mardi 26 mai 2009

Yann Moix :"Louis-Ferdinand Céline : le génie absolu"

Yann Moix, Le Figaro Littéraire, Mai 2009 : "Louis-Ferdinand qui ? Louis-Ferdinand Céline : le génie absolu. On pourra, jusqu'à la fin des fins, retourner la question dans tous les sens, sur sa saloperie, son ignominie, son ceci, son cela («Je suis un vivant reproche ») : le lire est toujours une déflagration. Dans la moindre de ses lettres, il explose. La moindre de ses remarques, de ses réflexions, le plus inconséquent de ses agacements embrasent tout. Avant lui, on n'imaginait tout simplement pas la puissance de feu que recelait la langue française : jusque-là, on frottait les mots entre eux toujours plus ou moins de la même façon, c'était des silex, c'était l'âge de pierre (ce qui n'a évidemment pas empêché les chefs-d'œuvre).

Ici, nous avons un Céline déchu, (en)terré à Copenhague, attendant de pouvoir rentrer chez lui, mais il n'a plus de chez lui : on lui a tout pris, confisqué, ses livres, son appartement, tout. Il s'en plaint abondamment à Albert, écrivain de quatrième zone totalement oublié aujourd'hui, auteur d'un obscur Gala des vaches et d'un Valsez saucisse ! sans grand intérêt, à ceci près que dans ses livres Paraz aimait à intégrer les lettres reçues de Céline. J'aurais pu m'appesantir sur l'incroyable, inouïe, faramineuse missive datée du 17 mars 1948 dans laquelle l'auteur de Bagatelles pour un massacre se considère, messianisme oblige, comme un... juif : « Vive les Youtres!». Mais je voudrais me concentrer sur ce qui m'a toujours rendu amoureux fou de Céline : son humour. Je veux dire : sa subversion. Ce laser qui, chez lui, comme chez Proust, dont il est évidemment si proche, perçoit l'humain comme personne.

Céline, quand il ne fait pas de politique, a raison sur tout, est génial sur tout, est puissant sur tout. Allons-y. En vrac (c'est tellement mieux). Le sexe : « Comme ils mouillent bichent y croyent les sapajous! En font-ils des pataquès avec leurs 3 misérables secondes de reproduction !» Franco : «Le dernier petit Hitler vivant... » Le succès : «J'aime mieux le succès des autres que les miens. Je suis l'anti-envieux » L'avenir : « L'espoir même, ça me fait dégueuler... » Les céliniens orthodoxes : «Je ne veux pas faire d'adeptes, de secte, de parti. Rien -Pas de martyrs pour moi -pas même d'inquiétés. » L'écriture (j'adore ce passage, monumental, fabuleux, tellement vrai, tout y est, tout est là, il a tout compris, tout!) : «Je n'aime pas et je n'ai jamais aimé écrire. Je trouve d'abord la posture grotesque - Ce type accroupi comme sur un chiotte en train de se presser le ciboulot d'en faire sortir ses "chères pensées" -! Quelle vanité! Quelle stupidité! Ignoble! Rien que le mot écrire me fait vomir, ce prétentieux vocable. "Il écrit" - à fesser! immonde! ».

Continuons : Cendrars : « Il n'arrivera jamais à faire tenir un livre debout. » Fofana (avec cinquante ans d'avance) : « J'ai fréquenté bien des assassins. D'une manière absolue ils ne regrettent rien s'ils ont leur photo dans le journal. » L'exil (attention, ce qui suit est éblouissant) : « La monstruosité impardonnable précisément est qu'on me tienne hors de la langue française. » Le délit d'opinion : « je voudrais avoir un "passeport animal" pour être bien certain qu'on ne s'inquiétera plus jamais de ce que je peux ou ne peux pas penser!» L'inspiration : « Si je vais "m'inspirer" comme on dit ce n'est certainement pas dans les lectures ! choses mortes ! mais dans des éléments vivants.» Ses livres : «ils ressemblent plutôt aux chansons de geste. Ils sont chansons nullement prose. Je me sers du langage parlé, je le recompose pour mon besoin - mais je le force en un rythme de chanson - je demeure toujours en danse. Je ne marche pas. » Péguy est le génie de la marche, Céline celui de la danse. Céline adore les ballets et sa femme, Lucette, est une danseuse.

Je continue mes citations : Edmond Rostand : « Il aurait moins fumé, moins coïté il aurait vécu son siècle. » Son testament (à mourir clé rire) : «À Aragon mes silences... À Triolet un poil de nez... » Les banlieues (pensons aux bandes, aux gangs, au rap) : «Les Banlieusards veulent de l'américain ni, bandent qu'à l'américain. » Je finirai en vous laissant méditer ceci, que je crois fondamental : « Le Diable sait ce qu'il fait, il est subtil, il s'attaque à la musique des peuples qu'il veut supprimer. "Ils n'auront plus de chanson ils périront". Voilà ce qu'il pense le Diable, il est pas bête. » Sollers et moi savons bien de quoi il retourne. Il ne s'agit pas de lire entre les lignes. Mais de lire. Qui saura lire?

Merci à M. Mouls.

3 commentaires:

  1. nul, indigne de lire Celine!

    RépondreSupprimer
  2. "Sollers et moi savons bien de quoi il retourne"
    La seule chose que je n'aime pas chez Céline : les céliniens.

    RépondreSupprimer