samedi 4 janvier 2014

Frédéric VITOUX : « J'étais devenu un "célinien" ! » (2012)

[...] Vous avez fait le choix en 1968 à Nanterre de vous intéresser à Céline. N’était-ce pas faire preuve d’originalité ?
En 1968, je voulais faire un doctorat de 3e cycle de littérature française et j’avais été, comme beaucoup, très marqué par Voyage au bout de la nuit que j’avais lu quelques années plus tôt. C’est l’un des très rares romans dont je peux dire non seulement qu’il m’a bouleversé, bien entendu, mais qu’il y a eu pour moi comme un avant et un après sa lecture. Oui, j’ai eu le sentiment de n’être plus le même homme après Voyage au bout de la nuit. C’était une bonne raison pour aller un peu plus loin dans ma réflexion sur Céline, que l’université avait totalement ignoré jusque là. Un terrain vierge en quelque sorte. Céline était mort sept ans plus tôt. Je ne trouvais pas de professeur pour diriger ma thèse – il y avait alors un interdit qui pesait sur l’écrivain, lié à son antisémitisme abominable des années 30 et de la guerre - jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un me conseille d’aller voir un professeur nommé Jean Levaillant. Celui-ci a accepté le principe de cette thèse, il m’a simplement précisé que je devais me limiter aux deux premiers romans, Voyage au bout de nuit (1932), et Mort à crédit (1936), avant l’antisémitisme déclaré de Céline, et qu’il ne pourrait guère m’aider, comme aucun de ses collègues, du reste, puisque Céline, encore une fois, avait toujours été ignoré de l’université française. [...]

Un autre écrivain vous passionne, c’est Stendhal. Pourquoi ?
Céline m’a occupé des dizaines d’années après ma thèse. Je lui ai consacré d’autres études, des articles, des livres, une grande biographie etc. Je ne crois pas que j’avais mesuré à ce point, au départ, l’importance de cette oeuvre, son rôle décisif dans l’histoire de la littérature française. Dans le milieu littéraire, on est vite catalogué. J’étais devenu un "Célinien". Ciel ! Je déteste les étiquettes. Surtout, j’ai eu besoin, à un moment donné, de fuir les cauchemars céliniens qui vous oppressent, cette obsession de la mort, de la misère, cette intimité avec un homme qui disait ne se réjouir que dans le grotesque aux confins de la mort, tout le reste lui était vain.. Je me suis alors retourné vers un écrivain que j’avais lu, jeune homme, qui était Stendhal. Comme un besoin de soleil, d’Italie, de recherche du bonheur, d’intelligence rapide. A Stendhal, je pouvais évidemment associer Rossini, sur lequel j’ai aussi beaucoup travaillé - cette musique si heureuse ! En bref, j’ai eu besoin de cette respiration, un peu comme un contrepoison à ma longue et difficile proximité avec Céline. [...]

Entretien avec Frédéric VITOUX, 754, la revue du Quatrième n°10, Juillet-Septembre 2012.

A écouter :
> Frédéric VITOUX (Apostrophes, 1988)

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