vendredi 30 septembre 2011

Céline et la question du patrimoine par Rémi Astruc

Quand la municipalité de Meudon inaugurera-t-elle le square Louis-Ferdinand Céline sur les hauteurs de sa commune ? C'est la question qu'a soulevé Rémi Astruc lors du colloque "Figures et lieux patrimoniaux en questions" le jeudi 8 septembre 2011 en l'Abbaye de Maubuisson (Val d'Oise). Voici le texte de son intervention :

Quand la municipalité de Meudon inaugurera-t-elle le square Louis-Ferdinand-Céline sur les hauteurs de sa commune ? Cette question quelque peu provocatrice ne peut se comprendre que si l’on se rappelle que Céline habita pendant dix ans, de son retour d’exil et de prison au Danemark en 1951 jusqu’à sa mort en 1961, un petit pavillon qui surplombe la vallée de la Seine, sur la commune de Meudon. C’est dans cette demeure que le docteur Destouches, entouré de sa compagne et de leurs nombreux animaux, passa donc les dernières années de sa vie et écrivit ses derniers romans, ce qui n’est pas rien. Si elle est bien provocatrice, c’est parce qu’elle met l’accent sur une impossibilité étonnante. Il est bien évident aujourd’hui en effet que cette inauguration d’un « lieu Céline » n’est pas de l’ordre du possible, quand bien même cet auteur est considéré comme l’un des plus grands romanciers français du XXe siècle, sans doute le plus grand avec Proust : Meudon ne peut célébrer son illustre habitant.

La récente polémique qui a entouré la commémoration annoncée puis annulée du cinquantenaire de la mort de l’écrivain n’a fait de ce point de vue que confirmer ce que l’on savait déjà et depuis longtemps. Il n’y aura pas, et avant longtemps, de plaque au nom de Céline dans un square à Meudon, pas plus qu’il n’a été jusqu’ici possible d’en inaugurer une rue Lepic, à Montmartre (où vécut Céline avant la guerre), ou à Genève (où il travailla pour la SDN), pas plus que la maison de Meudon n’a d’ailleurs pu faire l’objet d’une quelconque protection au nom de son caractère « patrimonial ». Chaque fois une intervention bien placée a fait capoter les tentatives que l’on croyait sur le point d’aboutir. C’en est presque comique et à l’étranger on s’étonne bien de ces péripéties un peu ridicules des Français.

« L’affaire » du cinquantenaire raté, dernier épisode en date de ce feuilleton tragi-comique, nous permet d’éclairer cette impossible patrimonialisation de tout ce qui touche à l’écrivain. Elle nous servira en particulier à passer en revue les divers arguments en faveur ou opposés à la patrimonialisation qui ont été avancés. Si cela ne nous conduira pas à trancher sur le fond (ce n’est pas notre but), cela nous permettra en revanche de tirer quelques enseignements précieux sur ce « patrimoine » dont on écarte Céline et peut-être aussi sur la littérature dans ses rapports conflictuels à l’espace public.


« L’affaire » du cinquantenaire raté
Comme chaque année, en 2010 un comité d’experts désignés par le ministère de la culture fut constitué pour proposer les personnalités à célébrer officiellement l’année suivante, à l’occasion de l’anniversaire de leur naissance ou de leur mort. Celui-ci choisit d’inscrire Céline, mort il y a 50 ans, dans le recueil des célébrations pour 2011 aux côtés notamment de Blaise Cendrars, Franz Liszt, André Leroi-Gourhan ou encore de Georges Pompidou. Pour chacun, une notice biographique est réalisée ce qui donne lieu à un volumineux recueil dont la publication et présentation par le ministre marque le début des commémorations. Dans le cas de Céline, ce fut le très respecté Henri Godard, professeur à la Sorbonne, excellent connaisseur de l’homme et de l’œuvre, éditeur de l’œuvre dans la collection de la Pléiade de Gallimard et auteurs de plusieurs ouvrages de critique et de biographies de l’auteur qui fut mandaté.

Très consciencieusement et même courageusement, Henri Godard posait d’emblée dans cette notice le problème de la légitimité de l’entreprise. Il s’interrogeait sur le bien-fondé de la démarche qu’il était en train de réaliser à la demande de l’Etat : « doit-on, peut-on célébrer Céline ? » écrivait-il en référence à un homme notoirement marqué du sceau de la collaboration et dont l'antisémitisme féroce n’est un secret pour personne (trois de ses pamphlets, parus au début et pendant la guerre, non réédités à ce jour, sont de véritables incitations au meurtre et à la haine raciale). Henri Godard connaissait bien le problème puisque lui-même, dans une biographie consacrée à l’écrivain quelques années plus tôt, Céline scandale (1) , avait affirmé que l’écrivain s’était mis en marge de toute célébration officielle. Mais, patenté comme il l’était cette fois par la République, il finissait par conclure dans la notice : non, bien sûr, si c’est pour distinguer l’homme, mais oui, si c’est pour saluer son œuvre littéraire (2).

Tout cela était cependant sans compter l’intervention de Serge Klarsfeld qui, au nom de l’association des Fils et Filles de Déportés juifs de France, la veille de la présentation officielle du recueil des célébrations par le ministre de la culture (lequel avait d’ailleurs préfacé l’ouvrage et félicité au passage ses rédacteurs), s’indigna de ce que le nom de Céline figurât au programme et demanda dans une lettre ouverte le retrait immédiat de celui-ci. La lettre au ministre de la culture s’autorisait même un parallèle saisissant, arguant que Frédéric Mitterrand ne devait pas être autorisé à célébrer Céline, de même que son oncle alors président (François Mitterrand) avait été empêché en son temps de fleurir la tombe du maréchal Pétain.

Frédéric Mitterrand, qui n’en était pas à ses premières maladresses en tant que ministre de la culture, annonça le lendemain de cette requête avoir bien réfléchi à la question et ordonna le retrait du document litigieux. Dans la presse, il expliquait : "déposer une gerbe aux pieds de Céline au nom des valeurs de la République, pour l'instant, et pour toujours je crois, ce n'est pas possible."(3) De là allait naître véritablement la polémique qui les semaines suivantes allait enflammer la presse en tournant à l’affrontement idéologique : les uns s’émurent vivement de ce qu’il s’agissait selon eux d’une reculade honteuse de la part du ministre devant un homme et son groupe de pression, tandis que les autres saluèrent au contraire une décision courageuse et salutaire. Quoi qu’il en soit, une telle polémique révèle surtout l’existence de malentendus importants dans la sphère publique, notamment sur l’existence et le poids des valeurs au sein de la littérature (soit des divergences et incompréhensions portant sur la question de la séparation de l’esthétique et de l’éthique) ainsi que sur la l’existence ou même la possibilité, voire l’opportunité, d’une « censure » en démocratie.


Les arguments en faveur ou opposés à la patrimonialisation de Céline et de son œuvre
Avant d’entrer dans le détail des arguments des uns et des autres dans cette affaire, il paraît essentiel de rappeler que tout le monde s’accorde dans cette polémique sur le fait que Céline était véritablement et profondément antisémite. La question est plutôt : cela justifie-t-il qu’il soit ignoré voire oublié par la Nation française et par les Français, en tant qu’écrivain. Le fond du problème repose en effet sur ce qu’il est désormais banal de nommer le « mystère » Céline, lequel s’énonce dans cette interrogation qui a nécessairement hanté tout lecteur de ses romans : comment un antisémite aussi forcené peut-il avoir été un écrivain aussi génial ? Question que l’on peut trouver au fond un peu absurde puisque seule la réalité compte : Céline a existé, et il a manifestement été à la fois et en même temps un écrivain génial et un scélérat.

Justement, les arguments des tenants de l’annulation des célébrations tournent principalement autour de cette évidence que c’est bien le même homme qui est l’auteur des pamphlets et des grands romans qui ont bouleversé la littérature française. On ne peut séparer, disent-ils, l’homme de l’œuvre et la pensée nauséabonde de l’antisémite est déjà en germe dans ses premiers romans et notamment dans Voyage au bout de la nuit. Serge Klarsfeld lui-même déclarait: "un artiste est un tout : on ne peut pas découper Céline. Son antisémitisme le discrédite en tant qu'homme et en tant qu'écrivain". Et ceux qui pensent le contraire se livrent à un tour de passe-passe qui n’est pas défendable comme le soulignait Frédérique Leichter-Flack qui passait en revue les principaux modèles de raisonnement fallacieux : « Choisissez donc votre Céline, puis votre argumentaire pour passer outre l'abjection : le modèle "docteur Jekyll et Mr Hide" vous suggère de distinguer la partie honorable de l'œuvre (les romans) et la partie indigne (les pamphlets antisémites, d'ailleurs censurés) ; le modèle "Faust" vous invite plutôt à défendre la valeur intrinsèque de la création littéraire, libérée de toute norme morale ou de tout jugement politique. »(5) Or il est vrai que ce sont là des positions intellectuellement intenables : le salaud cohabite avec le génie et il serait donc absolument impossible pour cette raison d’absoudre Céline.

Parmi les voix qui se sont élevées pour critiquer l’annulation des célébrations, on s’est surtout ému, comme David Alliot, de « l’indignation à géométrie variable » dont font une nouvelle fois preuve les politiques et l’on rappelle avec quelle légèreté on célébrait hier des amitiés solides avec le colonel Kadhafi ou la famille Ben Ali alors qu’on jette aux oubliettes un écrivain de la trempe de Céline en s’indignant de ses idées. Et de rappeler que s’il faut purger le panthéon national de toutes ses personnalités compromises dans des idées douteuses, il faudrait commencer par bannir les très antisémites ou racistes Voltaire, Gide, Genêt, Jules Ferry, Louise Michel sans oublier ceux qui se sont largement compromis dans le soutien à la barbarie stalinienne comme Aragon et Sartre. On fait également remarquer que Céline a payé pour ses idées (il a fait de la prison, il a été déchu de sa nationalité française) et qu’il a aussi été réhabilité. C’est pourquoi un député comme Paul Giaccobi a pu s’attrister du fait que « la France de la censure, de la lâcheté a marqué un point, celle du courage, des batailles culturelles, de la liberté et de l'intelligence a reculé. » (6)

Là encore, cela paraît juste. Cependant on peut se demander si, en toute rigueur, il s’agit bien effectivement de censure. La censure ressortit en pratique à un exercice de la volonté : on pourrait célébrer mais on choisit de ne pas le faire. Or ne s’agit-il pas plutôt comme nous le disions plus haut d’une impossibilité, qui ferait que l’on voudrait bien célébrer Céline mais qu’on ne le peut pas ? Cette forme d’impouvoir s’écarte alors stricto sensu de la censure pour relever plutôt du tabou, un tabou qui renverrait moins alors à l’écrivain Céline lui-même qu’à la période de Vichy, de l’Occupation et de la collaboration. C’est seulement si l’on pense à cette affaire en termes de tabou et non de censure que l’on peut comprendre le degré étonnant d’excitation et de schizophrénie qui s’est emparé du monde des Lettres et de la culture et a donné lieu à ce non-événement grotesque, très célinien si l’on y pense.

Car en fin de compte tout cela est très rodé et très prévisible comme le remarquait ironiquement Constance Debré dans les pages du Monde : « Comme chacun, dans cette affaire de commémoration ratée, a bien tenu son rôle : les adversaires institutionnels de l'antisémitisme se sont offusqués (Céline est antisémite), les représentants des Lettres se sont attristés (Céline est un grand écrivain), l'État a hésité (un grand écrivain, c'est bien, mais un antisémite, c'est mal) et a finalement renoncé : (pas d'embrouilles). » On mesure en effet la pertinence des constructions juridiques car si en effet l’État français est une « personnalité morale », elle semble en l’occurrence dotée d’une psychologie très commune parmi les humains et d’une forte tendance, comme ici, à refouler tout ce qui peut être générateur de conflit et d’ennuis.

Il y avait pourtant, dans la notice rédigée par Henri Godard et qui a été envoyée au pilon par la décision du ministre, des éléments bien intéressants pour comprendre notre époque et sa relation malcommode et douloureuse aux écrits de Céline. Celui-ci avait cru pouvoir annoncer une étape nouvelle dans les relations entre la société civile et la littérature :" la création artistique, écrivait-il, est devenue une valeur que nous reconnaissons, même là où elle ne coïncide pas avec nos valeurs morales, voire les contredit." Or c’est bien cette entente improbable qui a été violemment démentie par cette affaire et c’est parce que ces noces de la littérature et de la politique ont été manquées qu’on a pu confondre la célébration d’une œuvre digne de rester dans nos mémoires nationales avec l’encensement d’un homme qui, cela va de soi, ne pouvait en aucun cas incarner les valeurs de la République. C’est cette conception angélique de la politique (et de la littérature) qui a été envoyée au pilon en même temps que le recueil destiné à présenter les célébrations de l’année.


Quelques enseignements sur le patrimoine
Quel est donc alors ce patrimoine dont Céline a été exclu ? La réponse s’impose aujourd’hui à la lumière de cette affaire : par nature, il s’agit d’une construction idéologique autour d’un projet fédérateur, qui a pour nom la Nation. Certainement pas un jugement esthétique, encore moins une quelconque marque de reconnaissance du talent ou du mérite littéraire. Cependant, il est bien évident que Céline est par ailleurs très largement « patrimonialisé », d’une autre manière et depuis longtemps. Son œuvre est publiée dans la plus prestigieuse des collections littéraires, celle de la « Pléiade » chez Gallimard. La Bibliothèque Nationale de France, organisme public, a acquis à grands frais beaucoup de documents et manuscrits du fonds Céline. L’œuvre du romancier est au programme des concours de formation des élites littéraires françaises (l’agrégation) depuis au moins 1974 et a été reconduite à maintes reprises et encore très récemment. Elle est ensuite l’une des œuvres françaises les plus lues dans le monde, l’une des plus traduites, et sans nul doute l’une des plus appréciées…

Il faut donc se rendre à l’évidence qu’il existe tout un patrimoine littéraire, intellectuel, artistique, culturel qui échappe au patrimoine républicain, c’est-à-dire qui n’a pas été sanctifié par lui, voire comme dans le cas de Céline qui a été déclaré « non conforme ». Ce qui se comprend si l’on garde en mémoire l’idée que le patrimoine dans sa version républicaine répond à un objectif de société, soit qu’il est en lien avec l’idée que l’on se fait de la société française. Or un « contre-patrimoine » – si l’on peut l’appeler comme cela – existe parallèlement qui s’écarte de l’idée de construction de la société, autrement dit de l’idéal d’intégration communautaire. Et Céline est loin de flotter seul dans les limbes de ce contre-patrimoine : il est même très bien entouré dans la compagnie de Sade, de Lautréamont ou, pour citer des écrivains étrangers, d’Henry Miller voire de Franz Kafka. Imaginez un peu l’effet que produirait l’inauguration d’une école primaire Henry Miller… ou d’un lycée de jeunes filles Donatien Alphonse François de Sade… C’est impossible, car, comme Céline, ce sont des figures de la singularité absolue(7) , irrécupérables collectivement, en raison principalement du fait que leur œuvre s’oppose frontalement au projet d’intégration communautaire républicain.

La preuve néanmoins que cette œuvre appartient bien à une forme de patrimonialisation parallèle, c’est qu’il existe de fait une communauté de lecteurs très importante de Céline de par le monde, lecteurs d’ailleurs aussi bien Juifs que non-Juifs, pour qui il est une référence majeure et l’un des plus grands écrivains du XXe siècle. Mais cette « communauté » n’est pas un projet politique, bien plutôt un corollaire esthétique, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle soit absolument détachée de toute dimension politique (il y a une dimension de « vision du monde partagée » qui réunit ces lecteurs autour des écrits de Céline, dans un culte qui passe par l’appréciation esthétique mais introduit aussi, plus largement, des postulations morales(8) ).

Je voudrais donc proposer la distinction suivante qui permettrait de faire une place aux figures contre-patrimoniales dans cette réflexion sur le patrimoine : à la différence des figures patrimoniales au sens strict, ce que Céline ne sera jamais, le romancier relève des « grandes figures symboliques » dans le sens où, comme les premières, il jouit d’une forte reconnaissance, mais que celle-ci est doublement polarisée : elle est positive en littérature, et négative en politique, à la différence des figures patrimoniales simples qui ne connaissent qu’une reconnaissance positive dans les deux domaines. Or dans le cas de Céline, c’est cette reconnaissance paradoxale qui explique nous semble-t-il les confusions dont il fait l’objet, la volonté de le patrimonialiser mais aussi l’impossibilité pratique de passer à l’acte.


Conclusion
On sait que Céline de retour en France et pour échapper aux questions qui fâchent sur son passé se réfugiait derrière une parade qui consistait à mettre l’accent sur son style et non sur ses idées. Pour ceux qui continuaient à vouloir l’interroger sur la politique, il balayait la question d’une phrase : « ces gens sont lourds ». Et il n’avait sans doute pas tout à fait tort dans le sens où il est effectivement dans la nature de la politique d’être « lourde » alors qu’on peut penser que la littérature s’efforce dans la mesure du possible d’être « légère ». Ce qui explique pourquoi l’entente entre les deux domaines paraît si difficile et que peu de grands écrivains passés aux commandes ont réussi à maintenir un peu de cette légèreté qui faisait la qualité de leur œuvre.

La lourdeur de la polémique sur la célébration de Céline est née d’une double incompréhension et d’une certaine naïveté de la part de ses acteurs principaux (en particulier F. Mitterrand) : celle d’avoir cru que la littérature était séparée du politique et pouvait être préservée de la politique parce qu’elle était précisément littérature. Or la littérature n’est pas, n’a pas vocation à être une école de vie publique, mais bien plutôt l’expression d’une pensée originale et individuelle. Ensuite, celle d’avoir cru que la sphère politique (surtout peut-être en espace démocratique) pouvait être accueillante au génie littéraire, c’est-à-dire reconnaissante de ce don sans retour qu’est l’œuvre d’art. La politique ne célèbre en effet que ce qui l’arrange, or la littérature – quand elle est de qualité – n’arrange personne en soi, elle a plutôt tendance au contraire à déranger, et c’est exactement ce que l’on attend d’elle.

C’est pourquoi, si Céline est « infréquentable », il ne faudrait pas oublier (c’est l’erreur d’Henri Godard) que la sphère politique est naturellement le monde du conflit, des pressions, des tractations, des compromissions et du consensus et que pour cela elle est à jamais infréquentable à la singularité littéraire. Comment Céline, cet asocial, cet être anti-social même puisqu’il s’est souvent présenté comme fondamentalement anarchiste, c’est-à-dire littéralement en marge des pouvoirs et les niant, aurait-il pu être récupéré par ceux-ci pour servir à leurs fins de construction de la société ? Son anarchisme qui est un individualisme radical, pas plus que son aura dans la population, ne sauraient être en mesure de servir à l’édification de l’espace commun et de la vie publique. En revanche, et c’est cela qu’il importe de reconnaître à défaut de le célébrer, ce que les œuvres de Céline ont apporté et qui se révèle fondamental pour la pensée en général est une force destructrice du social (que certains comme Julia Kristeva ont appelé « l’abject »), une force qui se révèle paradoxalement essentielle à la connaissance de cette société humaine que cherchent précisément à construire la politique et les hommes politiques.

Rémi ASTRUC


Notes
1- H. Godard, Céline scandale, Paris, Gallimard, 1994.
2- Quand il s’exprima après l’affaire, il affirma qu’il avait cru que les mentalités avaient pu entre temps changer.
3- Dépêche AFP, 22/02/2011.
4- Cité dans S. Le Fol « Affaire Céline : Klarsfeld enfonce le clou »,
Le Figaro, 20/01/2011
5- F. Leichter-Flack, «Céline : ‘le style contre les idées’ ? Méfiance ! »,
Lemonde.fr, Point de vue, 27/01/2011
6- P. Giaccobi, « Céline dévoilé »,
Lemonde.fr, 27/01/2011
7- Voir sur ce point « Figures modernes de la singularité et pensée de la communauté », notre contribution au colloque « Figures de la singularité », organisé en 2010 par Michel Kaufmann et Rolf Wintermeier, Université Paris 3-Sorbonne nouvelle, actes à paraître.
8- Il faudrait pouvoir développer ici cette idée un peu abstraite, en particulier pour préciser que cette dimension morale partagée ne fait pas des lecteurs de Céline des antisémites mais des esprits qui se sont ouverts à une certaine vision du monde qui n’a pas -- il est vrai -- exclu la possibilité de l’antisémitisme pour leur l’auteur (ainsi que bien d’autres choses) ; des lecteurs qui l’ont ressentie, c’est-à-dire éprouvée comme possibilité parmi d’autres et en ont reconnu pour ainsi dire la valeur heuristique, la richesse intrinsèque, ce qui ne veut pas dire qu’ils partagent concrètement les positionnements extrêmes auxquels elle a conduit son auteur.

Dieu, qu’ils étaient lourds… ! le samedi 8 octobre à Melun

Le spectacle Dieu, qu’ils étaient lourds… ! se jouera le samedi 8 octobre à Melun à l'Espace Saint-Jean (20h45).

Conception, adaptation, mise en scène : Ludovic Longevin
Avec Marc-Henri Lamande et, en alternance, Régis Bourgade et Ludovic Longevin
Durée : 1h10

Renseignements : 01 64 52 10 95
www.ville-melun.fr

mercredi 28 septembre 2011

Villon et Céline (II) par Pierre de Bonneville


Villon comme Céline sont génétiquement des phénomènes comme disait Peter Brook parlant de Shakespeare « doté d'une extraordinaire capacité d'observation d'assimilation et de mémoire... » Ce sont des prophètes, des visionnaires. Mais en contrepartie, ce sont des réprouvés, des maudits.

Villon est bachelier en 1449, obtient en 1452 la maîtrise ès arts à l'Université de Paris (la Sorbonne compte alors cinq mille étudiants) mais l'époque est en perdition : Villon traîne en bande dans les « bas-fonds » et se retrouve mêlé à quelques mauvais coups. Villon est le mauvaiz enffant. Il en formule le repentir dans Le Testament :
Eh Dieu ! si j'eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedié
J'eusse maison et couche molle
Mais quoy ! je fuyois l'escolle
Comme fait le mauvaiz enflant
En escripvant ceste parolle
A peu que le cuer ne me fent.

Des moeurs que Champion appelle pudiquement les « équivoques de Villon », alors que Thierry Martin évoque clairement ses talents homosexuels. Dans Le Testament où Villon règle ses comptes, il est rarement moins équivoque que dans le huitain 122 consacré à un juge homosexuel, Macé d'Orléans, nommée « la petite Macée » :
Quant des auditeurs messeigneurs,
Leur granche ilz auront lambroissee,
Et ceulx qui ont les culz rongneux,
Chacun une chaize persee,
Mais qu'a la petite Macee
D'Orléans, qui ot ma seinture,
L'amende en soit bien hault tauxee,
Elle est une mauvaise ordure.
(Le Testament)

Dans cette société, profondément immorale et pervertie, il est impératif d'être du côté du manche, les possédants ayant tous les droits, et les pauvres, les laissés pour compte, tous les désespoirs. Villon une personnalité, un talent, un destin tragique : voilà pourquoi les romantiques l'exhument au XIXè siècle, lui dressent une statue, celle du premier des poètes maudits. « Poètes maudits », l'expression est de Verlaine.

Autre temps, autres mœurs : Céline cultive lui aussi son côté doué et « petit chien savant ». Fils unique, ne supportant pas le carcan familial, il est lui aussi révolté, dissident : « Car il sait que seule la dissidence totale peut encore apporter le salut ». (Frank-Rutger Hausmann, Céline et Karl Epting). Contre l'ordre et le pouvoir établi : « J'ai une horreur pré-natale pour la contrainte. » (Céline, lettre à Simone Saintu, juillet 1916). « Je suis anarchiste jusqu'aux poils. Je l'ai toujours été et ne serai jamais rien d'autre. » Céline n'a pas eu le temps de faire des études : il a dû faire le coursier très tôt puis s'est engagé en 1912, pour fuir les ennuis et l'angoissant milieu familial. L'orgueil, par la suite de s'en sortir : « Évidemment, je n'ai jamais été au lycée. J'ai fait mes bachots, ma médecine tout en gagnant me vie. On apprend beaucoup par ce moyen. » Toujours recherchant la solitude, le comportement de révolte, Céline le sait : « Nul ne peut veiller sur sa solitude s'il ne sait se rendre odieux ». (Cioran). Une solitude forcément douloureuse : « Il faudrait savoir pourquoi on s'entête à ne pas guérir de la solitude. » (Voyage au bout de la nuit). Une solitude qu'accompagne une totale misanthropie : « Les hommes ne ressortant de la masse que par deux choses, les vices et l'intelligence. » (Céline, lettre à Simone Saintu, juillet 1916). « Il ne faut pas, voyez-vous s'occuper de l'homme. Il n'est rien. » (Lettre à Pierre Boujut, 1936) « Je suis, tu es, nous sommes des ravageurs, des fourbes, des salopes... » (Mea culpa). Ou encore dans Voyage au bout de la nuit : « C'est des hommes et d'eux seulement qu'il faut avoir peur, toujours. » On pourrait multiplier les citations de cet ordre.

Rimbaud, lyrique et terrible dans Une saison en enfer, parle longuement de ses origines : « Il m'est évident que j'ai toujours été race inférieure... Ma race ne se souleva jamais que pour piller. » Céline, comme Villon n'est pas né dans la misère non plus, mais il n'est pas né chez les puissants. Il confie à Guenot, dans les entretiens de 1960 : « Nous n'étions pas riche, c'était l'école communale, ils étaient tous comme moi, des petits miteux... Il y avait quelques gens riches, on les vénérait... On révérait l'homme riche pour sa richesse, on les trouvait d'ailleurs intelligents, en même temps, et savants... c'était comme une acceptation frénétique, ma mère me disait toute la journée, petit malheureux, si tu n'avais pas les gens riches... » Et dans l'interview de Francine Bloch : « À la Société des Nations, on m'a dit que je ne pouvais pas rester parce que je n'étais pas riche... fallait être riche pour être à la S.D.N.... c'était bien payé, mais c'était pas assez, fallait beaucoup d'argent... alors, là encore, je me suis rendu compte qu'il fallait faire un métier plus prolétaire, alors je suis rentré dans la médecine, la médecine de quartier, à Clichy... » Voilà pourquoi il est ce qu'il est et pourquoi il écrit ce qu'il écrit : : «...Je ne fais pas de la littérature de repos. » Et cette citation de Céline lui-même, dans Mea culpa, est révélatrice : « Jules Renard l'écrivait déjà : « Il ne suffit pas d'être heureux, il faut que les autres ne le soient pas. » Ou encore : « J'ai une réputation solidement établie d'ordure. Il faut qu'elle me serve. »

Car Céline est un pamphlétaire. Comme Villon. Villon n'écrit que sur le mode de la satire et de la charge : Le Lais – ce qu'on appelle le Petit Testament– et Le Testament sont des règlements de comptes. Voyage au bout de la nuit le premier ouvrage édité de Céline est déjà un pamphlet.
Dès 1933, un article de La Revue anarchiste consacrée au Voyage, sous la signature d'un dénommé « Nobody » l'analyse justement ainsi : « Un pamphlet contre l'argent, qui tient les fils de toutes les marionnettes, de la putain au général, du curé à la tapette, les leviers de toutes les formes d'oppression, de la caserne à la maison de fous, de l'hôpital à la prison : voilà le fond du livre.» Dix ans plus tard, en 1943, Brasillach reprend l'idée : « Le Voyage est un acte d'accusation total. (Contre le Juif, contre la société, contre l'Armée, contre Moscou, contre la République bourgeoise...) ». Dans Céline. Imaginaire pour une autre fois, Destruel prend en exemple le jugement que Stendhal avait émis sur l'artificialité des personnages des « pamphlets » de Voltaire pour faire valoir, en opposition, la vérité absolue des personnages de Céline : « Candide et Bardamu vont de déboires en débines... Stendhal notait d'ailleurs « le personnage de Voltaire manque de vérité, de naturel, le pamphlet se voit au travers. » Le Voyage est un pamphlet » C'est la nature de Céline, dès le Voyage, Céline est pamphlétaire bien avant ce qu'on désigne aujourd'hui comme ses pamphlets: Mea culpa, Bagatelles, L'École des cadavres, Les Beaux draps. Comment concevoir qu'on puisse écrire autre chose que des pamphlets ? Céline le dit dans son allocution de 1958 : « Je crois que le rôle documentaire et même psychologique du roman est terminé... ». Dans l'esprit de Céline, il y a cette phrase du Journal de Jules Renard, pourtant écrite cinquante ans avant, fin du XIXe: « Aujourd'hui, pour être pamphlétaire, il faudrait être d'abord un grand lyrique. L'ère des coups d'épingle a passé. » Céline l'a mise en pratique.

Un autre trait commun entre Villon et Céline est leur nature sacrificielle. Ils sont constamment victimes. Et plus que victimes, ils se sacrifient pour les autres, voire, pourquoi pas, pour l'humanité entière. Céline expliquant volontiers que son attitude antijuive et pro allemande étaient gratuites et qu'il se sacrifiait pour les autres (parlant de lui) : « Parce que le monde est matérialiste et ils se demandent pourquoi... s'il a fait ça, c'est qu'il avait un intérêt... mais je n'avais aucun intérêt ! c'était uniquement sacrificiel... je me sacrifiais pour mes semblables... » (Entretien avec Albert Zbinden, 1957). Avec ce désir de capter l'attention et de recueillir l'approbation des grands, comme Villon auprès de Charles d'Orléans, ou Céline cherchant toujours à présenter une image issue de l'idéal du Moi familial, tout à la fois « insecte nuisible » et « chien savant ».

Si Villon et Céline sont des mauvais enfants, moutons noirs, êtres maudits, ils le sont de manière prédestinée. Comme Céline l'écrit dans Mort à crédit: « Ma mère me regardait... « son maudit »... Elle se faisait une triste raison... Elle voulait plus m'abandonner... Puisque c'était évident que je finirais sur l'échafaud, elle m'accompagnerait jusqu'au bout... » Ils sont persécutés. Le monde entier s'acharne sur eux. Céline dans un entretien avec André Parinaud (1958) : « Je me considère victime des vacheries, et je crèverai en disant que j'ai été injustement traité... j'ai été dépouillé, dévalisé, pillé, salopé et ignominié de tous les côtés pour des gens qui n'en valaient pas la peine, voilà exactement ce que je pense, et pas du tout, aucun complexe d'infériorité, complexe de culpabilité ; je trouve que tous les autres sont coupables, pas moi, voilà comme je pense. » À Francine Bloch : « Je suis une saloperie qu'on aurait dû pendre... on me le dit, on me l'écrit, eh bien dame, c'est curieux, comment qu'il a réchappé à ça, ce con-là ? Il aurait dû être pendu depuis longtemps, ou bien empalé ou n'importe quoi... »

Les poètes maudits bénéficient d'un avantage: leur ultra sensibilité. Ce sont des êtres à forte tendance médiumnique : Villon et Céline sont des prophètes, des visionnaires. Après le succès public du Voyage en France et de sa traduction par Elsa Triolet en URSS, Céline, « l'Ézéchiel des faubourgs », entreprend en 1936 un voyage de l'autre côté du rideau de fer pour y dépenser ses royalties. Il en revient avec un pamphlet, un beau, un vrai, le premier annoncé comme tel: Mea culpa. Les premières lignes de l'ouvrage révèlent tout : « Le programme du Communisme ? malgré les dénégations : entièrement matérialiste ! Revendications d'une brute à l'usage des brutes !... l'Homme n'a jamais eu, en l'air et sur terre, qu'un seul tyran : lui-même !... Il en aura jamais d'autres... Le Communisme matérialiste, c'est la Matière avant tout et quand il s'agit de matière c'est jamais le meilleur qui triomphe, c'est toujours le plus cynique, le plus rusé, le plus brutal. Regardez donc dans cette U.R.S.S. comme le pèze s'est vite requinqué ! Comme l'argent a retrouvé tout de suite toute sa tyrannie ! et au cube encore ! » Dans tout ce que Céline écrit, il y a cette imprécation, et cette vision des choses. Après tout, dit Cioran, « Seul un monstre peut se permettre le luxe de voir les choses telles qu'elles sont. » Pierre Champion l'exprime à propos de Villon : « Avec la même acuité de vision qu'il porte sur les choses, le poète lit clairement dans sa conscience. » Villon, avant les Illuminations de Rimbaud, possède la vision globale et lucide du monde de son époque. Lucien Combelle (L.-F. Céline, Le style contre les idées) classe la réflexion dans l'évidence : « Médecin. Écrivain. Prophète. Visionnaire. Banalités dites, redites. » Que Erika Ostrovsky resserre : « Céline, le voyeur-voyant. » Un voyant dont la vision sur le monde, datée de Bagatelles pour un massacre (1937), mérite d'être lue et relue en 2011 : « Comment se fabriquent, je vous demande, les idoles dont se peuplent tous les rêves des générations d'aujourd'hui ? Comment le plus infime crétin, le canard le plus rebutant, la plus désespérante donzelle, peuvent-ils se muer en dieux ?... déesses ?... recueillir plus d'âmes en un jour que Jésus-Christ en deux mille ans ?... Publicité ! Que demande toute la foule moderne? Ego demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n'eut jamais dans toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le cœur des foules... mieux la publicité s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. »

Le destin de Céline, Céline l'expose lui-même dans ce livre prémonitoire sinon prophétique qu'est sa thèse de médecine, La vie et l'œuvre de Semmelweis, écrite en 1924 pour son doctorat en médecine. Semmelweis : un chirurgien qui découvre l'asepsie, mais se heurte au conformisme de la médecine en particulier, de la société en général, et meurt dans un asile. Philippe Ignace Semmelweis ou « le prophète bafoué » (Denise Aebersold, Céline un démystificateur mythomane). Cette thèse est un mythe dit-elle « un projet personnel célinien, exprimant une situation psychique que l'auteur finira par vivre. » Il est « le prophète exclusif de la révélation du monde ». Céline s'est assimilé à son modèle initial, Les raisons du comportement provocateur de Céline, « sa recherche complaisante du malheur deviennent intelligibles. Il fallait que Louis-Ferdinand se mit à l'écart de son siècle... » Céline l'écrit lui-même dès 1924: « Dans le destin de Semmelweis, où les grands malheurs semblent parfois familiers, les chagrins tombent parfois si lourdement qu'ils s'estompent dans l'absurde. »

LA DESTINÉE
« Plus un écrivain est doué, plus il s'applique à mettre ses personnages dans des situations sans issue ; il les poursuit, il les tyrannise, il les contraint à affronter tous les détails de l'impasse ou de l'agonie. » Ce que dit Cioran à propos de Tolstoï dans La chute dans le temps est à rapprocher des deux personnages qui sont l'objet de ce livre, Villon et Céline. Pour paraphraser Cioran, Villon et Céline se retrouvent plongés dans des situations sans issue. Poursuivis, tyrannisés, ils ont passé leur existence à affronter tous les détails de l'impasse et de l'agonie. Les parcours de Villon et de Céline sont en forme de fuite. Villon et Céline sont des fugitifs : Villon, de ballade en ballade, et Céline, en voyageur jusqu'au bout de la nuit. De fugitifs à condamnés, il n'y a qu'un pas. De condamnés à damnés, il n'y a qu'une syllabe. Leur destin, c'est l'exil.
Depuis l'obtention de son diplôme, en 1452, jusqu'à sa disparition en 1463, Villon connaît onze années d'allers-retours dans le petit périmètre de la France d'alors : de Paris à Angers en passant par Orléans, Blois, Vendôme... Onze années de vagabondages au cours desquelles les condamnations, les cachots et les bannissements se succèdent. Dès 1455, à 24 ans, Villon doit fuir Paris après une échauffourée avec jet de pierre ayant atteint son but et terrassé à mort l'adversaire. Nuit de Noël 1456 : vol avec effraction au Collège de Navarre, dont il est accusé. L'affaire s'arrangeant, il revient à Paris pour se trouver à nouveau, en 1457, obligé d'en repartir. C'est à ce moment, qu'il réunit pour la première fois tous ses textes pour composer un ensemble appelé Le Lais, ou le Petit Testament. Dans un huitain du Lais, il donne pour prétexte de son départ un dépit amoureux :
Pour obvier a ses dangiers, Mon mieulx est, ce croy, de partir. A Dieu ! Je m'en vois a Angers, Puis qu'el ne me veult impartir Sa grave ne me departir. Par elle meurs, les membres sains ; Au fort, je suys amant martir, Du nombre des amoureux sains.
(Le lais)

À la fin de cette année-là, Villon se retrouve à Blois, à la cour de Charles d'Orléans, prince et poète, un homme de 63 ans, fait prisonnier à Azincourt et qui aura moisi dans les geôles anglaises vingt-cinq années, revenu depuis peu sur ses terres. Sa seconde épouse, Marie de Clèves vient de lui donner une petite fille et c'est à l'occasion de cette naissance que Villon compose alors son Épître à Marie, ainsi que deux autres ballades , la Ballade des contradictions et la Ballade franco-latine qui figurent dans le manuscrit des poésies de Charles d'Orléans tel qu'il est conservé à la B.N. Mais, après un conflit avec un des petits favoris de Charles, il doit quitter cette bonne fortune. En octobre, il est à Vendôme pour essayer de reprendre contact et fait parvenir à Charles d'Orléans (sans succès) deux ballades, la Ballade des proverbes et la Ballade des menus propos. À l'été 1461, on le retrouve emprisonné dans « la dure prison de Mehun », Meung-sur-Loire à 15 km d'Orléans.
En fosse gis, non pas soubz houx ne may,
En cest exil ouquel je suis transmis
Par Fortune, comme Dieu l'a permis.
Filles, amans, jeunes gens et nouveaulx.
Danseurs, saulteurs, faisans les piez de veaux,
Vifz comme dars, agus comme aguillon,
Gousiers tintons cler comme cascaveaux,
Le lesserez la, le povre Villon ?
(Poésie divers)

C'est là qu'il compose l'Épître à ses amis et le Débat du cœur et du corps de Villon. Libéré quelques mois plus tard, mais déchu de son titre de clerc, il rejoint Paris (date de la composition de la Ballade du regret du temps de la jeunesse et Ballade des dames du temps jadis.). C'est à partir de cette fin d'année 1461 qu'il commence Le Testament, le grand Testament qui va rassembler l'ensemble des poésies écrites depuis Le Lais. En novembre 1462, il est à nouveau arrêté pour un nouveau larcin. L'affaire du Collège de Navarre revient à la surface, il garde sa liberté en échange de devoir rembourser le butin. Mais, à nouveau impliqué dans une nouvelle rixe, arrêté, il est incarcéré au Châtelet, torturé et condamné. Pendant cette période, il compose le Quatrain et de la Ballade des pendus. En janvier 1463, le Parlement de Paris transforme sa condamnation pour la potence en dix ans de bannissement de Paris. Il écrit alors les deux ballades à l'ironie mordante, Question au clerc du guichet et Louange à la cour, ses derniers textes connus. Après ce dernier départ de Paris, sa trace est définitivement perdue. Un destin qu'on pourrait rapprocher de celui d'un Caravage, un siècle et demi plus tard. Le Caravage, comme Villon: « homosexuel vivant de prébendes, ivrogne violent, truand arrogant avec l'injure à la bouche, le voilà aussi assassin. » (Véronique Prat). Le Caravage, comme Villon, peintre que n'intéresse pas les « canons de la beauté, mais la splendeur du quotidien » où « L'ombre règne dans la toile... » Comme pour Villon, on s'est longtemps demandé comment Le Caravage avait disparu. Fuyant Rome pour Naples où des tueurs bientôt le recherchent, s'enfuyant à Malte où il ne tarde pas à se créer des inimitiés et devant s'échapper en Sicile, où les chevaliers de l'Ordre de Malte sont à ses trousses et revenant à Rome dans l'espoir que le Pape signe sa grâce, échouant à quelques kilomètres des États Pontificaux, à Porto Ercole, où sa trace se perd sur le sable de la plage ou à l'hôpital pour cause de paludisme. Dans l'histoire des parcours de Villon ou du Caravage, comme celui de Céline, on retrouve la même poursuite sans fin d'un destin hors norme.

Sur son cahier, dans sa cellule au Danemark en 1948, Céline se dessine en Rip Van Winkle. Sans faire seulement référence à l'hallucinante fuite à travers l'Allemagne en 1944-45 pour rejoindre le supposé paradis danois, l'existence de Céline n'est que voyages, déménagements, départs et fuite en avant, « D'un château l'autre ». Dès son enfance, Passage Choiseul, Céline se considère au cachot : « Moi j'ai été élevé au passage Choiseul, dans le gaz de 250 becs d'éclairage. Du gaz et des claques, voilà ce que c'était de mon temps, l'éducation. Il faut vous dire que ça vous marque aussi, autant que la prison, en ce sens que vous n'avez aucun endroit pour aller jouer, et nous avions 360 becs de gaz qui marchaient jour et nuit, et nous avions les petits chiens qui venaient faire leurs besoins... » (Entretien avec Pierre Dumayet, 1958). Ses parents tiennent à ce qu'il ait une éducation complète : Céline voyage alors et effectue différents séjours en Allemagne et en Angleterre. En 1908 à Diepholz, puis à Karlsruhe ; en 1909 à Rochester et à Broadstairs. Débute ensuite la valse des petits boulots, à Paris et à Nice, en apprentissage dès l'âge de 16 ans, « 12 métiers, 13 misères » dit-il, trouvant comme fuite, pour « sortir des inquiétudes monotones et étriquées de ses parents » le moyen de s'engager dans l'armée, dans les cuirassiers, à 18 ans. Deux ans avant le grand conflit de 1914. Blessé dès octobre 1914, il est hospitalisé puis est envoyé à Londres en 1915, où il y fait les 400 coups (raconté dans Guignol's band et Le Pont de Londres). Familier du quartier de Soho, il se marie en 1916, « mariage blanc », avec une entraîneuse, mais il fuit encore une fois, cette fois-ci en Afrique, à Douala. « Je ne peux absolument pas être là... je suis bien plus avec les gens quand je les quitte ». Céline a la certitude que son parcours ne fait que commencer: « C'est pourquoi je parcours et parcourrai encore le monde dans des occupations fantaisistes ... C'est pourquoi le régiment des dévoyés et des « errants » se renforcera... transfert fatal de la désillusion, bouée de l'amour propre, rempart contre la solitude. » (Céline, lettre d'Afrique à Simone Sainte, juillet 1916). Il est rapatrié sanitaire en 1917. En mars 1918, habillé en pseudo soldat américain, il est conférencier ambulant à travers la Bretagne avec la mission Rockefeller. C'est dans ce cadre qu'il rencontre Anathase Follet, professeur à l'école de médecine de Rennes dont il épouse la fille Édith Follet en 1919, dont il a une fille, Colette, et dont il divorce en 1926. Il fait médecine à Rennes puis à Paris. Il réintègre la mission Rockefeller qui le détache au bureau d'hygiène de la SDN à Genève.
Céline voyage alors aux États-Unis et en Europe pendant l'année 1925 puis en Afrique en 1926. Mais cette grande institution et Genève ne sont décidément pas son monde. Il revient à Paris et prend le travail de vacataire dans un petit dispensaire nouvellement créé à Clichy. Nous sommes à la fin des années 20. Pour en sortir (encore une fuite), il imagine gribouiller son énorme torpille, Voyage au bout de la nuit qui sera le chef-d'oeuvre du siècle. Un livre dont le héros est traqué et se définit existentiellement comme un fuyard, caractéristique du complexe de persécution... La suite : après le succès imprévisible du Voyage et le retour d'Elizabeth Craig aux États-Unis, il tente de la rejoindre là-bas. Sans succès. En 1936, en plein front populaire, il voyage en URSS et en revient avec Mea culpa. En 1937, il sort Bagatelles pour un massacre dans lequel il déclare ne plus vouloir voyager : « Je me méfie des fantômes... ils sont partout... Je ne veux plus voyager... c'est trop dangereux... Je veux rester ici pour voir... tout voir... Je veux passer fantôme ici, dans mon trou... dans ma tanière... Je leur ferai à tous... Hou ! rouh L.. Hou !... rouh !... Ils crèveront de peur... ils m'ont assez emmerdé du temps que j'êtais vivant... Ça sera bien mon tour... » À la déclaration de guerre, réformé, il est recruté par la compagnie Paquet pour être médecin sur un navire marchand qui est touché mais pas coulé au large de Gibraltar. Il se retrouve dans un dispensaire à Sartrouville et fait l'ambulance jusqu'en Charente en juin 1940. Puis il devient médecin titulaire au dispensaire de Bezons. En juin 1944, fuyant l'avancée des troupes alliées en France, Céline erre de Baden-Baden à Krânzlin, puis en septembre se retrouve à Sigmaringen dans le panier de crabes d'un petit millier de Français exilés avec le maréchal Pétain et ses ministres. « À Paris, on ne demandait qu'à m'assassiner, je n'aurais même pas vu la Cour de Justice, moi, j'étais assassiné, soit à l'Institut Dentaire, soit à la villa Saïd, tout était prêt... Je me suis sauvé, esquivé parce que je ne voulais pas être assassiné, ni moi ni ma femme... On m'a tout volé... oui, on m'a tout pris, oui, on m'a foutu en prison, là-bas au Danemark, j'ai fait deux ans de réclusion, bien... tout ça c'est banal... » (Entretien avec Albert Zbinden, 1957). En mars 1945, périple apocalyptique à travers l'Allemagne en feu, sujet des trois derniers romans, D'un château l'autre, Nord et Rigodon. À Copenhage il ne tarde pas à se retrouver dans une cellule de condamné à mort. Avec de fortes conséquences psychiques. Dans Céline secret Lurette Almanzor dit : « Quand on fait de la prison, on est à jamais séparé des autres. » Cachot et hôpital pendant onze mois, avant d'être reclus sur les bords de la Baltique, à 60 km de Copenhague, dans une petite propriété de son avocat danois, Thorvald Mikkelsen, à Klarskovgaard. Au terme de ces six années d'exil, il refoule la terre française, dans l'hostilité générale, et va se nicher sur les hauteurs de Meudon, dernier exil, 25 ter route des Gardes, dans lequel il s'enferme avec ses animaux.

Il n'aura plus que dix ans à vivre pour produire ses derniers chefs d'ceuvre. Dernière et ultime fuite décès le 1er juillet 1961.

Pierre de BONNEVILLE
Le Bulletin célinien n°333, septembre 2011.

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Une femme à Berlin : Journal 20 avril - 22 juin 1945

Présentation de l'éditeur
La jeune Berlinoise qui a rédigé ce journal, du 20 avril 1945 - les Soviétiques sont aux portes - jusqu'au 22 juin, a voulu rester anonyme, lors de la première publication du livre en 1951, et après. A la lecture de son témoignage, on comprend pourquoi. Sur un ton d'objectivité presque froide, ou alors sarcastique, toujours précis, parfois poignant, parfois comique, c'est la vie quotidienne dans un immeuble quasi en ruine, habité par des femmes de tout âge, des hommes qui se cachent : vie misérable, dans la peur, le froid, la saleté et la faim, scandée par les bombardements d'abord, sous une occupation brutale ensuite. S'ajoutent alors les viols, la honte, la banalisation de l'effroi. C'est la véracité sans fard et sans phases qui fait la valeur de ce récit terrible, c'est aussi la lucidité du regard porté sur un Berlin tétanisé par la défaite. Et la plume de l'auteur anonyme rend admirablement ce mélange de dignité, de cynisme et d'humour qui lui a permis, sans doute, de survivre.

Une femme à Berlin : Journal 20 avril-22 juin 1945, Gallimard, 2008.
Commande possible sur Amazon.fr.

lundi 26 septembre 2011

Le Bulletin célinien n°334 - octobre 2011

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°334. Au sommaire :

Marc Laudelout : Bloc-notes
M. L. : In memoriam Paul Yonnet (1948-2011)
Nos amis écrivent…
M. L. : Henri Guillemin, admirateur de Céline
Henri Guillemin : « Drôle de Céline ! » [1938]
Robert Le Blanc : Céline et Mahé
Pierre de Bonneville : Villon et Céline [3]
Frédéric Saenen : Céline sans contredit
François Marchetti : In memoriam Johannes C. Johansen

Un numéro de 24 pages, 6 € franco.

Le Bulletin célinien, B. P. 70, Gare centrale, BE 1000 Bruxelles.

Céline, un génie des lettres, un enfant et un fou

Par Amaury Watremez. A propos de la sortie en Folio d’une partie de la correspondance de Céline, les Lettres à la NRF, passionnantes.

Les Lettres à la NRF de Céline sont au fond comme un journal littéraire de ce dernier, et dans les considérations de ces deux misanthropes on perçoit des remarques qui se rejoignent très souvent sur eux, sur leur entourage, leur œuvre, le reste de l’humanité.

Ce que dit Céline dans sa correspondance sur la littérature, il le mettra en forme plus clairement encore dans les Entretiens avec le professeur Y en particulier. Céline écrit tout du long de sa vie littéraire qui se confond avec sa vie tout court car la littérature, n’en déplaise aux petits marquis réalistes, est un enjeu existentiel. Il écrit des lettres pleines de verve, parfois grossières, à la limite du trivial. Il y explique, en développant sur plusieurs courriers sa conception de l’écriture, basée sur le style. Il se moque de l’importance de l’histoire par l’écrivain (« des histoires, y’en a plein les journaux »), se moque des modes littéraires, n’est pas tendre avec ses amis, dont Marcel Aymé, dont il suggère l’édition sur papier toilettes ainsi que l’œuvre de Jean Genet, comme un gosse jaloux du succès de ses pairs, qui entend conserver toute l’attention sur lui.

Car il cultive les paradoxes, il est misanthrope mais a soif de gloire et de la reconnaissance la plus large possible des lecteurs.

Ses correspondants ne sont pas sans talent, ainsi Gaston Gallimard, son éditeur : on s’étonne encore du flair remarquable de celui-ci en matière d’édition, on chercherait vainement son équivalent de nos jours où domine à des rares exceptions le clientélisme, l’obséquiosité, le copinage entre « beaux messieurs coquins et belles dames catins » pour reprendre le terme de Maupassant dans sa correspondance. Ce qui montre d’ailleurs que ce copinage ne date pas d’hier, ce qui n’est pas une excuse vu les sommets himalayens qu’il atteint en ce moment dans les milieux littéraires en particulier, culturels, ou plutôt « cultureux » en général.

Céline comme Léautaud est un misanthrope littéraire exemplaire, ce que sont finalement la plupart des littérateurs de toute manière, qui se libèrent des blessures subies par eux à cause de l’humanité en écrivant, en ouvrant un passage vers des univers mentaux et imaginaires inexplorées. Mais l’écriture n’est pas qu’une catharsis, contrairement à ce que les auteurs d’auto-fiction voudraient nous laisser croire, eux qui font une analyse en noircissant des pages qui ont pour thème central l’importance de leur nombril.

La misanthropie en littérature est un thème couru, maintes fois traité et repris, souvent lié à la pose de l’auteur se présentant en dandy, en inadapté, en poète maudit incompris de tous.

C’est un sujet d’écriture au demeurant très galvaudé.

Parfois, l’auteur qui prend cette posture a les moyens de ses prétentions, de ses ambitions, et d’ailleurs la postérité a retenu son nom à juste titre, pour d’autres, c’est souvent assez ridicule voire grotesque. Les artistes incompris de pacotille, les rebelles de ce type sont des fauves de salon comparés aux écrivains qui refusent les mondanités, les dorures, et l’ordure. Ces fauves de salon ne sont pas méchants, ils sont émouvants à force d’évoquer Rimbaud ou Baudelaire pour tout et n’importe quoi, de manière aussi désordonné que l’adolescent post-pubère clame sa détestation de la famille pour mieux y coconner, et continuer à se vautrer ensuite dans un mode de vie bourgeois. Et après tout, Claudel qui se réclamait de Rimbaud, et qui était un grand bourgeois conservateur, était aussi un grand écrivain, les fauves de salon peuvent donc avoir encore quelque espoir que leur démarche ne soit pas totalement vaine.

C’est encore mieux quand le prétendu inadapté rebelle, artiste et créateur, est jeune, et vendu comme génie précoce pour faire vendre (ne surtout pas oublier la coiffure de « rebelle » avec mèche ou frange « ad hoc »).

Cette rentrée littéraire, on nous refait le coup avec Marien Defalvard dont le livre s’avère certes plutôt bien écrit, et certainement réécrit, mais sans personnalité, sans saveur, sans couleur, sans odeur.

Les personnages misanthropes les plus connus sont le capitaine Némo et Alceste, les plus intéressants, les plus remarquables aussi. Louis-Ferdinand Destouches alias Céline, semble être eux aussi de véritable misanthrope, détester ses semblables.

Au final, on songe plutôt à son encontre au mot de Jean Paulhan répondant à une lettre d’injures de Céline, ces misanthropes, ce sont à la fois des enfants, des fous, mais aussi des hommes de talent, des génies avides de gloire. Ils ont des blessures diverses, surtout à cause du monde, dont ils ressentent la sottise et la cruauté plus fortement que les autres. Ce sont finalement des blessures d’amour, en particulier pour Léautaud, mais aussi pour Céline, qui feint de haïr ses semblables mais qui veut à tout prix ou presque leur reconnaissance.

Céline fût fidèle à Lucette, toujours discrète, toujours présente, consolatrice, fluette et solide, qui avait son atelier de danse au-dessus du cabinet de l’écrivain à Drancy, l’exception peut-être de quelques « professionnelles » de Bastoche, ce qu’évoque Claude Dubois dans son ouvrage sur La Bastoche : Une histoire du Paris populaire et criminel dont l’auteur de ses lignes a déjà parlé sur Agoravox.fr. Derrière les pétarades de l’auteur du Voyage on distingue aussi un grand pudique goûtant la présence discrète de sa femme attentionnée.

Ces deux auteurs comme beaucoup de natures très sensibles sont dans l’incapacité au compromis sentimental, amical, à l’amour mesuré, raisonnable, sage, et finalement un rien étriqué. Il est difficile de leur demander de rentrer dans un cadre ce dont ils sont incapables.

Sur ce point là, Céline est aussi un enfant comme Léautaud, on sent dans ses amitiés, à travers ses lettres à Roger Nimier, Denoèl ou Gaston Gallimard, cette recherche de la perfection et d’une amitié sans réelle réciprocité où c’est l’ami qui couve, qui prend les coups, les responsabilités à la place, et à qui l’on peut reprocher la brutalité et la sottise du monde extérieur, du monde des adultes où ils ne sont jamais au fond rentrés en demeurant des spectateurs dégoûtés par ce qu’ils y voient.

Sa misanthropie est aussi sa faiblesse, mais comme du charbon naissent parfois quelques diamants, de celle-ci naît le génie particulier de son œuvre littéraire. Cette hyper-émotivité du style que l’on trouve surtout chez Céline, ce chuchotement fébrile et passionné.

Amaury WATREMEZ
Agorafox.fr, 26/09/2011.

> Mes terres saintes, le blog d'Amaury Watremez.

dimanche 25 septembre 2011

Un coffret Folio Louis-Ferdinand Céline chez Gallimard

Pour les fêtes de fin d'année, l'éditeur Gallimard, dans sa collection de poche Folio, réitère son opération coffrets en édition limitée.

Cette année, Louis-Ferdinand Céline, André Malraux, Marcel Proust, Jean-Paul Sartre, John Steinbeck et Albert Cohen sont au programme. Le marque-page personnalisé aimanté, en métal, accompagne toujours chaque coffret. Les amateurs de classique pourront s'offrir ou offrir Belle du Seigneur d'Albert Cohen, Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, La Condition humaine d'André Malraux, Du côté de chez Swann de Marcel Proust, Les Mots de Jean-Paul Sartre et Des souris et des hommes de John Steinbeck. Les prix de ces coffrets vont de 8,90 € pour le Steinbeck à 14 € pour l'ouvrage d'Albert Cohen.

2011 marque notamment les 50 ans de la mort de Céline, les 30 ans de celle d'Albert Cohen et les 110 ans de la naissance de Malraux.

www.metrofrance.fr, 25/09/2011.

samedi 24 septembre 2011

Pierre-André Taguieff ouvre la chasse aux céliniens (2011)


Février 2017 :
Parution de CELINE, LA RACE, LE JUIF (Fayard, 1180 pages, 35 €) 
de Pierre-André TAGUIEFF & Annick DURAFFOUR
Revue de presse (2017)


Le philosophe va publier avec l’historienne Annick Duraffour, un portrait décapé de Céline en militant pro-nazi de l’Ordre nouveau.

La chasse aux céliniens est ouverte, et le fusil est redoutable. C’est une menace et une promesse : "Constatant à quel point les débats sur le « cas Céline » baignaient dans une empathie colorée de vénération, nous avons mis en lumière les omissions, les naïvetés ou les arguties des habituels défenseurs de Céline. Le temps était venu d’en finir avec la complaisance, virant parfois à la connivence, à l’égard de cet antijuif fanatique doublé d’un propagandiste sans scrupules." Signé Pierre-André Taguieff.

"Dans cet ouvrage à deux voix, nous nous proposons tout d’abord de replacer Céline dans l’histoire de la littérature antijuive en France de la fin du XIXe siècle aux années trente, où apparaissent comme décisives les années 1936-1938", avance le philosophe qui, en novembre prochain, publie aux éditions Mille et une nuits (filiale Fayard), avec la collaboration de l’historienne Annick Duraffour, un Céline : l’autre face. Celle beaucoup moins consensuelle du "pamphlétaire anti-juif". Les deux chercheurs tentent d’expliquer comment l’auteur du Voyage au bout de la nuit s’est quasi converti à "l’antisémitisme de combat", puis à "l’engagement pro-nazi".

Céline jubilait devant l’Ordre nouveau qui s’installait en Europe et voulait clairement la victoire de l’Allemagne nazie.
A l’issue du Front populaire, incarné par "le Juif Blum", l’antisémitisme culturel s’est combiné à l’antisémitisme politique pour se cristalliser en propagande nazie, éclaire les auteurs, qui dénudent ainsi le soi-disant mystère Céline. "Nous nous appliquons ensuite à montrer, sur la base de faits souvent ignorés ou mal interprétés, que les activités politico-littéraires diverses de Céline sous l’Occupation obéissaient à une logique d’engagement dénuée d’ambiguïté. Céline jubilait devant l’Ordre nouveau qui s’installait en Europe et voulait clairement la victoire de l’Allemagne nazie. Dès juillet 1942, il apprenait d’une « âme légère » l’entreprise d’extermination des Juifs d’Europe.", rappelle Pierre-André Taguieff. Les errements céliniens n’avaient rien d’une mauvaise grippe : après-guerre, le grand génie se reconnaissait bien volontiers dans la nébuleuse du « révisionnisme historique », approuvant un Paul Rassinier, qui dès 1950, met en doute l’existence de la « magique chambre à gaz », selon son expression.

Rappelons que "le grand écrivain" devait être célébré par la république en 2011, pour le cinquantenaire de sa mort, le 1er juillet dernier. Le 19 janvier, une intervention de Serge Klarsfeld au nom du FFDJF (association des fils et filles de déportés juifs de France) a fait capoter le projet de célébrations nationales sous l’égide du ministère de la culture, mais n’a pas pour autant freiné l’intense effervescence autour de l’écrivain. Qu’on en juge : colloque international les 4 et 5 février, semaine spéciale sur France Culture, hors série de Télérama, tables rondes en tous genres, rééditions et relookages... Peu de livres ont mis en exergue, l’antisémitisme à mort et surtout la nazification de Louis-Ferdinand Céline.

Par ailleurs, au même moment, et comme s’il n’avait pas assez d’ennemis idéologiques, le boulimique incorrigible Pierre-André Taguieff publiera un Wagner contre les juifs (Berg International), exhumant les textes et les oeuvres du compositeur les plus violemment antisémites.

Emmanuel LEMIEUX
Les Influences, 21/09/2011.

Février 2017 : Parution de CELINE, LA RACE, LE JUIF (Fayard, 1180 pages, 35 €) 
de Pierre-André TAGUIEFF & Annick DURAFFOUR


A écouter :

Gallimard, le roi lire

Gallimard, le roi lire, documentaire réalisé par William Karel, produit par France Télévisions. Durée 1h33. Diffusé sur France 5 le 22 septembre 2011 avec pour invité Pierre Assouline, auteur de Gaston Gallimard, un siècle d'édition française.

Résumé
A l'occasion du centenaire des Editions Gallimard, ce documentaire revient sur l'histoire de cette grande maison et sur la personnalité de son fondateur, Gaston Gallimard. Fondée en 1911 par une poignée de jeunes passionnés, la petite maison d'édition devient une machine commerciale bien huilée, qui réalise près de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires et possède le catalogue le plus prestigieux de la profession. De la Première Guerre mondiale à aujourd'hui, ce film propose une traversée du siècle dans le sillage des plus grands noms de la littérature à partir d'archives, de photos, de lectures de textes et de témoignages de Jean-Marie Le Clézio, Patrick Modiano, Milan Kundera, Philippe Sollers, Alban Cerisier, Pierre Assouline, Robert et Antoine Gallimard...














L'Apocalypse selon Ferdinand

D'entrée de jeu, soulignons le double niveau d'interprétation qu'on peut donner à cette oeuvre : Féerie est l'expression, par l'image, d'un drame personnel de Ferdinand confondu avec Céline. En outre, ce qui arrive au narrateur, personnage cosmocentrique par excellence, adviendra au reste du monde. Féerie contient des vues sur le passé, le présent, le présent, et l'Histoire future. C'est une Apocalypse - au sens de Révélation - selon Ferdinand.
"Apocalypse" ne signifie pas seulement les tribulations catastrophiques de la fin des temps, mais la Révélation Johannique - "tout est dans saint Jean!" (1) - qui donne leur sens aux motifs tragiques. [...]

Le prophète de Féerie narre ce qu'il a vu en se disant simple témoin : le point de départ est un bombardement longuement décrit. Céline, qui se réclame de Pline l'Ancien (2) pour son esprit de sacrifice et la minutie de son observation, précise que sa perception des jardins à l'envers de Jules est "rétinien(ne)"... "du phénomène physique (3)". La vision est à la fois naturelle et surnaturelle, car elle s'inscrit dans le temps des devins :

"Confusion des lieux, des temps! Merde! C'est la féerie vous comprenez... Féerie c'est ça... l'avenir! Passé! Faux! Vrai! " (4)

L'Apocalypse célinienne concerne tous les hommes au-delà des continents historiques, tous les temps, elle embrasse présent, passé, avenir. Ainsi, après ce bombardement donné pour authentique, l'un des personnages de Féerie, le baron Solstrice, nie la réalité des faits et s'écrie:

"Il ne s'est rien passé!... vous confondez tout! (...) Il va se passer! oui! certes! il va! il va se passer!" (5)

Plus tard, précise le narrateur-prophète, quand viendra le Temps, les hommes comprendront; ils conviendront alors du sérieux de l'observation:

"ils achèteront plus tard mes livres, beaucoup plus tard, quand je serai mort, pour étudier ce que furent les premiers séismes de la fin, (...) Ils savaient pas, ils sauront!..." (6)

"... quand ils déferleront au coeur! quand Técel aura été dit... Pharès! Manès!... alors on entendra quelque chose!... alors les yeux sortiront... "(7)

Denise AEBERSOLD, Goétie de Céline, SEC, 2008.
Commande possible sur Amazon.fr.


Notes
1- Féerie pour une autre fois I, p. 81, Pléiade.
2- Pline l'Ancien ou "le naturaliste" (23-79 ap.JC), auteur d'une Histoire naturelle, commandait la flotte romaine de Misène, près de Naples, lorsque eut lieu l'éruption du Vésuve qui anéantit la ville de Pompéi. Voulant observer le volcan de près, il mourut asphyxié par les émanations. L'hommage qui lui est rendu repose sur l'idée sous-jacente qu'un écrivain digne de ce nom paie un lourd tribut à la connaissance... à distance du cratère de feu s'il s'agit de Ferdinand.
3- Féerie II, p.191
4- Féerie I p15
5- Féerie II p144
6- Féerie II p191
7- Féerie II p195

jeudi 22 septembre 2011

Paris Céline - Histoire - 13 décembre 2011

Le documentaire Paris Céline réalisé par Guillaume Laidet (texte et scénario de Patrick Buisson) avec Lorant Deutsch, sera diffusé sur la chaîne Histoire le 13 décembre 2011.

> Téléchargez le dossier de presse (pdf)

Le film alterne une visite guidée du Paris de Céline par Lorânt Deutsch ( comédien et auteur du Métronome, une histoire de Paris à travers ses stations de métro vendu à 1. 200 000 exemplaires), les lectures de l'œuvre de Céline et des images d'archives illustrant toutes les thématiques du Paris populaire cher à l'auteur du Voyage : le Paris de l'opérette (Bouffes Parisiens et la place des chansons dans l'œuvre de Céline), le Paris des chanteurs de rue et de la chanson du pavé ("Je donnerai tout Proust pour deux vers d'Aristide"), L'Expo de 1900, le cinéma de Méliès sur les grands boulevards, la "banlieue- paillasson" de Clichy, le Paris ouvrier, la médecine sociale, Le Montmartre des poulbots ( la rue appartient alors aux gosses, les petits frères de Bébert) , le Montmartre des peintres, une virée dans les bobinards de la capitale sous l'égide de Mahé, les terres montmartroises du "prophète" et de ses disciples, Montmartre sous l'Occupation , le bombardement de La Chapelle en avril 1944 et pour finir l'exil à Meudon aux portes de la ville devenue pour lui aussi monstrueuse que la société des hommes.

Les entretiens du Petit Célinien (I) : Stanislas de la Tousche

Stanislas de la Tousche a été récemment l'interprète, à Paris puis Avignon, de textes de Céline rarement mis en scène comme Féerie pour une autre fois ou D'un château l'autre. Entretien.

Commençons cet entretien par une question préliminaire : qui est Stanislas de la Tousche ?
Après une tentative louable d'études économiques à la Fac, j'ai abordé le métier il y a 25 ans par la Troupe, les tréteaux… Molière et Dario Fo au répertoire… l'acrobatie, la musique, les tournées en camion... J'ai toujours travaillé dans des projets d'équipe. Je rêvais depuis longtemps d'être seul sur le plateau... et de travailler sur Céline, une figure paternelle pour moi, j'ose dire, entrevue dans les docus de l'époque, la solitude habitée...
Ce montage en "dentelle Célinienne" est issu d’une collaboration de trois années avec Géraud Bénech, dans une vraie complicité et complémentarité de travail. Il est aussi historien, c'est plus que précieux, quand on aborde le bonhomme.

Quel fut votre premier contact avec l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline et quels souvenirs en gardez-vous ?
"D'un château l'autre". Ce livre a été un enchantement. L'intimité que Céline tisse avec nous, la fluidité de la langue, une autodérision rare chez nous - il doit être Celte, non ?!!... Et puis ces pages extrêmement émouvantes sur "sa" malade, Madame Niçois, une peinture unique de la solitude de la fin de vie, le cancer... Il y a les marques d'une bonté, masquée derrière l'humour et le sarcasme.

Pourquoi avoir pris la résolution de faire résonner la prose célinienne ? Qu'est-ce qui peut motiver une telle décision ?
Qui est cet homme qui redonne vie à la langue, avec l'unique souci de l'émotion, en se pliant au style le plus élaboré ? Tel était notre point de départ. Une fois sur cette trace, l'acteur s'émoustille et songe : comment, à mon tour, vais-je réussir à retransposer pour faire sonner oralement cette écriture faussement orale ?

Votre spectacle s’appelle « Y en a que ça emmerde… ? ». Pourquoi avoir fait le choix d’un tel titre ? Ne craignez-vous pas de perdre tout sens critique en vous plaçant sous la tutelle rhétorique de l'auteur ?
Avouez, il reflète bien Céline, non ?!!... Et son image dans l'époque, particulièrement en ce moment... Nous ne perdons pas de vue l'objectif final : éclairer les complexités du bonhomme, sans concession.
Il y a un trop plein d'humanité chez lui, et il n'opère pas dans le champ de la morale. Cette même approche physiologique que Céline avait avec son matériau, nous voulons l'avoir avec lui, explorer ses nerfs, sa rage, son humour, sa mauvaise foi, son égocentrisme, sa tendresse, sa méchanceté.

Le choix des textes semble donner du sens à votre démarche. N'avez-vous pas le sentiment d'être davantage le porte-parole de l'homme que de son œuvre ? Pourquoi ne pas avoir sélectionné des écrits plus fédérateurs ?
Avec Géraud, notre accord premier est fondé sur notre "obsession" à traquer cette zone incertaine où l'homme et l'œuvre paraissent se confondre... Et notre étoile, c'est le fameux "rendu émotif", lequel apparaît davantage dans les derniers écrits de Céline, notamment la "trilogie allemande", que dans les deux célébrissimes romans d'avant-guerre.

Mettre en parole Céline revient à faire des choix. Quel genre d'interprète avez-vous choisi d'être ?
Au cours du travail de plateau, il est vite devenu évident pour nous deux que le personnage du Céline de Meudon, vieillissant, était le bon point de départ pour restituer les textes que nous avions envie de donner au public, tirés de Féerie, Rigodon, Château, lettres et interviews... le plus susceptible d'accueillir toute la gamme des sentiments, même les plus chargés d'enfance.
Et à chaque spectacle sa vérité. Il me faut mêler une technique, disons "cinéma", avec un véritable engagement théâtral. Cette contrainte est passionnante car nous avons affaire à des textures très différentes, de la salve proférée dans la veine de Villon (Féerie) aux "causeries" typiques de Château, pour finir par l'écriture somnambulique du final de Rigodon. J'épouse le plus Céline, vocalement compris, dans les interviews.

Le recours à des artifices lors de vos spectacles - tenues de scène, enregistrements musicaux, postures corporelles - peut sembler incongru à ceux qui estiment que le texte est autosuffisant. Comment justifiez-vous de telles options artistiques ?
Nous assumons nos choix, fruits autant d'intuitions que de réflexions. Céline était environné de sons, d'acouphènes. Nous explorons cette voie avec parcimonie, de même que pour le piano. Chopin ? Céline parle d'un "mystère" Chopin. Nul romantisme à l'eau de rose dans cette « Etude révolutionnaire » d’ailleurs.
Le costume célinien, ainsi que le fauteuil, c'était o-bli-ga-toire !... Céline entretient !... Mais nous jouons bien sûr avec les codes. Tout cela reste sobre, je ne nourris aucun chat sur scène... Au final, c'est toujours le texte, l'écriture qui prédominent, et donc la profération.

Pour clore cet entretien, il peut sembler intéressant d'avoir votre avis sur le degré de résistance au temps de l'œuvre célinienne. Qu'est-ce qui est susceptible de décliner le plus rapidement ? Les idées ? Le style ?
Il est plus aisé de répondre à cette question après avoir côtoyé le public du festival d'Avignon pendant un mois entier, au théâtre ou dans les rues... L’œuvre gêne toujours autant, pas seulement à cause de la dérive antisémite pathologique de Céline. Sa littérature est d'autant plus dérangeante que le nouveau moralisme ambiant se glisse en silence dans les consciences.
Je retiens cette sidération de notre public devant les audaces de sa pensée, toujours chargée d'émotion, toujours en style, impérieuse.
Et il y a cette chose très touchante : les passionnés de Céline sont très questionnés par lui, sincèrement, sans posture. C'est plutôt bon signe, non ?

Propos recueillis par Emeric CIAN-GRANGÉ
Le Petit Célinien, 3/9/2011.

mercredi 21 septembre 2011

Villon et Céline (I) par Pierre de Bonneville

Illustration du Grand Testament imprimé en 1490 (Bibl. Chantilly).

Villon est né en 1431, Céline est né en 1894. Cinq siècles les séparent, pourtant beaucoup de choses les rapprochent. Céline, lui-même, se sent proche de Villon. Pour Céline, Villon est le Shakespeare français, Villon est un médium . « Il est capital, dit Céline dans son entretien avec Jean Guenot en 1960, c'est notre Shakespeare. Il y a la trouvaille chez lui, la trouvaille profonde. Il y a une mélancolie profonde, un mystère. Il ramène tout à coup des mélancolies qui viennent de loin, qui sont bien au-dessus de la nature humaine... qui n'a pas cette qualité-là. Et les fait venir à la surface. C'est un médium. D'une certaine façon, il est médium. »

Ce que Céline dit sur Villon, c'est exactement ce que Céline pourrait dire sur Céline.
Céline est dans le prolongement de Villon. Il y a du Céline dans Villon comme il y a du Villon dans Céline. Pour paraphraser Deleuze, « c'est par là qu'il y a une histoire de la littérature » : Céline prolonge Villon : l'écriture de Villon a marqué la pensée célinienne qui, à son tour, a marqué la façon dont on peut lire, et comprendre Villon aujourd'hui.
Quels sont les points de rapprochement que l'on peut définir ?
Leur premier point commun est l'identité : elle est fausse. Cela peut paraître anecdotique, mais concernant l'identité, est-ce que cela peut être une simple anecdote ? Ils ont vécu l'un et l'autre et sont connus l'un et l'autre sous une fausse identité, un nom-dit : Villon n'est pas né Villon comme Céline n'est pas né Céline.
Second point, l'époque. Leurs époques, séparées de cinq siècles, sont deux époques terribles, deux fins d'un monde. Villon a vécu la lente agonie d'un trop long Moyen Âge et cette interminable guerre de factions appelée guerre de cent ans, tandis que Céline aura vécu, l'hécatombe de la première guerre mondiale et la démence de la seconde. Pour reprendre l'expression hitchcockienne : ce sont deux innocents dans un monde coupable.
Troisième point, un lieu : Paris, un lieu commun. Lieu géographique et milieu : Villon et Céline ont tous les deux la foi du pauvre, ils s'opposent à l'esprit bourgeois.
Quatrième point, leur personnalité. Si Villon est le « mauvaiz enffant », comme il se définit lui-même, Céline lui, est le mouton noir. Tous les deux sont des réprouvés, des maudits.
Cinquième point, le destin. Leur parcours est une fuite permanente : Villon et Céline sont des fugitifs. De fugitifs à condamnés, il n'y a qu'un pas. De condamnés à damnés, il n'y a qu'une syllabe. Leur destin est l'exil. Sixième point, l'invention. Villon et Céline sont des inventeurs. Ils n'ont pas inventé le français, ils ont inventé une nouvelle élégie. Dans notre histoire littéraire, l'un comme l'autre, sont des marqueurs. Il y a un avant et un après Villon comme il y a un avant et un après Céline.
Septième point, le Je. Villon et Céline n'écrivent surtout pas comme leurs contemporains écrivent. Si les thèmes abordés sont les mêmes (l'angoisse de la mort, le non-sens de la vie, l'injustice des hommes et leur criminel atavisme, la guerre, la vieillesse, l'amour impossible...) leur façon de les vivre dans leur écriture est nouvelle. Pour reprendre d'expression promotionnelle chère à Céline : ils ont mis leur peau sur la table.
Huitième point, la musique. Le huitième point sur lequel Villon et Céline s'accordent, c'est la musique. Ils ont créé la leur. Lais et virelais, rondeaux et ballades : la poétique de l'époque de Villon repose sur la musique et la danse, et Céline suit le rythme... Céline parle de son écriture comme de sa petite musique, titrant ses livres Rigodon, Bagatelles ou encore Guignol's band. Céline : « Tout fait musique dans ma tête, je pars en danse et en musique. »
Neuvième point, la farce. Villon et Céline sont dans le ricanement. L'existence est une énorme farce. Cioran résume Shakespeare, en deux mots : la rose et la hache. Villon et Céline utilisent les mêmes armes.

L'IDENTITE
Villon et Céline ont un premier point commun : le nom-dit, leur fausse identité. Villon n'est pas né Villon et Céline n'est pas né Céline. Villon est un nom d'emprunt, c'est le nom de son « tuteur ». Céline est un nom d'emprunt, c'est le nom de sa grand-mère maternelle. Le tuteur de Villon à qui sa mère l'a confié est son « protecteur », Guillaume de Villon, qu'il qualifie de « plus que père » :
Item, et à mon père,
Maître Guillaume de Villon,
Qui m'a été plus doux que mère
A enfant levé de maillon ; (m'a élevé enfant )
Qui m'a mis hors de maint bouillon, (Il m'a tiré de maintes mauvaises affaires)
Et de cestuy pas ne s'éjoie, (il ne se réjouit pas de ça)
Si lui requiers à genouillon (je lui demande à genoux)
Qu'il m'en laisse toute la joie ; (qu'il m'en laisse le plaisir...)
(Le Testament)
Guillaume de Villon est chanoine et le répétiteur canonique de Saint-Benoît-leBétoumé, appelé ainsi parce que le choeur, est orienté à l'Ouest au lieu de l'être vers l'Est (chapelle rasée en 1854 lors du percement de la rue des Écoles). Déjà un problème d'inversion car ce protecteur, ce « plus que père » est aussi son initiateur.

Dans chaque texte où il parle de lui, François Villon, se nomme François et s'appelle Villon :
L'an quatre cens cinquante six, Je, Françoy Villon, escollier, Considerant, de sens rassis, Le frain aux deus, franc au collier, Qu'on doit ses envies conseilliez, Comme Vegece le racompte, Sage Rommain, grant conseilliez, Ou autrement on se mescompte... (Le Lais, Huitain I)

Pourtant François Villon change souvent d'identités, selon les circonstances : ainsi, à l'Université, il est répertorié sous le nom de François de Montcorbier : « François Villon est licencié en 1452. Et le nom inscrit est Dominus Franciscus de Montcorbier de Paris. » (Pierre Champion, François Villon, sa vie, son temps) ; dans l'affaire dite du meurtre de Philippe de Sermoise, il est interpellé sous le nom de François des Loges et lorsqu'il est hospitalisé à la suite d'une rixe en 1455, il est enregistré sous le nom de Michel Mouton.

Concernant Louis-Ferdinand Céline, dont on sait beaucoup plus de choses, tout le monde sait qu'il ne s'appelait pas Céline, mais Louis Destouches. Au début des années trente lorsque, médecin vacataire au nouveau dispensaire municipal de Clichy, le docteur Louis Destouches se décide à faire parvenir à des éditeurs son premier manuscrit Voyage au bout de la nuit, il n'ose pas le faire sous sa propre identité, craignant d'être reconnu et de perdre son crédit auprès de sa clientèle, car il n'imagine pas alors devenir célèbre un jour :
« Je suis parti dans l'écriture des livres sans vouloir obtenir une notoriété quelconque, je pensais simplement en tirer un honnête bénéfice, pour me payer un petit appartement dont j'avais bien besoin à l'époque. » (Interview de Céline à Lectures pour tous, 1957).

Il tient à rester caché, à se dissimuler sous un pseudonyme, dans l'anonymat. Curieusement, il en choisit un féminin : Céline. « ... et comme ça, personne n'en saura rien, on ne viendra pas me chercher sous un prénom féminin, et puis voilà, toute l'histoire de Céline, et puis, le « Voyage » est sorti... » (Extraits de l'entretien avec Jacques d'Arribehaude, et Jean Guenot, 1960).

Céline est le prénom de sa grand-mère maternelle : Céline Guillou, « piqueuse de bottines. » Pour simplifier, plus tard il explique que c'est le prénom de sa mère qui s'appelle en réalité Marguerite... (Marie, Marguerite, Céline Guillou). Mais pourquoi Louis-Ferdinand Céline ? Sa justification est toute filiale, enfantine : « Moi, c'est Louis, mon père, c'était Ferdinand, ma mère Céline. Alors j'ai dit : comme ça, il y aura toute la famille. »

Céline s'était déjà imaginé d'autres identités. En 1917, il avait écrit une nouvelle intitulée Des vagues, un premier essai narratif resté manuscrit signé avec un effet de prétention nobiliaire : L. des Touches.

En 1944, lorsqu'il s'enfuit en Allemagne, sa carte d'identité porte le nom de : Deletang. Prénom : Louis-François. Profession : représentant. Né à Montréal, Canada. Du Danemark pour donner le change, certains courriers arrivent signés sous le pseudonyme d'Henri Courtial, personnage de Mort à crédit, ou même du nom de jeune fille de sa femme Lucette Almanzor, ou encore Lucie.

L'ÉPOQUE
Presque cinq siècles séparent les époques au cours desquelles ont vécu Villon et Céline, mais une même toile d'horreurs les recouvre. « Les moments historiques les plus fertiles furent en même temps les plus irrespirables. » (Cioran).
Villon vit au milieu des désordres barbares de l'interminable guerre de cent ans tandis que Céline, lui, échappe aux tranchées et à l'hécatombe de la première guerre mondiale mais pas à la démesure de la seconde. Ce sont deux innocents dans un monde coupable, pour reprendre l'expression du maître du frisson, Hitchcock, citée par Sollers.

Villon est né en 1431, l'année du procès et de l'exécution de Jeanne d'Arc. En pleine guerre de 100 ans (1 337-1475), vingt ans après la déroute d'Azincourt. Villon arrive à la fin d'un monde, celui de la chevalerie, que la guerré n'entretient plus. C'est le début d'un autre monde, celui des bourgeois, celui de l'argent.
Quant les nobles usent de marchandises,
Quant les armes ne veullent plus servir,
Quant laboureurs veullent porter devise,
Quant le commerce si veult enorgueillir,
Quant les marchands commencent à mentir,
Quant robeurs ont reigne en terre et en mer,
Quant chscun veult son voisin surmonter,
Quant en conseil faveur est essaulcié,
Quant les prescheux font mal et dient bien,
Quant advocatz ont tout en leur baillie,
Que vault le monde ?
— Hélas, il ne vault rien.
(Ballade quand Union n'es plus en sainte Église, British Museum).

C'est un monde moralement saccagé : par la guerre, par une profonde crise dynastique, par les famines, les épidémies, les rapines et les crimes.
« On comptait à Paris en 1423, plus de vingt mille maisons vides et abandonnées. Paris, abandonné par les ducs d'Orléans et de Bourbon, avait eu à souffrir des révolutions de 1413 et 1418, puis de l'occupation anglaise. Beaucoup de riches bourgeois avaient abandonné leur ville pour suivre le dauphin. On avait distribué leurs biens et leurs maisons aux partisans du duc de Bourgogne, aux chefs des factions cabochiennes de 1413, aux auteurs de la conjuration de 1418; d'autres avaient été accordés à des hommes de guerre anglais. En 1438, cinquante mille personnes étaient mortes de misère et d'épidémie dans Paris, les loups se montrèrent dans les faubourgs. » (Pierre Champion, François Villon, sa vie, son temps)

L'Université de Paris est en conflit avec Charles VII de France et de 1453 à 1454, pendant deux ans, les pédagogues et les maîtres sont en grève. Et les écoliers sont à la rue. Ils racolent dans les maisons, les tavernes et les hospices et Villon est une petite frappe parmi eux, « danseurs, saulteurs, faisant des piez de veaux ». Cela dans un pays en plein désordre : « Le traité d'Arras de 1435, la trêve anglaise de 1444 ; l'organisation des Compagnies d'ordonnance, n'avait pas fait l'affaire des hommes d'armes qui, cassé aux gages, devinrent aussitôt larrons. Décimés en Alsace, en Bourgogne, les écorcheurs, les bandes de mercenaires étrangers, Espagnols, Lombards et Écossais, avaient laissé un peu partout des enfants perdus. Les gens d'armes qui savaient ne pouvoir être admis dans les Compagnies régulières, se firent voleurs et épieurs de grand chemin. De mauvais ouvriers... des désespérés... de faux pèlerins... de faux quêteurs... des merciers qui allaient de foire en foire... des clercs vagabonds en mal d'argent, tel furent les éléments douteux de la société de ce temps qui lièrent spontanément partie pour l'exploitation des simples. » (Pierre Champion). François Villon se retrouve avec eux sur les routes et devient Coquillard parmi les coquillards. C'est ainsi qu'il disparaît, sans laisser de trace, en 1463. Il n'a que trente-deux ans.

Céline, lui, est né en 1894. « La Seine a gelé cette année-là. Je suis né en mai. C'est moi le printemps. » (Mort à crédit). L'année où débute l'affaire Dreyfus, l'année de l'assassinat du président de la république Sadi Carnot. À peine une vingtaine d'années après la débàcle de Sedan et l'épisode sanglant de la Commune. Céline va connaître la guerre de 14-18, en la contournant sur son cheval et dans son bel habit de cuirassier. Car, très vite blessé dès octobre 1914, il a la chance d'écouler en 1915 de curieux moments d'émancipation à Londres. (Rien à voir avec ce que subit Henri Barbusse lors des massacres de Craonne). La seconde guerre mondiale aussi, encore plus mondiale, encore plus sophistiquée, Céline va la vivre d'une manière également toute particulière. Il en réchappe en fuyant à travers l'Allemagne en feu, pour rejoindre le Danemark, qui sera, six années durant sa prison, son exil, son asile. Il a fréquenté ainsi les deux grandes tragédies du XXe siècle.

Tandis que Pierre Champion, parlant de l'époque de Villon dit : « En ce temps la prison fit des poètes », Frank-Rutger Hausmann exprime la même idée à propos de Céline : « Céline est un de ces rares mélanges de poètes et de journalistes, comme il ne s'en présente que dans les époques de bouleversement total. De la vision de la mort et de la maladie, de la crasse et de la laideur naît un réquisitoire contre l'époque... » (Céline et Karl Epting). Villon, Céline : tous les deux témoins, victimes de ce « goût profond de l'homme, du peuple pour la mise à mort. À toutes les époques » dont parle Céline, lui-même dans l'interview de Francine Bloch en 1959. « Vous voyez à l'époque de l'épuration, à la Saint-Barthelémy, en 89, en toute occasion... il a ça dans le boyau... Inné... Cinq cents millions d'années qu'on le connaît.. C'est le même... Un instinct solide... le sadisme et la violence... ». Céline, pas plus que Villon, ne sont les seuls coupables de ce qu'ils sont.

LE LIEU ET LE MILIEU
Après l'identité, l'époque, le lieu est un troisième point commun entre Villon et Céline. Ce lieu est Paris.
Un lieu et un milieu. Le Paris de Villon est celui de ces grandes cités commençant à devenir le melting-pot des cités modernes. « Ce qui est décisif dans le modèle de l'intellectuel médiéval c'est son lien avec la ville. L'évolution scolaire s'inscrit dans la révolution urbaine des X-XIII siècles. » (Jacques Le Goff). Même si le Paris de Villon se limite aux six premiers arrondissements actuels, son esprit est le même que le Paris de Céline, cinq siècles après. « Villon a trouvé dès son berceau l'accent et l'esprit parisien. Il est le fils spirituel de la cité lyrique et frondeuse à qui rien n'en impose ; il est l'irrespectueux badaud : « Né de Paris... emprès Pontoise... » Et la ville si petite alors, qui paraissait immense aux hommes de son temps, a nourri son oeuvre ironique et éblouissante... Le sens de près de la moitié des allusions des Lais et du Testament nous sera révélé par une connaissance plus parfaite des familles et de la topographie du Paris d'alors. C'est là que Villon fut immédiatement célèbre ; l'imprimerie répandra de nombreuses éditions des deux testaments du mauvais et glorieux enfant de Paris, là même où il a beaucoup vaqué : sur les ponts Saint-Michel et de Notre-Dame, rue de la Juiverie, devant le Palais, rue Saint-Jacques. » (Pierre Champion).

Céline revendique la même culture : « Je suis né à Courbevoie !... Et puis ensuite grandi sous cloche... dans le Passage Choiseul... (ça ne m'a pas rendu meilleur...) Alors tu te rends compte un peu ! si je la connais la capitale ?... C'est pas le Paris de mes vingt ans... C'est bien le Paris de mes six semaines, sans me forcer... Je ne suis pas arrivé du Cantal pour m'étourdir dans la Grande Roue !... J'avais humé tous les glaviots des plus peuplés quartiers du centre (ils venaient tous cracher dans le Passage) quand les grands « écrivains de Paris » couraient encore derrière leurs oies la paille au cul... Pour être de Paris... j'en suis bien !... Je peux mettre tout ça en valeur... Mon père est flamand, me mère est bretonne... Elle s'appelle Guillon, lui Destouches... » (Bagatelles pour un massacre)

Un esprit, une culture dressée contre la culture bourgeoise, une culture qui penche nettement « du côté de la misère. » Tout s'apprend dans la rue : « La rue diverse et multiple de vérités à l'infini, plus simple que les livres. » (Céline, Semmelweis). Villon selon Pierre Champion : « il était du peuple de Paris dont il parla le langage. Plus que Rutebeuf, Deschamps, Michault Taillevent, Villon excella dans la juste peinture de la pauvreté et de la misère. »

Henri Godard, dans sa Poétique de Céline : « La langue du peuple de Paris c'est, de tout temps, de Villon à Céline en passant par Balzac, Hugo, Sue et Zola, imposée comme l'autre français, celui précisément qu'École et Académie s'employaient à refouler » Une langue dont Drieu La Rochelle (Nouvelle Revue Française, 1941) reconnaît que Céline en est un spécialiste : « Céline manie le langage populaire avec une science consommée, une ruse supérieure. »

Cette langue est faite pour exprimer « la foi du pauvre » : « Quand (Villon) évoque la destinée de ses compagnons de jeunesse, il déclare que les uns sont riches, et que « Les autres mendient tous nus / Et pain ne voyent qu'aux fenêtres. » (Pierre Champion). Céline aussi a « la foi du pauvre » : « Je n'avais pas encore appris qu'il existe deux humanités très différentes, celle des riches et celle des pauvres. Il m'a fallu, comme à tant d'autres, vingt années et la guerre pour apprendre à me tenir dans ma catégorie, à demander le prix des choses et des êtres avant d'y toucher, et surtout avant d'y tenir. ... le feu torture ou conforte, selon qu'on est placé dedans ou devant. Faut se débrouiller voilà tout. »

Et dans la rue, on parle une langue imagée. Dans les premières pages de L'École des cadavres, Céline dialogue avec la sirène « qui barbotait entre deux eaux... une fange pleine de bulles... » annonce la couleur : « Passe-moi donc l'encre de la Seine... Tu vas voir comment j'ai à dire... comme je me la trempe la bite dans le vitriol ! »

Ce langage populaire n'est pas à confondre avec l'argot. Pour Villon, l'argot n'est pas ce qu'il est pour nous, confondu avec un langage populaire. Pour Villon, l'argot est un langage codé, parlé par une communauté d'individus leur permettant de communiquer entre eux et d'exclure les non-initiés. Ainsi les fameuses Ballades en jargon offrent aux spécialistes le plaisir du décryptage. Thierry Martin : « L'argot de Villon n'est pas tout à fait l'argot des coquillards ; c'est le brief langaige dont usaient les prostitués pour tromper la police et les clients. » Ces ballades en jargon donnent lieu à une double lecture où « le beffleur » n'est pas « celui qui amène les compagnons à jouer », mais, dans le langage des prostitués , « le beffleur», c'est « le suceur ».

Céline ne pratique ni argot, ni langage codé : « Non l'argot ne se fait pas avec un glossaire, mais avec des images nées de la haine, c'est la haine qui fait l'argot. L'argot est fait pour exprimer les sentiments vrais de la misère. Lisez L'Humanité, vous n'y verrez que le charabia d'une doctrine... Mais l'argot d'aujourd'hui n'est plus sincère... dans les prisons d'aujourd'hui on file doux, oui Monsieur, bien Monsieur. Le temps est loin où Mandrin risquait chaque jour la Grève. Y n'y a plus aujourd'hui que l'argot des bars à l'usage des demi-sels pour épater la midinette... »

Dans un entretien avec Robert Sadoul en 1955, Céline, en homme parfaitement cultivé et renseigné sur le sujet, marque bien la distance entre le langage populaire de notre époque et celui de l'époque de Villon. Il sanctionne la différence entre son parlé plébéien et la puissance du verbe de Villon : « L'argot a été employé bien avant moi, il y a d'admirables chansons de la bande à Mandrin, qui sont toutes très remarquables dans l'argot de l'époque... Villon ne faisait que ça... » Ce qu'Henri Godard confirme dans sa Poétique de Céline : « Le véritable argot est celui de l'argot des tranchées, de Villon, quoique déjà plus académique, mais surtout celui des chansons de Mandrin, que du reste bien peu de gens connaissent... »

Pierre de BONNEVILLE
Le Bulletin célinien n°332, juillet-août 2011.

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