mardi 28 juin 2011

Arletty me cause de Céline par Raphaël Sorin

Céline, l’ermite de Meudon, le reclus, le pestiféré, le maudit ? Sans doute, mais il en a vu défiler du beau monde au cours de sa vie en miettes. Des femmes, des écrivains, des journalistes. Beaucoup ont raconté «leur» Céline.
C’est David Alliot, jeune auteur de six livres sur Céline, qui s’y est collé. Son D’un Céline l’autre, paru dans Bouquins/Laffont, est une «biographie kaléidoscopique» (sic) de l’écrivain, indispensable et édifiante.
On y croise, parmi tant d’autres, Paul Léautaud, Max Jacob, Marcel Aymé, Roger Vailland, Michel Ragon, Michel Simon, Françoise Fabian et, bien sûr, sa grande copine, Arletty.
Elle est très présente dans cette somme. On vient l’interroger et elle répond toujours, avec talent. Marc-Edouard Nabe, Frédéric Ferney, Christian Gilles ont bien fait de l’écouter. Un témoin manque à l’appel et je le regrette parce que c’est moi.

« J’AI PAS VOULU CONNAITRE PROUST »
En octobre 1985, grâce à l’éditeur Pierre Monnier, j’ai déjeuné avec Arletty. Je l’avais vue une fois, au théâtre de l’Odéon, où elle jouait dans la pièce de Brendan Behan, Le Client du matin. Elle se promenait en combinaison. Comment oublier ses jambes magnifiques qui avaient inspiré tant de peintres ? Et sa voix, celle de Garance, celle des chansons idiotes que son phrasé haut perché rendait irrésistibles ? Pourquoi m’as-tu fait ça ? J’en ai marre. Dans sa baignoire. Azor. Autant d’airs marrants et bien envoyés.
A table, elle mangeait de bon appétit et ne crachait pas sur le jaja. La conversation roula bientôt sur Céline. Je l’ai reprise dans mon troisième volume de « produits d’entretiens », Les Terribles, chez Finitude. Alain Le Saux, le maquettiste de Champ Libre, a enjolivé le tout avec des vidéogrammes classieux.
Voici des échantillons de cet entretien: « Céline? C’est un poète, le poète du siècle. Le Voyage, je l’ai lu à la sortie, moi. Le choc a été extraordinaire, je l’ai dit cent fois. Envie de le rencontrer ? Aucune, c’est lui qui l’a voulu. J’ai pas voulu connaître Proust, je me fous de tout ça, je suis au-dessus de tout ça…»

« IL ETAIT MERVEILLEUX, UN BEAU TYPE, AVEC DES MAINS SUPERBES »
On est passés aux choses sérieuses, à celles qui fâchent: « Après la guerre, j’ai dit des choses pour lui, on peut pas dire que j’ai témoigné: il peut pas être un traître puisqu’il est de Courbevoie…» « Je connais tout, depuis sa thèse. Tiens, il était juif, Semmelweis. C’est pas de chance, le gars qu’il choisit pour sa thèse, c’est un juif, alors ç’aurait dû lui servir… C’est défendu Les Beaux draps? Oh, c’est très drôle, Les Beaux draps. Bagatelles ? Bon, c’est bon, je lui parlais pas de ses livres.»…
Les mains, les yeux bleus, visiblement il lui avait tapé dans l’oeil, et dans l’oreille, l’auteur du Voyage. Au dessert, elle commença à s’exalter.
Disons qu’elle revivait aussi son expérience de l’après-guerre. Par charité, même pas chrétienne, je la censurais dans mon papier. Je dois avoir l’enregistrement complet quelque part et j’espère ne jamais le retrouver.

Raphaël SORIN
http://lettres.blogs.liberation.fr/sorin/, 28/06/2011.


>>> Vient de paraître :
Raphaël Sorin, Les terribles, Ed. Finitude, 2011.
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1 commentaire:

  1. " Par charité (...),je la censurais dans mon papier".

    Encore un censeur...Décidément, cette engeance foisonne, surtout dans la presse dite "libre" !
    Les censeurs (et auto-censeurs, les pires, ceux qui ont intégré la censure au point de la devancer) ont toujours de "bonnes raisons" : ici "la charité" (siou plaît) à l'encontre, sans doute, d' une vieillarde dûment bettencourisée : "_Radote, la vieille ! Sais plus ce q'elle dit ! L'a encore de belles jambes mais la tête !"

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