dimanche 29 août 2010

Entretien avec Raphaël Sorin

Surlering.com, 29/03/2010. Entretien avec Raphaël Sorin:

[...] On fait comment pour passer de la lecture des structuralistes à celle des Mémoires d’un fasciste?
Tout cela n’est pas contradictoire. A partir du moment où on s’intéresse. Rebatet, je l’ai lu très tôt. Les Décombres, j’ai trouvé ça hideux et fascinant. Ma mère m’avait raconté beaucoup de choses sur la guerre et l’Occupation, elle avait failli y passer. Elle a été dénoncée par un passeur comme juive. Elle m’a raconté le jour de l’exode – elle habitait rue du Cherche-Midi – elle était avec ma grand-mère – et tous les habitants de l’immeuble s’étaient barrés sans les prévenir. On les avait laissées à l’abandon – c’est aussi intéressant que La Rafle, ça. Elles on trouvé leur immeuble vide parce que les gens avaient la trouille, ils chiaient sans doute dans leur culotte. C’est pour ça que cette période m’intéresse autant. Et j’ai connu des résistants, André Thirion, Roger Pannequin… Si on veut comprendre cette période, il faut tout lire, tout comprendre. Et il y a quand même des témoins.

« Rebatet impubliable », disiez-vous sur votre blog. Aujourd’hui, qu’est-ce qui est impubliable ?
Tout est publiable, à condition de le présenter comme il faut. On va sans doute – c’est tombé dans le domaine public – rééditer Mein kampf. Je suis pour. J’ai toujours milité pour la réédition des pamphlets de Céline. Parce que quand on se démerde, quand on est malin (ou quand on a de l’argent) on achète les éditions originales ou les éditions pirates.

[...]

Le pessimisme, l’échec, la noirceur – que vous évoquez à la lecture de La Cendre aux yeux de Jean Forton par exemple – tout ça vous travaille. Vous dites aussi quelque part que vous aimez les écrits foireux…
Oui, Martinet aussi. Vous avez lu Jérôme ? Pour moi Jérôme c’est le modèle même de ce qui m’attire. Parce qu’on ne peut pas rater et foirer sa vie aussi bien. Le type qui a réussi, on s’en fout. Mais se rater à ce point et arriver à faire des livres, c’est assez admirable. Le succès, même relatif, de Martinet, d’un auteur qui avait tout contre lui, ça prouve qu’il y avait quelque chose de fort. Les livres bien propres sur eux, bien nettoyés…. Je pense à Jauffret, j’ai lu les premières pages de Sévère, qui a l’air de beaucoup plaire, ça ne m’intéresse pas, parce que c’est truqué. Jauffret a commencé par des livres plus intéressants, tordus, mais il a trouvé la manière. Et même dans la façon ridicule dont il se fait photographier avec son chapeau. C’est plus le même homme. Il est devenu écrivain. Un écrivain pour Télérama.

L’homme, finalement, en dit plus long que l’écrivain ?
Non. Les écrits comptent, évidemment. Et le chemin. Burroughs n’a pas arrêté de détruire ce qu’il avait réussi. Dans le livre d’après il faisait la même chose en pire. Et Bukowski pareil. Bukowski était intéressant pour ça. A la dernière période de sa vie il a fait des expériences littéraires étonnantes, un peu folles, mais qui prouvent qu’il ne s’est pas contenté d’être un alcoolo qui raconte ses petites coucheries avec des putes moches. Il a même essayé de mettre en scène Céline.

[...]

Propos recueillis par Pierre Poucet, pour Ring.
Le blog de Raphaël Sorin.

2 commentaires:

  1. "Tout est publiable à condition de le présenter comme il faut…" C'est comment, comme il faut ? Il ne faut rien du tout, le lecteur est assez grand pour se faire une opinion !
    La non-réédition des pamphlets de Céline que déplorent tant de céliniens, répond ne leur en déplaise à une volonté expresse de Céline qui ne voulait pas que sa veuve fût emmerdée avec ces écrits dont il estimait qu'ils avaient tous deux assez souffert. Maître Gibault est moralement inattaquable en faisant respecter cette volonté.
    Naturellement, Gallimard attend la mort de la veuve et a déjà préparé l'énorme "coup" que sera cette réédition, probablement "présentée comme il faut", et qui sera vendue "assez cher pour ne pas tomber entre toutes les mains" (annonce faite il y a quelques années déjà par l'éditeur) : la sélection des bons lecteurs par la richesse, il fallait y songer, Gallimard l'a fait !

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  2. Même si Gallimard voulait publier ces pamphlets, le pourrait-il ? Même "présentée comme il faut" ? LICRA et autres ne l'accepteraient probablement pas...

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