vendredi 9 décembre 2011

Le Guignol’s Band parisien de Céline - Valeurs actuelles - 8 décembre 2011

Jamais documentaire n’aura traité de Céline avec autant d’intelligence que celui de Patrick Buisson, avec la complicité de Lorànt Deutsch.

Jusqu’à présent, le grand interprète de Céline sur scène, c’était Fabrice Lu­chini, saisissant en Bardamu. Il faudra désormais compter avec le vibrionnant Lorànt Deutsch qui, dans un documentaire, Paris Céline, diffusé sur la chaîne Histoire le 13 décembre, revient sur les traces de Céline à Paris, cinquante ans après sa mort. Lorànt Deutsch n’est pas né dans la capitale, mais il y vit depuis si longtemps qu’il en est devenu, il y a trois ans, l’historien amoureux. Il a consigné cette passion dans son Métronome, l’histoire de France au rythme du métro parisien, qui se lit comme un roman (1 200 000 exemplaires vendus à ce jour).

De là à se glisser dans les habits de “Ferdine”, il n’y avait qu’un pas. Il l’a franchi aisément, aidé en cela par Patrick Buisson, le réalisateur du film. Ancien directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, aujourd’hui directeur général de la chaîne Histoire, il a ciselé dans l’argot célinien des dialogues sur mesure pour Lorànt Deutsch.

Guide hâbleur, ce dernier nous mène tambour battant dans le Paris de Cé­line, décor touffu aux murs décrépis, au style débraillé et au langage détonnant. Les grincheux diront que le comédien en fait peut-être un peu trop, mais comment faire autrement quand il s’agit d’interpréter Louis-Ferdinand ? Sans grand-guignol, Céline ne serait pas Céline. C’est lui qui est too much, pas Lorànt Deutsch.

Le Montmartre des artistes, des écrivains et des cabarets
Le cabotinage et l’histrionisme appartiennent pour toujours au registre célinien et au folklore parisien qui fut le bouillon de culture du jeune Céline, ce Paris populo d’alors, frondeur et libertaire, plébéien et populiste, en un mot aristocratique, à l’accent inimitable qu’une Arletty seule savait restituer à l’écran. Nonobstant cela, Lorànt Deutsch campe parfaitement son rôle de titi parisien et de poulbot montmartrois. C’est comme si on avait tiré Gavroche des barricades et qu’on lui avait glissé entre les mains le Voyage au bout de la nuit. Alternant les morceaux de bra­voure céliniens, les images d’archives et des dialogues nerveux, Patrick Buis­son et Lorànt Deutsch ressuscitent à merveille le décor des grands livres de Céline.

Du Courbevoie fin de siècle, où le petit Destouches est né en 1894, à Meudon, le terminus, où Céline, pareil à un chiffonnier inoffensif et à une réminiscence de Diogène, emménage en 1951 à son re­tour d’exil au Danemark, avec sa femme, Lucette Al­manzor, et sa ménagerie d’animaux. Des Bouffes-Parisiens au passage Choiseul où il a grandi, le passage aux 250 becs d’éclairage au gaz, non loin de l’Opéra, décor mémorable de Mort à crédit.

De l’Exposition universelle de 1900 au dispensaire municipal de Clichy, au fond de cette « banlieue-paillasson » qui sert d’essuie-pieds aux Parisiens. Des gouaches de Gen Paul, l’ami à la jambe de bois, dit “Gégène” ou “Popaul”, à Marcel Aymé et sa dégaine de Buster Keaton. Du chat Bébert, l’un des grands protagonistes de la fuite en Allemagne, à la figure christique du comédien Robert Le Vigan. C’est toute la tribu montmartroise qui remonte à la surface, ce Montmartre des artistes, des écrivains et des cabarets où Céline s’est installé de 1929 jusqu’à la Libé­ration. Là-haut sur la Butte, il trônait comme un roi déchu à la tête d’une roulotte de bohémiens, le « prophète de l’apocalypse » à la barre d’une nef des fous filant vers l’abîme au son du French cancan.

Comme Céline a fait de sa vie le décor de son œuvre, Paris ne pouvait y jouer qu’un rôle de premier plan. C’est dans ces murs, dans ces passages et ces faubourgs grouillant de monde qu’il a élaboré les grands mythes qui ont nourri ses livres et d’où il parlait au monde, urbi et orbi. Il était indispen­sable de les revisiter un à un, d’autant qu’ils menacent de disparaître. Paris était alors un spectacle coloré, pas le musée qu’il est devenu pour nous. Patrick Buisson le sait. Son texte, célinien en diable, servi par un Lorànt Deutsch trépidant, le fait revivre une dernière fois. À ne pas manquer.

François BOUSQUET
Valeurs actuelles, 8 décembre 2011.

3 commentaires:

  1. Emeric Cian-Grangé10 décembre 2011 à 18:22

    Hélène Rochette, Télérama n°3230, du 10 au 16 décembre 2011 :

    Le cinquantenaire de la mort de Céline a ravivé la polémique sur l’infréquentable écrivain antisémite. Ignorant le débat, ce documentaire arpente les lieux d’inspiration du romancier. Du passage Choiseul, devenu le répugnant « passage des Bérésinas » de Mort à crédit, aux hauteurs de Meudon, où Louis-Ferdinand Destouches vécut ses dix dernières années, cette peinture fait la part belle au pittoresque. Surgis des archives et extraits de films, les venelles miséreuses de Paname et les bouges de Clichy la Rouge esquissent une mythologie industrieuse. Guide empressé, Laurant deutsch mentionne à peine que le praticien Destouches était grassement appointé au dispensaire de Clichy, comme il le sera, sous l’Occupation, à Sartrouville et à Bezons. Et omet que la légende de Céline médecin des pauvres a surtout été édifiée par ses soins (*).
    D’imprécisions en allégations se dresse un indulgent portrait de Parigot, acoquiné avec la bohème montmartroise. De la sibylline évocation de son amnistie – sans mention de sa condamnation par contumace et de l’état d’indignité nationale dont il fut frappé -, au refuge de Meudon, décrit comme « l’endroit le plus incommode », l’image du pathétique fuyard exilé est escamotée.
    La méprise du film tient à sa thématique incongrue : furieux individualiste, Céline ne peut être abordé sous l’angle régionaliste, encore moins parisianiste. Sa seule appartenance ressortit à sa langue explosive, verte et distordue. Singeant sans cesse l’inimitable phrasé, lors de commentaires maladroits, ce film bâclé frôle la caricature.

    (*) Dans le judicieux documentaire Le Procès Céline, d’Antoine de Meaux, diffusé sur Arte en octobre dernier, Philippe Alméras parlait de « vaste blague » et soulignait : « Il a soigné les pauvres, oui, mais deux heures par jour et avec une rémunération mensuelle… »

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  2. Malhonnête Alméras! Télérama qui reprend ce qu'il a dit, ajoute "grassement payé"!! Céline n'a bien évidemment soigné que des pauvres à Clichy, la misère ouvrière. On a mentionné 2000 franc par mois, pour deux heures par jour. L'équivalent en francs de 1935 et euros 2010 est : 2000F=1465€, pour 40h mensuelles, soit 36€ de l'heure, moins qu'un généraliste actuellement, qui doit gagner environ 70/90€ pour 3 ou 4 patients à l'heure. Donc "grassement payé" est une connerie malhonnête!!!

    Bikobimbo

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  3. Oui, mais n'oublions pas que tout ce qui est à charge contre Céline est "judicieux"...

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