jeudi 19 mai 2011

François Gibault : "Céline doit bien rigoler dans sa tombe"

Interview de François Gibault paru dans Le Point du 12 mai 2011. Propos recueillis par Thomas Mahler.

Le Point : Avez-vous été surpris par l'étendue de la polémique autour de la "célébration nationale" de Céline ?
François Gibault* : Ça ne m'a pas du tout surpris. J'ai d'ailleurs dit au ministre de la Culture qu'il avait bien fait de retirer le nom de Céline, car il n'a nul besoin d'être célébré par l'État. Les lecteurs sont suffisants. En tout cas, je constate avec une immense satisfaction que cette histoire a servi Céline au point qu'on ne parle que de lui. Il s'est passé la même chose avec le Goncourt : alors qu'on devait lui accorder le prix, la majorité a brusquement changé et c'est Guy Mazeline, auteur aujourd'hui oublié, qui l'a obtenu.

Vous comprenez que cette célébration ait pu choquer.
L'occupation allemande et la collaboration sont des plaies qui restent ouvertes. Et puis Céline est quelqu'un de très étrange, tout et son contraire : avare et généreux, anarchiste et homme d'ordre, sentimental et froid, comme on le voit dans les pamphlets. À travers l'écriture, il a toujours cherché à noircir, à aggraver les choses vers le pire.

Pourquoi continuez-vous à interdire la réédition des pamphlets antisémites de Céline ?
Parce que ce sont des écrits politiques et de circonstance publiés dans un contexte international très particulier. L'idée de Céline - d'ailleurs le bandeau de Bagatelles pour un massacre, qui a été vendu à près de 100 000 exemplaires, précisait "Pour bien rire dans les tranchées" - était d'éviter la guerre entre la France et l'Allemagne. Il pensait que les juifs poussaient à un conflit contre Hitler. Évidemment, Céline étant Céline, ses pamphlets sont complètement outranciers. Les publier aujourd'hui serait une forme de provocation.

Il y a quand même des témoignages accablants, comme celui d'Ernst Jünger, qui décrit un Céline surpris en 1941 que les Allemands n'exterminent pas les juifs...
Jünger détestait Céline. Et Céline, quand il était à table, disait n'importe quoi, c'était un provocateur. Mme Céline m'a un jour raconté qu'à la fin de sa vie il répondit à un journaliste qui lui demandait ce qu'il pensait des Français : "Je n'attends qu'une seule chose, que leur sang coule dans un caniveau." Le journaliste était horrifié. En le raccompagnant, Mme Céline lui a dit : "Vous ne vous êtes pas aperçu qu'il se foutait de vous."

La biographie de Philippe Alméras a montré qu'il était obsédé par la régénération de la race.
Je n'ai jamais nié cela. J'ai découvert des lettres secrètes qui étaient abominables, et je les ai publiées. Je n'ai jamais rien caché, car je ne suis pas l'avocat de Céline, mais son biographe, et la biographie que j'ai publiée est parfaitement "objective".


* L'avocat François Gibault est le conseiller de Lucette Destouches. Il est l'auteur d'une biographie en trois volumes (Mercure de France).

3 commentaires:

  1. Comment ce qui est partout sur Internet peut-il encore être dit "interdit" ?

    Maître Gibault (sur un pamphlet perché) me fait penser à un enfant tentant désespérément de défendre son château de sable alors que la mer monte tout autour de lui.

    Personnellement, je me suis procuré "Bagatelles" sur un des sites hébergés par over-blog.com, ce qui m'a épargné de claquer 150 euros chez un bouquiniste.

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  2. François Gibault, il faut le dire avant qu’il meure, car il est né en 1932, n’est pas célinien, quoiqu'il ait consacré une partie de sa vie à cet écrivain. C’est un elfe, insaisissable. Il est comme Bessy, la chienne de Céline, tournée vers le Nord. Lui, ce sera toujours Bob, à qui il dédie tous ses livres. On ne pourra jamais rien faire pour lui, car il n’a jamais eu besoin de nous.

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  3. Il faut lire le livre de Michel Bounan "L'Art de Céline et son temps" pour se faire une idée précise des choses.

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