dimanche 9 novembre 2014

Jean-Jacques PAUVERT : « Une langue nouvelle ? Comment est-ce possible ? »

Je découvre avec Apollinaire d'Alcools tout un monde dont je ne suis jamais sorti, en fait. Les années 40-41 voient s'élargir énormément mon champ de vision, mes perspectives, s'ouvrir les échancrures qui débouchent sur de vastes contrées mal connues de moi, où je pénètre à tâtons mais sans hésiter.
Apollinaire ! Je garde longtemps Alcools, qu'on ne trouve pas en librairie. L'exemplaire d'André Salmon, comme tous ses livres, est revêtu d'une dédicace somptueuse, que j'ai oubliée, hélas ! André Salmon est né la même année qu'Apollinaire. Je conserve Alcools plusieurs mois. Avant de le rendre, je le recopie en partie.
Dans la bibliothèque de Sceaux, je lis maintenant Céline. Mort à crédit me renverse (sans compter les passages à moitié censurés, laissés en blanc) : un langage nouveau. Une langue nouvelle ? Comment est-ce possible ?

« Sur la fin ma vieille bignole, elle ne pouvait plus rien dire. Elle étouffait, elle me retenait par la main... Le facteur est entré. Il l'a vue mourir. Un petit hoquet. c'est tout. Bien des gens sont venus chez elle autrefois pour me demander. Ils sont repartis très loin dans l'oubli, se chercher une âme. Le facteur a ôté son képi. Je pourrais moi dire toute ma haine. Je sais. Je le ferai plus tard s'ils ne reviennent pas. J'aime mieux raconter des histoires. J'en raconterai de telles qu'ils reviendront, exprès, pour me tuer des quatre coins du monde. Alors ce sera fini et je serai bien content. »
Ça vient s'ajouter au reste, sans rien remplacer. Ça occupe simplement un coin de ma tête, un peu à part.
Je lis aussi Bagatelles pour un massacre, qui me paraît infiniment drôle, dans ses partis pris et son injustice, difficile à prendre au sérieux. D'ailleurs j'ai lu dans La Nouvelle Revue Française (mon père reçoit aussi La NRF) un article d'André Gide (je lis beaucoup André Gide, surtout Les Faux Monnayeurs, Paludes, tous les Prétextes...) avec lequel je suis assez d'accord :

« Il me paraît que la Critique, en général, a quelque peu déraisonné en parlant de Bagatelles pour un massacre. Qu'elle ait pu se méprendre, c'est ce qui m'étonne. Car enfin Céline jouait gros. Il jouait même le plus gros possible ; comme il fait toujours. Il n'y allait pas par quatre chemins. Il faisait de son mieux pour avertir que tout cela n'était pas plus sérieux que la chevauchée de Don Quichotte en plein ciel. » (1)

Jean-Jacques PAUVERT, La Traversée du livre : Mémoires, Ed.Viviane Hamy, 2004.
Disponible sur Amazon.


1 -  André GIDE, « Les Juifs, Céline et Maritain », La Nouvelle Revue Française, avril 1938 (repris dans le volume L'accueil critique de Bagatelles pour un massacre (Ecriture, 2010)

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