Jugé à la Libération, Louis-Ferdinand Céline s’en est bien sorti et 
reste aujourd’hui un auteur génial, mais controversé pour ses positions 
antisémites. D’autres écrivains ont eu moins de chance avec la justice.
Paris, fin de la Seconde Guerre mondiale. L’heure est à la 
libération, l’épuration bat son plein. L’écrivain et médecin 
Louis-Ferdinand Céline a pris les chemins de l’errance depuis 1944. 
Maudit dans son pays en raison de ses positions antisémites affirmées, 
l’auteur du « Voyage au bout de la nuit » quitte Montmartre pour 
Sigmaringen, en Allemagne. Il y rejoint les derniers meneurs du régime 
de Vichy, avant de se rendre à Copenhague en 1945 avec son épouse 
Lucette et le chat Bébert.
C’est au Danemark que Louis-Ferdinand 
Céline sera arrêté puis emprisonné, à la suite d’un mandat d’arrêt lancé
 par Paris. La France ne parvenant pas à obtenir son extradition, son 
procès commence dans son pays par contumace. Les pamphlets qu’il a 
signés entre 1936 et 1941 sont de lourdes pièces à conviction, portés 
qu’ils sont par une étrange musique de l’insulte antisémite qui, à leur 
parution, a partagé les critiques entre laudateurs et pourfendeurs.
Trahison, antisémitisme
Leur
 auteur nie en bloc tout ce dont on l’accuse: trahison, antisémitisme, 
intelligence avec l’ennemi – de quoi encourir la peine de mort. Il va 
jusqu’à faire porter le chapeau à son éditeur, Robert Denoël. Condamné 
en 1950, il est amnistié l’année suivante en raison de son état de grand
 invalide de guerre.
Depuis, Louis-Ferdinand Céline fait 
régulièrement l’objet de controverses. La dernière en date est survenue 
l’an passé. Elle concernait l’opportunité d’une célébration officielle 
du cinquantenaire de son décès, considérée comme scandaleuse par des 
personnalités comme Serge Klarsfeld.
En filigrane, c’est l’homme 
et l’écrivain qu’on oppose. Si l’homme s’est fait remarquer par des 
propos antisémites aujourd’hui encore condamnés, l’écrivain fait preuve 
d’un génie qui a transformé la littérature telle qu’elle s’écrit dans le
 domaine francophone et a frappé plus d’un lecteur. Bertrand Delanoë, 
maire de Paris, a résumé cette opposition par une formule qui a fait 
parler d’elle: « Céline est un excellent écrivain mais un parfait 
salaud. »
Dans la Pléiade
A l’instar de celle-ci, 
d’autres situations et polémiques passées tendent à dissocier l’homme, 
perçu comme odieux, de l’écrivain, dont l’excellence est reconnue. Du 
vivant de Louis-Ferdinand Céline déjà, la presse hésite à lui donner la 
parole, prend d’infinies précautions lorsqu’elle s’y résout. 
Louis-Ferdinand Céline assiégeait Gaston Gallimard, éditeur, afin que 
ses écrits entrent dans la prestigieuse collection la Pléiade. Ce sera 
chose faite en 1977, longtemps après son décès. Régulièrement, des 
« anti-céliniens » viennent rappeler les côtés sombres du personnage, 
accusant par exemple tel ou tel préfacier de se montrer trop 
complaisant. Depuis, la présence de Louis-Ferdinand Céline dans les 
manuels scolaires interpelle parfois, mais elle tend à démontrer que 
chez lui le génie de l’écrivain doit primer les aspects les plus abjects
 de l’homme.
De Brasillach à Bonnard
Si 
Louis-Ferdinand Céline a échappé à la peine de mort, d’autres hommes de 
plume partisans de la collaboration n’ont pas bénéficié d’une telle 
grâce. Au terme d’un procès que d’aucuns qualifient d’expéditif, 
l’écrivain Robert Brasillach, rédacteur en chef de l’influent journal 
nationaliste et antisémite « Je Suis Partout », a par exemple été fusillé 
en février 1945, en dépit d’une pétition en faveur de sa grâce, rejetée 
par le général de Gaulle. Lancée par Claude Mauriac, elle a été signée 
par des écrivains de tous bords, tel Albert Camus, au nom de ce que Jean
 Paulhan nommait « le droit à l’erreur de l’écrivain ».
L’épuration a
 aussi laissé des traces parmi les écrivains membres de l’Académie 
française. « Les deux Abel », à savoir Abel Bonnard et Abel Hermant, en 
ont été exclus, le premier pour avoir été ministre du gouvernement de 
Vichy (on le retrouve à Sigmaringen), le second pour faits de 
collaboration.
Suprême humiliation, leurs fauteuils d’académiciens
 ont été repourvus de leur vivant, alors qu’en temps normal, seul le 
décès d’un immortel ouvre la porte à sa succession. Abel Hermant tente 
de justifier après coup, par ses écrits, ses positions favorables à la 
collaboration. Abel Bonnard, quant à lui, finit ses jours en exil en 
Espagne, seul et oublié, frappé d’indignité nationale.
Réfugiés en Suisse
Egalement
 contraints au départ, d’autres se sont installés en Suisse, tels Paul 
Morand, qui a occupé le château de l’Aile à Vevey, ou Jacques 
Boutelleau, dit Jacques Chardonne, qui doit son pseudonyme à son village
 vaudois d’adoption, où il a vécu quelque temps, craignant d’être 
fusillé en France pour faits de collaboration. Refusant de croire qu’il 
n’y a pas une possibilité de rebondir après la Libération, ces deux 
écrivains seront, dans les années 1950, à l’origine du mouvement 
littéraire des Hussards.
D’autres destins encore attendent les 
écrivains qui se sont prononcés en faveur de la collaboration. Versatile
 dans ses convictions, les yeux dessillés à la fin de la Seconde Guerre 
mondiale, Pierre Drieu la Rochelle se suicide en 1945.
Auteur
 du texte « Les décombres » désignant les juifs comme responsables de la 
défaite de 1940, Lucien Rebatet, quant à lui, mettra à profit son long 
séjour à la prison de Clairvaux pour achever l’écriture, commencée à 
Sigmaringen, de son ample roman « Les deux étendards », publié « d’urgence »
 par Gallimard en 1951. Cela, tout en menant une correspondance d’idées 
avec Pierre-Antoine Cousteau, journaliste pour « Je Suis Partout » et 
frère de l’océanographe Jacques-Yves Cousteau. 
Daniel FATTORE
La Liberté, 27 avril 2012
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