vendredi 12 août 2011

La mise en scène du pour ou contre par Charles-Louis Roseau

Au rayon célinien des choses vues. Dans une librairie, à Montpellier, un présentoir couvert de livres de et sur Céline. Au sommet, une affichette représentant le visage du romancier sur laquelle on lit, en lettres noires sur fond rouge : « Pour ou contre Céline ».

Premier acte : l’étonnement

Les promeneurs qui, comme moi, aiment à flâner dans les librairies pour se tenir informés des nouveautés céliniennes, auront constaté, qu’en cette période de souvenir, l’auteur occupe une place de choix. Traditionnellement coincé entre Camus et Cendrars sur l’étagère des lettres françaises, Céline trône aujourd’hui au centre de la librairie. Il arrive qu’un écriteau le signale, qu’une photo le rehausse, mais quand une pancarte ravive la controverse pour capturer l’œil égaré de l’acheteur potentiel, là, on s’étonne…

Deuxième acte : la réflexion

Du rouge... Du noir… Une police déjà-vue… Ne serait-ce pas la charte graphique des éditions Gallimard ? Après tout, le marketing fait feu de tout bois, et la polémique pour des livres vaut bien la nudité pour du savon. Pourtant, à y regarder de plus près, cette affichette s’inscrit dans la continuité de la stratégie mise en place par l’auteur de son vivant : amorcer le débat et forcer le parti pris pour favoriser ce qu’on appelle aujourd’hui le « buzz ».

Pour ou contre Voyage en 1932[1]. Pour la paix et contre les juifs à partir de 1937. Contre tous, pour sa gueule, dans les années 1940. Visiblement, Céline, ce « Dreyfus à l’envers »[2], a toujours été l’homme du pour et du contre…

Troisième acte : le dénouement

Très forts chez Gallimard ! Mais je veux en avoir le cœur net. Je m’approche donc du support pour consulter les crédits. Rien. Serait-ce un faux ? A quelques mètres, un homme empile des livres. Je décide de l’interroger. « Non, rien à voir avec une quelconque maison d’édition. C’est moi qui ai fabriqué cette affiche ! Je me suis inspiré d’un ouvrage paru dans les années 1920 : "Pour ou contre C.F Ramuz" ».

Le texte date en effet de 1926, époque où Charles-Ferdinand Ramuz atteint le sommet de sa popularité. Publié dans les Cahiers de la Quinzaine, il rassemble aussi bien les hommages de ses admirateurs, Claudel notamment, que les critiques de ses détracteurs qui lui reprochent de malmener le français. C’est que Ramuz avait un projet, en bien des points similaires à celui de Céline : il entendait bousculer la syntaxe pour vivifier le langage. L’auteur du Voyage reconnut d’ailleurs cette dette chaque fois qu’on l’interrogeait sur ses influences.

La discussion s’arrête là. L’homme reprend son travail et je m’en retourne, ravi d’avoir décelé ces petites coïncidences en apparence singulières qui se nichent aux frontières de l’histoire littéraire et de la communication contemporaine.

Charles-Louis ROSEAU



[1] En janvier 1933, Albert Thibaudet écrit dans la Dépêche : « Le livre ne prête à de longues discussions. On est pour ou on est contre. Il dégoûte ou il enthousiasme. »

[2] Dans une lettre datée du 5 janvier 1950, Céline compare son cas à un « procès Dreyfus à l’envers ».

3 commentaires:

  1. Adresse ou nom de la librairie ?

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  2. L'affichette en question a été vue chez Sauramps, au Polygone de Montpellier.

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  3. Sauramps ! la seule librairie de Montpellier ! Je sais de quoi je parle, j'y ai vécu 5 ans - dans un environnement culturel et humain si atrocement vide et nul que j'en suis parti pour finir. Seul Sauramps était une île de culture littéraire. Une vraie, belle, grande librairie. Pas très riche toutefois au rayon Céline. Je n'aurais jamais imaginé, il y a un an, que Sauramps aurait osé faire une vitrine Céline. Montpellier, c'était Frèche, Georges Frèche qui traitait les harkis de sous-hommes, qui félicitait Sarkozy d'être sioniste, qui élevait des statues à la gloire de Lénine et de Mao, et qui voulait fusiller Céline quarante ans après... Voilà pourquoi j'ai demandé le nom de la librairie. Je ne retournerai pas pour autant à Montpellier. Aucun regret de cette ville Walt-Dysney néo-grecque mégalo avinée.

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