mardi 21 février 2012

Céline, le « collabo » dans la presse d’après-guerre par Jean-François Roseau

L'Humanité, 27 avril 1951 (AN)
Ce mois-ci, Le Magazine littéraire propose un dossier synthétique sur "Les écrivains et l'Occupation". Dès lors, il était nécessaire de consacrer quelques lignes à Céline dont A. Derval évoque brièvement les accointances avec "les journaux proches du national-socialisme" (pp. 72-73, février 2012). La consultation des dossiers Céline, conservés aux Archives nationales et à la Préfecture de police de Paris, donne accès à de nombreuses coupures de presse plaçant définitivement l'écrivain dans le camps abhorré des collaborateurs. Ces courts articles, publiés en pleine période d'épuration, donnent une idée fidèle de la haine nationale qui poursuit l'exilé dans les journaux de gauche.

Ignoble, abominable, hideux, monstrueux… Aucun adjectif ne semble assez fort, au sortir de la guerre, pour décrire l’attitude suprêmement détestable des collaborateurs. Du reste, leurs visages sont multiples comme l’hypocrite Janus ou le cruel Cerbère. Il y a d’abord le « patriote » dénonçant ses voisins à coup de missives anonymes, le chef de parti enragé, le germanophile passionné, le pacifiste aveugle ou l’écrivain antisémite. Tous n’ont pas la même influence et encore moins la même stature. Certains sont mus par intérêt, d’autres par conviction. La voix des uns résonnent dans
Franc-Tireur, 19 décembre 1945 (AN
la presse ou sur les ondes, quand d’autres agissent dans le silence honteux des combines et des coups bas. Ainsi l’exécution exemplaire de Brasillach, le 6 février 1945, s’expliquerait-elle par la responsabilité morale de l’écrivain, qui « se redéfinit à cette époque dans les débats suscités par l’épuration (première partie) et dans les procès d’écrivains (deuxième partie) »(1). La même issue attendait Céline à Paris. De fait, la collaboration est un imbroglio si complexe et si embarrassant qu’il a fallu plusieurs décennies pour que les historiens cherchent à en démêler les principaux linéaments (2). Mais la nuance vient avec le temps, et les obsessions cathartiques de la résistance ne lui laissent aucune place. L’épuration succède à la Libération. Il faut purger la presse, balayer les reliques du passé vichyssois, bannir tous ceux qui ont fait la part belle à l’occupant nazi. La liste est longue et la rhétorique providentielle de la presse résistante ne craint pas la dérive manichéenne. Il y a les bons et les méchants. L’image épique et triomphante du libérateur écrase ainsi le visage essoufflé du collaborateur. On retrouve donc, inconsciemment ou non, l’iconographie traditionnelle de Saint-Michel terrassant le dragon. Galtier-Boissière résume d’ailleurs parfaitement ce climat d’affrontement et l’illusion de dualité entretenue par les quotidiens d’Après-Guerre : « La presse de la Libération n’a que deux rubriques, écrit-il en 1944, glorification des fifis et mouchardage des collabos ».
Autrement dit, les journalistes d’hier, membres de Je suis partout, du Pilori ou de La Gerbe, sont désormais conspués par les journaux sortis de la clandestinité. Parmi les cibles récurrentes de la presse libérée, Louis-Ferdinand Céline occupe une place de choix. Les nombreux titres qui lui sont consacrés illustrent en effet l’indignation commune soulevée par l’écrivain réfugié au Danemark, après s’être enfui en Allemagne aux côtés du maréchal Pétain. Qui est Céline pour cette France nouvelle qui s’édifie à partir de 1945 ? Il est d’abord « l’auteur de Bagatelles pour un massacre ». Comme s’il s’agissait de faire l’impasse sur le reste de son œuvre, c’est sans doute la périphrase qui reviendra le plus souvent pour désigner « l’écrivain collaborateur », assimilé aux pires excès de l’administration nazie.

Jean-François ROSEAU
Le Petit Célinien, 21 février 2012.

Ce Soir, 21 février 1950 (AN)
L'Aurore, 2 février 1947 (APP)




















L'Humanité, 22 janvier 1950 (AN)
Libération, 27 octobre 1949 (AN)



















Combat, 4 juillet 1946 (APP)


L'Humanité, 27 avril 1951 (AN)




















>>> A lire : Céline et le cercle européen par Jean-François Roseau (Le Petit Célinien, 14 février 2012)

Notes
1 - Cf. Gisèle Sapiro, « L’intellectuel a-t-il droit à l’erreur. Le débat sur la responsabilité de l’écrivain au prisme des procès de l’épuration », p. 86, dans les Actes de la journée d’étude Céline-Paulhan, Question sur la responsabilité morale de l’écrivain au sortir de la Seconde guerre mondiale, Société d’études céliniennes, Paris, 2007, 105 pages.2 - Il faut attendre les années 60 pour que les historiens de profession commencent à proposer des analyses du phénomène de collaboration. Nous renvoyons notamment à l’ouvrage de Pascal Ory, Les Collaborateurs, Editions du Seuil, 1976 : « Céline, une collaboration hypocondriaque », pp. 229-234.

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