mardi 13 septembre 2011

Les animaux de Louis-Ferdinand Céline (IV) : Toto par Pierre Lalanne

Peu après la mort de Bébert, en 1952, Lucette fit l’acquisition d’un perroquet à la Samaritaine pour le consoler de la mort de son chat en lui offrant un nouveau compagnon. En colère, Céline refuse alors l’animal et exige de le renvoyer à la Samaritaine, trop onéreux fut la raison invoquée. Raison la plus simple, Céline est naturellement proche de ses sous.

Toutefois, rappelons-nous qu’il refusa également, au début, de prendre Bébert, car, adopter un animal exige de son maître une grande responsabilité. Il n’a pas alors hésité à faire castrer le chat et s’assurer qu’il avait tous les papiers nécessaires; se limiter au prix est un peu court, Céline voyait nécessairement plus loin.

Le perroquet gris du Gabon est reconnu comme un animal très intelligent, certains d'entre eux peuvent apprendre jusqu’à 200 mots (ce qui n’est pas le cas de Toto), reproduire des bruits courants, exécuter toutes sortes de mimiques et peuvent devenir de très bons orateurs. Ils sont en mesure d’emmagasiner plusieurs types de sons qu’ils aiment répéter. Ils peuvent également reproduire ces bruits dans des contextes particuliers, ce qui démontre une fantastique capacité d’interrelation.

Il est également reconnu que cette espèce de perroquet est un animal très exigeant, qui nécessite temps et attention de la part de son maître, beaucoup de contacts et de la stimulation. Des études affirment que le Gris du Gabon réagit émotionnellement à peu près comme un enfant de deux ans et renferme la capacité intellectuelle de celui de cinq ans.

Enfin, ces perroquets sont prudents, nerveux et méfiants, devant des situations qu’ils ne connaissent pas ou en présence d’inconnus qui viennent perturber leur quotidien. Leur réputation est de se consacrer à un seul maître, mais il peut également s’adapter à un groupe de personnes, si on l’habitue à vivre en communauté.

Lucette connaissait-elle les caractéristiques du perroquet lorsqu’elle offrit Toto à Céline ? À lire cette description du caractère des Gris du Gabon, elle ne pouvait pas faire un meilleur choix et il n’y a pas à s’étonner que, malgré l’opposition de principe de Céline, l’un ne tarderait pas à séduirait l’autre.

Sachant l’affection que Céline portait aux enfants, il pouvait laisser libre court à ses instincts d’éducateur. Ainsi, elle laissa passer les invectives et Toto s’installa à demeure et deviendra rapidement son meilleur compagnon, complice et, nécessairement, confident, car, Céline causait avec les bêtes, Bessy, Bébert, Lucette en a témoigné à plusieurs occasions.

En fait, nous connaissons assez peu de chose sur ce dernier compagnon, sinon qu’il est très jaloux, harcelle le visiteur et protège férocement son intimité avec l’écrivain en mordant les jambes et les pieds de l’intrus qui s’attarde un peu trop longtemps auprès de son maître. Toto vit librement dans le bureau de Céline et est constamment à ses côtés lorsqu’il écrit, lui casse ses crayons, et, toujours au dire de Lucette, lui joue des mauvais tours, comme lui dérober ses pinces à linge pour attacher ses manuscrits. Brefs, ils s’entendent comme de vieux copains de bistrots, gueulards, et toujours à se réconcilier.

Toto ne semble pas parler beaucoup, quelques mots, seulement, mais on ignore lesquels. Par contre, Céline lui apprend à siffler « dans les steppes de l’Asie centrale » et il crie : « Les Tarrrrrrrtarres à Meudon... Les Tarrrrrrrtarres à Meudon ! », en écho au célèbre « Les Chinois à Cognac ! », de son maître affirme Éric Mazet.

Ils causent surtout dans une langue connue d’eux seuls et s’engueulent parfois férocement, se réconcilient. Toto est le contraire de Bébert, ce vieux sage discret qui dormait sur sa table de travail. Toto est actif, de son perchoir, il grimpe sur l’épaule du maître où arpente la table de travail; Toto est celui qui fait rire Céline, celui que l’on entend jacasser lors des dernières entrevues que l’écrivain donne aux uns et aux autres, après le succès « D’un château l’autre ».

Toto est justement le témoin privilégié celui qui a assisté à l’écriture de la dernière période célinienne, les entretiens, la trilogie allemande. Il fut certes un baume dans la solitude de Meudon rejeté par l’ensemble du tissu social, une source importante d’inspiration et stimulation. Les animaux ne se préoccupent pas de fausse morale, de culpabilité et d’idéologie.

Céline lui lisait-il des passages des livres qu’il préparait ? Fort probablement et l’on peut facilement présumer que le perroquet, à sa manière donnait son opinion, toujours dans cette langue, ce code qui leur était commun. De la spéculation, bien entendu, les témoignages des relations entre Céline et son perroquet viennent essentiellement de Lucette, qui raconte l’arrivée de Toto à Meudon et son adaptation avec l’écrivain, sans vraiment savoir comment opéra la magie, comment Céline fut conquis et les deux devinrent les meilleurs amis du monde:

« J’ai acheté le perroquet Toto à la Samaritaine et après un premier contact désastreux, ils sont devenus inséparables. Toto vivait en liberté dans la pièce où Louis travaillait. Il picorait ses feuilles de papier ou ses pinces à linge. Il avait tous les droits et je les entendais souvent se disputer et dialoguer dans un langage connu d’eux seuls. » Céline secret, Véronique Robert avec Lucette Destouches, Grasset p.145.

Par ailleurs, la compagne de Céline a déjà raconté la patience de Céline envers les animaux et sa manière dont il leur parlait pour les rassurer et s’en faire leur complice, particulièrement pour Bessy, le chien abandonné par les troupes allemandes quittant le Danemark. Elle affirme que seulement par la patience, la douceur et la parole, Céline est en mesure de communiquer avec les animaux. Juste à relire la description de la mort de Bessy dans « D’un château l’autre », les liens tissés avec Bébert, il n’y a pas à douter des relations étroites qu’entretenait l’écrivain envers les animaux et, tout comme Saint-François-d'Assise, il pouvait causer avec eux.

Malheureusement, probablement par absence de matière, les biographes passent rapidement sur les relations de Toto et de son maître, Gibault en parle très peu, Vitoux y consacre quelques lignes en se limitant à un témoignage essentiel de Lucette. Enfin, dans « Céline Secret » elle y va de quelques allusions.

Ce qui en ressort est la formidable complicité entre les deux, l’amitié indéfectible et cette confiance, qu’il ne peut plus accorder aux hommes. Il faut lire Lucette dans Vitoux pour en saisir toute la portée et la capacité de l’écrivain à se consacrer aux plus faibles, en l’occurrence, les animaux, les seuls qui ne trahissent jamais, si l’on sait comment les approcher, les apprivoiser et accepter une personnalité qui leur est propre; ne pas en faire des esclaves, des bibelots ou des chiens savants, mais les laisser vivre en fonction de leurs instincts et non pas de l’unique raison humaine. Il faut relire ce passage dans le Céline de Vitoux qui montre toute la force de cette de la perception célinienne des animaux :

« Le perroquet n’avait pas de cage. Louis le laissait en liberté. Il faisait des saletés partout, sur la table, le fauteuil, par terre. Ça lui était égal. Toto lui cassait ses crayons, lui faisait des tours pendables. Louis criait contre lui. Toto lui répondait. Ils s’entendaient tous deux d’une manière fantastique, ils ne se quittaient pour ainsi dire jamais. Quand Louis descendait à la cuisine (…) Toto était sur ses épaules. Le pauvre Louis ne tenait pas debout, il lui arrivait de tomber dans l’escalier. Toto tombait avec lui. J’entendais de là-haut le perroquet crier, furieux. Je descendais les ramasser. Toto remontait sur ses épaules et ils repartaient. Je n’ai jamais vu deux êtres comme cela – une réussite! Et puis Toto avait un mérite, il le débarrassait des gens qui venaient le voir. Il leur donnait dix minutes, pas plus. Au bout de dix minutes, Toto allait mordre les chaussures ou le bout de pied des visiteurs de Louis qui n’avaient plus qu’à battre en retraite » Lucette dans « La vie de Céline » de Frédéric Vitoux chez Grasset, p.535

Après la mort de Céline en ce mois de juillet 1961, Toto s’est tue pendant des mois, on imagine le désarroi de l’animal, le deuil. Qu’advint-il de lui par la suite ? On ne connait pas la suite de son histoire, sa fin, le nombre d’années qu’il survécut à son maître…

Est-ce à Toto et à Céline qu’Hergé voulu rendre hommage dans l’un de ses meilleurs albums, « Les Bijoux de la Castafiore », publié en 1963, lorsque la cantatrice offre au capitaine Haddock, désemparé, furieux, Jacquot ce perroquet et qui fait de leur relation une véritable épopée qui peut se rapprocher à celle de Céline, comme le suppose David Alliot dans un article sur ce sujet qui est à lire ici : www.lepetitcelinien.com.
En fait, l’histoire de Toto et de Céline reste encore à écrire et à inventer…

Pierre LALANNE
http://celinelfombre.blogspot.com, 29/05/2011


Aussi à lire:
>>> Les animaux de Louis-Ferdinand Céline (I) : Bobs
>>> Les animaux de Louis-Ferdinand Céline (II) : le cheval
>>> Les animaux de Louis-Ferdinand Céline (III) : Bébert

2 commentaires:

  1. Merci pour ce texte émouvant et cette très bonne description de la vie avec un perroquet. Trois petites choses à ajouter ou à souligner, les perroquets peuvent être imprévisibles et leur morsure terrible, ils défèquent sans arrêt, et ils ont un caractère de cochon. Personnalité forte, emmerdeuse au possible mais attachante, un peu comme le capitaine Haddock. Au petit matin ils hurlent "Papa ! Papa !" et autres balivernes du même tonneau jusqu'à ce que l'on aille y voir de plus près, moment qu'ils choisissent pour vous tourner le dos et vous ignorer en silence, ou pour vous regarder en signifiant "Qu'est-ce que tu veux toi ?". Avec leurs pattes et leur bec, ils sont capables de tout démonter en un rien de temps, rien ne leur résiste. Ils parlent sans conteste. Les Guaranis qui savent reconnaître dans les moindres bruits de la nature un langage, conversent longuement avec eux et leur attribuent des dialogues de philosophes. Il est dit que le Créateur fut généreux avec les Guaranis leur donnant tout ce dont ils avaient besoin pour leurs besoins matériel, mais que pour leur divertissement, il créa le perroquet.
    J'en ai rencontre un de plus de 80 ans l'autre jour, en pleine forme. Le miens a trois ans et fait tourner la baraque.

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  2. Vers la fin des années 90, j'ai vu Toto : moment inoubliable. Un instant le regard de l'écrivain a lentement croisé le mien. Perché, dans une volière devant la fenêtre Toto a tourné la tête pour m'observer.

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