lundi 15 juin 2009

Céline, Nietzsche et les trois degrés de l'illusion...

... la vérité ne me suffit plus - il me faut une transposition de tout - ce qui ne chante pas n'existe pas pour l'âme - merde pour la réalité. Je veux mourir en musique pas en raison ni en prose [...].
Relation entre la réalité et mes écrits ? Mon Dieu c'est simple la vie objective réelle m'est impossible, insupportable - J'en deviens fou, enragé tellement elle me semble atroce alors je la transpose tout en rêvant tout en marchant... Je suppose que c'est à peu près la maladie générale du monde appelé poésie...

Louis-Ferdinand Céline, Lettre à Milton Hindus, 1947.

C'est un phénomène éternel : l'insatiable volonté, par l'illusion qu'elle déploie sur les choses, trouve toujours un moyen de tenir fermement en vie ses créatures et de les contraindre à continuer de vivre. L'un est captivé par le plaisir socratique de la connaissance et l'illusion de pouvoir guérir de cette manière l'éternelle blessure de l'existence, l'autre se prend à la séduction de ces voiles de beauté que l'art laisse flotter devant ses yeux, un troisième va chercher dans la consolation métaphysique l'assurance que sous le tourbillon des phénomènes la vie continue de s'écouler, indestructible; pour ne rien dire de ces illusions plus communes et presque plus puissantes encore que le vouloir tient prêtes à tout instant. Ces trois degrés de l'illusion sont de toute façon réservés aux natures les plus nobles et les mieux armées qui ressentent avec un dégoût plus profond le poids et la difficulté de l'existence et qui doivent recourir à des stimulants choisis pour tromper ce dégoût. Tout ce que nous appelons civilisation consiste dans ces stimulants : selon le dosage, nous obtiendrons plutôt, soit une civilisation socratique, soit une civilisation artistique, soit une civilisation tragique —ou bien, si l'on veut bien nous permettre de nous référer à des exemples historiques, une civilisation alexandrine, hellénique ou bouddhiques.
Notre monde moderne est tout entier pris dans le filet de la civilisation alexandrine et se donne pour idéal l'homme théorique armé des moyens de connaissance les plus puissants et travaillant au service de la science. Socrate en est d'archétype et l'ancêtre.

Friedrich Nietzsche, La naissance de la tragédie, § 18.

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