mercredi 23 mai 2012

Ils ont connu Céline : Arletty

Celine et Arletty à Meudon, le 14 avril 1958
Comment avez-vous connu Céline ? 
Chez des amis, qui un jour m'ont dit : vous allez avoir une surprise... mais je ne m'attendais pas du tout à voir Céline, pas du tout. Ils savaient, mes amis, l'admiration que j'avais pour lui.

Qui datait de quand, l'admiration ? 
Je n'ai pas admiré quelqu'un, écrivain, comme j'admire Céline ; ça, Céline pour moi, c'est très vache peut-être, c'est possible, et c'est peut-être injuste ; mais je dis : il y a Céline, et les autres... et très loin les autres...

Même Marcel Aymé est loin derrière ?
C'est un original, c'est tout à fait différent. Il est hors série. Hors série, c'est ça; mais moi je ne suis pas juge, je ne suis rien du tout... un choix, voilà... c'est notre droit...

Et le Voyage au bout de la nuit, vous l'avez lu avec passion ? 
Dès qu'il est sorti, avec passion. 

De quoi avez-vous parlé avec Céline, la première fois ?
On a surtout parlé de Courbevoie : oui, puisque nous sommes tous les deux de Courbevoie ; c'était touchant comme rencontre, oui, parce que lui aussi avait une espèce de curiosité, comme ça... [...]

Lui parlait de livres; il parlait de politique ? 
Oui. Quand son procès est venu (je crois que c'est paru dans je ne sais quoi). J'ai un ami qui a le papier que moi j'ai écrit au juge d'instruction ; que moi, j'ai été dans des situations avec l'occupant ; moi oui, mais pas Céline, je le garantis : lui, jamais. L'homme valait qu'on fasse ça pour lui, l'homme valait qu'on dise ça. Moi, on peut dire tout, c'est possible, mais pas lui, c'est pas possible, et c'est pas vrai.

Quand il est revenu, alors vous l'avez vu tout de suite ? 
Alors je l'ai vu quand il a été à Meudon, tout de suite. Oui, il m'a fait dire de venir ; j'ai fait la connaissance de Lucette que je ne connaissais pas. Quand il est venu me dire : vous avez des coqs ? Je ne connaissais pas Lucette, j'en avais entendu parler, mais je ne la connaissais pas.

Comment était-il ? Fatigué, amer... ?
Ah oui, c'était un autre homme, avec une abdication vestimentaire, un renoncement, c'est ça, un renoncement ! Il avait renoncé à quelque chose, à la parade...

Différent de ce que vous l'aviez connu ? 
Je ne vous dirai pas que c'était Brummell, non, et d'abord il était très grand, très bien balancé, très beau, très joli de visage, des yeux merveilleux, un regard extraordinaire, il était très bien... on ne peut pas dire que c'était Brummell ; c'était un homme normal, quoi... peut-être une certaine élégance, oui peut-être... quand je l'avais vu...

Et là, après ?
Il était tassé... oui, presque voûté... oui, voûté, oui, les cheveux longs, oui, il y avait un renoncement dans ce sens-là, mais pas autrement.

Vous alliez souvent chez lui ?
Très souvent ; moi j'attendais qu'il me dise de venir..., je ne cours pas après comme dit l'autre... j'attendais qu'il m'appelle ; alors quand il avait un moment c'est lui qui me disait de venir ; et puis après il m'a demandé de faire le disque, j'ai tout de suite voulu faire, tout de suite, tout de suite, bien sûr.

Michel Simon, Céline et Arletty lors d'une écoute
Quel disque ?
Un disque que j'aime beaucoup, le certificat d'études de Mort à crédit. Oui, j'ai lu deux fois des textes de lui! mais tout de suite, je lui ai dit tout de suite! Personne ne faisait des choses de... lui à cette époque-là. Michel Simon a lu l'ouverture du Voyage, vous savez... Il faisait ça sur le même disque que moi, nous étions ensemble ; puis lui, Céline, était là ; il était content ce jour-là, très content ; ça lui faisait comme un petit retour; il avait de ces petites joies ; cet homme-là, au fond, était pudique et c'était surtout un timide... Par exemple, il mangeait très peu, très peu ; il le dit d'ailleurs dans ce disque, ça ne compte pas, ça ne comptait pas... je ne l'ai jamais vu à table cet homme-là, il prenait un morceau de pain, un biscuit, un peu de miel, il ne s'en apercevait pas, il ne mangeait même pas devant vous, il était d'une grande pudeur. Puis, alors là, naturellement on entendait à Meudon le va-et-vient des petites élèves qui dansaient, toujours... toujours; en somme, pour un homme qui avait les oreilles un peu fatiguées, il entendait toujours les mêmes exercices parce que les exercices de danse c'est au fond sur le même thème, ça devait lui faire une espèce de musique...

ARLETTY
La Défense, La Table ronde, 1971. (rééd. Ramsay coll. Poche cinéma, 2007)
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