mercredi 22 juin 2011

Pétain et ses fantoches par David Alliot

Dans « D'un château l'autre », Céline relate au plus près la déréliction de la France pétainiste.

Sans Céline, l'épisode de Sigmaringen en Allemagne aurait depuis longtemps disparu de notre mémoire collective. Dans « D'un château l'autre » (Gallimard 1957), il relate les pathétiques, dérisoires et ultimes soubresauts de la France de Vichy. Les paroles de Laval, la mort de Jean Bichelonne, les manies d’Abel Bonnard, les visites à De Brinon… Ou est la réalité, ou est la fiction, bien peu le sauront.

Novembre 1944. Céline, Lucette, le chat Bébert et l'acteur Le Vigan débarquent à Sigmaringen, dernier refuge des pétainistes en pleine déconfiture. Regroupés dans la ville par l'autorité allemande, tout le gotha de la Collaboration y attend une hypothétique victoire des armées du Reich. Mais pour Céline, Sigmaringen n'est qu'une étape. Son objectif est de filer au Danemark où il a caché son or avant guerre. Prévu pour quelques semaines, le séjour durera plusieurs mois.

De novembre 1944 à avril 1945, Sigmaringen va osciller en permanence entre le surréalisme et le grand-guignol, - deux traits dont Céline, douze ans plus tard, rendra également compte. Les Allemands, soucieux de ne pas insulter l’avenir, ont organisé la cité à leur façon. Aucun détail n’est négligé. Surplombant la cité, le château des Hohenzollern - dans lequel réside le maréchal Pétain et son gouvernement- lui inspire cette énumération sarcastique : « stuc, bricolage, déginganderie tous les styles, tourelles, cheminées, gargouilles… pas à croire ! super Hollywood ! ». Le drapeau français flotte sur la bâtisse. Non sans ironie, les autorités allemandes ont déclaré Sigmaringen « enclave exceptionnelle française ».

Au pied du château c’est la cité « si jolie, fignolée, rose, verte, un peu bonbon, demi-pistache […] tout style “baroque boche” et “Cheval blanc”… vous entendez déjà l’orchestre ». À Sigmaringen, s’entassent plusieurs centaines de reprouvés « l’article 75 au derge » tous passibles des tribunaux de l’Épuration : « un plateau de condamnés à mort 1142 !… je savais exactement le nombre ».Pour organiser la cohabitation entre les habitants et les réfugiés, les Allemands ont édicté des règles drastiques et ubuesques. Pour rejoindre la dernière capitale de l’État français, il faut obtenir un emploi. Pour obtenir un emploi, il faut un logement… La ville étant en constante surpopulation, on loue les lits à six personnes qui dorment à tour de rôle. Céline, lui, est affecté au Züm Löwen. Un petit hôtel où sa chambre sert aussi de cabinet médical. Pendant son séjour dans la ville, il va tenter, avec les moyens du bord de soigner les malades.

À Sigmaringen, les distractions sont rares. Chaque jour, la population assiste à la promenade du Maréchal Pétain que Céline surnomme ironiquement « Philippe le dernier ». Dans le ciel, les bombardiers alliés bombardent les environs : « Mosquitoes, Maraudeurs foncent ! piquent ! filent !… Ils pourraient facile nous broyer !… une petite bombe !… non ! il semble qu’ils prennent que des photos… » Considérée comme non-stratégique, la ville est épargnée. Et De Gaulle veut les « collabos » vivants pour les juger. L’ambiance est chaque jour un peu plus pesante : « l’armée Leclerc rapproche… rapproche… sont pris d’une de ces inquiétudes !… d’une envie d’en savoir plus !… »

À Sigmaringen, il y a aussi un gouvernement qui travaille. Les « ministres » du Maréchal tentent de s’accaparer le peu de pouvoir que les Allemands leur laissent : préparer les matchs de football, organiser la fanfare municipale, s’attribuer des préséances ridicules… Le gouvernement du Maréchal attribue des postes qui n’existent que sur le papier. À Pierre Laval, Céline demandera d’être nommé « Gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon » ! Officiellement, tous les ministres sont confiants en la victoire de l’Allemagne, et fondent leurs espoirs dans les fameuses armes secrètes promises par Hitler. Dans la réalité, tous lorgnent vers la Suisse voisine, où à défaut, l’Espagne ou la Suède, pays neutres qui pourraient les accueillir au cas où. Pour remotiver les troupes, les Allemands organisent une conférence avec Léon Degrelle en uniforme SS. Comme à son habitude, Céline sabotera la réunion : « Quel est ce roi des cons qui ne fera même pas un beau pendu avec sa gueule de jean-foutre ? » En avril 1945, Céline, Lucette, et le chat Bébert parviennent à se réfugier au Danemark. Comme par enchantement, le dernier gouvernement de Vichy disparaît à la vue du premier soldat allié. La pièce est finie, et pour les anciens de la Collaboration, l’heure des comptes a sonné. Désormais c’est chacun pour soi.

David ALLIOT
Article paru dans Marianne Hors-Série de Juillet-Août 2011.

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