jeudi 12 novembre 2009

Céline en toutes lettres

L'Express, 13/11/2009 : C'est un événement : la correspondance de l'auteur de Voyage au bout de la nuit sort en Pléiade. De sa jeunesse à sa mort, un feu d'artifice de formules, de secrets, d'invectives, de haines... L'Express publie en avant-première des missives inédites.

On n'y croyait plus. Voilà des années que l'on nous annonçait ce volume de la Pléiade consacré à la correspondance de Céline. Mais pas plus de Pléiade que de beurre en branche, comme disait l'auteur de Voyage au bout de la nuit. Et puis, soudain, cette brique - plusieurs centaines de lettres, des dizaines de correspondants, 2 000 pages ! Un flot ininterrompu de furies et de fééries, de haines et d'émotions, de petits secrets et de grands aphorismes. La littérature ? "Faire danser des alligators sur une flûte de Pan." Les femmes : "Je donnerais tout Beaudelaire (sic) pour une nageuse olympique." La vie ? "Le plus dur, c'est les quarante premières années."

Rendons grâce à Henri Godard et Jean-Paul Louis, les deux concepteurs de ce volume, d'avoir exhumé ces lettres rares ou inédites. Présenté dans un ordre chronologique, ce choix de correspondances se lit à la fois comme la formidable autobiographie d'un aventurier du xxe siècle - tranchées de 14, Afrique, Sigmaringen, exil au Danemark - et l'art poétique d'un styliste maniaque - Céline rode ici ses formules et théorise sa fameuse transposition de "l'émotion parlée au style écrit".

Et puis, bien sûr, il y a l'antisémitisme... Ces lettres permettent de saisir comment l'auteur de Bagatelles pour un massacre sombre dans cette obsession, autour de 1936 : amertume devant le mauvais accueil réservé à Mort à crédit, conviction que des "gangsters juifs" lui ont soufflé le grand amour de sa vie, la danseuse Elizabeth Craig, pacifisme intégral au prix d'une alliance avec l'Allemagne... Ces lettres confirment aussi ce que les céliniens savaient déjà : si Céline a dénoncé les juifs - souvent en des termes insoutenables - il n'a jamais dénoncé des juifs.

Mais la grande révélation de ce Pléiade, ce sont les lettres totalement inédites de jeunesse. On y découvre la verve précoce d'un enfant de 13 ans, l'enfer des tranchées, le trafic de défenses d'éléphant dans la brousse... Voilà Destouches avant Céline, Louis-Ferdinand avant Bardamu.

Jérôme Dupuis

Extraits de quelques lettres :

Diepholz den 23 janvier 1908

Chers parents J'ai bien reçu la dernière carte de papa et la lettre de maman. Ici rien de nouveau. L'hiver s'écoule avec un froid de 15° au-dessous en moyenne, la nuit cela descend jusqu'à 17°. Nous patinons toujours. [...] Je me porte toujours épatamment, mais je ne sais pas si c'est le froid intense qui souffle bientôt depuis un mois, j'ai attrapé des joues rouges et grosses qui ne peuvent pas me quitter.

Je n'ai pas encore l'ombre d'un rhume. [...] J'apprends toujours mon piano, je joue ou plutôt racle mon violon avec lequel je fais fuir les raseurs quand j'en joue car ça fait comme dit la bonne l'effet d'une brosse à chiendent qu'on lui passe sur la colonne vertébrale. Comme résultat c'est pas mal mais les grands musiciens ont eu de la patience, aussi j'en ai, et mes... voisins aussi !! Écrivez-moi bientôt. Encore 68 jours et en route pour Paris. À bientôt.Votre fils qui vous embrasse Louis Destouches

Reçue le 17 septembre 1914

Chers parents Enfin j'en tiens un !!!!! Cette nuit nous avons revu les Allemands de près. (Nous en avons même tué un.) J'en ai tombé un beau ! dont je t'envoie le livret militaire ci-inclus. C'est un dragon du Génie à Neustadt [...]. Il a été abattu d'un coup de pointe au cou. Nous marchons encore à peu près jour etnuit presque sans arrêt, nous arrêtant une heure par-ci par-là. Car depuis la mobilisation nous avons roulé à peu près tout l'Est depuis les forts de Meuse jusqu'à la Lorraine et de Verdun à la Belgique et retour et surtout la traversée de la Meuse qui est le spectacle le plus horrible que j'aie jamais contemplé. Dans la nuit j'ai vu des pontonniers allemands reconstruire 15 fois le même pont qu'engloutissait systématiquement notre artillerie. Je crois qu'une grande bataille est imminente où le sang ne sera pas marchandé. Allons-y !!! Au moment où je continue cette lettre, la bataille est engagée aux alentours de Bar-le-Duc. Nous sommes en réserve. Donnerons d'un moment à l'autre. Serai ce soir à cheval !!!! [Je suis très inquiet.] Destouches.

Mars 1942

Mon cher Jacques Doriot, Pendant que vous êtes aux Armées, il se passe de bien vilaines choses. Entre nous, en toute franchise, nous assistons en ce moment à un bien répugnant travail ; le sabotage systématique du racisme en France par les antisémites eux-mêmes. Ils n'arrivent pas à s'entendre. Spectacle bien français. Combien sommes-nous d'antisémites en tout et pour tout, sur notre sol ? Je ne parle pas des badauds. À peine une petite préfecture ! et, parmi ces émoustillés, combien de chefs ? valables, armés, présentables ? Une douzaine...[...] D'où détiennent-ils, ces fameux Juifs, tout leur pouvoir exorbitant ? Leur emprise totale ? Leur tyrannie indiscutée ? De quelque merveilleuse magie ? de prodigieuse intelligence ? d'effarant bouleversant génie ? Que non ! Vous le savez bien ! Rien de plus balourd que le Juif, plus emprunté, gaffeur, plus sot, myope, chassieux, panard, imbécile à tous les arts, tous les degrés, tous les états, s'il n'est soutenu par sa clique, choyé, camouflé, conforté, à chaque seconde de sa vie ! Plus disgracieux, cafouilleux, rustre, risible, chaplinien, seul en piste ! Cela crève les yeux ! Oui, mais voilà ! et c'est le hic ! Le Juif n'est jamais seul en piste !Un Juif, c'est toute la juiverie.Un Juif seul n'existe pas.Un termite : toute la termitière. Une punaise, toute la maison.[...] Je voudrais en fin me tromper ! Mourir dans l'erreur !Toujours bien poli, cependant ! Jamais un mot qui dépasse ! Et votre bien affectueusement, borné, buté, Serviteur !L.-F. Céline

30 juin 1961

Mon cher Éditeur et ami. Je crois qu'il va être temps de nous lier par un autre contrat, pour mon prochain roman Rigodon... dans les termes du précédent sauf la somme - 1 500 NF au lieu de 1 000 - sinon je loue, moi aussi, un tracteur et vais défoncer la NRF, et pars saboter tous les bachots !Qu'on se le dise ! Bien amicalement vôtre Destouches

Bikobimbo le 14 juillet 1916

Chers Parents,[...] Je me donne beaucoup de mal, mais avec profit. Voici ce que je fais.Je reçois du Congo, sous forme de têtes de tabac, riz, sel, pagnes, sardines, saumon, pour une valeur d'environ 35 000 à 40 000 F. Je remonte le Campo qui est le fleuve frontière du Cameroun-Guinée Portugaise et ceci jusqu'à Dipikar, la camelote, dans une vingtaine de petits canots pendant 3 joursarrivé à Dipikar je reste environ 8 jours. Je fais la récolte de cacao avec 1 200 nègres, dans une plantation énorme laissée par les Allemands, puis je mets mon cacao en sac et je l'expédie vers la mer, et de là il rentre à Duala par le petit vapeur. Ensuite je pars avec mes porteurs, mes provisions, mon lit pliant, mon fusil, et je pars tantôt en Guinée Espagnole, tantôt dans le Haut Congo, tantôt vers le Tchad et les montagnes. Je vends toute ma cargaison à de fort beaux prix et j'achète au retour de l'ivoire, etc... à des prix fort modiques.Je reste quelquefois 15 jours 3 semaines sans voir un Blanc, je dors dans les cabanes indigènes comme tu as pu voir aux expositions, et mon fusil dans les bras pour toute éventualité. Comme je n'ai pas de carte, je me guide un peu au hasard, mais finis toujours par me retrouver.[...] Affectueusement Louis

6 commentaires:

  1. c'est pour quand ?
    Pas moyen de la trouver dispo chez Amazon !

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  2. ça ne devrait pas tarder sur Amazon.
    Je mettrais le lien dès que possible.

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  3. Bordel de merde ! C'est quoi cet obus ?!... Fatche de con. C'est une torture d'attendre, je le veux et vite. Votre présentation sent la passion, merci à vous, les extraits mettent en bouche et donnent une faim d'éléphant.

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  4. Au fait merci pour vos bulletins excellents.

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  5. ... toujours pas de Correspondance sur Amazon, qui renvoie vers d'autres libraires... étrange...

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  6. Toujours pas... je surveille...
    Peut-être après la période de lancement (Gallimard affiche un prix de lancement de 59€ au lieu de 65 €)

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