jeudi 20 décembre 2012

« Céline a voulu fuir en Espagne » - El Mundo - 11 décembre 2012

Louis-Ferdinand Céline a sollicité l’asile politique à l’Espagne de Francisco Franco. Le romancier français le plus controversé de l’Histoire cherchait, ainsi, à éviter d’être jugé pour trahison dans son pays. C’est ce que rapporte ces jours-ci l’hebdomadaire politique L’Express, faisant écho à un grand reportage sur ce sujet publié dans le n°51 de la revue spécialisée Histoires Littéraires, qui a eu accès aux archives du Ministère des Affaires étrangères espagnol où fut traitée la demande.

C’était en 1949 et l’auteur du fondamental « Voyage au bout de la nuit » (1932), ce roman grandiose qui dénonce la guerre et le colonialisme, craignait qu’un jugement ne le condamne à la prison ou, peut-être, à la guillotine. Accusé de complicité avec le régime de Vichy et d’indignité nationale, son avocat Jean-Louis Tixier Vignancour (autre collaborateur notoire), lui aurait conseillé d’abandonner l’Hexagone pour éviter une condamnation qui s’annonçait alors trop sévère, étant donné l’approche de la fin de la seconde guerre mondiale.

C’est ainsi que le romancier français le plus traduit du XXe siècle après Proust se résigna à l’exil danois où il passa un an et demi en prison et quatre de plus dans une baraque rudimentaire sur les bords de la Baltique pour ne pas revenir comme un pestiféré dans cette patrie qui le haïssait. Auparavant, il avait essayé, sans succès, de se réfugier en Suisse ou en Espagne. 

Sous la pression de son épouse Lucette, l’écrivain entre en contact avec les autorités espagnoles, par l’intermédiaire de son ami, Antonio Zuloaga, ancien attaché culturel à l’Ambassade d’Espagne à Paris. Apparemment, le régime du général Franco donna, en un premier temps, une réponse affirmative à cette demande. Mais une mise en garde du Gouvernement de de Gaulle, laissant entendre que l’accueil de l’écrivain nuirait aux bonnes relations bilatérales, fit échouer ce projet, comme le rapporte l’historien et professeur émérite de l’Université de Séville, Jean-Paul Goujon dans son important dossier intitulé « Le rêve espagnol de Céline, documents inédits ».

Aimé ou haï, incompris la plupart du temps, Céline est incontestablement une gloire des Lettres européennes et, cependant, un traître, un antisémite, condamné en 1950 par la République française à une année de réclusion (qu’il avait déjà effectuée au Danemark), 50.000 francs d’amende, la confiscation de la moitié de ses biens et la dégradation nationale. Ce dernier châtiment qui s’appliquait à tous les traîtres pendant la période de l’après-guerre, n’était pas anodin : privation du droit de vote et du droit de porter des armes, interdiction de se présenter à des élections ou de solliciter un emploin public, perte de tout grade et décoration militaires et exclusion des professions juridiques, professorales, journalistiques et bancaires.Amnistié en 1951 grâce à un tour de passe-passe de son représentant légal (qui le présenta comme blessé de la guerre de 14 sous son véritable patronyme de Destouches), notre homme revint en France et s’installa avec son épouse Lucette dans la maison d’amis à Nice, très loin des cercles littéraires parisiens qui lui étaient fermés pour toujours. Il finit ses jours à Meudon (Hauts de Seine), exerçant la médecine sous son vrai nom avec la plus grande discrétion jusqu’à son décès, en 1961, victime d’un anévrisme cérébral.

Pardonner à Louis
Même après sa mort, ses compatriotes n’ont pas pardonné à Céline la publication de trois pamphlets indignes dans lesquels il flirtait avec l’antisémitisme et le nazisme : Bagatelles pour un massacre (1937), L’Ecole des cadavres (1938) et Les beaux draps (1941). D’où le fait que le 1er juillet 2011, le cinquantième anniversaire de sa mort n’ait eu droit à la moindre commémoration officielle, suite à la décision de dernière heure du ministre de la Culture d’alors, Frédéric Mitterrand, face à la protestation de certains citoyens indignés. « Cet hommage mettrait à la torture notre mémoire d’orphelins d’une Shoah pendant laquelle son talentueux délire attisa vigoureusement le feu de la haine contre les juifs. A ceux qui s’offusqueraient en exigeant sa rédemption publique, nous répondons que beaucoup de siècles doivent s’écouler avant que l’on célèbre au même niveau les victimes et les bourreaux » disait la missive envoyée au ministère par l’avocat Serge Klarsfeld, célèbre chasseur de nazis et Président de la FFDJF (Association des Fils et Filles de Déportés juifs de France).

Malgré tout, l’auteur de Mort à crédit continue à être régulièrement réédité et à susciter des études comme celles de Jean-Paul Goujon. Parmi les dernières manifestations consacrées à son œuvre, figurent les lectures dramatisées que l’acteur Fabrice Luchini a données avec un grand succès ces derniers temps, de même que la récente adaptation théâtrale du Voyage au Théâtrede l’Oeuvre à Paris. Une mention spéciale doit être accordée au très opportuniste livre-guide Le Paris de Céline (Albin Michel), où l’historien et auteur de « best sellers » Patrick Buisson propose un itinéraire insolite à travers les lieux où s’est déroulée la vie de ce personnage polémique jusqu’à sa tombe, dont le maire de Paris, lui-même, Bertrand Delanoé, a dit l’an dernier : « Céline était un excellent écrivain, mais un parfait salaud ».

Juan Manuel BELLVER
El Mindo, 11 décembre 2012.

Traduction Annie CLOULAS

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