samedi 7 août 2010

Un dictionnaire du pamphlet

C’est une bonne monographie sur le sujet (considéré dans la période allant de la Révolution française à nos jours) que nous propose Frédéric Saenen. D’emblée, il s’interroge sur l’étymologie (obscure) du mot « pamphlet » : « Le Trésor de la Langue française l’associe au latin médiéval d’Angleterre panfletus (attesté en 1344) qui aurait donné pamflet ou pamphlet (attestés vers 1387-88). Ces termes désignant un objet matériel, « opuscule, une brochure ». Le sens particulier de “ brochure sur un sujet d’actualité, éventuellement de politique ou propre à la controverse ” n’est signalé qu’à partir de 1592. (…) En 1762, le pamflet est en France “un petit livre de peu de pages” tout autant qu’un “libelle, écrit satirique et polémique” ». C’est la raison pour laquelle le terme « pamphlet » aura souvent été jugé inadéquat pour qualifier les brûlots céliniens qui, hormis Mea culpa ou À l’agité du bocal, ne sont pas des textes se caractérisant par leur brièveté. Certains, à l’instar de Maurice Bardèche, qui est évoqué dans ce numéro, préféraient les considérer comme des « satires » — au moins Bagatelles qu’il présentait « comme une sorte d’ Ile des Oiseaux, comme dans Rabelais ».
De Céline, il est bien entendu question dans ce dictionnaire. À lui seul, il occupe cinq pages de cet ouvrage qui en compte environ deux cents. La teneur des textes sulfureux y est présentée de manière claire. Ainsi, de Bagatelles pour un massacre : « L’ennemi déclaré est le Juif, omniprésent, omnipotent, matérialiste et nuisible comme pourrait l’être une tumeur sociale. Face à cette incarnation malfaisante, l’Aryen n’est pas vraiment exalté, Céline dépeignant ce dernier comme avachi par l’alcool, hypnotisé par des leurres tels que le cinéma, soumis à ses maîtres sémites et dépourvu de tout lyrisme d’âme. » La présentation de L’École des cadavres n’est pas celle la plus communément répandue : « Des quatre pamphlets, c’est le loin le plus “littéraire”, en ce sens que, malgré son fond immuablement antisémite, le contenu pseudo-documentaire y est moins représenté et qu’il regorge de néologismes, de termes argotiques refondus et de mots composés que seul Céline utilisera jamais. » Les Beaux draps, enfin : « Le fond antisémite se conjugue à des attaques assassines contre la France de Pétain, notamment contre son système scolaire, jugé indigne de toute idée de Révolution Nationale, étouffant pour la jeunesse et impropre à créer une “race” forte. » Ces observations témoignent d’une connaissance intime de cette part maudite de l’œuvre célinienne, ce qui n’a rien d’étonnant sous la plume du célinien patenté qu’est Frédéric Saenen. Mais le grand intérêt de ce Dictionnaire est aussi de nous présenter des auteurs qui sont loin d’être tous connus, même par ceux qui prisent ce genre littéraire. Certes, comme le subodore l’auteur lui-même dans son introduction, certains déploreront l’absence de tel ou tel maître du pamphlet. Ainsi, pour ce qui concerne la droite radicale, un François Brigneau (né en 1919), qui s’appuyait toujours sur une solide documentation, ou un Pierre-Antoine Cousteau (1906-1958), virtuose de la litote, ne sont même pas cités ¹. Cela étant, c’est un panorama très complet du pamphlet que l’auteur nous donne à voir ². D’autant plus complet qu’il a également pris en compte ce qui est uniquement disponible sur internet et qui n’existe donc qu’à l’état virtuel. Un guide fort utile sur un genre qui est à la fois littéraire et politique.

Marc LAUDELOUT

• Frédéric SAENEN, Dictionnaire du pamphlet (de la Révolution à Internet), Éd. Infolio [Genève], coll. « Illico », 190 pages (10 €)

1. Sur les remous suscités par la réédition récente d’un roman de Brigneau par les éditions Baleine, lire l’article de Xavier Eman, « Panique chez les caves : “l’affaire Brigneau” » (Livr’Arbitres, n° 3, nouvelle série, 2010, pp. 19-20.)
2. Citant la Lettre ouverte aux gens heureux et qui ont raison de l’être de Louis Pauwels, notons que l’auteur mentionne la réponse de Jacques Sternberg (1972) mais non la réplique du regretté Paul Sérant, Lettre à Louis Pauwels sur les gens inquiets et qui ont bien le droit de l’être parue la même année.

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