vendredi 3 octobre 2014

CÉLINE : « des yeux clairs, très bleus, petits et pleins de méditation » par Robert de Saint-Jean (1933)

22 février 1933. Hier, après dîner, vu Céline chez Daniel Halévy. Bâti comme un « compagnon », lourdes pattes, la tête très grosse comme Bardamu, avec un front volumineux et des cheveux en désordre, des yeux clairs, très bleus, petits et pleins de méditation, des yeux « sérieux » d'homme qui a couru beaucoup de dangers, pris des responsabilités, etc., des yeux de marin (il est breton) ou de psychiatre (il est docteur). Simplicité apparente. Complet marron, sportif. Il sait l'anglais, dit-il, admire l'Angleterre, Shakespeare bien entendu...
Dans un coin, Madeleine, qui a entendu qu'on parlait « d'une Renaissance », soupire : 
- Depuis des mois je suis hantée par cette idée de Renaissance !
Lucien Daudet est là aussi, muet devant « l'ouvrier des lettres » qui est devenu l'homme du jour. Céline voit beaucoup de communistes à Clichy, nous dit-il, et il constate que les membres du parti, en général, ne comprennent rien aux théories marxistes même si on les leur traduit par un : « La maison du riche est à toi, prends-la. » Ils ne se laissent mener que par leurs passions. A la mairie, livres de Marx jamais lus ; La Garçonne usée et noircie, au contraire. Des files de quémandeurs. Besoin du peuple français de demander des faveurs, des miettes, des privilèges, même à un député communiste. Byzantinisme des décrets de Moscou. Au fond l'U.R.S.S. reste lointaine, n'est ni aimée ni comprise. Céline croit que la révolution russe n'est pas pour l'usage externe et que, sans cela, plusieurs pays d'Europe centrale, où sévissent chômage et misère, seraient déjà passés au communisme.
 

Robert de Saint-Jean (1901-1987) Journal d'un journaliste, Grasset, 1974.
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