samedi 17 août 2013

Louis-Ferdinand CÉLINE : Bébert, « un lutin de gaîté... »

Céline par Nicoletta SIGNORELLI
Céline par Nicoletta SIGNORELLI (2013)
« Maintenant je la vois la Clémence, elle a toujours d'aussi grands yeux, mais c'est plus de la frayeur maintenant... c'est un peu de colère contre moi... de grands beaux yeux noirs... l'âge lui a pas enlevé les yeux... Bébert mon chat saute sur ma table, il veut voir aussi ce qu'on fabrique... Il est familier audacieux brrt... brrt... qu'il me fait... il a surgi de l'ombre, il nous dévisage là tous... il a aussi lui des grands yeux... il regarde la Clémence bien fixe... il s'installe sur mon papier, juste sur la ligne que je finissais... il s'enfuyerait si j'y touchais... il est en train de se faire son idée sur Clémence, sur ses intentions... Il aime pas les visiteuses... Il croit toujours qu'elles veulent l'emmener, ça y est arrivé une fois... Bebert c'est le premier chat de la Butte pour la beauté, l'intelligence, le calme, la grâce, le vol aussi... il vole c'est un rêve, il vole tout... C'est le premier chat après Alphonse, le chat à Empième, un autre écrivain rue Cortot... Alphonse alors c'est du prodige, il est peut-être pas aussi beau question tigrage, ampleur de queue, mais il ouvre les portes tout seul...
Ça c'est bluffant, de le voir agir... il saute après le bec du canne, il se pend... vlof ! dehors... Bébert peut pas en faire autant. Mais pour tout le reste, surtout le regard, les joutes, les galopades après le bouchon qu'on dirait qu'il a trente-six pattes et qu'il vous le ramène dans la main, vraiment un lutin de gaîté... et puis n'est-ce pas méditatif là, scrutateur des nouvelles bouilles... pas confiant du tout... »

Louis-Ferdinand Céline, Maudits soupirs pour une autre fois, Gallimard, 1985.

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