dimanche 26 décembre 2010

Les jeunes filles en fleur de Siegmaringen

Je me doutais où elle devait se trouver Hilda von Raumnitz, et deux... trois copines... les jeunes filles en fleur de Siegmaringen... enfin celles très bien soignées, très bien nourries, des très bonnes familles militaires et diplomatiques... qui n'ont jamais manqué de rien!... forcément l'âge, l'air très salubre, et ce froid si vif, le bouton les turlupinait!... l'âge enragé, 14... 17... et pas que ces petites filles de luxe, épargnées, soignées... les miteuses aussi !... d'autres prétextes, l'éloignement, le danger permanent, les insomnies, les hommes en chasse!... miteux aussi! en loques aussi! et convoleurs! et si ardent ! tous les bosquets ! tous les carrefours, l'âge enragé 14... 17... surtout les filles !... pas seulement celles là, d'un lieu bien spécial... l'éloignement, le danger permanent, les hommes en chasse tous les trottoirs... même chose rue Bergère ou Place Blanche!... pour une cigarette... pour un blabla... le chagrin, l'oisiveté, le rut font qu'un!... pas que les gamines!... femmes faites, et grand mères ! évidemment plus pires ardentes, feu au machin, dans les moments où la page tourne, où l'Histoire rassemble tous les dingues, ouvre ses Dancings d'Épopée ! bonnets et têtes à l'ouragan ! slips par-dessus les moulins ! que les fifis mènent l'Abattoir! et Corpechot, Maître du Danube! moi là, question Hilda, et sa bande, sûr, je les retrouvais à la gare !... fatales ! espionnes, troubades, mînistresses, gardes-barrières, mélimélo !... aux salles d'attente ! l'attirance viande fraîche et trains de troupes, plus le piano et les « roulantes », vous représentez ces scènes d'orgies ! un petit peu autre chose de bandant que les pauvres petites branlettes verbeuses des Dix-sept Magots et Neuilly!... il faut la faim et les phosphores pour que ça se donne et ruse et sperme sans regarder ! total aux anges ! famine, cancers, blennorragies existent plus!... l'éternité plein la gare!... les avions croisant bien au-dessus !... tout bourrés de foudres ! et que toute la salle et la buvette se passent entre-passent poux, gale, vérole et les amours ! fillettes, sucettes, femmes enceintes, filles mères, grand-mères, tourlourous ! toutes les armes, toutes les armées, des cinquante trains en attente... toute la buvette entonne en choeur ! Marlène! la! la! sol dièse! à trois... quatre voix ! passionnément ! et enlacés !... à la renverse plein les fauteuils !... à trois sur les genoux du pianiste! trois de mes femmes enceintes !... et bien sûr, en plus, entendu, pain à gogo ! boules ! et gamelles ! ... et sans tickets ! vous pensez bien qu'on regarde pas ! ... quatre roulantes pleines de marmites d'un train à l'autre... de la buvette aux plates-formes ! le « bifur » Siegmar, je parle de trains de munitions, l'endroit vraiment le plus explosif de tout le Sud-Wurtemberg... Fribourg-l'Italie... trois aiguillages et tous les trains, essence, cartouches, bombes... de quoi tout faire sauter jusqu'à Ulm!... aux nuages! bigorner les avions d'en l'air!... salut!... vous imaginez que j'avais un petit peu de travail lutter pour la vertu d'Hilda, qu'elle se fasse pas cloquer sous un train !... « l'amour est enfant de bohème!... »

Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre, 1957.
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