vendredi 3 juin 2011

Cartographie célinienne par Paul del Perugia

Avant de chercher où le mèneront ses routes, il importe de les situer dans une cartographie tracée par ses données racistes.
Le premier voyage de Céline se déroule outre-Rhin, non point tel que nous pouvons l'imaginer aujourd'hui, mais un outre-Rhin où subsistait encore un peu de l'ancienne mentalité de l'Allemagne des Princes du XVIIIè siècle. Il séjourne dans la Principauté de Bade et au Hanovre de 1907 à 1909. Comme pour tous les jeunes écoliers, Bismarck représentait l'infâme, le monstre allemand expliquant alors nos malheurs, un Hitler polarisant des haines vitales pour la Liberté. Sachant qu'ils parlent à des hommes en enfance, nos régimes ont toujours besoin d'un Ogre quelque part qui figure un diable politique. Même dans les films, la mentalité anglo-saxonne a besoin d'imposer un Bon et de nous mobiliser contre le Méchant, un péril, imaginaire ou non.
Malgré les raidissements, le premier contact avec ces Allemands, qui tiendront une place si considérable dans le « Voyage », lui laisse une impression de sympathie qu'il n'éprouvera jamais pour l'Angleterre. Par contre Céline comme les Anglo-Saxons, nourrit le plus profond mépris pour les hommes du Midi. Dans cette antipathie naturelle, se dessine le tracé d'une frontière géographique interdite : URSS, USA, Londres, La Germanie, mais jamais Rome, Athènes ou Jérusalem, comme chez Chateaubriand, Renan, bons produits du lycée.
Dans les régions méridionales vivent, pense-t-il, des races inférieures auxquelles il voue une abomination fondamentale. Les Anglais savent que l'Afrique commence à Boulogne-sur-Mer. Leur mépris est infini envers les infortunés habitants des contrées de soleil qu'ils rencontrent en vacances. Pour Céline, la Loire représente la limite extrême des « natives » fréquentables. Son pélerinage est étroitement délimité. Au-delà du fleuve Loire, vivent ceux qu'il appelle les « Narbonnoïdes » et qu'il poursuivra de sa vindicte.
La IIIè République a vécu et est morte des « vertus » des Narbonnoïdes, ce qui explique les traits impitoyables dont il zèbre la géographie de la France. Il s'expliquera : « La partie non celtique en France cause et pontifie. Elle donne au pays ses Ministres, ses Vénérables, ses Congressistes hyper-sonores. C'est la partie vinasseuse de la République, la méridionale, profiteuse, resquilleuse, politique, éloquente, creuse. »
Dès son incorporation au 12è Cuirassiers, où beaucoup de cavaliers venaient de Bretagne, il subodore un gradé narbonnoïde, on peut dire d'instinct. Il n'a alors que dix-huit ans, et n'a jamais lu les belles théories anglaises de Chamberlain sur le racisme. Son carnet du « Casse-Pipe » note immédiatement son dégoût pour le bagoût de ce brigadier du Midi égaré parmi les chambrées où les gars s'appellent glorieusement Kerdonkuf et Plouganou. Le nom générique de « Narbonnoïdes » lui viendra, plus tard, lorsque les citoyens de la Narbonnaise, « partie vinasseuse de la République », se choisirent pour député Léon Blum. En raison de ses convictions hautement affirmées, ce candidat n'aurait pas dû consommer de vin. Les électeurs narbonnoïdes le choisirent idéologiquement pour défendre au Parlement les intérêts du vin qu'il ne devait pas goûter.
Le mépris du Celte à l'égard du Romain ne le quittera jamais. A l'encontre de Barrès qui fixe une frontière sur l'Oronte, de Maurras qui la place sur l'Acropole et le Tibre, Céline tracera la sienne sur la Seine — au plus loin sur la Loire. Le « Sud » et l'Orient, Rome et Jérusalem, répugnent à ce « pélerin ». Son aversion de la latinité sera une de ses objections majeures contre le catholicisme. Il se dira un jour partisan de la messe en français, dite après 1870, à Clichy-la-Garenne, par un curé schismatique, en avance d'un Concile. Son ami Elie Faure, il le morigènera de lui parler de « femmes et Midi ». Il se rira des écrivains sortant du lycée et ravaudant des thèmes néo-humanistes de la Méditerranée que la République mettra finalement un siècle à chasser de nos programmes pour nous introduire traîtreusement dans le « mondialisme ».

Paul del Perugia, Céline, NEL, 1987.

6 commentaires:

  1. Un des plus beaux livres sur Céline

    Pierre Lalanne

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  2. Je confirme, probablement le livre plus interessant sur céline, tres riches.
    Helas il est epuisé.

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  3. D'autres passages seraient donc les bienvenus... nous avons soif au milieu de cette déferlante de nouveaux livres.

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  4. Je viens de finir la bio de Henri Godard, vraiment enorme!! pour moi c´est la meilleure bio ecrite sur celine.A lire d´urgence...!!!!
    Voici la phrase qui me touche le plus:
    « j´avais toujours des petits manuels dans les poches.Dés que je pouvais je les devorais,dans la journée,pendant une pause, ou le soir...j´ai tout appris comme ça.»
    et pour finir: JE NE VOUDRAIS PAS MOURIR SANS AVOIR TRANSPOSÉ TOUT CE QUE J´AI DÛ SUBIR DES ÊTRES ET DES CHOSES.
    Une bio indispensable pour tout les petits et les grands céliniens.

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