle de Céline, l’antisémitisme a fait partie de son identité publique à partir des années 1930, quand il devint le compositeur préféré d’Hitler.

Devrions-nous pour autant boycotter sa musique? Israël s’est longtemps efforcé de le faire, bien que le chef d’orchestre israélien natif d’Argentine Daniel Barenboim ait défié l’officieuse interdiction. En 2001, il a dirigé l’ouverture de “Tristan und Isolde” de Wagner à Jérusalem. Et l’année dernière, il a affirmé que « nous devons un jour délivrer Wagner » de son association à Hitler et aux Nazis.

Céline peut-il en espérer autant ? Il ne fut pas le seul écrivain français à cracher son antisémitisme à l’époque de l’occupation allemande. Mais il est vrai néanmoins que Pierre Drieu La Rochelle s’est suicidé et que Robert Brasillach a été fusillé après la libération. En revanche, Céline s’est enfui au Danemark. Après avoir obtenu une amnistie, c’est en homme libre qu’il est retourné en France en 1951. Il est compréhensible que, pour certains, le désir de le voir puni ait perduré après sa mort.

D’un autre côté, contrairement à Drieu La Rochelle et Brasillach, Céline reste l’un des écrivains les plus lus et compose, aux côtés de Proust et de Camus, la pierre angulaire de la littérature française du XXe siècle. Et c’est sans doute la raison pour laquelle le ministre de la Culture français avait considéré comme légitime d’inclure l’anniversaire de sa disparition parmi les évènements culturels significatifs de 2011.

Mais Serge Klarsfeld, un illustre chasseur de Nazis dont le père fut victime de l’Holocauste, est monté au créneau, avançant que la France n’avait pas vocation à célébrer un homme ayant encouragé l’extermination des Juifs. Craignant la polémique, le ministre de la Culture s’est précipitamment dissocié de Céline et des commémorations lui étant réservées, mais non sans provoquer des accusations de censure.

Toutefois, l’affaire ne fut pas vaine. Une nouvelle biographie importante sur Céline et des livres analysant les différents aspects de sa manière d’écrire ont vu le jour. Plusieurs magazines ont aussi publié des suppléments littéraires très riches consacrés à l’écrivain. Mais les représentants du gouvernement sont restés à l’écart. Et les admirateurs de Céline ne peuvent plus ignorer l’homme qu’il fut. Un génie? Probablement. Un être maléfique? Certainement.

Alan RIDING
The New York Times, 29/06/2011

Traduction de Carine Marret


Alan Riding, a former reporter for The New York Times, is the author, most recently, of “And The Show Went On: Cultural Life in Nazi-Occupied Paris.”

A version of this op-ed appeared in print on June 30, 2011, in The International Herald Tribune with the headline: Céline: The Genius and the Villain.


Le Petit Célinien

Les 77 numéros du Petit Célinien (avril 2009-décembre 2010) restent disponibles en format pdf au prix de 2.50€ le numéro.
Les sommaires sont à consulter ici.

vendredi 26 août 2011

Céline dans les Yvelines, chapitre IV : Saint-Germain, le calme avant la tempête

Le Courrier des Yvelines, hebdomadaire du Nord-est des Yvelines, consacre, dans ses pages été du mois d'août 2011, une série de cinq articles à Louis-Ferdinand Céline. Voici l'avant dernier volet paru dans le numéro du 24 août.

Louis-Ferdinand Céline et Saint-Germain-en-Laye. C’est l’écriture, pour partie de Mort à crédit, c’est aussi le début de la guerre. Il s’installe comme médecin rue de Bellevue, mais l’expérience tourne court... 3 mois !

On domine tout Paris de la terrasse du château de Saint-Germain-en-Laye. En particulier le quartier de la Défense, et Courbevoie, où naquit Céline le 27 mai 1894, dans le quartier de la rampe du pont, remplacé par les tours et le périphérique aujourd’hui. C'est là aussi que naquit Arletty, l'amie de Céline restée fidèle après guerre (1). Mais considérons que c'est la banlieue de Paris toute entière, d'Andrésy à Neuilly, et de Montmartre à Croissy qui inspira Céline. Dans Mort à crédit, le roman qui correspond d'un point de vue littéraire à l'enfance de Céline, l'auteur écrit à propos de sa mère, Marguerite, marchande de dentelles : « On lui avait dit à ma mère, qu'elle pourrait de suite essayer sa chance au marché du Pecq, et même à celui de Saint-Germain, que c'était le moment où jamais à cause de la vogue récente, que les gens riches s'installaient partout dans les villas du coteau... qu'ils aimeraient ses dentelles pour leurs rideaux dans les chambres, les dessus de lit, les jolis brise-bise... C'était l'époque opportune. » (2)

Un appartement rue Claude Debussy
Fin 1932, Céline est devenu célèbre grâce au Voyage au bout de la nuit. Ce succès lui apporte la gloire médiatique, et beaucoup d'argent car le Voyage s'est vendu à plus de 100 000 exemplaires et a déjà été traduit en plusieurs langues. Mais la critique attend au tournant le deuxième roman... Céline débute Mort à crédit fin 1933 - début 1934, et travaille à l'écriture du manuscrit jusqu'à sa remise aux éditions Denoël, début 1936. L'afflux d'argent ne change pas fondalement le mode de vie de l'écrivain. Fils de commerçants, il a grandi avec la nécessité de « faire tourner la boutique ». Il continue donc à travailler à son dispensaire. Une partie de l'argent qu'il a gagné avec ses droits d'auteurs est réinvestie dans l'immobilier. Céline achète un appartement à Saint-Germain-en-Laye où il vient profiter du calme pour écrire. Le 7 décembre 1933, il achète au peintre Charles Brooke Farran un trois pièces et salle de bains, au 5ème étage du 1, rue Claude Debussy, « tout moderne », et dominant la forêt. Un bon placement. Pourquoi Saint-Germain-en-Laye ? Probablement parce que la ville est bien desservie par le chemin de fer, pas trop loin de Paris. Il écrit dans ses correspondances aimer « l'air de Saint-Germain ». Le calme des lieux est propice à l'écriture. De septembre 1935 à février 1936, Céline prend une chambre à l'hôtel du Pavillon Royal, mais il a gardé l'appartement de la rue Lepic à Paris. Il compte le quitter en avril de l'année suivante. « Me voici ici, fixé à Saint-Germain. Je quitte la rue Lepic. Je n'y tiens plus. C'est le coeur aussi sans doute qui flanche. C'est l'âge. Je vais chaque jour à Paris pousser ma roue... Mais tout aura une fin j'espère... Quelle horreur cette infâme sujétion des boulots. Je le traîne depuis 31 ans ! », écrit-il à Eugène Dabit (3). La correspondance avec son ami, le peintre Henri Mahé, qui vivait sur une péniche à Croissy-Bougival (4), atteste aussi de cette intense activité littéraire : « (...) Je ne débloque pas du bouquin, je suis en maison pour ainsi dire. Je ne sors plus. St Germain me donne plus de ton. Je suis machine, je tourne mieux. Quelle vie ! Vu ici Gencive et Jojo, deux bons petits gars. Bien inspirants. Ce sera pour le prochain blot. L'actuel sera terminé vers mars, point avant. C'est court. C'est long. Il faut tirer juste et profond. (...) » A Saint-Germain, il termine donc Mort à crédit tout en mijotant Guignol's Band... La semaine, il écrit à Paris, le weekend à Saint-Germain-en-Laye, et à Saint-Malo pendant les vacances. Après la sortie de son deuxième roman en 1936, Céline revient épisodiquement à Saint-Germain-en-Laye.

Médecin libéral sans la vocation
En 1939, le docteur Destouches ouvre un cabinet médical au 15 rue de Bellevue, une expérience qui tourne court. Avec la danseuse Lucette Almansor rencontrée en 1936, il s'installe dans une petite maison en location. Il fréquente Madame Marzouk, qui tenait une librairie. Lucette Almansor, qu'il épousera en 1943, distribue des cartes de visite aux pharmaciens et en dépose dans les boîtes à lettres. Mais Céline ne parvient pas à se constituer une patientelle. Le médecin est pressé car son roman est très mal accueilli par la critique, et les ventes sont mauvaises. Voilà comment l'intéressé décrit son arrivée à Saint-Germain à sa secrétaire Marie Canavaggia, dans une lettre qu'il lui adresse douze jours après la déclaration de guerre à l'Allemagne : « Cette horreur est tombée sur nous avec une telle débauche de calamités violentes, imprévisibles, que j'ai été un peu déconcerté pendant quelques jours. Car enfin à présent je n'ai plus aucune ressource ni littéraire ni autre. Et dans mon cas - ... J'ai trois personnes à ma charge. J'essaye de monter une clientèle ici mais les débuts, même en guerre, sont tout à fait difficiles. La maison n'est pas prête. Rien n'est prêt. Enfin c'est un chapitre de plus à cette niaise apocalypse. » (5) Au mois de novembre 1939, Céline poursuit la narration de ses déboires, mais l'expérience saint-germanoise a déjà pris fin. Cela nous est raconté dans une lettre à son ami Gen Paul, peintre très en vue, tout comme Mahé : « J'ai déjà au moins tenté vingt trucs depuis septembre. J'en ai eu des marrants et des sinistres. C'est le sauve-qui-peut. Paris a l'air de rebourner un peu. Ils ont moins la chiasse - et du permissionnaire dans l'air. Tout doucement le mercanti reprend du poil, alors ça va sans doute aller mieux. Quand le fumier déborde on recommence à croquer un peu. Ma mère est cloche, de même Pipe, et la fille. Enfin la marrance totale. Mais le moral est bon. » (6)

« On se serait cru au théâtre »
Céline n'a jamais voulu prendre le temps de faire sa place de médecin libéral à Saint-Germain-en-Laye. Le docteur Destouches demeure le docteur des pauvres, l'exercice de la médecine au dispensaire de Clichy l'a marqué, et la misère humaine reste une source d'inspiration essentielle pour l'écrivain. D’ailleurs à Saint-Germain, a-t-il jamais été à sa place ? Céline s'épanouit auprès du peuple, « le bourgeois » ce n'est pas son truc. Et ce dernier lui rend bien ! Voyons ce que rapporte Lucette Destouches de cet épisode tragicomique quelques décennies plus tard : « On se serait cru au théâtre », écrit-elle. « Ça ne faisait pas sérieux ; je me souviens d'un noyer magnifique dans le jardinet. (...)On ne vit jamais un client. Louis aimait Saint-Germain et ses terrasses. (...) Il aurait voulu que j'y donne des leçons au conservatoire local. Pourquoi pas ? Mais d'abord, il aurait fallu prendre pied dans la ville. Louis était très impatient. Il aurait attendu un an, peut-être un cabinet aurait-il donné quelque chose mais après un mois d'attente vaine il a voulu partir. » (7) Après cet échec, Céline part à Marseille pour s’enrôler dans la marine toujours comme médecin « trimballeur de seringues ». Il ne reverra pas Saint-Germain-en-Laye. En 1951, à son retour d'exil forcé du Danemark, qui lui permet d'échapper à l'épuration (8), il demande à son avocat Me Tixier-Vignancour de s'occuper de sa maison de Dieppe, de celle de Saint-Leu, et évoque l'appartement de la rue Debussy. Il le donnera finalement la même année à Jules Almansor, le père de Lucette, pour le remercier des services rendus pendant leur exil danois. A son retour du Danemark, il pense un temps y revenir, pour y finir ses jours. Son projet est de racheter une sorte de villa avec jardin pour s'y installer avec Lucette, et leur « ménagerie ». Il choisira Meudon.

Frédéric ANTOINE, avec les conseils de David Alliot
Le Courrier des Yvelines, 24 août 2011.


>>> Téléchargez l'article (pdf)
>>> Sur le sujet :
Le Petit Célinien n°77 - L.-F.Céline à St-Germain-en-Laye par Bernard Goarvot

Photos : 1- Immeuble du 1 rue Claude Debussy 2- Entrée du cabinet médical de Céline.

A lire :
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre I : le cuirassier Destouches à Rambouillet
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre II : A bord de La Malamoa à Croissy-sur-Seine
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre III : Médan et l’hommage à Zola
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre IV : Saint-Germain, le calme avant la tempête
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre V : D'un dispensaire à l'autre (Sartrouville et Bezons)

Notes
(1) On retrouve des photos de Céline en compagnie d'Arletty dans sa propriété de Meudon, dans l'ouvrage richement illustré de David Alliot. David Alliot, Céline à Meudon - Images intimes, 1951-1961, Editions Ramsay, 2006.
(2)
Mort à Crédit, Editions Denoël, 1936, p. 365. (pour l'édition originale)
(3) Lettre à Eugène Dabit, Saint-Germain-en-Laye, début octobre 1935, in Choix de lettres de Céline et de quelques correspondants (1907-1961), Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2009. C'est au mois de septembre qu'est paru le roman d'Eugène Dabit La Zone verte qui se situe dans les environs de Paris. Dabit viendra le voir à St Germain au Pavillon Royal le 10 février.
(4) Pour Henri Mahé lire Le Courrier des Yvelines du 10 août. Ibid., Lettre à Henri Mahé, Saint-Germain-en-Laye, octobre 1935.
(5) Ibid., Lettre à Marie Canavaggia, le 13 septembre 1939, Saint-Germain-en-Laye.
(6) Ibid., Lettre à Gen Paul, 30 novembre 1939. Céline a alors sa mère et sa fille à charge, Lucette apparaît sous le surnom de “Pipe”.
(7) Témoignage de Lucette Destouches recueilli par Véronique Robert dans Céline secret, Grasset, mai 2001.
(8) Après le traumatisme de la guerre et de l’occupation allemande, pour le grand public Céline demeure avant tout, l'auteur de
Bagatelles pour un massacre et des Beaux Draps, ses deux pamphlets antisémites.

« Il ne m’a pas inspiré confiance »

Dans son ouvrage paru au printemps dernier, - D'un Céline l'Autre aux éditions Robert Laffont -, le biographe yvelinois de Céline, David Alliot, livre le témoignage édifiant de Madame Hubert Canale, médecin installé rue Léon-Desoyers à propos de son confrère qui tente de “percer” localement :

« En 1939, nous tenions, mon mari et moi, un cabinet rue Léon-Desoyers. Notre clientèle était plutôt modeste. Mon mari était généraliste, moi je soignais les femmes et les enfants. Mon mari avait été mobilisé dans un hôpital loin de notre domicile. Par un agent de police avec qui je discutais, j’ai appris la venue récente dans la ville d’un écrivain célèbre. Cette visite causait beaucoup de ram-dam. L’agent se plaignait d’avoir en ce moment beaucoup de travail car il devait “le surveiller”, c’était ses mots. Il ne se souvenait pas de son nom, c’était un nom de femme disait-il. Quelque temps plus tard, dans ma salle d’attente, est assis un homme de quarante-cinq ans, mal rasé, pas net. Il avait un pantalon clair et une veste mal assortie. Je l’ai fait entrer dans mon bureau. Il s’est présenté en tant que docteur Destouches, m’a expliqué qu’il venait s’installer à Saint-Germain avec sa mère. Il était recommandé par le docteur Larget, chirurgien de l’hôpital de Saint-Germain. Il proposait de venir m’aider à tenir le cabinet durant l’absence de mon mari. J’ignorais tout du passé de cet homme, mais il ne m’a pas inspiré confiance. Je lui ai expliqué que, pour l’heure, je pouvais suffire à la tâche toute seule. Je lui ai dit que je le contacterais, si je pensais avoir besoin de lui. Il m’a juste laissé son adresse, pas son téléphone. Peu de temps après ce fut l’exode. La ville venait d’être évacuée, certains médecins avaient été réquisitionnés, j’étais parmi eux et donc tenue de rester, d’assurer une permanence. Un jour, je suis allée à la mairie pour savoir si je pouvais partir, car je voulais rejoindre Limoges où mes enfants se trouvaient. On m’a dit que je pouvais m’en aller. Alors, j’ai eu l’idée de contacter le docteur Destouches pour lui proposer de tenir le cabinet durant mon absence. Je me suis rendue à l’adresse qu’il m’avait donnée. C’était une petite villa avec jardin proche du prieuré de Saint-Germain. Les volets étaient fermés, il n’y avait manifestement plus personne. » (1)

Frédéric ANTOINE, avec les conseils de David Alliot
Le Courrier des Yvelines, 24 août 2011.


Notes
(1) Témoignage écrit recueilli par Émile Brami, Céline, “Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple”, Paris, Écriture, 2003, p. 206-207. A lire aussi dans l'ouvrage de David Alliot, D'un Céline l'Autre, Robert Laffont, 2011.

Vient de paraître : Céline, derniers clichés de Pierre Duverger

Les éditions Ecriture et l'IMEC publient Céline, derniers clichés, les meilleures photographies de Céline prises par Pierre Duverger entre 1957 et 1961. Préface de Viviane Forrester, avant-propos d'André Derval et postface de François Gibault.

Présentation de l'éditeur
Devenu photographe après-guerre, Pierre Duverger réalise, de 1957 à 1961, une série de 71 clichés au domicile de Céline, à Meudon, à l'aide de son Leica M3. Les meilleures de ces photos inédites, dont quelques-unes furent révélées en 1981 par la Revue célinienne, sont rassemblées dans cet album sobrement légendé.
Les clichés de 1957 présentent l'écrivain à sa table de travail ou au côté de sa femme Lucette, au balcon de leur pavillon. Ceux de juillet 1960 sont en couleur : on y voit l'écrivain, en pelisse, assis dans son jardin, muni de sa canne. Enfin, un reportage réalisé le 1er juillet 1961 montre notamment Céline sur son lit de mort.

Pierre Duverger, Céline, derniers clichés, Ed. Ecriture/IMEC, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

jeudi 25 août 2011

Théâtre : "ça a débuté comme ça" les 2 et 10 septembre 2011

Le spectacle "ça a débuté comme ça" d'après Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline se jouera le vendredi 2 septembre à Couture (82) et samedi 10 septembre à Beauregard (46). Avec Antoine Bersoux. Mise en scène Chloé Desfachelle. Lumière Clélia Tournay.

Vendredi 2 septembre à 21h45 au Festival des Décousues (82)
A Couture, (18km de Moissac)
Quartier Les Graudets, sous chapiteau
www.arenetheatre.fr

Samedi 10 septembre à 21h au Festival des Passagères (46)
Beauregard, au château de Marsa
Sous le chapiteau de l'AGIT
www.lesvoixducameleon.fr


Bardamu, engagé en 14/18 par enthousiasme, découvre l’absurdité totale de la guerre . La peur au ventre, la seule question qui le taraude désormais est : comment sortir de cet abattoir international en folie. Du front à l’arrière, les pérégrinations tragi-comiques de Bardamu retracent les débuts cocasses du roman : les débuts de ses déboires dans la guerre, dans l’amour, dans la folie et dans le grand théâtre de la vie. « pour que dans le cerveau d’un couillon la pensée fasse un tour, il faut qu’il lui arrive beaucoup de choses et des bien cruelles »…

Réservations : Les Décousues 05.63.94.05.78 - Les Passagères 05.65.36.94.50

mardi 23 août 2011

Langue de bois s'abstenir - Direct 8 - 26 janvier 2011

Retour sur la polémique de janvier 2011 avec cet extrait de l'émission "Langue de bois s'abstenir" diffusée sur Direct 8 le 26 janvier 2011. Débat animé par Philippe Labro avec Pierre Bénichou, Anne-Sophie Mercier, Ghislaine Ottenheimer et Yves Thréard :


lundi 22 août 2011

Lectures de Louis-Ferdinand Céline à Montréal - novembre 2011

Le Théâtre de Fortune appelle le public à la rencontre de Céline vivant, lors de 4 lectures publiques à l’automne prochain, en association avec les Maisons de la Culture de Montréal.

Présentée et animée par Stéphane Lépine, ces soirées nous permettront d’entendre et de voir plusieurs documents d’archives dont la fameuse lecture des premiers chapitres du Voyage au bout de la nuit par Michel Simon et d’assister à l’interprétation d’un extrait des Entretiens avec le Professeur Y par Roch Aubert et Jean-Charles Fonti.

L’écrivain Louis-Ferdinand Céline, le volcan Céline, s’éteint en juillet 1961, mais son œuvre lui survit, parmi les plus fécondes et les plus audacieuses du siècle passé. Et ce, en dépit d’inlassables controverses qui se perpétuent encore de nos jours puisque le gouvernement français actuel, cédant à la pression de quelques officines partisanes, a finalement biffé son nom de la liste des personnalités que la France devait commémorer en 2011.

Téléchargez le communiqué de presse

www.theatredefortune.com





Mardi 1 novembre 2011 à 20h
Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce
3755, rue Botrel, Montréal – 514-872-2157

Mercredi 2 novembre 2011 à 20h
Maison de la culture Rosemont-La Petite-Patrie (Studio 1)
6707, avenue de Lorimier, Montréal – 514-872-1730

Jeudi 3 novembre 2011 à 20h
Maison de la culture Plateau-Mont-Royal
465, avenue du Mont-Royal Est, Montréal – 514-872-2266

Jeudi 10 novembre 2011 à 20h
Auditorium Le Prévost
7355, avenue Christophe Colomb, 2é étage, Montréal – 514-872-6131

Louis-Ferdinand Céline au salon du livre de Morges (Suisse) du 2 au 4 septembre 2011

Une rencontre autour de Céline est organisé au salon du livre de Morges, près de Lausanne (Suisse) le samedi 3 septembre 2011 de 14h à 15h30.

Animé par L.-P.Ruffy, avec J.Meizoz et David Alliot. (Bateau «Henri-Dunant», Pont supérieur arrière).

http://lelivresurlesquais.ch

dimanche 21 août 2011

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°11

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Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°11.

vendredi 19 août 2011

Céline dans les Yvelines, chapitre III : Médan et l’hommage à Zola

Le Courrier des Yvelines, hebdomadaire du Nord-est des Yvelines, consacre, dans ses pages été du mois d'août 2011, une série de cinq articles à Louis-Ferdinand Céline. Voici le troisième chapitre paru dans le numéro du 17 août.

Nous poursuivons notre série consacrée à l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, qui a travaillé et exercé son métier de médecin dans les Yvelines. Son deuxième roman Mort à crédit, paru en 1936, a aussi été écrit en grande partie à Saint-Germain en Laye. Durant cinq semaines, nous cheminerons, étape par étape, sur les pas de l'écrivain maudit qui affectionnait la banlieue parisienne.

Le succès - et le scandale - de Voyage au bout de la nuit paru en 1932 font de Céline la coqueluche des médias de l'époque. En octobre 1933, il est invité par la famille Zola et Lucien Descaves, membre de l'académie Goncourt, à prononcer un discours dans la maison de l'écrivain à Médan. Céline renâcle un peu et se prête de mauvaise grâce à l'exercice. Il ne peut pas décemment refuser l'invitation de Lucien Descaves qui s'est investi pour qu'il obtienne le prix littéraire prestigieux, attribué finalement à Guy Mazeline pour son roman Les Loups. Céline se console avec le prix Renaudot (1). Malgré l’affaire du Goncourt, le médecin est très courtisé par
le milieu des lettres. Jean Paulhan souhaite le voir collaborer à la Nouvelle Revue Française, éditée par Gallimard. Céline refuse. Mais de 1933 à 1936, l'écrivain fait l'objet de sollicitations croissantes.

Bardamu parle
C’est ainsi que dans le cadre des commémorations autour de la mort d'Emile Zola, Lucien Descaves demande à Céline de participer à la manifestation organisée à Médan. Céline n’admire pas particulièrement Zola, mais il ne peut refuser cela à son ami. Le 1er octobre 1933, il se retrouve donc devant un parterre de notables, de gens de lettres et de mondains. Au milieu des discours convenus, son intervention crée le scandale. Sa prestation dans le jardin de la maison de Zola est une première. Personne ne sait quelle sera la teneur de son discours. Mais Céline sait composer son personnage. C'est donc Ferdinand Bardamu, le héros du Voyage, qui délivre sa sinistre vision de la société française au cours de son allocution. Le discours est sous-titré “Les hommes sont des mystiques de la mort dont il faut se méfier”. Tout Céline est là dans cette vision désabusée du monde. Pour l'auteur du Voyage au bout de la nuit, le monde naturaliste de Zola n'existe plus. La Première Guerre mondiale a tué les courants de pensée modernistes qui affirmaient que la science allait apporter la paix, et créer une société plus juste. D'une certaine façon, Céline signe l'acte de décès du naturalisme chez Zola. Il fallait un peu de culot !

Le naturalisme est mort
L'introduction de son discours peut être considérée comme un authentique hommage au père de Rougon-Macquart : « En pensant à Zola, nous demeurons un peu gênés devant son oeuvre ; il est trop près de nous encore pour que nous le jugions bien, je veux dire dans ses intentions. Il nous parle de choses qui nous sont familières... Il nous serait bien agréable qu'elles aient un peu changé. Qu'on nous permette un petit souvenir personnel. A l'Exposition de 1900, nous étions encore bien jeunes, mais nous avons gardé le souvenir quand même bien vivace, que c'était une énorme brutalité. Des pieds surtout, des pieds partout et des poussières en nuages si épais qu'on pouvait les toucher. Des gens interminables défilant, pilonnant, écrasant l'exposition, et puis ce trottoir roulant qui grinçait jusqu'à la galerie des machines, pleine, pour la première fois, de métaux en torture, de menaces colossales, de catastrophes en suspens. La vie moderne commençait. Depuis, on n'a pas fait mieux. Depuis L'Assommoir non plus on n'a pas fait mieux. Les choses en sont restées là avec quelques variantes. Avait-il, Zola, travaillé trop bien pour ses successeurs ?(...) Il fallait à Zola déjà quelque héroïsme pour montrer aux hommes de son temps quelques gais tableaux de la réalité. La réalité aujourd'hui ne serait permise à personne. À nous donc les symboles et les rêves ! (...)» Et très vite ça se gâte, car Céline y va de son couplet sur l'inexorable décadence de la civilisation française, et de sa critique des sociétés et du totalitarisme qui pèse sur les épaules de ses semblables. Féroce et lucide. « Nous voici parvenus au bout de vingt siècles de haute civilisation et, cependant, aucun régime ne résisterait à deux mois de vérité. Je veux dire la société marxiste aussi bien que nos sociétés bourgeoises et fascistes. L'homme ne peut persister, en effet, dans aucune de ces formes sociales, entièrement brutales, toutes masochistes, sans la violence d'un mensonge permanent et de plus en plus massif, répété, frénétique, “totalitaire” comme on l'intitule. Privées de cette contrainte, elles s'écrouleraient dans la pire anarchie, nos sociétés. Hitler n'est pas le dernier mot, nous verrons plus épileptique encore, ici, peut-être. Le naturalisme, dans ces conditions, qu'il le veuille ou non, devient politique. On l'abat. Heureux ceux que gouvernèrent le cheval de Caligula ! »
Le discours, bien sûr fait sensation, autant par l’âpreté du propos tenu, que par son anticonformisme visionnaire. On est bien loin du langage ampoulé que l'on utilise pour ce genre de rencontre. Et la personnalité fait mouche.

Frédéric ANTOINE, avec les conseils de David Alliot
Le Courrier des Yvelines, 17 août 2011.


>>> Téléchargez l'article (pdf)
>>> L.-F. Céline, L'Hommage à Zola (pdf)


Notes
(1) Lucien Descaves sait que depuis les années 20 l'attribution du Goncourt obéit plus à des intrigues byzantines qu'à des considérations littéraires.


A lire :
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre I : le cuirassier Destouches à Rambouillet
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre II : A bord de La Malamoa à Croissy-sur-Seine
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre III : Médan et l’hommage à Zola
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre IV : Saint-Germain, le calme avant la tempête
>>> Céline dans les Yvelines, chapitre V : D'un dispensaire à l'autre (Sartrouville et Bezons)

L'hommage à Zola de Céline : La presse en fait ses choux gras

La presse se tient en éveil dès avant son apparition publique à Médan. Ainsi dans le Paris-Midi du 1er octobre (2) on peut lire : « L'attrait, si l'on peut dire, du pèlerinage qui aura lieu dimanche après-midi, à Médan, pour le 31ème anniversaire de la mort d'Emile Zola, sera sans doute dans le discours que prononcera Louis-Ferdinand Céline, l'auteur du Voyage au bout de la nuit, qui eut “presque” le prix Goncourt, à la fin de l'an passé. » « Monsieur Céline a fait peu parler de lui, laissant à son livre le soin de répandre son nom à cent mille exemplaires », poursuit le journaliste de Paris-Midi. « Il a repris son poste au dispensaire où il soigne les malades, et c'est seulement ces jours derniers qu'il a fait paraître une pièce non jouée dont le titre - L'Eglise (3) - s'applique à la Société des Nations qu'il connaît dans les coins pour avoir participé modestement, mais activement, à ses travaux. »
La Dépêche de l'Ouest rapporte aussi cette journée à Médan : « Dimanche, comme un soleil léger annonçait un bel après-midi, nous nous sommes rendus à Médan, où avait lieu la réunion annuelle des Amis de Zola. Les fidèles étaient nombreux, plus nombreux peut-être que d'habitude, car M. Céline, l'auteur célèbre du Voyage au bout de la nuit et de l'Eglise devait prendre part à la cérémonie. (...) De ce jardin d'où la vue s'étend sur les collines de l'Hautil, Triel, Meulan, le bassin de la Seine, à travers un océan de ramures à peine touché par octobre, et où se marquait seulement l'approche de l'automne à la décoration délicate des verdures, face à un horizon comme on n'en voit que dans l'Ile-de-France, à la fois lumineux et voilé, M. Céline a parlé en effet, sinon de Zola du moins de lui-même. » (4)
C'est sans doute au journaliste de Charivari que l'on doit la description la plus savoureuse de cette journée où tout le gratin littéraire de l'époque communie chez les Leblond-Zola : « Rien de plus comique que la foule d'environ cinq cents personnes qui se pressait à Médan dimanche dernier pour fêter Zola. (...) Public étrange. De vieux esthètes, familiers des réunions de l'Union pour la vérité, d'anciens dreyfusards qui frémissent encore au seul énoncé des avatars du capitaine, petits bourgeois friands de scandale qui s'attendaient à voir Céline écumant et vitupérant et se promettaient de ne point manquer le spectacle, fonctionnaires enfin, sages fonctionnaires, qui sont de toutes les inaugurations (...) On banqueta d'abord dans un médiocre café du lieu et le banquet qui réunit un groupe hétéroclite de gens de lettres fut aussi bizarre que le public. “On a bien mangé mais on a mal bu", disait en sortant, Louis-Ferdinand Céline. » (5)

Le Courrier des Yvelines, 17 août 2011.

Photo : Photo paru dans L'Intransigeant du 3 octobre 1933.


Notes
(2) Max Descaves, “Dimanche à Médan, L.-F. Céline fera l'oraison funèbre d'une société agonisante à l'occasion de l'anniversaire de Zola”, Paris-Midi, 28 septembre 1933.
(3) On a coutume de dire que L'Eglise est l'embryon du Voyage au bout de la nuit.
(4) “Un pèlerinage à Médan”, La Dépêche de l'Ouest (Brest), 3 octobre 1933.
(5) “Quand on fête Zola”, Le Charivari, 7 octobre 1933.