vendredi 13 novembre 2009

Pélerinage à Klarskovgaard (Danemark)

Reportage de Bruno Léandri paru dans Fluide Glacial :

Il y a deux ans, de passage au Danemark, je me mets dans l'idée de retrouver le cabanon où l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, hôte de son avocat danois, a vécu planqué 3 années à la fin de la guerre pour échapper à la justice française, devant laquelle son antisémitisme hystérique lui aurait valu le peloton d'exécution.

Se réfugiant dans l'écriture d'une pléthorique correspondance, toute de vociférations et gémissements, Céline se répandit le long d'innombrables lettres en pathétiques lamentations sur sa triste condition, à l'en croire pauvre clochard exilé innocent malade crevant de froid et de faim sous un toit de chaume percé dans une baraque ouverte à tous vents, sous un ciel glacial perpétuellement gris et hostile, devant une mer ignoble de désolante tristesse et de perfide méchanceté. "Chaumière où il pleut", "guitoune véreuse sans eau, sans chauffage, sans électricité", "bicoque hurluberlue"", "minuscule cagna croulante", "masure pourrie peinte en rouge boeuf, etc... cette pauvre maison subit tant d'alacrité célinienne qu'on finit par se demander à quoi pouvait ressembler un gourbi si atroce.

Tombé dans Céline à 16 ans, dans ses romans où pas un mot ne laisse deviner son antisémitisme de psychopathe, j'ai élu Mort à crédit mon livre préféré, celui vous savez qu'on emmène avec soi si on doit rester un an bloqué dans un centre commercial Auchan ah non c'est pas là, enfin, c'était histoire de vous expliquer ma curiosité.

Me voilà donc parti dans ma quête avec assez peu d'indices, sinon le lieu exact au nom scandinavo-poétique de "Klarskovgaard", près d'une ville nommée Korsôr. Internet ne donne pas grand-chose : Klarskovgaard est un lieu-dit, avec un vague camping et un centre de conférences ultramoderne pour cadres de multinationales. Ah si, sur Google Earth on distingue une forêt. La maison était à côté d'une forêt (se plaignait-il assez de ce décor sinistre !) et la forêt est encore là. Je sais par mes lectures attentives que ce taudis antichambre de l'enfer se situe sur le rivage à quelques mètres de la mer (se plaignait-il assez de l'humidité !). Or, la forêt longe la mer. Donc, à l'endroit où la lisière du bois rejoint le rivage, c'est là que doit se trouver la maison, CQFD. Mmm. On verra sur place.

1- Sur place, la forêt est magnifique. C'est l'automne, il fait beau, et comme toutes les forêts danoises, celle-ci est propre et parfaitement entretenue (au milieu des bois, toilettes gratuites, avec eau, électricité, savon et papier sans la moindre déprédation ni salissure !).

2 - Dans Le sous-bois on trouve au passage 5 kilos de cèpes que les Danois n'ont pas l'air d'apprécier. Ils ne les regardent même pas...

3 - Mais arrivé à l'endroit repéré sur la carte, déception. Pas de maison. Un retour sur la route me fera comprendre que le centre de conférences a été construit à remplacement de la propriété de l'avocat, et que les maisons ont sans doute été détruites : l'endroit où la propriété touche la mer est clos d'un grillage... J'essaye l'autre lisière, les chemins intérieurs, on marche des kilomètres pour revenir au point de départ.

4 - Comme consolation, on pique-nique sur cette plage de cauchemar prétendument infréquentable, entre les genêts et les plantes pélagiques, sous un doux soleil bercé par les vaguelettes bleues, en contemplant l'horrible décor que Céline a haï pendant 3 ans, et que certains habitants de La Courneuve échangeraient bien contre Leur vue sur parking.







5 - Au moment de partir, pris d'une inspiration, je m'avance tout de même de quelques pas dans les buissons qui bordent la plage. Je vois l'amorce d'un chemin, je continue, et soudain apparaît le mur rouge d'une chaumière. Serait-ce ? Coup de chance : Le grillage s'interrompt opportunément quelques mètres plus loin, l'accès est libre...

6 - Je connais le nom de la maison "Fanehuset" — et son aspect pour l'avoir vue dans une photo d'époque que je ne retrouve plus. Une plaque opportunément apposée enlève toute incertitude. Victoire, c'est bien elle. Pas mal, comme taudis infâme. J'achète!





7 - Masure de conte de fées, aussi bien entretenue qu'elle l'était à l'époque (l'antenne satellite en moins), je comprends que le bâtiment sert de gîte annexe au centre de conférences et qu'il a certainement été sauvegardé à cause de son ancienneté.(J'écris moins bien que Céline, mais j'ai une plus grosse moustache.)

8- La porte où l'on n'était jamais sûr d'être bien accueilli. Je regarde par les fenêtres : c'est vaste (2 étages), bien éclairé, j'apprendrai plus tard qu'à l'époque il y avait dûment eau, électricité, chauffage et sanitaires. Une fois de plus, le vieil entourloupeur nous baratinait grave, son inconfort n'était que moral.



9 - Comme vu déprimante, y a pire.

10- L'autre côté du décor, vue sur le centre de conférences ultra-moderne, moins beau que la Baltique. Comme c'est par ailleurs un hôtel comme les autres, vous pouvez leur demander de louer la maison Céline, il paraît que le prix est raisonnable...






Tout de même, le chemin, le grillage interrompu, la plaque... ça fait beaucoup d'opportunités rassemblées. Certes, le Danemark a sauvé Céline de la mort en ne l'extradant pas, mais les Danois se sont toujours officiellement gardés d'exprimer la moindre considération pour le personnage (qui n'est d'ailleurs connu là-bas que des milieux lettrés). Pourtant, le temps qui passe accentue l'évidence : tout monstre qu'il soit, Céline appartient au Panthéon de la littérature française et ses villégiatures deviennent cultes comme celles de Proust ou de Zola (malheureusement, en l'occurence, autant pour les littérophiles que pour les fachos tarés). Les nouveaux propriétaires ne pouvant ignorer qui a été l'illustre hôte de la petite maison sur la mer, mais un peu gênés aux entournures, ont-ils trouvé une façon détournée de permettre la visite à de rares touristes érudits sans l'avouer ? En interdisant l'accès sans l'interdire ? En indiquant le lieu sans l'indiquer ? En évitant farouchement la moindre ostentation ? Mystère...
On a ramené les cèpes en France, mais ils n'ont pas bien supporté le voyage.

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