jeudi 30 juin 2011

Louis-Ferdinand Céline crève l'écran - Téléobs - 23 juin 2011

Le style, c’est l’homme même !” , disait Céline. “Vestimentairement” parlant, le sien laissait sérieusement à désirer. Pour sa première apparition à la télévision française, en juillet 1957, dans “Lecture pour tous”, la célèbre émission de Pierre Dumayet, l’écrivain a beau avoir mis son plus beau costume, son élégance élimée, sa cravate malencontreusement coincée dans sa chemise, sa mèche rebelle, lui confèrent un faux air de paysan provincial monté à la ville pour vendre quelques bêtes, et, pourquoi pas, aller faire ensuite un tour au bordel. Dans une autre interview accordée à Louis Pauwels, quelques années plus tard, et enregistrée cette fois, chez lui, à Meudon, on le retrouve toujours aussi mal fagoté, ermite engoncé dans une superposition de gilets hors d’âge, “toujours plein de colère et enveloppé de misère” , comme le décrit le journaliste.

Mais chez Céline, le brio est ailleurs. Dès qu’il ouvre la bouche, de sa voix douce s’écoulent, en flots ininterrompus, pépites, bobards, vacheries, billevesées, bonheurs de langage, un phrasé unique, un mélange de folie, de fureur et de génie. Ses phrases claquent comme des aphorismes. Un vrai régal que la chaîne Histoire a la bonne idée de rediffuser, à l’occasion des cinquante ans de la disparition de l’écrivain.

Sa vie durant, Louis Ferdinand Céline n’aura donné que trois entretiens à la télévision française. Seul le premier, enregistré dans la foulée de la sortie de son roman “D’un château l’autre” qui marque le début d’un regain d’intérêt pour l’écrivain, a été diffusé, les deux autres, accordés à André Parinaud puis à Louis Pauwels, n’ayant pas passé les fourches caudines de la censure de l’époque. En tout, à peine une heure d’entretiens. Mais quelle heure ! De quoi renvoyer les apparitions télévisuelles de nos écrivaillons contemporains à leur insondable vacuité. Pourtant Céline ne s’en cache pas : il va à la télévision “dans un but strictement mercantile”. “Vous n’êtes ici que pour m’attirer les avances de Gaston Gallimard” , lance-t-il à l’un de ses interlocuteurs. Mais tant qu’à faire, il en profite aussi pour réécrire un peu son histoire, façonner sa légende, cabotiner aussi, tour à tour émouvant, brillant, horripilant.

Avec Pierre Dumayet qui l’interroge sur les raisons qu’ils l’ont poussé à écrire “Voyage au bout de la nuit”, chef-d’œuvre qui bouscula l’histoire de la littérature, Céline joue les (faux) modestes et feint la surprise : “Je comptais seulement en tirer un honnête bénéfice pour me payer un petit appartement. A cette époque, on avait la hantise du terme. J’avais hérité cela de mon enfance.” Avant d’ajouter : “Je pensais qu’on y trouverait un petit intérêt, le même qu’on peut trouver à lire une nouvelle dans un journal.” Ses souvenirs du passage Choiseul, où sa mère tenait une boutique de dentelles, sont drolatiques : “On faisait une lessiveuse de nouilles. C’est le seul aliment qui n’avait pas d’odeur. Or la dentelle ancienne retient les odeurs. J’ai vécu dans la panique de l’odeur.

Il est beaucoup moins drôle lorsqu’il aborde le sujet de ses pamphlets antisémites sortis en rafale avant la Seconde Guerre mondiale et pour lesquels il n’exprime pas le moindre remord : “Ces livres très fâcheux que j’ai pu écrire étaient contre la violence.” Il va même à se décrire comme une sorte de chien de traîneau, chef de meute, ayant tenté d’avertir l’équipage d’un grand danger à venir : “J’ai le raffinement d’une chienne de traîneau.

C’est lorsqu’il évoque le métier d’écrivain ou bien ses collègues de travail qu’il retrouve son ardent : “C’est rare un style, monsieur. Un style, il y en a un ou deux par génération. Il y a des milliers d’écrivains. Ce sont de pauvres cafouilleux. Ce n’est pas intéressant. Ils rampent dans les phrases. Ils répètent ce que l’autre a dit.” Et quand Pierre Dumayet lui demande le mot de la fin, il se laisse aller à une diatribe d’une noirceur : “L’homme est lourd. Son esprit est lourd. Il n’a jamais cessé d’être lourd. J’ai lu tellement de vers. Des vers du XVIIe, soit-disant galants. J’en ai trouvé 3 ou 4 de bons sur des milliers. Il y a très peu de légèreté chez l’homme.

Vincent MONNIER
Article paru dans le supplément Téléobs du 23 juin 2011.

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