vendredi 18 mars 2011

Un massacre de bagatelles par Eric Deschodt

Le seul intérêt de la publication, en 1937, de « Bagatelles pour un massacre », hors l’intérêt pathologique d’un délire exceptionnel, est d’avoir donné la mesure au-delà de son auteur et de son texte même, lequel est son plus mauvais dans tous les sens du terme, de l’antisémitisme en France, quatre ans après l’accession d’Hitler au pouvoir, deux ans avant la promulgation par Vichy de l’hallucinante infamie du statut des juifs. La mesure de cette maladie est donnée par un dossier rassemblée par André Derval, éditeur des Etudes céliniennes de la société éponyme, déjà responsable d’un dossier critique du « Voyage au bout de la nuit ». « L’accueil critique de Bagatelles » rassemble 60 articles, de l’élite des critiques français, dont Marcel Arland, André Billy, Robert Brasillach, Léon Daudet, André Gide, Bernard Lecache, Emmanuel Mounier, Lucien Rebatet, Victor Serge… (Françis de Miomandre ne s’attache qu’au style, et, lamentable facilité, titre son papier dans Les Nouvelles littéraires : « Retour à Rabelais ».) Tous ces noms disent encore quelque chose. Or Céline déploie dans son texte un antisémitisme dément ; le grotesque l’y dispute au répugnant, une bêtise inouïe, dont on ne peut pas ne pas soupçonner que le roublard Céline, se serait fait un paravent : « Je n’y peux rien, que voulez-vous, je suis irresponsable… » submerge le tout. A consulter aujourd’hui la compilation d’André Derval, le premier mouvement est de stupeur. Sans doute la plupart des critiques, y compris certains des plus chaleureux, relèvent la démence affichée de son auteur, mais tous, en dehors de la presse publiquement juive (La Revue juive de Genève, L’Univers israëlite…) la comprennent, l’excusent ou l’admettent. Pour, dans « Le Droit de vivre », un Philippe Lamour, qui plus tard donna son nom au canal du Bas-Rhône-Languedoc, une majorité formidable d’acceptants ou thuriféraires. « La mère des arts, des armes et des lois » était vraiment très malade en 1938.

Eric DESCHODT
Service Littéraire n°39, mars 2011.

> André Derval, L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre, Ecriture, 2010.

5 commentaires:

  1. Recueil capital pour comprendre les réactions, l'atmosphère, le contexte de l'époque. On regrette même qu'il ne soit pas exhaustif. La préface peut porter à discussions, les références à des historiens américains étant peu probantes. Mais c'est à lire.

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  2. "Bagatelles" est tout, hélas, sauf un "mauvais texte", littérairement parlant s'entend, contrairement aux immondices des antisémites de plume contemporains de Céline, évacués, eux, au plus profond des poubelles de l'histoire où plus personne ne songerait même à venir les récupérer (il est des ordures qui ne se recyclent pas). "Bagatelles", en raison de ses qualités littéraires (au service de la pire cause et c'est là que se pose le problème dans toute son ampleur), appartient intrinsèquement au "corpus" célinien, c'est à dire à la personne Céline, toute bivalente, duale, ou mauvaise fut-elle. Céline est le Sade de l'antisémitisme ("Bagatelles" est une pornographie)...

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  3. Plus les imprécations contre Céline se résument à son racisme biologique et à son antisémitisme "bas de plafond", plus sa scission d'avec la foule littéraire et de sa médiocrité spirituelle me font jubiler...ces défauts plastronnés qui constituent leurs angles d'attaque principal m'offrent l'obtuse jouissance de les mépriser.
    Le prédicat est d'avance faussé: on s'intéresse aux pamphlets mais l'on convient communément que le racisme et l'antisémitisme sont intrinsèquement mauvais, voire satanique, gymnastique à laquelle les petits français sont exercés dès leurs plus jeunes âges et dont vous êtes l'écho supplémentaire...que chacun se fasse son avis sur les choses mais le genre de tournures redondantes tel que "la pire cause", c'est à hurler.
    Pour moi cela participe à l'escroquerie que représentent les céliniens d'université...lire Céline sous cette loupe c'est en enlever toute la puissance et la violence et donc par conséquent ne plus en ressentir la matérialité, c'est se placer, à chaque assertions qui ne sauraient rejoindre vos petites positions réductrices de l'humanité, sous la chape de préjugés qui n'ont pas les épaules de comprendre et de ressentir la vitalité de la réalité du bonhomme et de son époque. C'est comme exégèser les Ecritures et ne pas avoir la foi.
    Célinien de plus, rien de plus.

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  4. La pire cause, oui, quant à l'ampleur totalement inédite de ses conséquences : l'extermination industrielle de masse. Allez, je vous accorde une autre "pire cause" contemporaine de la précédente : le stalinisme et ses autres millions de morts. L'homme est un cannibale pour l'homme...Sans doute est-ce là toute sa "vitalité" !

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