samedi 25 février 2012

Michaël R. Roskam ("Bullhead") : « La découverte de Louis-Ferdinand Céline a été fondamentale »

Pour le réalisateur de “Bullhead”, le cinéma est un art total. Influencé par Tardi, Messiaen, Courbet, Scorsese, Michaël R. Roskam répond à quelques questions.

Comment êtes-vous devenu cinéaste ?
Je n'arrivais pas à trouver ma voix artistique. J'ai étudié la peinture aux beaux-arts de Bruxelles. A l'origine, je voulais devenir auteur de bande dessinée. A 15 ans, je voulais être le nouveau Tardi. J'ai donc commencé par écrire des histoires. Puis j'ai rencontré un ami producteur, Ief Desseyn, qui m'a proposé de réaliser un court métrage. Il a réuni l'équipe et m'a dit : « Exprime ta vision, je m'occupe du reste. » C'est comme ça que j'ai pu faire Haun, mon premier film, en 2002. C'est l'histoire de quatre types un peu louches, la nuit sur un parking désert. Le film commence après la bagarre, l'un des types a le nez cassé. Son ami prend sa défense et menace les deux autres. Huit minutes impressionnistes avec une ambiance particulière.

Vos influences sont-elles cinématographiques ?
Non, pas seulement. La peinture et la littérature m'ont beaucoup plus influencé que le cinéma. La découverte de Louis-Ferdinand Céline, par l'intermédiaire de Tardi, a été fondamentale. Sa façon de raconter les histoires m'a impressionné. J'adore aussi Hemingway. En musique, je considère Olivier Messiaen comme le plus grand compositeur du XXe siècle. Pendant l'écriture du scénario, j'ai écouté en boucle deux de ses œuvres symphoniques : Turangalîla et Eclairs sur l'au-delà. Les peintres qui m'ont le plus inspiré sont Rembrandt, Le Caravage, Courbet, Manet. J'essaie de composer chaque plan de mes films comme des tableaux. En cinéma, mes réalisateurs de prédilection sont Scorsese, les frères Coen, Orson Welles, John Huston. Mais le cinéma étant un art total, les influences viennent de partout. Dans un film, je recherche l'allégorie, cette force qui dépasse l'anecdote et fait basculer le scénario dans la tragédie grecque.

L'image qui a signé votre acte de naissance ?
Avant mon premier court métrage, Haun, j'ai réalisé des installations vidéos. Il s'agissait de projections sur un mur, comme des tableaux, avec des éléments qui bougent dedans. L'une d'elle contient les racines de la scène d'ascenseur de Bullhead. J'avais filmé la porte d'un très vieil ascenseur, de l'intérieur, on voyait défiler les étages en descendant, avec, en bruit de fond, des cochons qui hurlent et des bruits de chaînes. Le conflit entre le défilement des images, la lumière qui devenait de plus en plus sombre et les cris des cochons donnaient l'impression d'une descente aux enfers. La scène durait cinquante secondes, trois fois de suite, en boucle. Le son dramatisait les images, très banales, d'un ascenseur qui descend. Cette façon de travailler m'a beaucoup appris sur la poésie de l'image : comment montrer et faire sentir des choses sans les expliquer. C'est ça le cinéma.

Le plus grand film belge de ces vingt dernières années ?
C'est arrivé près de chez vous [Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, 1992] reste le film le plus marquant du cinéma belge. Pour le cinéma français, je répondrais Un prophète [Jacques Audiard, 2009], un film total, la perfection, à tous niveaux. Un jour, j'aimerais faire un film comme ça.

Quel cinéaste imaginez-vous être dans dix ans ?
Un cinéaste avec une voix claire. Comme les cinéastes que j'admire : Audiard, Scorsese, les frères Coen, je souhaite qu'on reconnaisse mes films par leur esthétique, leur cohérence. J'aimerais m'inscrire dans cette tradition qui a été nourrie par ces grands noms.

Propos recueillis par Jérémie COUSTON
Télérama, 24 février 2012.

1 commentaire:

  1. « Rundskop » (« Bullhead » pour les Américains) est un film magnifiquement tourné en Flandre par un jeune réalisateur flamand d'avenir, et qui mérite d'être vu et revu. Il n'avait, bien sûr, aucune chance aux « Oscars » : trop dérangeant. Mais, contrairement à « THE Artist », film « français » qui, après une brève et terne carrière, vient d'être réintroduit dans les cinémas belges - « Oscar » oblige - « Rundskop » tient l'affiche sans discontinuer. Et sans le moindre lobbying à la Weinstein. Un bémol : les Belges francophones n'y ont pas cru non plus : on ne trouve en Belgique que la version originale flamande, ou celle des Américains, rebaptisée « Bullhead » et tardivement sous-titrée en français. Encore bravo Dujardine, voilà un grand artist.

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