mercredi 22 décembre 2010

Anouilh et Céline

Entre Anouilh et Céline, à première vue, le lien est faible. Pourtant, on a souvent cité Céline à propos de la noirceur d’Anouilh, de son ton rageur contre la société, et contre l’homme en général, – un ton parfois mêlé de tendresse. Mais le style plutôt sec et dépouillé d’Anouilh n’incitait guère à pousser le rapprochement.
Les deux hommes sont toujours restés éloignés l’un de l’autre, malgré un ami commun : Marcel Aymé. En politique, Anouilh n’avait que des réactions épidermiques, il le reconnaissait, et ne se mêlait pas des vicissitudes de l’Europe. Par amitié pour Brasillach, il s’est battu fin janvier 1945 dans l’espoir d’obtenir la grâce du condamné à mort. Son échec l’affecta profondément. Il devint dès lors d’un antigaullisme farouche et jamais démenti. Les mots de Céline sur la mort de Brasillach l’ont sans doute consterné, s’il les a lus.
Du côté de Céline, une seule mention d’Anouilh, dans un P.S. du 30 juillet 1957 à Roger Nimier : « Les auteurs célèbres aujourd’hui sont les auteurs de théâtre : Montherlant, Camus, cette grosse vache de Marcel [Aymé], Anouilh, etc. Les prosateurs [sic] ne sont lus que par des vicieux ».
Eh bien, Anouilh, lui, lisait les « prosateurs ». Mais il confirme qu’il y faut du vice. C’est dans sa préface aux mémoires posthumes de la grande comédienne Françoise Rosay (La Traversée d’une vie, Robert Laffont, 1974) : « Je suis auteur dramatique ; d’où une vieille dent contre les romanciers. J’ai toujours l’impression qu’ils me font perdre mon temps avec leurs racontars (Pour les plus grands, bien sûr, je me laisse prendre, ce sont des mâles plus forts que moi, mais le livre refermé j’ai le sentiment un peu honteux d’avoir été violé. Balzac, Dostoievski, Stendhal, Dickens, Céline, Proust même le pauvre, ont honteusement et virilement abusé de moi). Je n’aime que les mémoires – parce que je n’aime que les hommes sans doute (contrairement à ce qu’on dit) et le reflet à travers eux de ce qui est vraiment arrivé à des hommes. »
Plus loin dans cette préface de La Traversée d’une vie, quelques lignes témoignent de l’attention avec laquelle il avait lu Céline : « Il y a même comme un air de Céline, écrit-il, dans certains passages d’exode, et dans la description de la pension anglaise qui m’a rappelé celle de Mort à crédit. »

Benoît LE ROUX

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