samedi 30 juin 2012

Le Paris de Céline (IV) : le square Louvois

Véritable îlot de verdure du IIè arrondissement parisien, faisant face à la Bibliothèque Nationale, le square Louvois fut créé en 1836. Jusqu'en 1820,  s'est élevé à cet endroit le théâtre de l'Opéra, finalement fermé puis détruit après l'assassinat dans le théâtre du duc de Berry, deuxième fils du futur Charles X. En 1844, l’architecte français d’origine italienne Ludovico Visconti (1791-1853) y érigea une des plus jolies fontaines de Paris arborant des sculptures féminines de Jean-Baptiste Klagmann symbolisant la Seine, la Loire, la Saône et la Garonne. C'est finalement l'ingénieur Alphand qui donna au jardin son visage actuel.  Il fut inauguré le 15 août 1859, à l'occasion de la fête de Napoléon III.

Le 1er octobre 1900, le jeune Louis Destouches est inscrit à l'école communale de la rue de Louvois, située à deux pas du logement familial et de la boutique de sa mère, Passage Choiseul.

Ecole de la rue de Louvois
A cette époque, Louis est un « enfant intelligent, mais d'une paresse excessive entretenue par la faiblesse de ses parents. Était capable de très bien faire sous une direction ferme. Bonne instruction. Éducation très relâchée », si l'on en croit cette affirmation d'un de ses professeurs.

Il y restera jusqu'au 27 février 1905, date de son départ pour l'école catholique Saint Joseph des Tuileries située au 6 rue du 29 juillet. L'héritage reçut par ses parents suite au décès de la grand-mère, Céline Guillou, le 18 décembre 1904 permet en effet au couple Destouches une certaine aisance financière et décide donc de l'inscrire dans cette école privée, qui propose un enseignement religieux, de bonne réputation et aux règles plus strictes.

Pour Céline, ce square Louvois, c'est donc d'abord sa première école :

« Avec Grand-mère Caroline, on apprenait pas très vite. Tout de même un jour, j'ai su compter jusqu'à cent et même je savais lire mieux qu'elle. J'étais prêt pour les additions. C'était la rentrée de l'école. On a choisi la Communale, rue des Jeûneurs, à deux pas de chez nous, après le Carrefour des Francs-Bourgeois, la porte toute foncée.
On suivait un long couloir, on arrivait dans la classe. Ca donnait sur une petite cour, et puis sur un mur si haut, si élevé, que le bleu du ciel restait après. Pour qu'on regarde pas en l'air, nous autres, y avait en pus un rebord en tôle qui formait préau. On devait s'intéresser qu'aux devoirs et pas troubler l'instituteur. Je l'ai connu à peine celui-là, je me souviens que de ses binocles, de sa longue badine, des manchettes sur son pupitre.
C'est Grand-mère elle-même qui m'a conduit pendant huit jours, le neuvième je suis tombé malade. » (Mort à crédit, p. 585, Pléiade)

« Ma mère m'a reconduit à l'école avec mille recommandations. Elle était dans tous ses états en arrivant rue des Jeûneurs. Les gens l'avaient déjà prévenue, qu'on me garderait pas huit jours. Je me suis pourtout tenu peinard, on m'a pas chassé. J'apprenais rien, c'est un fait. Ca me désespérit l'école, l'instituteur en barbiche, il en finissait jamais de nous broutter ses problèmes. Il me fouttait la poisse rien qu'à le regarder. Moi d'abord d'avoir tâté, avec Popaul, la vadrouille, ça me débectait complètement de rester ensuite comme ça assis pendant des heures et des payes à écouter des inventions. » (Mort à crédit, p. 606, Pléiade)

Mais c'est aussi un espace de nature et de calme :

« J'en savais assez, je pouvais m'en aller... J'ai pris les cent sous... Je suis sorti du Passage... Je suis resté un petit moment près du bassin square Louvois... Comme ça sur un banc, je réfléchis... » (Mort à crédit)

« Passage Choiseul, il n'y a pas beaucoup de spectacles de la nature ?
- Ah ! il n'y en a aucun.
- Vous étiez un petit gosse de Paris qui connaît peu la nature, l'air pur. Comment avez-vous découvert la nature ?
- Au cimetière, pour aller voir la tombe de ma grand-mère, quand elle est morte. Au cimetière et puis au square Louvois parce que c'était mon école. » (A Louis Pauwels et André Brissaud, 1959)

De cette époque, Céline ne gardera que peu d'amis. Seule restera Simone Saintu, rencontré durant un cours de piano, et avec laquelle il échangera de très belles lettres lors de son voyage en Afrique en 1916-1917. Est-ce ce passage à l'école communale, qu'il n'aime guère, qui lui fera écrire quelques années plus tard un véritable réquisitoire contre l'institution, ses méthodes et les matières enseignées :

« On apprend rien à l’école que des sottises raisonnantes, anémiantes, médiocrisantes, l’air de tourner con râbacheur. Regardez les petits enfants, les premières années… ils sont tout charme, tout poésie, tout espiègle guilleretterie… À partir de dix, douze ans, finie la magie de primesaut ! mués louches sournois butés cancers, petits drôles plus approchables, assommants, pervers grimaciers, garçons et filles, ragoteux, crispés, stupides, comme papa maman. Une faillite ! Presque déjà parfait vieillard à l’âge de douze ans ! Une culbute des étoiles en nos décombres et nos fanges !
Un désastre de féerie.
Quelle raison ? La puberté ? Elle a bon dos ! Non ! Parce que dressés tout de suite en force, sonnés d’emblée dès l’école, la grande mutilante de jeunesse, l’école leur aura coupé les ailes au lieu de leur ouvrir toutes grandes et plus grandes encore ! L’école n’élève personne aux nues, elle mutile, elle châtre. Elle ne crée pas des hommes ailés, des âmes qui dansent, elle fabrique des sous-hommes rampants qui s’intéressent plus qu’à quatre pattes, de boutiffes en égouts secrets, de boîtes à ordures en eaux grasses.
» (Les Beaux draps)

« Les écoles fonctionnent dans ce but, ce sont les lieux de torture pour la parfaite innocence, la joie spontanée, l’étranglement des oiseaux, la fabrication d’un deuil qui suinte déjà de tous les murs, la poisse sociale primitive, l’enduit qui pénètre tout, suffoque, estourbit pour toujours toute gaîté de vivre. » (Les Beaux draps)

Après ce sombre bilan, les solutions proposées par le pamphlétaire :

« Au lieu d’apprendre les participes et tant que ça de géométrie et de physique pas amusante, y a qu’à bouleverser les notions, donner la prime à la musique, aux chants en choeur, à la peinture, à la composition surtout, aux trouvailles des danses personnelles, aux rigodons particuliers, tout ce qui donne parfum à la vie, guilleretterie jolie, porte l’esprit à fleurir, enjolive nos heures, nos tristesses, nous assure un peu de bonheur, d’enthousiasme, de chaleur qui nous élève, nous fait traverser l’existence, en somme sur un nuage.
C’est ça le Bon Dieu à l’école, s’enticher d’un joli Bel-Art, l’emporter tout chaud dans la vie. Le vrai crucifix c’est d’apprendre la magie du gentil secret, le sortilège qui nous donne la clef de la beauté des choses, des petites, des laides, des minables, des grandes, des splendides, des ratées, et l’oubli de toutes les vacheries
. » (Les Beaux draps)

« L’enfance notre seul salut. L’École. Non à partir des sciences exactes, du Code civil, ou des morales impassibles, mais reprenant tout des Beaux-Arts, de l’enthousiasme, de l’émotion, du don vivant de la création, du charme de race, toutes les bonnes choses dont on ne veut plus, qu’on traque, qu’on vexe, qu’on écrabouille. » (Les Beaux draps)

« Sans création continuelle, artistique, et de tous, aucune société possible, durable, surtout aux jours d’aujourd’hui, où tout n’est que mécanique, autour de nous, agressif, abominable. » (Les Beaux draps)

« Mais je vois l’homme d’autant plus inquiet qu’il a perdu le goût des fables, du fabuleux, des Légendes, inquiet à hurler, qu’il adule, vénère le précis, le prosaïque, le chronomètre, le pondérable. Ça va pas avec sa nature. » (Les Beaux draps)

M.G.
Le Petit Célinien, 30 juin 2012. 



La classe de l'école Saint-Joseph des Tuileries (1905). Céline est au 2è rang en partant du haut, et le 2è en partant de la droite.





Sur le sujet :
> Le Paris de Céline (I) : le square des Arts-et-métiers
> Le Paris de Céline (II) : Clichy-la-Garenne
> Le Paris de Céline (III) : 11 rue Marsollier

XIXè Colloque international Louis-Ferdinand Céline du 6 au 8 juillet 2012 à Berlin

Le dix-neuvième Colloque international Louis-Ferdinand Céline, organisé par la Société d'études céliniennes, se déroulera du 6 au 8 juillet 2012 au Frankreich-Zentrum de la Freï Universität de Berlin (Rheinbabenallee 49, Berlin). Voici le programme complet de ces trois journées.

VENDREDI 6 JUILLET 2012

10h - Ouverture du colloque par François Gibault, président de la SEC

10h15 - Présidence François GIBAULT
Ana Maria ALVES 
Céline et les rapports franco-allemands
Christine SAUTERMEISTER 
D'un café l'autre : Céline et Marcel Déat à Sigmaringen

11h30
Pascal IFRI 
L'Allemagne et les Allemands dans la correspondance de Céline (1907-1939)
Émile BRAMI
L'Allemagne dans la correspondance de Céline (1940-1961)

13h - Déjeuner

14h - Présidence Christine SAUTERMEISTER
Margarete ZIMMERMANN
Les représentations de Berlin dans Nord
David FONTAINE
Le Berlin de Céline

15h30
André DERVAL
Allemand et anglais, entre musique et charabia
Ann SEBA-COLLET
Céline en bataille avec la guerre : l'Allemagne, catalyseur d'un pacifisme



SAMEDI 7 JUILLET 2012

9h45 - Présidence Margarete ZIMMERMANN
Bianca ROMANIUC-BOULARAND
Un phénomène stylistique célinien : la récurrence formelle et sémantique
Catherine ROUAYRENC
Les avatars de la métaphore dans les derniers romans

11h
Alice STASKOVA
Figure et espace dans la trilogie allemande et dans Féerie pour une autre fois I
Suzanne LAFONT
Des collabos aux Balubas : le miroir sonore de l'histoire dans la trilogie allemande
Véronique FLAMBARD-WEISBART 
La traversée de l'Allemagne en train

13h - Déjeuner

14h - Présidence Alice STASKOVA
François-Xavier LAVENNE
Orphée en Allemagne : la trilogie, parcours à travers les enfers et quête de l'écriture
Sven Thorsten KILIAN
L'Allemagne, ce monstre

15h30
Anne BAUDART
Céline et l'art en Allemagne
Johanne BÉNARD
Le théâtre dans la trilogie allemande : l'envers du décor

DIMANCHE 8 JUILLET 2012

10h - Présidence André DERVAL
Pierre-Marie MIROUX
Le Nord chez Céline ; des racines et des ailes
Marie-Pierre LITAUDON
Guignol's band... au passage

11h15
Louis BURKARD
Les pamphlets de Céline et leur interdiction en droit
Isabelle BLONDIAUX
Pourquoi lire Céline ?

12h30 - Assemblée Générale de la Société d'études céliniennes

13h - Clôture du colloque


Sociétés d'études céliniennes
3, rue Monsieur
75007 PARIS

Freï Universität
Rheinbabenallee 49

Céline s'affiche au cinéma...

Sortie le 27 juin 2012 en France, le film Starbuck, réalisé par Ken Scott, est une comédie venue de Québec. Dès les premières minutes du film, lorsque le personnage principal se décide à faire quelques emplettes chez son libraire, s'affiche derrière celui-ci un portrait de Louis-Ferdinand Céline... Choix du réalisateur ? Hasard d'une librairie "célinienne" ? Le mystère reste entier...





Voici les 7 premières minutes du film. Le portrait de Céline apparaît en fin d'extrait :




www.allocine.fr
www.starbuck-lefilm.com



A lire :
> Céline au cinéma (bis)
> Céline figurant dans Tovaritch de Jacques Deval (1935)

A voir :
> Les livres qui tuent (téléfilm sur l'assassinat de Robert Denöel)


jeudi 28 juin 2012

Céline à Genève (1924 - 1927)

Hôtel "La Résidence" (Genève, Suisse)
Sur recommandation du professeur S. Gunn, représentant de la Fondation Rockefeller en Europe, le docteur Louis Destouches est engagé par le docteur Ludwig Rajchman, directeur de la Section d'hygiène de la Société des Nations, en 1924.

Il arrive à Genève le 27 juin 1924 pour signer un premier contrat de travail d'une durée de deux mois. C'est le 10 août 1924 qu'il sera nommé pour trois ans au poste de responsable des échanges de médecins spécialistes. (fin du contrat au 31 décembre 1927). 

A son arrivée, Céline commence par s'installer à l'Hôtel "La Résidence" (aussi nommé Pension Mathey avant 1929), route de Florissant.

En décembre 1925, il emménagera dans un trois pièces en banlieue de Genève, au 35 D, chemin de Miremont à Champel. L'année suivante, il fera la rencontre déterminante avec Elisabeth Craig, jeune danseuse américaine de vingt-quatre ans, à Genève pour des cours de danse. Elle deviendra la célèbre dédicataire de Voyage au bout de la nuit...

Il rédige ses premiers textes et rapports en septembre 1924 et organise sa première mission aux Pays-Bas en novembre, qui sera suivie par d'autres déplacements à travers le monde : Etats-Unis, Cuba, Canada, Belgique, France, Italie (1925), Afrique et Europe (1926).

Après l'expiration de son contrat de travail, le docteur Destouches devient collaborateur extérieur à la SDN, ce qui lui permettra d'effectuer plusieurs voyages d'études : Londres (février-mars 1929), Suède, Norvège, Danemark et Allemagne (Août-septembre 1929), Allemagne, Tchécoslovaquie et Autriche (1930).

En 1928, c'est le retour en France où il s'installe comme médecin à Clichy-la-Garenne, rue d'Alsace.

M.G.
Le Petit Célinien, 28 juin 2012.





35 D,  chemin de Miremont à Champel

Hotel "La Résidence" à Genève (avant 1929)



mardi 26 juin 2012

« Lectrices de Céline 1932-1936 » par Henri Thyssens

C'est moi l'empressé, le galant Ferdinand,
le tourbillon des dames !

Sauf la lettre d’un « agent forestier » publiée par Emile Zavie dans L’Intransigeant du 4 mars 1933, et une diatribe violente signée Jean Etcheverry dans Le Merle Blanc en 1936, on n’a pas beaucoup de témoignages quant à l’impact des romans de Céline sur ses lecteurs à l'époque de leur parution - et moins encore sur ses lectrices.
Il existait avant la guerre une revue hebdomadaire pour les dames appelée Femme de France qui, outre des sujets spécifiquement féminins, proposait des articles de fond sur les beaux-arts (René Dumesnil), la gastronomie (Alin Laubreaux), la littérature (André Billy), et publiait régulièrement des portraits de femmes écrivains fort bien venus.

Femme de France permettait aussi à ses abonnées de donner leur avis dans une rubrique très suivie : « La Ruche ». Elles s’appelaient familièrement des « Abeilles », signaient leurs messages de pseudonymes (pas plus stupides que ceux qu’on trouve sur nos blogs actuels), et se querellaient parfois sur des sujets divers, notamment la littérature. Un organe de presse précurseur de l’Internet et de nos réseaux sociaux, en somme. Au moment où paraît le roman de Céline, les « abeilles » n'en finissent pas d'épiloguer à propos du livre de Lawrence, L'Amant de Lady Chatterley, dont la traduction française est parue chez Gallimard quelques mois plus tôt.
Quel était le profil des lectrices de cette revue ? Jeunes filles, « femmes au foyer », retraitées ? Selon les patrons de modes proposés, tout cela en même temps. Aucune tendance politique affirmée mais, sachant que l'hebdomadaire avait commencé de paraître en 1915 sous le titre Mode et beauté, on comprend vite qu'il s'adresse à une classe sociale aisée. Ces dames étaient de ferventes lectrices et leurs références parfois déroutantes ; à deux reprises, l’une d’elles cite Giono à propos de Céline : je n'en ai pas retrouvé la source.

Voyage au bout de la nuit

Le 1er janvier 1933 André Billy avait, sans trop s’appesantir, rendu compte de Voyage au bout de la nuit. Dès le mois suivant un débat passionné s’installait durablement à propos de Céline, de ses romans et de son style.
Le 19 février une abeille qui signe « Souris de bibliothèque » montre qu'elle lit la plupart des romans récemment couronnés : « J'ai trouvé Les Loups banal ; Le Pari, très quelconque ; La Maison des Bories ne casse rien. Au bout de la nuit est une ordure. On peut être aigri contre la société et savoir tout de même soigner son style et éviter les formes scatologiques. J'ai déjà lu des ouvrages aussi anarchistes autrement profonds et surtout plus littéraires. Et ils n'ont pas été couronnés, ceux-là ! Il est vrai, si j'en crois les diverses revues que je lis, que la plupart des prix sont surtout une affaire d'intrigues. »
Le 26 mars « Illusion » aborde le sujet qui fâche : « Quelles sont les Abeilles ayant lu Au bout de la nuit de Céline ? Ce livre m’a déplu. Car en plus du style Zola, que je n’aime guère, il est triste et morne, sans aucune éclaircie. »
Le 16 avril « La Chèvre de M. Séguin », une autre abeille, répond : « Nauséabond, corrosif, injuste, haineux et désespéré, mais puissant, cela vous prend aux entrailles. Au bout de la nuit, il y a les premières heures du jour. Je n’ai rien entrevu de tel à la fin de ce livre, affreusement déprimant. C’est pourquoi on ne peut le mettre entre toutes les mains. »
Le 23 avril « Mauresque » rétorque à « Souris de bibliothèque » : « Ecoute, Souris, sois franche et dis que Au bout de la nuit était trop dur pour tes quenottes mais, je t’en prie, ne raconte pas de bêtises. Ce livre est loin d’être anarchiste, il est humain avec le récit des tares humaines. Je félicite M. Céline d’avoir eu le courage d’écrire de si belles pages. Allons, Souris, tu n’as pas entendu les récits des tiens au retour de la guerre ? Tous les cas cités par l’auteur m’étaient connus ; tu dois être jeune, ou tu n’as pas roulé ta bosse, petite Souris, pour médire de ce livre. Je suis de ton avis en ce qui concerne les formes scatologiques, mais tu oublies qu’il fait parler un type spécial et là on ne s’embarrasse pas de rhétorique, tu as dû comprendre que les redites sont voulues. Bien entendu, ce n’est pas un livre pour la jeunesse. »
Dans le même numéro « L’Abusée » appelle à l’aide : « Abeilles, mes amies, voulez-vous me conseiller ? Mon mari insiste pour m’empêcher de lire le livre de Céline dont on parle tant : Voyage au bout de la nuit. Les polémiques qu’il a soulevées ont excité ma curiosité, je voudrais juger par moi-même. Ce livre, prétend-on, est d’une inspiration trop virile pour nous autres femmes. Sa vigueur est faite pour nous effrayer, pour heurter toutes nos fragilités... N’est-ce pas un peu blessant pour nous ? Pourquoi nous tenir à l’écart des tentatives hardies ? Pourquoi, sans les ressentir nous-mêmes, ne pourrions-nous comprendre et goûter les audaces de la littérature masculine ? »
Le 12 mai « La Victoire aptère » estime que « L’auteur aigri ne voit que la saleté de la misère, la bassesse dans l’être pauvre et souffrant. Que sont belles, par contraste, les tragiques brutalités d’un Giono ! Il distingue la beauté dans certains êtres misérables, peint l’ombre et la lumière. J’aime son opinion : " si Céline pensait tout ce qu’il écrit, il se serait suicidé " ».
Le 28 mai « La Pivoine » fait part de son avis sur deux livres : « Au bout de la nuit et Lady Chatterley ont suscité bien des polémiques. Je trouve qu’ils ne sont pas sans valeur. Le premier, de Céline, d’un style lourd, est difficile à lire, mais citez-moi quelque chose de plus serré que cette peinture de la vie aux colonies, de plus émouvant que la description des quartiers pauvres de Paris, de plus vivant que ce raté de docteur. Naturellement, le style ne rappelle pas celui de La Princesse de Clèves. »
Le 11 juin « La Douceur d’aimer » répond à « La Chèvre de M. Séguin » : « Ce que vous dites du livre de Céline résume toute ma pensée, mais je n’aurais pas su, comme vous, trouver les mots exacts pour définir mon impression. »
Le 2 juillet « Vent marin » considère Voyage comme « Un cauchemar malsain, mais non dénué d’intérêt. Dommage qu’il ait cru bon d’attirer l’attention sur lui par une langue scandaleuse, des tournures populacières fatigantes et un amour vraiment par trop immodéré de la scatologie. Dommage ! Il vaut mieux que ça. »
Le 9 juillet deux abeilles belges se disputent. « Belga » répond à « La Liégeoise » : « Le noir poison de l’époque c’est le pessimisme et il est cependant à la mode ; à ce sujet le livre de Céline, Le Voyage au bout de la nuit, est terrible ; il est admirablement écrit, prenant, malgré le sentiment de tristesse et de dégoût que l’on ressent devant ces centaines de pages démoralisantes et corrosives, mais il y a des passages noirs, malheureusement. Toutefois, je ne puis admettre cette vie entière qui se passe avec des gens tarés, malsains. Et si je faisais partie d’un jury, je ne décernerais pas le prix à une œuvre aussi malfaisante. Il me semble qu’en plus de la forme, il faut juger du fond, et que dans la période triste que nous avons depuis 1914, il faut rendre l’espoir et le courage à ceux qui sont abattus. »
Dans le même numéro « Deux Tarnagas » reproche sévèrement à « Mauresque » son jugement du 23 avril : « Il n’est pas vrai, Mauresque, que le livre de Céline soit beau ! Grande est l’humiliation d’appartenir à la race humaine, capable de produire d’aussi répugnants livres. »
« Souris de bibliothèque » n’a pas apprécié la « leçon » donnée le 23 avril par la même « Mauresque » et elle lui rétorque sur le mode célinien : « Si t’as lu Céline comme t’as lu mon courrier, je m’étonne pas que tu n’y aies rien compris. De mon temps, on apprenait à lire avant d’écrire. Tu me rappelles ma voisine qu’on a surnommée " le phonographe " et qui, comme toi, confond peuple et populace, bourgeois et esprit bourgeois, écrire et phraser, puissance et grossièreté. » D’autant qu’elle-même a vécu dans des milieux « qu’il te répugnerait peut-être d’approcher », conclut-elle.
Le 16 juillet « L’Oasis » répond à la question posée par « Illusion », le 26 mars : « Je suis de votre avis, si Au bout de la nuit de Céline a eu un prix littéraire, on peut croire que parmi les aveugles... Le fonds est bon, mais la forme mauvaise. Style Zola ? non, car Zola écrivait en français, et Céline, avant d’apprendre la médecine, aurait dû prendre des leçons de grammaire. Certains écrivains et ceux qui les couronnent se moquent tout de même un peu trop du public. »
Le 6 août « Majores Pennas Nido » n’y va pas avec le dos de la cuillère : « Abeilles amies, avez-vous pu faire jusqu’au bout le Voyage au bout de la nuit avec ce M. Céline ? Pouah ! quel cloaque ! On éprouve le besoin de faire une pleine eau dans sa baignoire, après pareille lecture. Dieu ! que je plains ce monsieur Céline ! »
Le 27 août « Sur la branche », qui n’a sans doute pas suivi la polémique depuis le début, pose une question dont on débat depuis plusieurs mois : « Que pensez-vous, Abeilles, de Voyage au bout de la nuit ? Je le lis au compte-gouttes, tellement le style en est vulgaire. Au bout de quelques pages, j’ai envie de me plonger dans un bain chaud. Le récit est cependant vif et alerte. Je n’ai encore aucune impression nette, n’étant qu’au commencement du livre et il est bien gros. Céline est bien courageux de noircir tant de papier. »
Le 3 septembre « Deux Tarnagas » se fait incendier par plusieurs abeilles :
- « My Zette » : « Ne dites pas du mal du livre de Céline. Vous ne l’avez pas compris ! »
- « Carine » : « Céline ? Pas répugnant comme vous le dites ; c’est simplement une radiographie de notre bêtise et de notre méchanceté et il est parfois salutaire qu’on nous oblige à voir ce que nous nous efforçons de nous cacher à nous-mêmes avec tant de soin, par veulerie. »
- « Vampire » : « Céline vous fait honte ? Voilà ce que c’est que d’employer des verres roses pour se considérer soi-même et les autres ! Quant à Céline, il a vu l’humanité telle qu’elle est et non telle qu’elle veut paraître, et je ne pense pas qu’un médecin, ou un confesseur, voire un avoué, puisse le contredire sans risquer d’être taxé de niaiserie, d’aveuglement ou d’hypocrisie. » L’abeille belge nommée « Belga » avait qualifié d'admirable le style du livre, le 9 juillet, et « Vampire » s’insurge : « Bien écrit, le Voyage ? Pour une Belge, peut-être... »
Le 1er octobre « Panacée » se déclare célinienne sans réserve : « Et ce Voyage au bout de la nuit, cette grande fresque du cafard et de la misère humaine, il m’a plu, intégralement. Les " grossièretés " ? La vie n’en comporte-t-elle pas, elle aussi ? Quel idéaliste, au fond, ce Céline, pour avoir trouvé la vie si mauvaise, pour avoir renié l’idéal et toute poésie, comme il a dû souffrir ! J’ai prisé aussi beaucoup son humour, et ce qu’il dit de vérités, parfois ; il est " vrai " jusqu’au bout, lui-même ne craint pas de se mettre dans le " bain " ; si tous, hommes et femmes, sont mis à " la sauce caillou ", il a garde de s’abstraire et ne nous épargne rien de sa paresse, de sa lâcheté, de ses peurs, de ses dégoûts, tout cela est tellement humain ! Je le trouve grand, moi, le livre de Céline, c’est le voyage au bout d’une nuit qui n’en finit pas d’être désespérée... »
Le 8 octobre « Carine » propose une intéressante comparaison : « Qui a lu Le Coup de lune de G. Simenon et qu’en pense-t-on ? Il semble que l’auteur soit du même avis que Céline au sujet de la vie aux colonies. J’ai beaucoup aimé ce livre. »
Le 22 octobre « Mauresque » rétorque à « Lunette » : « Ayant dit ma pensée sur Céline, je vais encore et sans plus répondre à votre message. 1° J’ai digéré Céline parce que j’ai bon estomac. 2° Je trouve ce livre réaliste et non anarchiste. [...] Céline, puissant observateur doublé d’une courageuse sincérité, ne peut être comparé à Flaubert, Racine, etc. »
Le 12 novembre « Fantaisie » se dit surtout sensible aux animaux : « On peut penser, en lisant Céline, que l’homme est un très méchant animal, et certaines vérités prennent dans ces lignes parcourues d’autant plus de force, qu’elles y sont soulignées de mots crus, car à tout prendre, quand il s’agit de laideurs, la brutalité du style est supportable et peut-être moins choquante que l’hypocrite voile d’une forme doucereusement élégante, pour conter des histoires sales ; mais ce qui me navre comme une injustice et une ingratitude, c’est que le mot choisi pour condenser toute la malignité humaine soit celui qui désigne le paisible et doux animal, tout au service de l’homme et finalement sa victime, ornement de nos calmes campagnes ». On suppose qu’elle pense aux vaches.
Le 26 novembre « Milouly », qui a dû renoncer à lire le roman, le propose en échange : « J’offre contre un roman du Masque, à la première Abeille qui m’en fera la demande, le Voyage au bout de la nuit de Céline. »
Le 17 décembre « L’Ame ardente », sans doute impressionnée par tant d’avis sévères, hésite à empoigner ce Voyage : « Je n’ose lire le livre de Céline puisqu’il est jugé déprimant. J’avais pourtant grande envie de le connaître. »
Le 21 janvier 1934 « Vampire » revient sur la question du style : « Il est des Belges qui rendraient des points à maints Français, quant à la pureté de la langue. Mais ceux-là ne trouvent pas bien écrit le livre de Céline. Honnissant le fond du Voyage, « Belga » en vantait l’écriture, d’où de ma part, attribution de cette indulgence à la qualité d’étrangère de « Belga ».
L’abeille « Tanagra » lui réplique dans le même numéro : « Je regrette de vous contredire, mais j’ai autour de moi plusieurs médecins (je ne les crois ni niais, ni aveugles et encore moins hypocrites) qui n’apprécient pas du tout le Voyage au bout de la nuit. Vous avez d’ailleurs pu voir que les critiques des journaux médicaux n’ont pas été tendres pour leur confrère. De plus, j’ai connu bien des étudiants en médecine : certains n’employaient pas un langage châtié et ne posaient pas pour les bonnes manières ; aucun cependant ne parlait le langage fantaisiste du héros de Céline. Ecrire ce que personne n’avait osé avant lui serait parfait si cela répondait à quelque vérité, mais l’outrance de certaines scènes rapportées, le style superficiel, enlèvent toute véracité à son œuvre. »
Le 4 mars « Lunette d’approche » répond au message du 8 octobre de « Carine » : « Simenon, Céline et Londres, reporters ou écrivains au cœur vierge de toute compromission, ont porté sur nos colonies un regard objectif. Ils ont été vite édifiés sur les raisons fondamentales qui nous accrochent aux colonies. Ce sont ces raisons, qui n’ont rien à voir avec le patriotisme, qu’ils ont dénoncées. »
Le 25 mars « Le Temps des cerises » s’adresse à « L’Ame ardente » qui, le 17 décembre, craignait de s’aventurer dans le Voyage : « Lisez Céline, et ne craignez pas d’être déprimée. Cette lecture ne m’a rien laissé et je suis de l’avis de « Tanagra ». La brutalité du style n’est rien, c’est sa vulgarité et son français qui choquent. L’auteur aurait pu dépeindre les mêmes horreurs de la vie avec un style différent, il eût été plus poignant ; son dégoût exprimé sobrement eût eu plus de grandeur et de persuasion ; la laideur peut émouvoir, le vulgaire, jamais. »
Le 27 mai « Le Rare bonheur » est formelle : « Le soi-disant voyage à la Colonie de Céline est absurde, et indique qu’il n’y a jamais été. Quant au Coup de lune, de Simenon, ainsi que le disait très justement « Parfum d’éventail » [une autre Abeille], il devrait se nommer « Le Coup de bambou », mais c’est Simenon qui l’a reçu ! Le colonial abruti par le climat, le cafard et l’absinthe, quelle légende ! Lisez donc les articles d’Edouard Helsey dans Le Journal, qui sont parfaitement justes. »
Le 11 novembre « La Victoire aptère » note : « Pour celles qui prônent la Nuit de Céline, je relève cette belle vérité de Giono (dans La Femme morte) [?], adressée aux auteurs français : « Tous vos livres disent non à la vie. C’est facile d’être négatif, et je n’avais pas besoin qu’on m’y aide. Nous sommes loin de ceux qui écrivent m... cent fois la ligne pour faire croire qu’ils sont forts. Ne vante-t-on partout votre courage ? N’aurez-vous jamais que le plus bas ? »
Le 20 janvier 1935 « Aurore » émet cet avis définitif : « J’ai eu le courage de lire le Voyage au bout de la nuit jusqu’au bout. Quelle indigestion ! Céline m’a guérie à tout jamais de sa prose. »
Le 13 septembre 1936 « Sans prétention », qui a pris un peu de retard, propose aux autres abeilles : « Voulez-vous apprendre le beau langage à Louis-Ferdinand Céline qui m'a dégoûtée dans son Voyage au bout de la nuit ? »

Mort à crédit

Comme on peut s’y attendre, le deuxième roman de Céline provoque des réactions aussi excessives que le premier. S’y ajoute l’accusation de « pornographie », alors que les passages trop crus ont été censurés dans le volume destiné au public. Ces dames auraient-elles rempli les « blancs » du texte ?
Le 9 août 1936 « Oui, mon chien » a commis des excès de table et se dit « encore toute barbouillée » : « Mais peut-être est-ce d’avoir lu Mort à crédit jusqu’au bout ? »
Le 23 août « La Pivoine » se dit horrifiée : « A propos du dernier-né de Céline, Mort à crédit, je voudrais bien connaître l’opinion des Abeilles. Nous avons là matière à discussion pour trois mois. Ce livre dont on parle tant est à mon avis un livre pornographique. L’Amant de Lady Chatterley est bien innocent à côté. Quel dommage que Céline gaspille ainsi son talent, car il est indéniable qu’il a un don de conteur et d’observation très aigu. Mais que diantre a-t-il besoin de se servir toujours d’expressions triviales, d’argot incompréhensible, de gouaperies, d’ordures ? Chaque page vous réserve une scène dégoûtante ; on se demande si vraiment ces choses décrites peuvent exister. Et si elles existent, quel besoin de les étaler aussi indécemment ? »
Le 30 août « Swimmer » a lu le premier roman de Luc Dietrich, Le Bonheur des tristes : « Je n'aime pas lire un auteur qui se complaît dans l'ordure : Céline et Dietrich s'y roulent ! »
« Une Femme sur une galère » ne partage pas cet avis : « Le Bonheur des tristes est un livre étrange, plein d'histoires merveilleuses dans lesquelles des douceurs imprévues contrastent avec d'âpres pages. Luc Dietrich est un tout jeune écrivain, très fier et très noble. Il fait actuellement un long séjour dans une clinique où je vais souvent lui rendre visite. »
Le 25 octobre « Miss Néant » s’adresse à « La Pivoine » : « Vous avez donc eu le courage, malgré que le livre de Céline vous ait dégoûtée, d’aller jusqu’au bout ? Il ne vous a pas tant déplu que cela, alors... Pour ma part, à la troisième page, je n’ai pu continuer. Oui, vraiment dégoûtant et pourtant mon mari l’a trouvé à certains passages hilarant ; il est vrai que docteur lui-même, il n’y a là rien d’étonnant, étant habitué à ce langage d’internat, à toutes ces descriptions que l’auteur donne. Evidemment que cela existe, c’est bien parce que c’est la vérité, que c’est dégoûtant. J’ai lu votre message à mon mari et il m’a répondu que certains livres ne sont pas pour les femmes et que vous n’étiez pas obligée de le lire. »
Le 1er novembre « La Râleuse » répond à son tour à « La Pivoine » : « Vous ouvrez le ban, et en voilà, comme vous dites, pour trois mois d’une discussion... oiseuse. Vraiment ? Vous ne trouvez dans une œuvre de Céline ou Lawrence qu’insanités, trivialités, ordures et gouaperies ? Fichtre ! Bizarre quand même, que prudes et vertueuses, vous soyez toujours premières à avoir lu le livre sitôt sorti pour le couvrir d’opprobre. La tentation est donc si forte ? Comme ferait mieux dans la caisse des filleuls le prix de ce livre (assez élevé) puisque, après lecture, il ne vous reste qu’écœurement et surtout, oh ! surtout, que vous savez d’avance que c’est un livre pornographique (?) »
Dans le même numéro « Bettina » n'a pas été enthousiasmée : « Ai-je le nez trop fin ? Je n'ai pu terminer Mort à crédit. Cette accumulation d'ordures ne dégoûte même plus,  elle ennuie tout simplement. »
Le 22 novembre « Vampire », qui s’était manifestée deux fois à propos de Voyage, paraît avoir apprécié le nouveau roman : « J’ai des tas de reproches à adresser aussi à Céline, mais lorsque ce phénomène se mêle d’employer le langage orthodoxe, il y est maître, et pour l’humour, il ne craint personne ! Mort à crédit ne perdrait rien à être amputé du début et d’un tiers des turpitudes qui suivent, mais certaines scènes familiales, touchantes ou ignobles, et surtout l’épopée Courtial des Péreires, quel régal ! »
Le 20 décembre « Tanagra » paraît bien résignée à ne pas lire le roman : « Quant à Mort à crédit, j’admire autant la patience de Céline pour l’avoir écrit, que celle du lecteur capable de le lire. Je viens de recevoir ce volume, mais crains bien qu’il ne soit jamais coupé. » Sur quoi s’est-elle appuyée pour se faire une telle opinion ? La presse, peut-être ?
Le 27 décembre « La Pêcheuse de perles » a un avis bien arrêté sur le romancier : « Un roman de Céline fait toujours penser à la célèbre maxime : " Ce qui distingue des autres professions celle de littérateur, c’est qu’elle n’exige aucune connaissance spéciale, pas même celle du français ". »
Le 3 janvier 1937 « La Pivoine » n'a pas goûté les réflexions de « La Râleuse », le 1er novembre : « La Râleuse trouve bizarre que je n'aime pas les livres pornographiques. Comme on dit ici : il faut de tout pour faire un monde, ce à quoi La Râleuse pourrait rétorquer : " Si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres ". Je continue cependant à dire que Mort à crédit de Céline m'a écœurée. Je ne pense pas que ce soit un livre à mettre dans des mains de femme. La pornographie s'y étale avec ostentation. Céline n'épargne aucun détail ordurier, précis. M. Billy, j'attends vos paroles autorisées pour juger ce livre. Je lirai avec plaisir votre opinion. J'ai lu au hasard une cinquantaine de pages et je n'ai pu continuer et, avec « Bettina », je répète qu'il y a dans ce livre une accumulation d'ordures. » André Billy avait déjà rendu compte du livre, sur le mode ironique, dans L'Œuvre, le 24 mai 1936.
Le 10 janvier « Sur la branche » l'a lu attentivement : « Ce livre cynique, voire dégoûtant, qu'assurément je ne lirai pas deux fois, fait malgré tout une forte impression. Avec son style, qui n'en est pas un, Céline nous fait prendre en pitié ces petits besogneux, écrasés par le destin, qui suintent la tristesse, l'aigreur et la rancune. Comment un enfant, grandissant entre cette mère Jérémie et ce père moralisant ne deviendrait-il pas abruti ? Il y a cependant des scènes hilarantes : le premier voyage en auto, la visite de l'exposition et surtout la traversée de la Manche ; et en fin de compte, ce type héroï-comique qu'est l'escroc ès inventions. Le tout aurait pu être un peu plus court. Est-ce que Céline est médecin dans ces quartiers ou est-ce son milieu natal ? »

Un autre hebdomadaire féminin de cette époque, Les Dimanches de la Femme, donnait lui aussi la parole à ses lectrices dans la rubrique « La Moisson ». Les abonnées sont des « Moissonneuses » et signent leurs messages de pseudonymes fleuris. C'est une revue de même tendance que la précédente, qui paraît depuis 1922 en supplément de La Mode du jour. Ici, la polémique tourne court assez rapidement.

Le 6 août 1933 « The Self made woman » pose la question : « Qui a lu le livre savoureux de F.L. Céline : Voyage au bout de la nuit ? J’estime, quant à moi, que ce livre serait un chef-d’œuvre si l’ironie froide de l’auteur, au lieu de s’étendre sur plus de 600 pages, était concentrée sur 200 seulement. Mais j’entends d’ici les protestations des lectrices pudibondes, qui crient au scandale !... Et, ma foi, elles auraient tort... »
Le 24 septembre « Bleu marine » lui répond : « J’ai lu aussi Voyage au bout de la nuit, de Céline. Voilà un livre de psychologie anarchiste, cru, presque grossier, mais bien rempli, cela change un peu des livres où l’absence d’inspiration et d’esprit de l’auteur est remplacée par des blancs, des lignes de points et des phrases rachitiques. Et... avez-vous lu ce livre avec la permission de votre maman, sympathique affranchie ? »
Le 5 novembre « Pot-au-feu » lui répond à son tour : « Tous les avis ne sont pas les mêmes ; le livre de Céline m’a profondément déplu, ou plutôt ennuyée ; je n’ai pas pu aller jusqu’à la fin. »

A plusieurs reprises des lecteurs de cette époque ont dénoncé la peinture célinienne de la colonie africaine où séjourne Bardamu, assez proche de celle de Simenon dans Le Coup de lune, paru en avril 1933. La Bambola-Bragamance de Céline était située au Cameroun ; le roman de Simenon se passait au Gabon.

Le 26 octobre 1933 Chantecler, un hebdomadaire qui paraissait à Hanoï, avait donné la parole à l'un de ses lecteurs qui tenait à protester contre les « outrances » qu'il avait trouvées dans Voyage au bout de la nuit

Dans son chapeau de présentation le journaliste rappelait que J. Blache, l'un de ses confrères au Midi Colonial, avait protesté « contre les écrivains, soi-disant coloniaux, qui empoisonnent l'opinion publique et font œuvre désagrégeante. Il est de ceux qui disent : il faut se défendre contre ces gens-là ; ce sont de vulgaires malfaiteurs. Et l'on ne saurait leur donner tort. C'est d'ailleurs un très ancien colonial, écrivain de grand talent lui-même, qui m'écrit sa protestation dont voici un extrait » :
« Je viens de lire Voyage au bout de la nuit. C'est un livre puissant, incontestablement, mais il pourrait s'intituler " Voyage au bout de l'outrance " : voici plus de vingt ans que je bourlingue dans la brousse congolaise et n'ai jamais rencontré les coloniaux que dépeint Céline. Je n'ai jamais vu non plus de factorerie aussi miteuse ; c'est absolument invraisemblable. N'importe quel broussard, à moins d'être une larve, se bâtit un nid coquet, c'est si facile, et il a basse-cour, potager, verger, etc. La colonie du docteur Destouches doit se trouver dans une autre planète. Connais pas, franchement, connais pas. Est-ce aussi avec les sous-hommes qu'il dépeint, que la France a pu se constituer un si magnifique empire colonial ? Ces pages outrancières sont au fond une mauvaise action. L'a-t-on dit ? Cela devient maintenant une mode, pour quantité d'écrivains ou d'écrivassiers, qui veulent se faire une réclame de mauvais aloi, de dénigrer les coloniaux et leur œuvre. La plupart de ces gens n'y connaissent rien et n'ont vu les choses que très superficiellement, etc, etc. »

Le journaliste de Chantecler concluait : « Tout ce qui précède est malheureusement trop exact. Mais je dois avouer que, pour ce qui concerne ce bouquin, je ne l'ai pas encore lu et ce que m'en dit mon ami congolais me décide à ne pas en faire l'acquisition. Enfin, en ce qui touche la moralité ou l'immoralité de certaines publications, reconnaissons que le plus coupable est celui dont les goûts encouragent les auteurs à produire des aliments qu'il recherche. Les romanciers sont un peu comme des fabricants de brioches, ils ont besoin de les vendre, et doivent les assaisonner au goût de leur clientèle. C'est évidemment regrettable, mais à qui la faute ? »
Personnellement, je préfère les lectrices anonymes citées plus haut, qui, avant de se faire une opinion, lisaient le roman dont on faisait la critique. Mettons que chez le journaliste de Chantecler, c'est la solidarité entre coloniaux qui a prévalu.

A poursuivre...

Henri THYSSENS
Robert Denoël, éditeur : www.thyssens.com


Nous remercions l'auteur d'avoir bien voulu nous autoriser à reproduire ce texte.

lundi 25 juin 2012

Roman 20-50, revue d'étude du roman du XXè siècle

La revue Roman 20-50, revue universitaire d'étude du roman du XXè et XXIè siècle publiée par l'équipe d'accueil « Analyses littéraires et histoire de la langue » et du Conseil Scientifique de l'Université Charles-de-Gaulle - Lille 3, a consacré son numéro 17 de juin 1994 à Louis-Ferdinand Céline. Sous la direction d'Yves Baudelle, ce numéro, toujours disponible, réunit une quinzaine d'études sur Voyage au bout de la nuit. Voici son sommaire :

DOSSIER CRITIQUE : Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline
Études réunies par Yves Baudelle

Henri GODARD
Céline à l'agrégation

Philippe MURAY
C'est tout le roman ce quelque chose

Jean-Pierre GIUSTO
Louis-Ferdinand Céline ou le dangereux voyage

Michel P. SCHMIDT
Un texte méchant

Gianfranco RUBINO
Le hasard, la quête, le temps dans le parcours du moi

Philippe BONNEFIS
Viles villes

Denise AEBERSOLD
Goétie de Céline

André DERVAL
La part du fantastique social dans Voyage au bout de la nuit : Mac Orlan et Céline

Judith KARAFIATH
Les héritiers indignes de Semmelweis : médecins et savants dans Voyage au bout de la nuit

Isabelle BLONDIAUX
La représentation de la pathologie psychique de guerre dans Voyage au bout de la nuit

Philippe DESTRUEL
Le logographe en délit

Yves BAUDELLE
L'onomastique carnavalesque de Voyage au bout de la nuit

Catherine ROUAYRENC
De certains "et" dans Voyage au bout de la nuit

Günther HOLTUS
Les concepts voyage et nuit dans le Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline

LECTURES ÉTRANGÈRES
Marc HANREZ
Céline, Sand, Shakespeare

ÉTUDE DE LA NOUVELLE
Marie BONOU
Histoire d'un crime : La Nuit hongroise

ROMAN 20/90
Yves REUTER
Construction/déconstruction du personnage dans Un homme qui dort de Georges Perec

COMPTE RENDU
Catherine DOUZOU

Commande (le numéro 15 € franco):
ROMAN 20-50
1, Bois du Vieux Mont
62580 VIMY

Louis Destouches (1905)








































Louis Destouches, le jour de sa première communion, le 18 mai 1905.

A voir :
> Louis-Destouches avec ses parents vers 1904 près d'Ablon.

dimanche 24 juin 2012

« Soirée Céline » le 27 juin 2012 à Mulhouse

David Alliot sera l'invité de la librairie Bisay le mercredi 27 juin 2012 de 18h45 à 20h.
Le débat sera suivi d'une séance de dédicace.

Librairie BISEY
35 place de la Réunion
68100 MULHOUSE
Tel : 03 89 46 58 14

BIBLIOGRAPHIE L.-F. CELINE

Notre bibliographie Céline vient d'être mise à jour. A consulter et télécharger ici.

  •  Ajout d'une trentaine d'études et thèses
  • Ajout de la série Tout Céline
  • Ajout de la biographie de Pascal Fouché
  • Ajout de A l'agité du bocal 

Le fichier pdf facilitera vos recherches par noms, titres, etc...

samedi 23 juin 2012

Un guide de haute littérature par Bernard Morlino (Service Littéraire, juin 2012)

En novembre 2011, les éditions du Lérot publiaient Céline en liberté, les dix chroniques de Pascal Pia publiées dans Carrefour entre 1954 et 1977 consacrées à L.-F. Céline. Ce même éditeur nous proposent aujourd'hui l'ensemble des ces Chroniques littéraires. Nous reproduisons ci-dessous l'article de Bernard Morlino paru dans le dernier numéro de Service Littéraire à l'occasion de cette parution.

Il y a des gens qui s'acharnent à vouloir rester inconnus comme d'autres sont prêts à tout pour devenir célèbres. Pascal Pia (1903-1979) appartient à ces personnages attachants qui passent leur temps à servir la littérature au lieu de s'en servir. N'a-t-il pas réclamé « le droit au néant » ? D'aucuns diront qu'il souffrait peut-être d'une psychose de l'échec. À la fois d'un manque de confiance et d'un besoin de perfection qui l'ont poussé à demander à Gaston Gallimard de ne pas publier le recueil de poèmes "Le Bouquet d'orties" qui était en partance pour l'imprimerie. Unique dans les annales de l'éditeur ! Autodidacte et éternel insatisfait, Pascal Pia a passé son temps à écrire sur les autres au lieu de composer une œuvre avec ses propres livres. Quand il a publié des monographies sur Baudelaire et Apollinaire, il regrettait de ne pas l'avoir fait sous pseudonymes. Son patronyme dans le monde littéraire en était déjà un : Pascal Pia s'appelait en fait Pierre Durand. Né le 15 août 1903, le Parisien a eu une enfance très difficile matériellement, orphelin de père mort aux combats, en 1915. Avant d'être journaliste, il a vécu d'expédients et toujours là où on ne l'attendait pas. Le facétieux iconoclaste est allé jusqu'à commettre des faux poèmes de Baudelaire et d'Apollinaire pour tromper les plus grands exégètes. Devenu critique littéraire, l'ex-mystificateur ne s'est jamais laissé Gruger par un talent surfait.
Les éditions du Lérot ont du mérite de mettre en librairie les chroniques de Pascal Pia au temps de son passage à "Carrefour" entre 1954 et 1977. Pour aller vers ce livre, il faut être éperdument amoureux des lettres et de son histoire. Avant d'accéder à la prose, il faut rogner les pages avec une délicate attention. Moins on est de fous, plus on lit. Si pour beaucoup lire ne sert à rien alors pensez un peu ce qu'ils doivent penser quand on se met à raviver les souvenirs de lectures d'un homme qui dévorait aussi bien Jacques Perret que Vauvenargues et le débutant Patrick Modiano. Cette large ouverture de compas atteste d'un esprit curieux de tous les styles estimés authentiques. N'empêche, Pia n'accorde pas le droit aux écrivains de s'exprimer sur l'augmentation de la plaquette de beurre au Guatemala. Il est pour qu'un auteur ne quitte pas le périmètre de son oeuvre, sous peine de passer pour une Marie-Chantal. Le bloc-notes de Mauriac ? Il ne s'adresse « qu'à la population des beaux quartiers ». Que reste-t-il de Gide ? « Ses livres qui traitent directement » de son autobiographie. Quand Marcel Jouhandeau lui envoie "Réflexions sur la vieillesse et la mort" en 1957, Pascal Pia se défend d'être un magistrat : « Je ne m'attache ni à rendre des arrêts, ni à dresser des listes noires ». Le greffier des lettres parle toujours à la première personne. Ses avis n'engagent que lui. « Le critique n'a pas à traiter les auteurs comme des prévenus déférés à sa compétence, mais à se prononcer sur des œuvres », signale-t-il le 11 janvier 1956. Ayant renoncé à devenir romancier, Pascal Pia accomplissait pour les autres ce qu'il ne faisait pas pour lui. Il a œuvré sans relâche auprès de Malraux et des éminences grises de Gallimard pour faire éditer "L'Étranger" de Camus. A l'époque, les deux hommes étaient inséparables. Pour remercier Pia de l'avoir fait débuter dans le journalisme à Alger, Camus lui dédia "Le Mythe de Sisyphe". Devenu résistant, Pascal Pia anime le journal "Combat" sans grande illusion de pérennité : « Nous allons tenter de faire un journal raisonnable. Et comme le monde est absurde, il va échouer ». Cette aventure journalistique fut si collective que ne signait jamais ses éditoriaux : un acte qui va au-delà de la précaution liée à la clandestinité. Les chroniques de Pascal Pia sont à l'image de leur rédacteur : elle stimule l'intelligence, informe sans jamais lasser. Impitoyables avec les journalistes, Charles de Gaulle a dit de ceux de "Combat" : « Ils sont les seuls honnêtes ».

Bernard MORLINO
Service Littéraire n°53, juin 2012.

Pascal PIA, Chroniques littéraires (1954-1977), préface de Jean-Jacques Lefrère, cahier de photos inédites, Du Lérot éditeur, 538p., 50 €.

Du Lérot, éditeur
Les Usines Réunies
16140 Tusson
Tél. 05 45 31 71 56
Courriel : du.lerot@wanadoo.fr
www.dulerotediteur.fr


vendredi 22 juin 2012

Échos céliniens...

> Iggy Pop sort le 9 juillet Après, album de reprises, dont une moitié de chansons françaises. A la question  "D'où vous vient cette passion de la culture française ?" posée par Philippe Manoeuvre, il répond : « Sans doute de Jim Morrison. La littérature française me fascine depuis des années. Plus ça va, plus je comprends tout ce que Morrison avait pris à Genet, à Céline, et même à François Truffaut ! Les meilleures chansons des Doors sont sans doute venues de là : "End Of The Night" c'est Voyage au bout de la Nuit. Et l'Enfant Sauvage de Truffaut a donné "Wild Child"... ». Contact n°457, juin 2012.

> Jean-Paul Rouve, comédien, actuellement à l'écran avec Quand je serai petit, évoque ses lectures dans Figaro Madame : Votre livre de chevet ? Si c’est un homme, de Primo Levi, celui que j’ai le plus lu et relu. Le casting d’un dîner idéal chez vous ? Benoît Poelvoorde, être passionnant. Georges Brassens, anarchiste bienveillant qui, contrairement à beaucoup, n’a jamais dérapé. Et Louis-Ferdinand Céline, romancier extraordinaire et homme méprisable. À l’inverse de ce qu’on voudrait nous faire croire aujourd’hui, l’art n’a rien d’une valeur morale.

> Jean Rolin, lors d'une interview accordée à L'Express publiée le 19 juin 2012 : « Je ne m'interdis rien. J'ai lu Bagatelles pour un massacre, de Louis-Ferdinand Céline et je pourrais lire Mein Kampf, de Hitler.[...] A la recherche du temps perdu, de Proust, une oeuvre inépuisable, celle que je relis le plus souvent. Mais je reviens aussi aux livres de Raymond Queneau, d'Henri Michaux, de Céline, de Joseph Conrad, en particulier La Folie Almayer. Je relis également Et le buisson devint cendre de Manès Sperber, un juif de l'Empire austro-hongrois qui parle très bien de l'horreur du communisme et de la fascination qu'il a pu exercer.  »

> Louis-José Houlde, humoriste canadien, s'inspire du Voyage pour le titre de son troisième spectacle. Nommé Les heures verticales, ce show débutera le 19 juin à Port-Cartier. « J'avais déjà en tête le concept du show que je prépare présentement, raconte-t-il. J'ai trouvé un petit bout de phrase qui fittait parfaitement avec l'idée que j'avais. » Le spectacle aborde les thèmes de la séparation, de la maladie, de la solitude et rit « de ce qui est difficile à vivre ». (Le Soleil, 23 novembre 2011 et Canöe.ca, 19 juin 2012)

jeudi 21 juin 2012

Écriture et médiatisation littéraire chez Louis-Ferdinand Céline par Michel Lacroix (2009)


Le « galérien du style » et le « grand jeu » de « l’interviouwe »


Écriture et médiatisation littéraire chez Louis-Ferdinand Céline

par Michel Lacroix

À cinquante ans de distance, deux auteurs volontiers campés dans une féroce intransigeance emploient une même formule pour désavouer leur image médiatique et manifester leur aménité : « jouer le jeu ». Sous la plume du plus contemporain des deux, l’expression surgit dans une nouvelle sur l’obtention du prix de Flore (1). Sur le mode autobiographique, Michel Houellebecq y raconte comment, à de multiples reprises, les acteurs du milieu littéraire ont redouté ses apparitions sur la scène publique. De Jean Ristat, du prix Tristan-Tzara, qui craint qu’il ne refuse le prix, à un organisateur de colloque à qui on a dit « Houellebecq… bonne idée… […] mais il faut faire gaffe… éviter qu’il ne se déshabille en public (2) », tous anticipent le pire, ce qui conduit Houellebecq à rectifier son image :

Établissons les choses avec clarté. […] j’ai bavardé [à la télévision], […] je me suis prêté avec bonne humeur au jeu des signatures et des dédicaces. Je n’ai jamais insulté un photographe. […] De quoi me soupçonne-t-on ? J’accepte les distinctions, les honneurs, les récompenses. Je joue le jeu. Je suis normal. Écrivain normal. (3)

Dans les Entretiens avec le professeur Y (4), Louis-Ferdinand Céline se montre lui aussi prêt à assumer publiquement le rôle de l’auteur. Toutefois, la revendication d’une singularité exceptionnelle — « [c’est] moi […] le seul écrivain du siècle (5) » — rend difficile toute prétention à la « normalité » de sa part ; de même, l’emploi constant des guillemets met à distance la formule « jouer le jeu » et la rattache à celui qui impose cette loi, dans les Entretiens, Gaston Gallimard (6). Ainsi, là où Houellebecq prétend adhérer sans réserve au personnage social d’écrivain et construit comme une douce apothéose la découverte de son statut de « star », Céline souligne plutôt qu’il ne s’y plie qu’à son corps défendant, pour « sortir de [son] effacement (7) ».
Par delà ces différences, tous deux se rejoignent dans leur lecture des scénarios inhérents au « jeu littéraire ». Se prétendant novice en la matière, Céline montre le « scientifique » en lui, curieux de « prospecte[r] les abords de ce “jouer le jeu”(8) », ce qui lui permet d’expliquer au lecteur que cela signifie d’abord « passer à la Radio… toutes affaires cessantes !... d’aller y bafouiller ! tant pis ! n’importe quoi !... mais d’y faire bien épeler son nom cent fois (9) », puis qu’il faut se faire filmer, interviewer et photographier, pour « que ça repasse dans cent journaux !... encore !... et encore (10) !... ». Présenté comme antérieur et extérieur aux parcours et stratégies individuels des auteurs ou éditeurs, comme un ensemble de règles implicites et d’activités prédéterminées, ce jeu ne repose
pas sur un travail du texte, n’implique l’écrivain que comme « auteur », personnage ayant livré un texte au public. Tout comme chez Houellebecq, il s’agit essentiellement d’un travail de promotion postérieur à l’écriture et à la publication, d’une sorte de service après-vente, comme l’indique Bertrand Legendre (11). En un mot, « jouer le jeu » revient à accomplir un travail paratextuel où sont simultanément médiatisés texte et auteur.

Quelles sont, selon les époques, les diverses facettes de ce travail au nom du texte, ses ressorts médiatiques, les genres qu’il emprunte ? Comment ressources éditoriales et dispositions auctoriales, quatrièmes de couverture et entrevues, publicités et photographies, parviennent-elles à se concilier ou en viennent-elles à différer ? Qui a la charge, économique, sociale et symbolique, de défendre l’oeuvre, de parler pour elle ? Quelle médiation, par rapport au texte ou à l’auteur, ce travail de médiatisation crée-t-il (12) ? Cette dernière question est particulièrement importante, dans le cas de
Céline, car les Entretiens avec le professeur Y ne font pas qu’aborder le phénomène de la médiatisation comme objet de discours, ils le mettent en scène, le livrent à la fiction et le relient au travail du texte. Comme je tenterai de le montrer, le fil d’Ariane qui conduit, à travers bien des méandres et des contradictions, du « jeu » médiatique à l’exhibition de l’écriture, permet de voir comment Céline construit son image d’écrivain dans la confrontation hostile avec les personnages de l’éditeur, de l’intervieweur et, ultimement, du lecteur.

LE « CLOWN » ET LA PUBLICITÉ HOSTILE
Série de cinq articles publiés dans La nouvelle nouvelle revue française, en 1954 et 1955 (13), puis repris en volume, les Entretiens avec le professeur Y mettent en scène un Céline « persécuté14 », « copié (15) », « volé », « épuré (16) », étiqueté « traître, génocide, homme des neiges (17) », un génie maudit en somme, écrasé par le silence. Pour en sortir, il se décide à se livrer au « grand jeu » de « l’interviouwe (18) » et se choisit, à défaut d’un Jean Paulhan oscillant entre le surmenage et les vacances, un interviouweur « hostile… sournois et méfiant (19) », le Professeur Y. Après un court prologue, le texte prend ainsi la forme d’une longue entrevue entre les deux personnages, jusqu’au délire ultime du professeur et au récit du parcours mouvementé des deux comparses à travers Paris, du square des Arts-et-Métiers au siège de la revue, 5 rue Sébastien-Bottin.
Céline l’écrivain met donc en scène Céline l’auteur dans le rôle de l’interviewé, rôle largement institutionnalisé, alors, dans les pratiques médiatiques et les mécanismes de légitimation (20), mais susceptible de nombreuses modalités. Or, une des particularités des Entretiens avec le professeur Y consiste dans le renversement de la dynamique de l’entrevue. Tout en exprimant sa réticence pour l’exercice de « relations publiques », Céline se lance lui-même dans la quête d’intervieweurs, sollicite d’abord Paulhan, « puis deux !... puis trois !... puis dix [candidats] !... qu’étaient très capables… et qui voulaient bien (21) », mais se bute sur une exigence étonnante de la part de gens censés recueillir, eux, ses paroles à lui : « [ils] posaient une condition : que je les mouille pas ! … que je les cite pas ! Ils acceptaient, mais “anonymes” (22) ». Fui plutôt que recherché, contrairement aux personnalités médiatiques habituelles, le futur interviewé se voit doté au détour d’une phrase de la fonction essentielle de l’intervieweur, celle du contrôle de la parole, du pouvoir de citer l’autre. Une rapide correction, au paragraphe précédent, annonçait déjà cette confusion des rôles : « Paulhan, si on s’interviouwait ?... plutôt si vous m’interviouwiez (23) ! »

Ce retournement institutionnel et énonciatif où l’interviewé se cherche un intervieweur et s’arroge ses prérogatives essentielles se concrétise dans la relation entre Céline et le professeur Y. Une fois les protagonistes réunis au square des Arts-et-Métiers, l’entretien tarde à se mettre en branle : « je m’attendais à ce qu’il me questionne… c’était convenu… non ! rien du tout (24) !... », se désole Céline, qui passe alors à l’attaque : « Vous êtes joliment peu aimable ! Monsieur le Professeur Y ! […] On est là pour un interviouwe ! […] Comment voulez-vous que je pérore, comment voulez-vous que je “joue le jeu”, si vous ne posez aucune question (25) » ? Après quelques autres gentilles invitations, le professeur Y se hasarde en guise de première question à proposer « un petit débat philosophique […] un débat, mettons, par exemple, sur les mutations du progrès par les transformations du “soi” (26) ? », ce qui lui vaut un refus radical de Céline qui déclare : « j’ai pas d’idées moi ! aucune ! » et précise « je vous le déclare : je suis hostile (27) ».
Dès la première question du professeur Y, immédiatement invalidée, la dynamique de l’entretien est établie : Céline sera le meneur de jeu, contrôlant l’échange de paroles et le choix des sujets, sous le signe de l’hostilité. Aux injures et reproches de l’écrivain à l’interviouweur — « vous êtes tellement abruti (28) », « vous êtes obtus (29) », « vous êtes ramolli, un véritable clancul (30) », « vous sabotez l’interviouve31 » — répondent les commentaires malveillants du professeur : « vous êtes grotesque de prétention (32) », « vous rabachez, Monsieur Céline (33) ! », « vous êtes d’une vanité de paon (34) », « vous êtes qu’un vieillard scléreux, rabacheur, aigri, prétentieux, fini (35) ». Aussi Céline peut-il légitimement déclarer au professeur Y que leurs entretiens ne correspondent guère au
modèle dominant :

implorant que vous devez être !... vous devez adorer mes paroles !... et vous adorez rien du tout !... […] les autres, les écrivains qu’on aime, sont suppliés, révérés ! Chaque mot qui leur sort !.... même leurs silences sont révérés ! leurs interviouweurs sont pâmants (36) ! Notons en passant que la mise en scène de l’« interview féroce ! […] face aux fauves (37) ! » revient dans les romans ultérieurs de Céline, en particulier dans le prologue de Rigodon, où les intervieweurs se révèlent tous, en fait, des « insulteur[s] (38) ».
La représentation que Céline donne de lui-même dans ces entretiens est ainsi celle d’un écrivain contraint d’accomplir lui-même la promotion et la légitimation de son oeuvre, de prendre en charge tous les aspects du travail paratextuel, dans un climat général d’hostilité. Certes, il y a là-dessous des aspects institutionnels liés à la position de Céline dans le champ littéraire de l’après-guerre et à l’échec de sa rentrée chez Gallimard, celui d’un écrivain placé sur la liste noire du C.N.E., en exil à Sigmaringen, puis au Danemark, bref d’un véritable hors-la-loi du monde littéraire39, dont la rentrée en France et sur la scène littéraire, en 1951, signalée par le passage chez Gallimard, est marquée du sceau de l’échec, tant commercial que critique (40). On peut donc voir, dans l’auto-représentation en écrivain solitaire, isolé, persécuté, précisément parce que génial, une réaction à cette situation littéraire, un retournement de l’opprobre et du désintérêt en manifestation de singularité conforme au mythe de l’écrivain maudit ; toutefois, cela ne va pas sans ironie, chez Céline, puisque les premières pages des Entretiens s’élèvent précisément contre ce mythe et l’idée qu’« il convient que l’artiste souffre ! Et pas qu’un peu ! […] puisqu’il n’enfante que dans la douleur (41) ! », de sorte que selon « M. Socle », « la véritable vie du véritable artiste n’est qu’un long ou court jeu de cache-cache avec la prison (42) ». Ce ne serait pas là la première contradiction célinienne, puisque, comme le soulignait Marie-Christine Bellosta, l’art de Céline carbure à la contradiction (43). On peut par ailleurs se demander si la relation entre la topique de la persécution et la contre-attaque violente, centrale à la variante célinienne du mythe, ne constitue pas une métamorphose de la justification exprimée dans les pamphlets. D’une solitude haineuse à l’autre, il y aurait une continuité méritant d’autant plus l’analyse que le moteur initial de l’antisémitisme, dans la mise en scène qu’en donne Bagatelles pour un massacre, est celui de la rivalité littéraire.
La force des contraintes exercées par l’état du champ littéraire sur la « fortune » économique et symbolique de Céline est telle qu’une lecture des Entretiens ne saurait négliger cette détermination. Toutefois, il faut se garder de réduire le texte à une simple « effet de champ » pour analyser plus finement la dialectique entre déterminismes sociaux et travail textuel, et tenir compte des diverses formes de médiation entre ces deux plans. Ainsi, il faut noter, en premier lieu, que le rapport que Céline entretient avec sa position dans le champ se joue sur diverses scènes discursives, dont celle des lettres à son éditeur, celle de l’effort de publicité et de critique déployé à son sujet et au sujet des autres auteurs de la maison dans La nouvelle nouvelle revue française, et plus largement, celle de la réception de ses oeuvres d’après-guerre. On peut observer à cet égard que l’auto-représentation célinienne déployée dans les Entretiens est d’abord esquissée dans les Lettres à la NRF, où elle se fonde sur une lecture de la critique contemporaine. Par ailleurs, il est possible de voir, dans les Entretiens, un texte où Céline élabore une nouvelle version de sa posture d’auteur, pour reprendre à Jérôme Meizoz cette notion sur laquelle nous reviendrons (44).
Dans cette optique, l’hostilité omniprésente dans les Entretiens ne tient pas seulement à l’échec de la rentrée de Céline chez Gallimard et dans le champ littéraire français, après 1951, mais tient aussi à des traits textuels, dont la propension à la caricature. Cette violence célinienne peut aisément être lue sous le signe de l’humour, comme le montre le compte rendu, par Gide, des Bagatelles pour un massacre (45) ; sur ce plan non plus, par conséquent, les Entretiens ne sont pas exceptionnels au sein du corpus célinien. Toutefois, contrairement aux pamphlets, où l’humour constitue en quelque sorte un effet pervers de l’outrance plutôt qu’un objectif explicite, la violence verbale est ici textuellement associée au rire. « Je fais le clown (46) », lance ainsi le personnage de Céline au professeur Y, exploitant une des figures courantes de l’autodérision littéraire, comme l’a montré Claude Abastado (47). Dans la même veine, le narrateur explique son hostilité envers l’interviewer par une stratégie de l’effet comique : « je lui dis tout ce que je trouve de méchant !... […] qu’on se boxe si on s’interviouwe pas !... je raconterai le tout à Gaston ! Il se marrera !... il m’avancera une brique de mieux48 !... » Comment dire plus clairement que la mise en scène de l’hostilité plaît au lecteur, qu’il y a une stratégie du clown violent dans l’auto-représentation célinienne ? « Le lecteur veut rire et c’est tout », résume le narrateur dans D’un château l’autre (49).
Cela dit, la complicité avec Gaston affichée dans ce passage n’est pas caractéristique des Entretiens. L’image de l’éditeur dominant ce texte correspond bien davantage aux clichés habituels, celui de l’homme riche qui pense « coffre (50) », qui ne lit rien (51), préférant confier cette tâche à son comité de lecture. Ce portrait vaut en fait pour l’ensemble de la N.R.F., peuplée de gens constamment partis en vacances (52), qui dorment, ronflent, se baladent « à la campagne, en ville, dans le monde, en croisière (53) », mais ne « font rien (54) », pendant que les « crève-la-faim » travaillent. Cette dichotomie nettement populiste, voire poujadiste, sera reprise et développée dans les romans ultérieurs de Céline, avec plus de hargne encore contre Gallimard et Paulhan. D’un côté se trouvent
Gaston, « l’achevé sordide épicier, implacable bas de plafond con » et les éditeurs, « macs tous ! », « banc de squales ! […] tout gorgés du sang des scribouilleurs ! », de l’autre, Céline et les « malade[s] travailleur[s] (55) ». Ceci range Céline du côté des ouvriers les plus misérables, voire plus bas encore : « Moi, je serai toujours bien inférieur question forfait ou “à la pièce” à Julien Labase manoeuvre-balai… forçat de choc (56) ». À cet égard, comme pour la représentation des relations avec les journalistes, les Entretiens correspondent à une phase de mise au point d’un discours désormais invariable, résumé par l’exclamation suivante : « au turf ?... personne ! Moi ! à moi la cuisine ! Moi, le boulot (57) ! ».
Dans la longue série des métaphores associant l’écrivain à la figure de la prostituée et des complaintes contre la mentalité honteusement commerciale des éditeurs (58), croquer l’éditeur en maquereau ne se démarque guère par son originalité, bien qu’il soit plus rare que l’on fasse un portrait-charge d’un éditeur aisément identifiable dans des romans et presque inconcevable de trouver la caricature d’un éditeur dans un roman publié dans sa propre maison. Toutefois, dans le contexte des Entretiens, celui de la promotion, s’y glisse une critique relativement lucide d’une des conséquences du système des entrevues, à savoir le transfert partiel sur l’auteur des tâches relevant
des services de presse et de publicité des maisons d’édition : un éditeur signalait d’ailleurs le bonheur que représentent les écrivains qui, dans les entrevues, sont « autovendeurs (59) ». Le commentaire de Céline au professeur Y — « c’est pour Gaston que nous travaillons (60) » — s’avère sous cet angle assez incisif. L’écrivain qui accepte de « jouer le jeu » ne fait pas qu’oeuvrer à l’amélioration de son capital symbolique et économique, il travaille aussi à la fortune de son éditeur ; il travaille même à sa place, dans la perspective de Céline.



Michel LACROIX
Études littéraires, vol. 40, n° 2, 2009, p. 109-125.


NOTES
1- Michel Houellebecq, « Je suis normal. Écrivain normal », dans Des nouvelles du prix de Flore, 2004. Il s’agit là d’un exercice d’écriture auquel furent astreints tous les récipiendaires du prix, de 1994 à 2003. Comme l’explique Frédéric Beigbeder, fondateur du prix, à Ravalec, dans la « Préface autosatisfaite » du recueil : « le Café de Flore offre six mille euros et un verre de pouilly fumé quotidien à chaque lauréat pendant un an. Depuis dix ans, nous avons exigé en échange que les auteurs primés rédigent une nouvelle sur le Prix de Flore » (Frédéric Beigbeder, « Préface autosatisfaite », Des nouvelles du prix de Flore, op. cit., p. 23). Cet exercice d’autolégitimation collective par lequel les auteurs légitiment le jury qui les a consacrés en lui consacrant une nouvelle constitue une première dans l’histoire des prix. Tard venu sur la scène encombrée des récompenses littéraires — Bertrand Labès en dénombre 1336 dans son Guide Cartier 2000 des prix et concours littéraires, Paris, Le Cherche Midi, 1999 — le prix de Flore est contraint à une surenchère médiatique dont le recueil est l’aboutissement, non sans ironie : de la « préface autosatisfaite » à la quatrième de couverture, vantant le prix « le plus littéraire de l’univers » et le « cahier de photos extrêmement people » joint aux nouvelles, on y amalgame constamment complaisance et distance.
2- Michel Houellebecq, loc. cit., p. 77.
3- Ibid., p. 78.
4- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, 1955.
5- Id., p. 83.
6- En fait, Gaston Gallimard emploie l’expression dans une lettre du 17 septembre 1952, dans laquelle il réagit aux reproches de Céline, qui accuse les Éditions Gallimard de n’avoir pas fait de publicité pour son Féerie pour une autre fois, premier texte original publié chez Gallimard depuis la signature de son contrat, l’année précédente. Gallimard y écrit : « Parbleu, je comprends très bien que vous ne veuillez pas jouer le jeu, que vous refusiez toutes concessions — Cela me plaît même — Mais ne rendez pas la N.R.F. responsable d’une mévente qui n’est due qu’à votre attitude » (Louis-Ferdinand Céline, Lettres à la N.R.F., 1931-1961, 1991, p. 174).
7- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 11.
8- Ibid., p. 11.
9- Id.
10- Ibid., p. 12.
11- Bertrand Legendre, « Le premier romancier à l’épreuve de la fabrication de l’auteur : constructions et déconstructions », dans Marie-Pier Juneau et Josée Vincent (dir.), La fabrication de l’auteur, à paraître chez Nota Bene.
12- Entre autres travaux permettant d’aborder la question de la médiatisation de l’écrivain, signalons, en plus des actes du colloque mentionnés dans la note précédente : « Images de l’écrivain », Textuel, n° 22 (1989) ; Pascal Brissette, La malédiction littéraire. Du poète crotté au génie malheureux, Montréal, Presses de l’Université de Montréal (Socius), 2005 ; Federico Ferrari et Jean-Luc Nancy, Iconographie de l’auteur, Paris, Galilée (Lignes fictives), 2005 ; Jean Marie Goulemot et Daniel Oster, Gens de lettres, écrivains et bohèmes. L’imaginaire littéraire, 1630-1900, Paris, Minerve, 1992 ; Jean-François Louette et Roger-Yves Roche (dir.), Portraits de l’écrivain, Seyssel, Champ Vallon, 2003.
13- Louis-Ferdinand Céline, « Entretiens avec le Professeur Y », La nouvelle nouvelle revue
française, parutions en juin (vol. III , n° 18), novembre (vol. III , n° 23) et décembre 1954 (vol. II, n° 24), puis en février (vol. IV, n° 25) et avril 1955 (vol. IV, n° 27).
14- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 29.
15- Ibid., p. 35.
16- Ibid., p. 44.
17- Ibid., p. 37.
18- Ibid., p. 13.
19- Ibid., p. 14.
20- P hilippe Lejeune en a tracé un portrait historique centré sur les séries d’entretiens radiophoniques de l’après Seconde Guerre mondiale : « La voix de son maître. L’entretien radiophonique », dans Je est un autre. L’autobiographie, de la littérature aux médias, 1980. Voir aussi les numéros des revues Lieux littéraires (« L’interview d’écrivain », nos 9-10 (2006)) et Nottingham French Studies (vol. 42, n° 1 (printemps 2003)).
21- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 14.
22- Ibid., p. 14 ; je souligne.
23- Ibid., p. 13.
24- Ibid., p. 15.
25- Ibid., p. 16.
26- Ibid., p. 19.
27- Id.
28- Ibid., p. 25.
29- Ibid., p. 35.
30- Ibid., p. 45.
31- Ibid., p. 51.
32- Ibid., p. 23.
33- Ibid., p. 34.
34- Ibid., p. 38.
35- Ibid., p. 52.
36- Ibid., p. 51-52.
37- Ibid., p. 21.
38- Louis-Ferdinand Céline, Rigodon, 2001 [1969], p. 732. Ces romans fictionnalisent parallèlement les tensions entre l’écrivain et les éditeurs ou les autres figures de la scène littéraire. Voir, entre autres, dans ce même volume les notes de Henri Godard (« Céline et les éditeurs », p. 1006-1014).
39- Sur l’épuration littéraire, voir : Pierre Assouline, L’épuration des intellectuels, 1944-1945,
Bruxelles, Complexe (La mémoire du siècle), 1985 ; Tony Judt, Past Imperfect : French Intellectuals, 1944-1956, Berkeley, University of California Press, 1992 ; Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains, 1940-1953, 1999. Sur la trajectoire de Céline, à l’époque : Philippe Alméras, Céline. Entre haines et passion, Paris, Robert Laffont (Biographies sans masque), 1994 ; François Gibault, Céline. 1944-1961 : cavalier de l’apocalypse, Paris, Mercure de France, 1985 ; Patrick McCarthy, « Occupation and Exile : 1940-51 », dans William K. Buckley (dir.), Essays on Louis-Ferdinand Céline, Boston, G. K. Hall, 1989, p. 204-226.
40- Les deux premiers romans publiés chez Gallimard, Féerie pour une autre fois (1952) et Normance (1954) n’eurent que de très rares échos critiques et des ventes faibles. Le rapport envoyé par Robert Gallimard à Céline, le 23 mars 1954, fait état de seulement 6 300 exemplaires vendus du premier, en deux ans (Lettres à la N.R.F., 1931-1961, op. cit., p. 212). Ayant connu à deux reprises (avec le Voyage et Bagatelles pour un massacre) des ventes supérieures à 80 000 exemplaires, Céline ne peut être que déçu de ce retour manqué.
41- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 9.
42- Id.
43- Marie-Christine Bellosta, Céline ou l’art de la contradiction, 1990.
44- Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, 2007.
45- Gide insiste sur la dimension caricaturale des textes céliniens : « il est bien évident qu’il veut rire », « il va de soi que c’est une plaisanterie » (« Les Juifs, Céline et Maritain », p. 302), rapprochant pour ce faire les tirades antisémites des pamphlets du morceau de bravoure sur les asticots à la fin de Mort à crédit. Gide prend cependant garde de noter : « si ce n’était pas une plaisanterie, alors il serait, lui Céline, complètement maboul » (p. 302-303).
46- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 42.
47- Voir, à ce sujet, Claude Abastado, Mythes et rituels de l’écriture, 1979, p. 236-246. Significativement, le personnage du clown signale la dérive carnavalesque du mythe du poète, amalgame dérision et cruauté, accompagnant souvent les dénonciations de la « prostitution du poète », de « l’exhibition devant un public qui le paie » (p. 242).
48- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 21.
49 Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, op. cit., p. 71.
50- Louis-Ferdinand Céline, Entretiens avec le professeur Y, op. cit., p. 77.
51- Ibid., p. 93.
52- Ibid., p. 13-14.
53- Ibid., p. 94.
54- Id.