jeudi 31 mars 2011

Vient de paraître : D'un Céline l'autre de David Alliot

Présentation de l'éditeur
Les 200 témoignages que regroupe D’un Céline l’autre jalonnent l’itinéraire d’une vie entière : celle de l’écrivain Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), depuis sa jeunesse passage Choiseul jusqu’à sa mort à Meudon. Un portrait inédit de Céline émerge ainsi à travers le regard de ceux qui l’ont connu : famille de l’écrivain, amis intimes, admirateurs ou adversaires. La nature des témoignages est d’une grande variété : correspondances, journaux intimes, mémoires, etc. S’ils proviennent généralement de la sphère française, quelques voix étrangères résonnent : les danoises, qui dévoilent le Céline de l’exil entre 1945 à 1951, les allemandes, qui dévisagent le Céline de l’Occupation. Certains textes tiennent en une ligne, d’autres s’étendent sur plusieurs dizaines de pages. Chaque témoignage est minutieusement introduit à la compréhension du lecteur à travers un appareil critique très exhaustif : notice biographique du témoin, origine du texte, contexte dans lequel il a été écrit. Enfin, l’ensemble du livre contient des annotations de nature à éclairer certains aspects de la vie de Céline. Un tiers des témoignages est connu du grand public. Un deuxième tiers ne lui était pas accessible jusqu’ici. Le dernier tiers est totalement inédit. En effet, tantôt les témoignages ont été recueillis par l’auteur auprès des derniers témoins encore en vie, tantôt ils ont été découverts dans des archives encore inexplorées. D’un Céline l’autre est préfacé par Me François Gibault, biographe de Céline, avocat et homme de confiance de Mme Lucette Destouches, veuve de l’écrivain, qui a apporté son soutien au projet. Le livre s’accompagne également d’une biographie synthétique de la vie de Céline, écrite par David Alliot, afin de livrer quelques repères au lecteur profane. Enfin, différentes annexes (chronologie, bibliographie et deux cartes) viennent compléter le contenu du livre.

David Alliot, D'un Céline l'autre, R.Laffont, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

Le Bulletin célinien n°329 - avril 2011

Vient de paraître : Le Bulletin célinien, n° 329. Au sommaire:

Marc Laudelout : Bloc-notes
M. L. : Céline sur papier glacé
M. L. : Jean-Pierre Dauphin, pionnier de la recherche célinienne
M. L. : Les pamphlets toujours interdits ?
Jean-Paul Angelelli : Hommage à Jean José Marchand
M. L. : Céline sur tous les fronts (III)
*** : 200 témoignages sur Céline
Éric Mazet : Le témoignage de Tinou Le Vigan
A. C. : Le passé rouge de Montandon
M. L. : Céline dans « Actualité juive »
Agnès Hafez-Ergaut : Hommes, chevaux et guerre dans Casse-pipe (I)
Henri Godard nous écrit.





Un numéro de 24 pages, 6 € franco par chèque à l’ordre de M. Laudelout.

Le Bulletin célinien
B. P. 70
Gare centrale
B 1000 Bruxelles
Belgique

Céline sans fard - L'Express - 31/03/2011

D'un Céline l'autre, c'est une centaine de témoignages - inédits pour la plupart - pour une biographie polyphonique du si controversé Louis-Ferdinand Céline. L'Express en publie trois en avant-première, puisés dans la période de la collaboration. Ils éclairent le sulfureux parcours et la personnalité trouble du Dr Destouches.


[Extraits] "On est enjuivé jusqu'au trognon !"

Robert Dubard a publié, en décembre 1938, dans La France enchaînée, organe du Rassemblement antijuif de France, fondé par Darquier de Pellepoix (futur commissaire aux Affaires juives de Vichy), un article intitulé "En buvant un verre avec Céline". Il y rend compte d'une réunion du Rassemblement antijuif de France en date du 2 décembre 1938.

"Céline est venu à notre réunion du 2 décembre. Il s'est assis, anonyme, parmi la foule. Sa timidité, ou sa modestie, s'effarouche des hommages publics. Nous avons, comme il nous l'avait demandé, respecté son anonymat. Nous nous en excusons auprès de nos amis qui se trouvaient ce soir-là rue Laugier.

Après la réunion, nous nous sommes retrouvés quelques-uns au café autour de Céline.

La conversation fut d'abord générale. L'auteur de Bagatelles y apportait une note désabusée, le diagnostic du docteur "Tant Pis" qui contrastait avec le vibrant dynamisme de Darquier. - Comprenez-vous, disait Céline, quand la gangrène a gagné l'épaule, c'est "foutu". Avant on peut faire l'ablation du bras. Mais, à l'épaule, c'est trop tard. C'est là où nous en sommes. On est foutu. Le Français, c'est plus qu'un boyau. Va les voir le dimanche chez Wepler. En famille, serrés les uns contre les autres, ça sirote... Du lyrisme, ça ne se donne pas. Il faut du lyrisme pour en sortir. Les Allemands ont eu du lyrisme. La jeunesse allemande ça chante ; mais la jeunesse française... Quinze ans de médecine gratuite à Clichy, tu penses si je les connais. On est enjuivé jusqu'au trognon. Darquier s'indignait. Cela lui semblait inconcevable qu'on doutât à ce point de la France et des Français. Avec véhémence, acharné à convaincre, il assenait à grands coups les raisons d'espérer.

Céline lui répondait sur le ton doux et obstiné du désespoir : "Toi, tu as la foi...""

"Hitler est mort !"

C'est sans doute le dîner le plus délirant de l'Occupation. Si l'on est sûr du lieu - l'ambassade d'Allemagne à Paris -, la date varie selon les témoins. Est-ce 1941 ? 1943 ? Ou 1944, comme le racontera Jacques Benoist-Méchin, historien et membre de divers cabinets à Vichy, dans ses Mémoires, dont le récit ci-dessous est extrait ? Sont notamment présents ce soir-là : l'ambassadeur allemand, Otto Abetz, Drieu la Rochelle, Céline et le peintre Gen Paul."Je regarde attentivement Céline, assis devant moi à la table de l'ambassade d'Allemagne. Son visage est pâle, douloureux, presque inexpressif. Mais ses narines frémissent et je sens s'accumuler en lui une force éruptive. [...]

Et soudain il explose : Assez ! dit-il, assez ! en frappant la table de ses deux mains au point de faire vibrer les verres. J'en ai assez d'écouter vos conneries ! Vous n'y êtes pas du tout... Vous croyez faire les malins, vous vous triturez les méninges autour d'une table bien servie, tandis que le monde s'écroule... Ma parole, vous avez une taie nacrée sur les yeux, du plomb dans les oreilles. Si vous construisez quarante mille avions, les Américains en construiront deux cent mille. Si vous construisez cent mille chars, ils en construiront un million. A vos armes secrètes, ils opposeront des armes plus secrètes et plus meurtrières encore. Vous n'y pouvez rien : ils sont la masse et la fonction de la masse est de tout écraser. Pendant ce temps, sournoisement, vous nous cachez l'essentiel. Pourquoi ne nous dites-vous pas qu'Hitler est mort ?

- Hitler est mort ? s'exclame Abetz en écarquillant les yeux.

- Vous le savez aussi bien que nous ! Seulement, vous ne pouvez pas le dire. Mais on n'a pas besoin d'être ambassadeur pour le savoir : ça crève les yeux ! Les juifs l'ont remplacé par un des leurs !

[...] Abetz, Drieu et moi en avons le souffle coupé. Nous connaissions l'audace de Céline. Mais nous ne pensions jamais qu'il pût la pousser aussi loin. Maintenant qu'il est lancé, où s'arrêtera-t-il ? Dire que l'ambassadeur nous avait invités à passer avec lui un agréable moment de détente !

- Je vous dis que c'est plus le même homme, poursuit Céline. On l'a changé du tout au tout. On a mis un autre à sa place. Regardez-le ! Chacun de ses gestes, chacune de ses décisions sont faits pour assurer le triomphe des Juifs. Alors, faut être logique ! Les Juifs ont réussi un coup fumant, la plus grande mystification de l'Histoire ! Ils ont fait disparaître Hitler dans une trappe et l'ont remplacé par un type à eux. Remarquez qu'il se montre de moins en moins en public. C'est pour qu'on ne s'aperçoive pas de la différence. C'est idiot, d'ailleurs. Personne n'est plus facile à imiter. Mon ami Gen Paul, ici présent, l'imite à merveille. N'est-ce pas, Gégène, que tu l'imites bien ? Il est marrant quand il fait ça ! Il lui suffit d'une pincée de scaferlati [tabac] qu'il se colle sous les narines, pour remplacer la moustache. Allons, mon bon Gégène, te fais pas prier ! Ici on est entre copains. Montre-nous comme tu sais bien faire ton petit Hitler...

Gégène hésite un peu. Mais il finit par s'exécuter. Il sort une blague à tabac de sa poche, en tire une pincée de scaferlati, la malaxe entre trois doigts et la place sous son nez. Puis, d'un geste brusque, il se rabat une mèche de cheveux en travers du front, prend une pose napoléonienne (une main dans le dos, l'autre dans l'entrebâillement de son gilet), roule des yeux furibonds et dit d'une voix gutturale :

- Raou, raou, raou, raous !

Il ressemble étonnamment à Hitler. Aussi à Charlot, à Groucho Marx et à Félix le Chat. Abetz ne sait plus quoi faire. Mais il est pris, comme nous tous, d'une irrésistible envie de rire. [...] Abetz est sur des charbons ardents. Son chauffeur est entré dans la pièce.

- Vous allez reconduire M. Céline chez lui, 4, rue Girardon, lui dit l'ambassadeur. Mais roulez très doucement, car il est souffrant. Vous repasserez chez lui demain pour lui apporter quelques fruits et prendre de ses nouvelles..."

"Ne craignez rien de ma part !"

En 1950, le romancier Roger Vailland écrit un article retentissant intitulé "Nous n'épargnerions plus Louis-Ferdinand Céline", dans lequel il disait ses regrets de n'avoir pas assassiné le romancier pendant la guerre. Vailland appartenait en effet à un réseau de résistants qui se retrouvaient chez Robert Chamfleury, dont l'appartement, rue Girardon, à Montmartre, était situé juste sous celui de l'auteur de Mort à crédit. En 1958, Chamfleury revient sur cette période dans une lettre adressée à Céline.

"Je suis pleinement d'accord avec vous quand vous affirmez que vous étiez parfaitement au courant de nos activités clandestines durant l'occupation allemande et qui consistaient en : répartition de cartes d'alimentation (contrefaites à Londres) et de frais de séjour, attribution de logements aux évadés et parachutés, indications de filières pour le passage des frontières et lignes de démarcation, acheminement du courrier, lieu d'émission et de réception radio avec Londres, lieu de réunion du Conseil national de la résistance, etc.

Tout cela supposait évidemment des allées et venues dans mon appartement situé exactement au-dessous du vôtre et qui ne pouvaient pas passer complètement inaperçues ni de vous ni des autres voisins.

Je me souviens très bien qu'un soir vous m'avez dit très franchement : "Vous en faites pas Chamfleury, je sais à peu près tout ce que vous faites, vous et votre femme, mais ne craignez rien de ma part, je vous en donne ma parole... et même, si je peux vous aider... !"

Il y avait un tel accent de franchise dans votre affirmation que je me suis trouvé absolument rassuré.

Mieux, un certain jour, je suis venu frapper à votre porte, accompagné d'un résistant qui avait été torturé par la Gestapo. Vous m'avez ouvert, vous avez examiné la main meurtrie de mon compagnon et, sans poser une seule question, vous avez fait le pansement qu'il convenait, en ayant parfaitement deviné l'origine de la blessure.

Vous restez un des derniers "grands" écrivains et l'un des derniers individualistes en même temps qu'un homme propre et courageux auquel je suis heureux de rendre hommage.

R. Chamfleury"


David Alliot, D'un Céline l'autre, R.Laffont, 2011.

Céline en guerre - L'Express - 31/03/2011

En pleine polémique sur la commémoration du cinquantenaire de sa mort, l'auteur de Voyage au bout de la nuit resurgit dans un ouvrage monumental, rassemblant les centaines de témoignages de gens qui l'ont connu.

Voilà un pavé qui vaut toutes les commémorations officielles ! Près de 1 200 pages, qui rassemblent tout ce qui a pu être dit ou écrit par des témoins directs à propos de Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline. De son premier bulletin à la communale - "vaniteux au-delà du possible" - au récit de ses obsèques secrètes - "enterré plus pauvrement qu'un concierge", écrit Rebatet -, ces centaines de témoignages, pour une large part inédits ou introuvables, dressent un portrait kaléidoscopique et passionnant du plus sulfureux de nos romanciers. Pour donner une petite idée de l'effet puissant qu'exerçait Céline sur ceux qui le croisaient, citons le professeur américain, Milton Hindus, qui écrit, dévasté, dans son Journal après quelques jours passés au côté de l'écrivain en son exil danois : "Il m'a rendu aussi fou que lui. J'ai contracté un tic nerveux de la paupière et j'ai de bizarres tiraillements aux muscles de la jambe."

Maître d'oeuvre de cette biographie polyphonique, David Alliot, grand défricheur célinien, a retrouvé - et parfois recueilli lui-même - le témoignage d'anciens de 14, de patients du docteur Destouches, de son vétérinaire (!), mais aussi des rapports des Renseignements généraux, d'obscures publications médicales, des articles rares racontant les dessous du prix Goncourt 1932 (qui échappa de peu à Voyage), ainsi que les pages d'une pléiade d'amis célèbres : Arletty, Marcel Aymé, Robert Denoël, et même Lucette Destouches, la fidèle épouse, qui vient de fêter ses 98 ans et habite toujours le célèbre pavillon de Meudon, où l'écrivain s'est éteint le 1er juillet 1961... Le lecteur y découvrira aussi, entre mille autres faits, dans quelles circonstances Céline a rencontré Jean Moulin, Mata Hari ou William Burroughs.

Alors que la polémique sur l'opportunité de célébrer ou non le romancier à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa mort est à peine éteinte, L'Express a choisi de présenter en avant-première trois témoignages portant sur son attitude durant l'Occupation. On y découvre Céline tel qu'il fut : antisémite et ami du Reich, assurément ; collaborateur, peut-être pas ; fou, sans doute. Mais de cette folie très particulière qui produit les chefs-d'oeuvre.

Jérôme DUPUIS
L'Express, 31/03/2011.


David Alliot, D'un Céline l'autre, R.Laffont, 2011.
Commande possible sur Amazon.fr.

mercredi 30 mars 2011

Louis-Ferdinand Céline : "que vous êtes triste une fois pour toutes…"

A propos des craquements d’immeubles, j’ai passé par des naufrages, j’ai entendu des craquements de soutes, quand tout déboulonne, quand les membrures cèdent… eh bien c’est que des murmures, croyez, auprès d’un immeuble qui broye ! qu’est en position comme le nôtre !… à flanc de volcan ! l’impression sinistre ! on attend pas d’une maison qu’elle houle en tempête… elle est pas faite pour… les ruptures des rampes, les toits qui fendent, les balcons qui pendent, les briques en pluie, c’est de l’accablement qu’on sort plus, que vous voulez plus rester vivre… c’est de la souffrance de la matière que vous vous pensez coupable, que vous oubliez plus jamais, que vous êtes triste une fois pour toutes…

Louis-Ferdinand Céline, Féerie pour une autre fois II, 1952. (Pléiade p.314)

lundi 28 mars 2011

Une vente aux enchères dédiée à Louis-Ferdinand Céline (suite)

En complément de notre précédent message.

A l’occasion des 50 ans de la mort de l’écrivain, la maison Néret-Minet & Tessier proposera le 17 juin près de 250 livres et lettres ainsi que des illustrations de Mort à crédit par Gen Paul.

Une vente aux enchères consacrée à Louis-Ferdinand Céline proposera le 17 juin à Drouot Richelieu près de 250 pièces, dont plusieurs éditions originales issues de plusieurs collections. C’est la maison Néret-Minet & Tessier qui l’organise à l'occasion des 50 ans de sa mort, rapporte l’AFP. Parmi ces œuvres, se trouve une édition originale de Mort à crédit de 1936 (Denoël et Steel), l'un des 22 exemplaires de tête sur Japon impérial hors commerce non expurgés, estimé entre 60 000 et 80 000 euros. Une version originale de Voyage au bout de la nuit de 1932 (Denoël et Steel) est estimée pour sa part de 10 000 à 12 000 euros.? Un autre exemplaire de ce titre comporte un envoi manuscrit au cinéaste Abel Gance, "A mon ami Abel Gance, fidèle dans un voyage autour de tout. Bien affectueusement", estimé de 1 300 à 1 500 euros.

Seront également proposés un jeu complet de 15 illustrations de l'édition de Mort à crédit de 1942 par Gen Paul, estimé de 2 000 à 3 000 euros ou encore La quinine en thérapeutique, seul ouvrage de médecine publié par Louis-Ferdinand Céline en dehors de sa thèse, estimé de 800 à 1 000 euros.

Un ensemble de 37 lettres écrites par l’écrivain durant son exil à la fin de la guerre à Baden-Baden, Sigmaringen et au Danemark au journaliste suisse Paul Bonny, est également mis mis en vente, ainsi qu’une de ses lettres au romancier Lucien Descaves, écrite de Berlin en 1932, où il le remercie pour son soutien au Goncourt pour Voyage au bout de la nuit.

LivreHebdo.fr, 28/03/2011.

Des images inédites de Céline en juillet sur Arte ?

Le Figaro.fr annonce des images inédites de Louis-Ferdinand Céline dans un documentaire réalisé à la façon d'un procès et prévue à la diffusion le 4 juillet prochain sur Arte:

Pour le 50e anniversaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline, Arte diffusera, le 4 juillet, un documentaire sur l'auteur de Voyage au bout de la nuit, réalisé par Antoine de Meaux et Alain Moreau. Ce dernier est un spécialiste. Il s'était déjà intéressé à l'auteur maudit pour la collection Un siècle d'écrivains. Il a réussi à convaincre Arno Klarsfeld de témoigner sur l'intellectuel antisémite. À retenir aussi, des images inédites de film amateur prises par des voisins, à l'époque où le romancier s'était retiré dans la maison de Meudon - où avait vécu également Eugène Labiche...

http://tvmag.lefigaro.fr

Louis-Ferdinand Céline - Lettre à Robert Massin - 1947

[...] Le Français gavé de bassesse ne croit plus que ce qui est bas – vil – déshonorant. Il a le goût irrémédiable du faux, fausse vertu, faux patriotisme, faux honneur, fausse intelligence, fausses guerres, fausses grèves et heureusement je crois fausse révolution… C’est un velléitaire définitif. On a trop décimé son cheptel, trop tué de mâles – remplacés par des équivoques, des planqués, des larves… ou des fous…

Votre bien amical
LF Céline

Louis-Ferdinand Céline, lettre à Robert Massin du 28 novembre 1947.

Louis-Ferdinand Céline par Decrouzol (II)

Les écrits de Céline aux enchères

Echo dans la presse quotidienne gratuite de la vente aux enchères organisée par la maison Néret-Minet & Tessier en juin prochain à l'occasion du cinquantenaire de la mort de Céline. Une vente annoncée en décembre 2010 dans Le Petit Célinien n°77.

Une vente aux enchères consacrée à Louis-Ferdinand Céline proposera le 17 juin à Drouot-Richelieu près de 250 pièces, dont plusieurs éditions originales de Voyage au bout de la nuit, a-t-on appris hier. La maison Néret-Minet & Tessier organise cette vente, à l’occasion des cinquante ans de la mort de l’écrivain.


Direct Matin n°854 du lundi 28 mars 2011.

La citation du jour

La citation du jour du site du Figaro est de... Louis-Ferdinand Céline :

"La merde a de l'avenir. Vous verrez qu'un jour on en fera des discours."

www.lefigaro.fr

dimanche 27 mars 2011

Soirée Céline à Paris le 21 avril 2011

La librairie «Équipages», organise une soirée «Céline», le jeudi 21 avril 2011 à partir de 20h30. Seront présents, David Alliot, pour son «D'un Céline l'autre» (Robert Laffont), et Mikaël Hirsch pour «Le Réprouvé» (L'Éditeur).

Librairie Équipages
61, rue de Bagnolet
75020‎ Paris
M° Alexandre Dumas

Louis-Ferdinand Céline par Decrouzol (I)

Huile sur chassis sur toile de lin, 65cm x 50cm, 2011.

Un zappeur à zapper par Eric Mazet (3/3)

Les deux premières parties de cet article sont à lire ici.

J’ignore tout de Martin. Sauf qu’il préfère le “je” ouvert de Montaigne au “je” terroriste de Céline, et qu’on se demande ce qu’il pense du “je” de Voltaire, du “je” de Chateaubriand, du “je” de Rimbaud. J’ignore tout du “je” de Martin, sauf qu’il n’a rien compris à la loi du lyrisme, puisqu’il reproche à Céline d’abuser d’un “je” terroriste (p.66) ! Martin connaît bien peu la biographie de Céline puisqu’il traite Céline de paranoïaque (p.68), oubliant que Céline, dès le 3 octobre 1936, dès Mort à crédit, était menacé de mort dans Le Merle blanc. J’ignore tout de Martin(p.70), sauf qu’il s’encolère aujourd’hui sur “le massacre de trois cents Algériens à Paris en 1961”. Il aurait pu avoir une pensée pour les civils français tués le 26 mars 1962 à Alger, au Plateau des Glières, par des soldats arabes aux ordres d’officiers français. Mais Martin a une colère sélective. Sarajevo ou Siegmaringen lui évoquent le nom de tristes camps nazis, Budapest ou Katyn ne lui rappellent aucun goulag soviétique. Martin manie le marteau piqueur à défaut du marteau-faucille: lecture étroite, sélective, bornée, malhonnête. Obsédé par sa propre idéologie, Martin ne voit chez Céline que de l’idéologie. Rien d’autre. Céline pour lui est un politicien, et non un écrivain. Il ne peut donc le mettre sur le même plan que Rabelais, Proust et Kafka, oubliant que Rabelais a pris position pour le gallicanisme, Proust pour Dreyfus, et Kafka contre les procès truqués, et que ce serait réduire leur génie que de les lire seulement sous un angle politique.
Martin préfère les écrits de Primo Levi, pour son “savoir existentiel”, à l’œuvre de Céline (p.77). J’ai lu Si c’est un homme que Primo Levi publia en janvier 1947 au retour du camp de Auschwitz où il fut interné en 1944 . Comparer Céline à Levi, c’est comparer Villon à Camus. Ce sont deux planètes différentes. Levi se veut objectif, impartial, scrupuleux. Il témoigne sans colère sur l’horreur d’un camp, se veut parfois poétique même et humoristique, dénonce la mécanique d’une idéologie, l’atrocité d’un système, la mort-vie d’hommes sans noms devenus matricules. C’est un témoignage. Céline est écrivain lyrique, en rupture de toutes conventions, qui lance un pamphlet volontairement énorme, féroce, contre le Front Populaire, avec Bagatelles, ou contre la guerre, le capitalisme, la misère avec Voyage, pour que les hommes de la classe 14 ne redeviennent pas des matricules en 40, pour qu’ils ne soient pas gazés dans les tranchées ou ensevelis dans la boue des Flandres. Levi s’adresse au raisonnement et à la sensibilité, Céline vise l’émotion et la poésie. Levi décrit les conséquences ultimes de la guerre dans un camp, l’esclavage absolu, où les maîtres délèguent leur pouvoir absolu à des valets. Céline veut dénoncer les responsables de la guerre, les maîtres occultes, ou se lance dans la fresque d’un pays en flammes et sous les bombes. Deux genres, deux tons, deux buts différents.
Notons au passage que Levi , même s’ il en fait des Élus, des saints et des martyrs, s’en prend à un moment, comme Céline, aux “prominents juifs”, “intouchables, haïssables, tyranniques” qui ont pouvoir sur les autres esclaves: “Les prominents juifs constituent un phénomène aussi triste que révélateur. Les souffrances passées, présentes et ataviques s’unissent en eux à la tradition et au culte de la xénophobie pour en faire des monstres asociaux et dénués de toute sensibilité” (Éditions Pocket, p.97). Chez Céline, point d’Elus. Après tout Céline a écrit pour ceux que Levi et les “prominents” appellent “les musulmans”, c’est à dire les faibles, les inadaptés, “les non-hommes en qui l’étincelle divine s’est éteinte” (p.96). Céline n’a jamais fait l’apologie du plus fort. Martin se garde bien de citer L’Hommage à Zola où Céline dénonce tous les états totalitaires.

Dans son appendice à Si c’est un homme, qui date de 1976, Levi est net dans son engagement politique: “Les camps soviétiques n’en demeurent pas moins de déplorables exemples d’illégalité et d’inhumanité. Ils n’ont rien à voir avec le socialisme soviétique; sans doute faut-il y voir une subsistance barbare de l’absolutisme tsariste, dont les gouvernements soviétiques n’ont pas su ou pas voulu se libérer. Quand on lit les Souvenirs de la maison des morts, écrits par Dostoïevski en 1862, on y reconnaît sans peine, dans ses grandes lignes, l’univers concentrationnaire décrit cent ans plus tard par Soljenitsyne. Mais il est possible, facile même, d’imaginer un socialisme sans camps, comme il a du reste été réalisé dans plusieurs endroits du monde. Un nazisme sans Léger n’est pas concevable” (p. 203). Opinion partisane que des millions de Russes ne partagent pas. Entre un camp soviétique et un camp allemand, Céline ne faisait pas différence. Sans doute pour cela, Céline ne fut conduit au cimetière de Meudon que par une petit groupe d’amis, la plupart anonymes, tandis que Primo Levi fut accompagné au cimetière par la délégation du Comité central du Parti communiste.
Martin adore Bach et Monk, c’est un musicologue. Joyce, Michaux, Proust, Perec, Duras, Pinget, Saraute et Simon (p.82) lui offrent de la vraie, de la pure, de la grande musique. Pas Céline ! Martin entend plus de paroles de haine que de musique dans Rigodon où il entend “au pire une fanfare militaire, au mieux un opéra Wagnérien - souvent un disque rayé”(p.85). Joyce en anglais, moi je veux bien, Proust, bien évidemment. Mais la musique du nouveau roman, celle de Duras, à côté de Céline, c’est du pipo chinois à deux trous. Préférer l’harmonica de Perec au grand piano de Céline, c’est préférer n’importe quel joueur de piano-bar à Thélonius Monk. Chacun ses goûts. Question d’oreille. Il y a des passages que je saute dans Bagatelles, et ce sont justement ceux, ai-je appris, qui ne sont pas de la main, du style même de Céline ! Mais pour Martin, la “lecture esthétique de Céline est une lecture d’allégeance et d’inféodation au système célinien”. Et il ajoute en note: “je ne parle pas ici des inconditionnels de Céline, antisémites notoires et déclarés, qui à la faveur de la réhabilitation littéraire, souhaitent une réhabilitation politique”. Martin ne donne malheureusement aucun nom. Je ne connais aucun célinien qui souhaite une réhabilitation politique de Céline, étant donné qu’il a toujours méprisé la politique, défendu l’individu contre les sectes et les clans, les partis et les lobbies. C’est le fil d’Ariane entre Semmelweis, L’Eglise, Mea Culpa, Hommage à Zola et la suite pour ceux qui n’auraient pas compris Voyage au bout de la nuit. S’il est descendu un moment dans l’arène politique, ce fut pour crier au danger, quand on offrait les spectateurs au Minotaure au nom d’ idéologies. Céline n’a jamais attendu d’un système politique quelconque le bonheur des individus.
Doit-on vouer Rousseau, Hugo, Vallès, aux gémonies sous prétexte que les responsables du Goulag les donnaient à enseigner dans leurs écoles ? Faut-il être catholique et intégriste pour admirer la prose de Léon Bloy, franc-maçon et anti-curé pour apprécier les contes de Voltaire, royaliste et mystique pour lire les romans de Balzac ? Le fanatisme ordinaire du lecteur en littérature, c’est quand il assigne une mission politique à la littérature. Les franquistes ne pourraient-ils aimer Picasso, et les républicains admirer Dali ? Martin reproche aux livres de Céline d’être “fermés” , de ne pas laisser la parole au lecteur. Est-ce que Guernica est une “peinture ouverte” ou seulement une peinture communiste ? Quand je regarde Guernica de Picasso, je ne pense pas tant aux martyrs de ce village, mais à tous les malheureux qui eurent à subir un bombardement. Je ne limite pas le génie de Picasso au bombardement d’un village, aux nazis, à une date, un lieu. Picasso n’est pas le peintre du Souvenir, mais de tous les Souvenirs, sinon il n’est pas le génie que l’on dit. On peut regarder Guernica en pensant à Dresde ou Hiroshima, à tous les bombardements à venir. L’histoire ne commence pas en 1933 et ne s’achève pas en 1945. Que les avions fussent rouges ou noirs, Picasso a peint l’horreur, le malheur de tous les civils innocents. Les descriptions de bombardements dans Féerie ou dans la trilogie offrent au lecteur le même sentiment universel. Que les civils soient parisiens ou allemands, ce sont avant tout des victimes.
Martin lit de travers. Son antiracisme l’aveugle au point de ne voir que racisme chez Céline, et ne ne pas comprendre que l’enjeu esthétique l’a poussé au délire politique. Le facteur noir qui culbute la bonne ne fait pas rire Martin. Il ne nous fait pas rire davantage. C’est la métaphore du verlan et du rap qui culbutent la chanson française. Quand Céline lance goguenard “Mon mémorial sera au bachot”, Martin traduit littéralement: “Son mémorial: aux victimes de Sigmaringen” (p.99). C’est nier contre l’évidence que dans la trilogie allemande, une fois de plus, Céline se moque de l’homo politicus à chaque page. Martin dévoile son jeu, sa bêtise, et sa haine, quand il résume sa position (p. 116) . Pour lui, défendre Céline c’est “dire “l’émotion” pour la xénophobie; le “style” pour la rhétorique du “martyr collabo”, la “petite musique” pour la vocifération”. Martin traduit le poétique et célinien “au commencement était l’émotion” par un vulgaire et actuel “chacun dit ce qu’il ressent” (p.128). C’est dire la bassesse de son niveau de lecture. Toutes distorsions accomplies, en dernier argument, Martin recourt et revient, avec autant d’insistance que d’uchronisme, à la comparaison Céline - Le Pen - Hitler (p.131) Il y avait d’autres moyens de se moquer des pirouettes, triple axels, contorsions des Kristeva, Sollers, Zagdanski. Amateur de Céline = électeur de Le Pen = nostalgique d’Hitler ! Quelle salade russe ! Amateur d’Aragon = électeur du Da Hue = nostalgique de Staline ? On n’en sortira donc jamais ?
On retourne avec Martin dans le manichéisme des Isvestia des années trente. Une marche encore plus bas quelques pages plus loin, et Martin nous dit préférer le comique de Guy Bedos à celui de Céline(p.156). Martin s’inquiète de voir Céline fêté tous les ans par un livre. Rassurons-le. Céline est beaucoup moins lu que Camus. Il n’a pas de station de métro à son nom comme le camarade Aragon, ni de lycée comme Simone Signoret, ni de rue à Meudon ou de plaque à Montmartre, et pas le moindre cul de sac à Courbevoie non plus. Céline reste un auteur maudit. Les optimistes se satisferont des scénarios et préchi-précha ronronnants. L’argot a disparu au profit du verlan. La langue française a raté une renaissance. Contre Céline ? “N’importe quoi contre Céline ! “ La phrase date de l’Occupation. Rien de très nouveau du côté de Martin.

Eric MAZET
Le Bulletin célinien n° 176, mai 1997, pp. 13-22.

samedi 26 mars 2011

Un zappeur à zapper par Eric Mazet (2/3)

La première partie de cet article est à lire ici.

Point de nuances chez notre Martin. Aucune ambivalence. Des remarques juxtaposées, des citations superposées, dont le fil conducteur est le dénigrement. Page 11, Martin prétend avoir remarqué qu’ “au fil des livres, la bonté ostentatoire du médecin des pauvres se répartit avec constance” : “les enfants, les animaux, le petit chat, les petits vieux”. C’est ne pas avoir lu Semmelweis, Voyage , Mort à crédit où déjà les enfants malades, les chevaux comme les chiens, les vieux souffrants, tiennent une place privilégiée. Mais Céline, après guerre, chercherait à occulter “sa méchanceté” (p.12) , et Martin retrouve cette compassion pour les êtres faibles chez les électeurs de Le Pen ! Faut-il éclater de rire devant une telle mauvaise foi ou tomber les bras devant de tels rapprochements? Martin prend ses lecteurs pour des ânes. Baudelaire, qui aimait les chats et les vieilles, et qui se méfiait du commerce américain, écrivait-il pour les lepénistes qui seraient bien coupables d’aimer lire ses poèmes? Si tous les supporters de Le Pen appréciaient le génie lyrique et comique de Céline, ce seraient des électeurs bien différents des autres politicards de gauche et de droite. ou D’un château l’autreRigodon sont tout de même plus libérateurs que Télérama ou Libération. A moins de préférer la politique à la littérature, la prose journalistique à la poésie lyrique.
Martin voulait écrire un essai sur l’oralité dans le roman français du XXe siècle. Au lieu de débuter par le grand initiateur, il commença par les épigones. Plus rien ne nous étonne quand on sait que Martin compare Sarraute et Duras, Queneau et Pinget, dans leur apport de l’oralité dans la prose romanesque (p.16), à la langue de Céline qui cherche plus l’émotion poétique naturelle que la simple transcription du langage parlé. Encore un petit professeur qui confond le langage oral et la langue émotive. Céline ne se sert du langage parlé que pour exprimer le langage intérieur de l’homme. Rien a voir avec les vannes de bistrot ou les jeux intellectuels. Comparer les exercices de style d’un Michaux ou d’un Perec, au lyrisme de Voyage au bout de la nuit , c’est n’avoir pas compris grand chose au génie de Céline, surtout quand on n’a vu dans ce roman qu’un “romantisme noir” (p.17), et qu’on passe à côté de son génie comique que tous les grands lecteurs de l’époque avaient salué. Martin nous dit que le Voyage l’a “envoûté”. Ce n’est pas une excuse pour faire de Céline le “gourou” d’une secte brune, et de ses autres oeuvres des châteaux à désenvoûter.
M. Martin a un gourou: c’est Philippe Almeras. Il l’avoue, page 19, le coucou ! Car Martin ne dit rien de plus qu’Almeras. C’est du condensé en moins bien: sans inédits, superficiel, et plus brouillon. En dépit de la basse continue du “racisme biologique” qu’il entendait au fond de toutes les musiques céliniennes et qui le rendait sourd aux airs plus élevés et entraînants, Almeras, tout de même, a joui pendant quelques trente ans de la musique célinienne, y compris dans ses plus obscures et profondes abysses, même si le jeu du procureur l’amusait plus que celui d’admirateur. Ce n’est pas le cas de Martin qui préfère Claude Simon, Nathalie Sarraute et Georges Perec à Céline, leur “littérature qui ne racole pas” , leur “voyage qui emporte loin des ascendances petites-bourgeoises antisémites et racistes” (p.20). C’est avoir une lecture quelque peu réductrice du Voyage et du reste, une lecture qui sent le discours de parti politique. C’est braire contre Céline à la manière de Gorki qui, dès 1934, devant les écrivains communistes, dénonçait Bardamu comme petit bourgeois, fasciste et décadent. Faut-il rappeler à Martin que l’idéologie qui prêcha la “lutte des classes”, qui déporta en Sibérie les malheureux qui n’avaient d’autre tort que d'être nés “petits bourgeois”, fit plus de morts au siècle dernier que toute autre idéologie ? Ce que les Martin ne pardonnent pas à Céline, c’est que ses livres ridiculisent toutes les idéologies, aussi bien la démocrate que la fasciste, la franc-maçonne que la communiste. Céline ne plaçait pas dans la politique le remède à la souffrance des hommes, mais dans l’humilité esthétique, la musique personnelle, le théâtre intime, la poésie de l’âme.

De la révolution célinienne qu’il considère tout de même comme une “innovation remarquable”, Martin ne voit qu’”une impasse du roman”, “une défaite de la littérature” (p.21). On a déjà dû dire cela de Beethoven, de Rimbaud, de Cézanne. “La voix de Céline (...) symbolise les lamentables errements d’une voix d’écrivain qui se prend au mot, qui se dit porteuse d’une vérité, qui s’identifie à une voix incarnée”(p.22). On a déjà dû dire cela de Rousseau, de Chateaubriand, de Hugo... Mais Martin d’essayer de définir le genre littéraire du roman, alors que c’est le genre le plus libre de forme qui soit, pour en exclure Céline et interdire à son oeuvre toute comparaison au poème en la limitant au genre du pamphlet. Le professeur Martin en est resté aux étiquettes pour écoliers en mal de définitions. Et de s’en prendre à Henri Godard qui avait souligné “le plurivocalisme” des romans où des personnages -comme Clodovitz dans Guignol’s band par son caractère sympathique - échappent en pleine Occupation allemande à ce que certains attendaient après les pamphlets d’avant-guerre.
Professeur Y comme Professeur “youpin” subodore Martin qui ne manque pas d’idées de suite (p.15). Il aurait pu aller plus loin. Le nom de résistant de cet imaginaire gallimardeux anonyme est “colonel Réséda”. Comme le réséda qu’Aragon oppose à la rose ? Plutôt le “réséda des teinturiers” ou “l’herbe-aux-juifs”? Mais cette malice dans le titre même d’Entretiens renoue avec les idées esthétiques exposées dans Bagatelles pour un massacre et non avec les idées politiques que Céline assimile à “la colère” au début de ces mêmes Entretiens. Quand Céline s’en prend à Racine en le traitant de Juif, ce n’est pas du racisme biologique, mais une métaphore esthétique: c’est rejeter un sentimentalisme factice au nom d’une émotion plus profonde et vitale. Et l’ Y peut se comprendre également comme une référence à la culture gréco-latine, celle des sorbonagres, ceux qui jouent du “yo-yo” en littérature, ceux auxquels le “professeur X” eût suggéré “xénophile”, ou le “professeur Z” eût évoqué un “zélote”.
Dans la série monotone des allusions malveillantes, Martin appelle “fuite en Allemagne”(p.27), le refus de Céline d’être assassiné par un commando obscur en juin 44, et la tentative de gagner Copenhague où il avait des amis et de l’argent. Que Céline évoque Le Vigan, Cousteau et Laval dans sa trilogie allemande, c’est “au mépris du lecteur des années 90” pour Martin, les jeunes gens d’aujourd’hui “n’étant pas familiers des milieux de la collaboration”. Faut-il être familier de l’entourage de Froissart ou de Joinville pour goûter leurs chroniques, avoir vécu en Chine pour lire Les Conquérants, connaître les “Emanglons” pour voyager en “Grande Carabagne” ? Plus d’un jeune lecteur des années 65 a découvert D’un château l’autre sans avoir entendu parler de Sigmaringen, sans savoir qui était Rebatet, sans avoir entendu parler de von Raumnitz. Même si les connaissances historiques peuvent doubler le plaisir, le génie lyrique et comique de Céline ne tient pas à l’Histoire, mais à ce qu’il en fait un monde fabuleux. On se demande ce que Martin peut apprécier dans Swift, à moins qu’il ne croie à l’existence des Lilliputiens. C’est “l’interprétation de l’Histoire” qui fait peur à Martin (p.41). Sans doute pour lui n’y a t-il qu’une seule Histoire, la sienne et celle des siens. Mais Voltaire dans Candide interprète lui aussi l’Histoire, et Chateaubriand dans ses Mémoires, et Michelet, et tant d’illustres écrivains et historiens, dont nous n’épousons pas forcément toutes les idées. Alors, pourquoi ce reproche à Céline qui est un conteur. On ne demande pas au conteur de l’exactitude, mais un ton, un verbe, une magie...
Parce qu’à partir de L’Eglise, pour Martin, toute l’oeuvre de Céline est raciste. Pas au sens esthétique, historique, dans l’esprit d’Elie Faure. Mais seulement au sens biologique et politique, comme l’a répété Alméras, ce que personne ne contestera, mais ce qui est par trop simplificateur. Pour Martin, Céline n’est qu’un écrivain “engagé” dans la pire des idéologies. C’est n’avoir pas compris que toute l’oeuvre de Céline, depuis Semmelweis, jusqu’à Bagatelles et Rigodon, dénonce justement toutes les idéologies. Mais d’ après Martin, Céline lui-même déclare que Rigodon est un livre “engagé” (p.44), une dernière salve noire d’idéologie et exhibe comme preuve absolue la phrase où l’écrivain déclare : “791 pages... ouf ! ... assez ?... voyez-vous ! j ’étais “engagé” bel et bien... il s’agissait d’en finir...” Martin ne connaît qu’un seul engagement, celui de la politique. A la page 923 de l’édition sur papier bible qui irrite tant notre Martin, chaque lecteur pourra constater que l’engagement dont parle ici Céline est celui qui le lie, non pas à Hitler ou Pétain, mais par contrat à son éditeur, à Achille Brottin, donc à Gallimard, pour terminer son livre et honorer les sommes avancées.
L’exactitude des citations n’embarrasse pas Martin pour lequel Céline n’a jamais d’idées sur les peines et les joies, sur l’alchimique individuation des hommes au cours de leur existence, sur la vie et la mort. “Céline a-t-il vraiment des idées” s’interroge faussement Martin, répondant aussitôt qu’”il n’en eut jamais qu’une: le racisme biologique” (p.62). C’est déjà réduire l’oeuvre aux seuls pamphlets politiques, et dans ceux-ci ôter les chapitres sur la Russie, la littérature, l’éducation, les ballets. Mieux ! Pour Martin, que les anachronies n’embarrassent pas, ces “pamphlets nazis préfiguraient la solution finale” (p.58). A la soutenance de thèse de Tettamanzi sur les pamphlets, Serge Klarsfeld, pourtant peu enclin à une indulgence complice, avait reconnu que les pamphlets, dans leur expression, n’étaient jamais homicides. Au mépris de toute honnêteté, au mépris du lecteur néophyte, Martin, lui va jusqu’à prétendre que Céline a écrit qu’il fallait “saigner le juif” (p. 112), ne donnant aucune référence à cette insoutenable, inexcusable injonction homicide.
Était-ce dans Les Beaux Draps, pamphlet datant de février 41, des premiers discours de Pétain sur la collaboration et d’ avant la rupture du pacte germano-soviétique? Dans L’Ecole des cadavres, datant de 1938, des accords de Munich ? Dans Bagatelles pour un massacre, le pamphlet dirigé contre le Front populaire, mais que tant d’images atroces ont rendu peu lisible aujourd’hui? Je cherche et trouve dans cet ouvrage composé en 1937 dans la colère d’un pacifiste refusant une seconde guerre, page 319, cette hypothèse extrême, désespérée, ultime, en réponse à la question piège de Gustin Sabayot: “- Alors tu veux tuer tous les Juifs? “ - “Je trouve qu’ils hésitent pas beaucoup quand il s’agit de leurs ambitions (10 millions rien qu’en Russie)... S’il faut des veaux dans l’Aventure, qu’on saigne les Juifs! Si je les paume avec leurs charades, en train de me pousser sur les lignes, je les buterai tous et sans férir et jusqu’au dernier! C’est la réciproque de l’Homme”. D’une hypothèse exécrée, maudite, dénoncée dans tout le livre, Martin fait une injonction, un joyeux projet, un souhait abject. C’est aussi malhonnête que de lire à l’envers le titre de ce pamphlet pacifiste.
Sous le gouvernement de Léon Blum, en plein triomphe d’une révolution, celle de l’alliance des socialistes et des communistes, Céline s’en était pris aux bellicistes anglais et américains, à certains intellectuels, commerçants ou idéologues qui poussaient à un conflit européen contre le fascisme pour le triomphe du capitalisme ou du communisme et non pour sauver les Juifs allemands auxquels les gouvernements français, américains et anglais avaient toujours refusé leur aide avant-guerre. En s’en prenant au triomphe de Blum, Céline s’en était pris à une gauche qui promettait le Paradis en s’acheminant vers la guerre en comptant sur l’alliance de la Soviétie où les droits de l’homme n’étaient guère plus respectés qu’en Hitlerie. Qu’ils fussent de la rive gauche ou droite du Rhin, Céline voulut alerter les anciens de 14 pour qu’ils ne s’affrontent pas une deuxième fois, à se gazer dans les tranchées avant de signer la paix, et d’écrire des centaines de livres sur les atrocités de la guerre. Céline prévoyait la défaite de la France, où tous seraient perdants, et dont les grands vainqueurs seraient les Russes et les Chinois. L’historien amateur ou militant, donneur de leçons qui se pose en martyr ou en saint, peut condamner l’ angoisse d’une génération, et ne juger l’Histoire qu’à sa ligne d’arrivée, dans les fanfares de ses victoires, cinquante ans après la bataille. Martin est de ceux-là.

On revient avec lui à ces procès de moralité qu’on pouvait croire dépassés depuis belle lurette. Doit-on célébrer Voltaire pour son engagement lors de l’Affaire Callas, l’exclure du Panthéon pour son antisémitisme, ou doit-on simplement admirer son génie d’écrivain ? Si Dreyfus avait été coupable, le génie de Zola en serait-il moins grand, à cause de J’accuse ? Les Belges devraient-ils nier le génie de Baudelaire pour les avoir agressés avec tant de violence? Dois-je trouver détestable les poèmes d’Aragon parce qu’il a fait l’éloge de Staline et qu’on pourrait retrouver dans sa poésie l’éloge du communisme ? Comparer Salman Rushdie à Céline est inepte. Céline était un homme seul. Sans parti derrière, ni devant, sans lobby. Avant comme après Bagatelles. Jean Prévost et René Lalou, Emile Henriot, dès le Voyage dénièrent tout génie à Céline, de même dès Mort à crédit Beauvoir, Léautaud, Brasillach. Exactement comme Martin aujourd’hui.
Il y a de tout chez les céliniens: des personnes raffinées, des gens peu cultivés, des Juifs, des pas juifs, des anarchistes, des vrais, des faux, des partisans de la Résistance, des égarés de la Collaboration, des nostalgiques de Staline et des fourvoyés d’Hitler; des gens très simples qui y trouvent un langage, une poésie, un comique, une philosophie; des jeunes et des vieux “qui se la jouent et qui s’y croient” en alimentant leur paranoïa honteuse; des thésardes qui s’offusquent au seul nom du Bulletin célinien et parlent de Céline comme d’une partouze à confesse; des carriéristes qui s’étiquettent et se brassardent, des sorbonnards qui se signent ou se croisent, des esprits libres de toute idéologie, de sinistres cons de tous les partis.

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Eric MAZET

Le Bulletin célinien n° 176, mai 1997, pp. 13-22.

vendredi 25 mars 2011

Un zappeur à zapper par Eric Mazet (1/3)

Je suis assez d’avis qu’une Oeuvre se défend toute seule et qu’elle résiste aux critiques et aux dénigrements si elle est humaine par conséquent émouvante et lyrique
(Jehan Rictus, Lettres à Annie, 15 oct 1911)

Quand il fait si beau temps dehors, s’asseoir, écrire, pour répondre à quel nain de jardin ? Céline se défend bien tout seul. Les lecteurs du Bulletin célinien ont lu, liront bien d’autres phillipiques. Reste à écrire pour le jeune professeur que la première lecture de Rigodon désorienta et qui crut comprendre pourquoi en lisant le Contre Céline de Martin. Lui dire qu’il y a mieux à lire que ce pamphlet d’arrière combat. Que le Céline Scandale de Godard est plus sérieux et profond. Contre Céline, c’est rétrograde. C’est déjà mieux que du Bounan, moins bien que du Crapez. Martin fait son Kaminski, fait le malin, fait ce qu’il peut, mais ce n’est pas sérieux. La trilogie allemande de Céline en Pléiade date de 1974, et Martin a mis vingt-trois ans pour s’en offusquer. Rigodon est pour lui aussi “raciste et fachiste” que Bagatelles . Les chercheurs, thésards, critiques seraient envoûtés par une petite musique dont les seules paroles seraient le refrain du racisme biologique. Les amateurs ou passionnés de Céline seraient donc tous des racistes inconscients ou déclarés. On zappe dans les citations, on soupçonne le lecteur, on l’accuse de noirceur, on le menace d’élimination. Gilles Tordjman a osé l’écrire, dans Les Inrockuptibles, après la lecture du Bounan. C’est le rockeur qui défie Beethoven, le taggeur qui insulte Picasso. La sous-culture a ses autodafés où elle se consume la première.
Jean-Pierre Martin est déjà plus malin. Au nom de Robert Antelme, de Primo Levi et de Charlotte Delbo, il s’en prend à Julia Kristeva, Philippe Murray, Stéphane Zagdansky, et à tous les admirateurs de l’écrivain qui oublieraient à la lecture de Voyage, Bagatelles ou Rigodon les atrocités commises dans les camps nazis. C’est la technique du collage chère aux surréalistes: superposer des images en créant un rapport ludique. Martin aime Henri Michaux, lui a consacré un livre. Moi aussi j’ai aimé Plume, ce frère cocasse et fragile, ses astuces, avatars et blessures, au temps où les jeux intellectuels suffisaient à mon plaisir. A vingt ans et quelques, j’ai tout lu, tout aimé de Michaux, y compris ses écrits sur les drogues, sans pour autant verser dans la toxicomanie. Et puis j’ai rencontré un autre malheureux, Ferdinand Bardamu, un gaillard non moins drôle, plus humain et souffrant, qui, lui, parlait du mal de vivre, avec émotion, en médecin, sans jouer sur les mots. Et j’ai tout lu, tout aimé de Céline, y compris les pamphlets politiques, sans pour autant verser dans sa véhémence, épouser ses emportements. Michaux a-t-il poussé à la drogue, à la mort, certains de ses lecteurs, à décrire les effets de la drogue ? La question demeure sans réponse. L’écrivain est-il responsable de tous lecteurs qui se réclament de lui? On ne saura pas davantage si Céline poussa des lecteurs à la violence, au nom de ses écrits politiques, lui qui écrivait pour qu’il n’y ait pas de Seconde guerre, qu’il n’y ait ni massacres ni cadavres.

C’est une chance que de pouvoir apprécier des écrivains aussi différents, opposés dans leurs idées politiques que Céline ou Genet , Rictus et Hugo, Voltaire et Rousseau. Faut-il être catholique, intégriste, pour ouvrir le Journal de Bloy ? Faut-il bouffer de la mescaline et du nicobion pour se lancer dans Les Grandes Épreuves de Michaux ? Faut-il être enragé, hébertien, hitlérien, anarchiste pour écouter les grandes orgues de Céline? Ou au contraire être sourd pour n’entendre au fond de sa musique que l’horrible orchestration de Treblinka, et non la danse macabre de tout notre vingtième siècle? Martin n’aime pas le Céline des pamphlets politiques. C’est son droit. Mais ne voir en Céline qu’un écrivain politique et passer à côté du message esthétique, ou c’est ne pas savoir lire ou faire preuve de mauvaise foi. C’est surfer d’une citation l’autre, zapper d’un chapitre à l’autre. Faire du plus grand écrivain du siècle l’auteur d’un feuilleton politique. Martin se présente habillé d’humanités, déclare Céline anti-humaniste, donc n’aime pas Céline, et soupçonne tout célinien de crime contre l’humanité. C’est logique et c’est con: c’est idéologique. Martin en crève de voir honorer Céline en papier bible, de lui voir consacrer quatre volumes en Pléiade.
On aurait pu croire qu’en cette fin de XXe siècle les fins lettrés seraient devenus plus sages, moins fanatiques, moins lourds, plus nuancés, plus libres. Il n’en n’est rien. La critique marxiste pèse toujours autant, colle toujours autant d’étiquettes, de brassards infamants, a toujours la même lecture sélective, morale, politique. Certains continuent à ne lire en Zola que le réalisme, passant à côté des passages lyriques ou comiques, d’autres à ne lire en Sade que le pornocrate en évitant le libertaire, chez Baudelaire l’opiomane en oubliant le mystique. Marcel Aymé a dénoncé “l’homo rationalis” dans Le Confort intellectuel, le lecteur prisonnier de ses livres d’Histoire, des théories philosophiques, des idéologies politiques et sociales, incapable de tout lyrisme, inapte à toute émotion. Martin me rappelle les catholiques qui ne peuvent rire avec Voltaire, les athées qui ne veulent pas lire Léon Bloy, les machos que Genet fait vomir, les rationalistes qui méprisent Baudelaire, les républicains qui rejettent Chateaubriand, les égalitaires qui traitent Nietzsche de facho. Martin rejoint Jean Madiran, le directeur du journal Présent, qui déclarait hier: “Ce n’est pas la lecture de Céline qui ranimera en France l’esprit de sacrifice, l’honneur de servir, l’amour de la patrie, la foi en Dieu”. Même sac d’avoine !

Tenter de “remonter le Niagara des conneries à la nage” comme Céline en dissuadait Paraz? La première page de Martin contient déjà trois erreurs. Détails pour un non-célinien comme Martin, mais significatifs de sa mauvaise foi. Martin voit Céline “au début de l’année 1960”, “déjà presque béatifié” (p.9). C’est oublier la conspiration du silence dans une grande partie de la presse à l’encontre de Céline, les diffamations constantes sur une prétendue accointance avec Vichy, le mépris avec lequel on le réduisait dans les manuels scolaires dans la catégorie “écrivain populiste, ordurier et antisémite”. . . Jacques Darribehaude, se présente à Céline comme un “pur sang aryen” d’après Martin: d’Arribehaude, natif du sud-ouest, plutôt “narbonnoïde” , et engagé volontaire dans les Forces françaises libres à 17 ans ! Bigre ! Martin eut-il autant de titres de gloire pour railler ce “jeune disciple” ?... Il n’eut certainement jamais autant de liberté d’esprit que d’Arribehaude... Céline aujourd’hui “objet d’un culte intégriste et dévot” ? Martin n’a pas dû lire les Actes des colloques céliniens publiés depuis 1975 par la Société des études céliniennes. Nulle dévotion, nul fanatisme. Bien au contraire. Prudence, critique. Y furent applaudis bien des Willy Szafran, et des Alice Kaplan qui ne ménageaient pas Céline. Philippe Alméras participa à quatre colloques avec succès. Il y a de tout chez les céliniens. Que Martin se rassure. La plupart des thésards céliniens éprouvent une forte aversion pour l’auteur de Voyage , se déclarent carrément hostiles en préambule, et n’étudient sa littérature qu’avec beaucoup de précautions. Certains n’avoueront jamais leur honteuse jouissance à l’écoute de la fameuse musique. Mais tous reconnaissent que,” malgré sa bêtise, malgré sa laideur”, le monstre était un génie.

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Eric MAZET
Le Bulletin célinien n° 176, mai 1997, pp. 13-22.

mercredi 23 mars 2011

Louis-Ferdinand Céline : "voilà l'astuce..."

Mais, non, satané damné vieux con, ce n’est pas de grossièreté qu’il s’agit, mais de transposition du langage parlé en écrit !
Vous dire merde, ce n’est rien… Vous botter le cul pas grand-chose… mais faire passer tout ceci en écrit, voilà l’astuce… l’impressionnisme !
Ah ! que vous êtes loin du problème. Allez, signez des listes noires ! des proscriptions, mouchardez ! fliquez ! bourriquez ! Vous n’êtes bon qu’à ça !

Louis-Ferdinand Céline, lettre à André Billy du 22 octobre 1947.

Céline réagit à un article d’André Billy, publié dans le Figaro littéraire le 11 octobre 1947, où le critique écrit : « Ce qui est simple mode, c’ est la crudité d’expression qui, d’ailleurs, ne nous est pas venue d’Amérique, mais d’un certain Louis-Ferdinand Céline, aujourd’hui bien oublié. » Le nom d’André Billy (1882-1971) n’apparaît pas parmi les signataires de la première liste noire du C.N.E. (Note Pléiade p.1840)

mardi 22 mars 2011

Conférence Louis-Ferdinand Céline vendredi 25 mars 2011 à Montréal

Ce vendredi 25 mars 2011 de 13h à 16h sera organisé une conférence sur Louis-Ferdinand Céline à l'Université de Montréal.

Conférenciers :

Claudia Bouliane (Université McGill) : «D’attroupements en révolutions : les rassemblements dans Mort à crédit»

Bernabé Wesley (Université de Montréal) : «Nord de L.-F. Céline : une réécriture des chroniques médiévales»


Université de Montréal
3200, rue Jean-Brillant
Pavillon Maximilien-Caron
Salle A-2411

www.site.sociocritique-crist.org

41 000 euros pour un livre de Louis-Ferdinand Céline

Voyage au bout de la nuit a été adjugé par maître Frédéric Brossat 4 200 euros et Mort à crédit 41 000 euros lors de la vente du 19 mars 2011 à Saint-Etienne. Ce dernier comportait notamment une aquarelle de Gen Paul et un autographe de Céline dédié à un historien lyonnais. Les 2 ouvrages ont été achetés par 2 professionnels du livre, basés sur Paris.

lundi 21 mars 2011

Céline, le médecin invivable par Jean-Yves Nau

Voici un article de Jean-Yves Nau paru dans la Revue médicale Suisse des 23 février et 2 mars 2011. Vous pouvez télécharger l'article (format pdf) ici et . Merci à MF pour la communication de ce texte.

Quelques belles âmes plumitives (tricolores et souvent germanopratines) n’en finissent pas d’en découdre post mortem (c’est sacrément plus facile) avec les écrits du Dr Louis-Ferdinand Destouches ? Combien de temps encore se nourriront-elles de ce Céline, prénom emprunté à la mère de sa mère ? On tient régulièrement l’homme carbonisé. Et voici qu’il ne cesse de resurgir à l’air libre.

Dernière actualité le concernant dans une France où, décidément, les responsables gouvernementaux ne manquent aucune occasion de prêter leurs flancs aux fouets médiatiques : ces responsables entendaient «célébrer» l’œuvre du Dr Destouches. Aussitôt dit, aussitôt fait : tombereaux d’injures et rappels à l’essentiel… résurgence des vieux démons eugénistes ; démons comme toujours aussitôt confrontés aux génies de la créativité littéraire.

Céline ? On n’en sortira décidément jamais. «Célébrer» Céline ? Autant jeter des poignées de gros sel sur des milliers de plaies qui jamais ne cicatriseront. «Célébrer» ce docteur en médecine, écrivain de folie aux échos planétaires ? Qui ne voit là une erreur, une faute majeure, commise par le ministre français actuel de la Culture (Frédéric Mitterrand) ? C’est donc ainsi : on ne peut décidément pas laisser l’homme et son œuvre en paix. Et sans doute est-ce tant mieux.

Nous voici donc, une nouvelle fois, avec sur le marbre Louis-Ferdinand et la célébration contestée de sa naissance et de sa mort, de sa vie et de son œuvre. Célébrer Céline ? Il importe avant tout, ici, de se reporter aux écrits de l’un de ceux qui ont su l’autopsier au plus juste. Ainsi Henri Godard, dans les colonnes du Monde : «Doit-on, peut-on, célébrer Céline ? Les objections sont trop évidentes. Il a été l’homme d’un antisémitisme virulent qui, s’il n’était pas meurtrier, était d’une extrême violence verbale. Mais il est aussi l’auteur d’une œuvre romanesque dont il est devenu commun de dire qu’avec celle de Proust elle domine le roman français de la première moitié du XXe siècle (…) quatre volumes dans la Bibliothèque de la Pléiade)». Henri Godard : «Céline n’a réalisé que tard son désir d’écriture, publiant à 38 ans sous ce pseudonyme son premier roman, Voyage au bout de la nuit. Rien dans son milieu ne l’y prédestinait. Fils unique d’une mère qui tenait un petit commerce et d’un père employé subalterne dans une compagnie d’assurances, ses parents lui avaient fait quitter l’école après le certificat d’études. Le dur apprentissage de la vie dans la condition de commis au temps de la Belle Epoque joint à des lectures d’autodidacte n’avaient pas conduit Louis Destouches plus loin qu’un engagement de trois ans dans la cavalerie lorsque, en août 1914, la guerre vient bouleverser sa vie et les projets d’avenir de ses parents.»

Et Henri Godard de résumer à l’essentiel : une expérience du front qui ne dure que trois mois pour s’achever sur un fait d’héroïsme soldé par quelques sérieuses blessures. Puis l’homme en quête d’expérience sur trois continents. Puis l’homme, médecin dans un dispensaire de la région parisienne ; médecin qui entreprend «en trois ans de travail nocturne, de dire dans un roman qui ne ressemblera à aucun autre ce que la vie lui a appris». «Le livre fait l’effet d’une bombe. Il atteint des dizaines de milliers de lecteurs, les uns horrifiés de sa brutalité, les autres y trouvant exprimée, avec soulagement si ce n’est un sentiment de vengeance, la révolte qu’ils ne savaient pas toujours enfouie au plus profond d’eux-mêmes» écrit encore M. Godard.

La suite est connue, que nous rapporte ce légiste : «Du jour au lendemain écrivain reconnu, Céline met pourtant quatre ans à écrire un second roman, Mort à crédit, dans lequel il approfondit les intuitions que lui avait procurées le premier. Mais l’accueil est une déception. Ce semi-échec, joint à la découverte des réalités de l’URSS pendant l’été de 1936, cristallisa des sentiments peu à peu renforcés au cours des années précédentes, mais jusqu’alors encore sans virulence. L’année suivante, avec l’aggravation de la menace de guerre, dont il imputait la responsabilité aux juifs, Céline devint dans Bagatelles pour un massacre la voix la plus tonitruante de l’antisémitisme. Dans un second pamphlet, en 1938, il va jusqu’à prôner, toujours sur fond d’antisémitisme, une alliance avec Hitler. Après ces deux livres, il ne pouvait, la guerre venue, que se retrouver du côté des vainqueurs. Mais sa personnalité incontrôlable fait que les lettres qu’il envoie, pour qu’ils les publient, aux journaux collaborationnistes y détonnent tantôt par leurs critiques, tantôt par leurs outrances. Il se tient soigneusement à l’écart de la collaboration officielle.»

La suite, à bien des égards désastreuse, est peut-être moins connue. Question : quelle peut bien être la nature des liens entre des «exercices nocturnes» d’écriture et la pratique diurne de la médecine ; une médecine dans le sang et l’encre de laquelle cet invivable médecin n’a jamais cessé de puiser ?

Infâmes ou sublimes, les écrits du Dr Louis Ferdinand Destouches (1894-1961) n’ont rien perdu de leurs sombres éclats. A peine veut-on, un demi-siècle après sa mort, réanimer sa mémoire sous les ors de la République française que l’abcès, aussitôt, se collecte (Revue médicale suisse du 23 février). Céline revient, seul, comme toujours. Céline est là, à l’air libre ; Céline n’en finissant pas d’user de son invention, tatouée sur papier bible : ses trois points d’une infinie suspension. Trois points reliant au final Rabelais à Destouches, le rire joyeux au sarcastique, le corps jouissant au souffrant, la plume salvatrice à celle du désespoir radical.

Tout ou presque a été écrit sur Céline, sur son génie et ses possibles dimensions pathologiques. Les écrits sont plus rares pour ce qui est de l’intimité, chez lui, des rapports entre la pratique de l’écriture et celle de la médecine. C’est sans doute que l’affaire n’est pas des plus simples qui commence avec cette thèse hors du commun que Louis Ferdinand Destouches soutient en 1924 : La Vie et l’œuvre d’Ignace Philippe Semmelweis. Elle se poursuit avec la publication, l’année suivante de son seul ouvrage médical La quinine en thérapeutique édité par Douin et signé Docteur Louis Destouches (de Paris). Il y aura encore, en 1928, quelques articles dans La Presse médicale où il vante les méthodes de l’industriel américain Henry Ford et propose de créer des médecins-policiers d’entreprise, «vaste police médicale et sanitaire» chargée de convaincre les ouvriers «que la plupart des malades peuvent travailler» et que «l’assuré doit travailler le plus possible avec le moins d’interruption possible pour cause de maladie». Il n’est pas interdit d’avancer ici l’hypothèse de l’ironie. On a ajouté qu’il fut aussi, un moment, concepteur de documents publicitaires pour des spécialités pharmaceutiques.

Puis vint le Voyage au bout de la nuit (1932) rédigé en trois ans de travail nocturne ; puis le reste de l’œuvre, unique, immense objet de toutes les violences, de toutes les interprétations. Quelle part y a la médecine ? Sans doute majeure si l’on s’en tient à la place accordée aux corps irrémédiablement en souffrance. «Il s’agit de faire dire au corps ses ultimes révélations, tout comme on le souhaitait dans l’expérience clinique, écrit Philippe Destruel, docteur en littérature dans le remarquable dossier que Le Magazine Littéraire (daté de février) consacre à l’auteur maudit. La maladie va ponctuer le voyage initiatique du narrateur célinien, celui de la nuit, de la déchéance. La vérité de la maladie appelle une réponse que le médecin n’obtiendra jamais. Il devient alors non pas celui qui guérit, mais celui qui fait de l’affection morbide un processus d’accès à la conscience de la vie humaine, de l’abandon au monde, de la misère. Le médecin de l’écriture abandonne le masque social du démiurge malgré lui pour mêler la douleur de l’autre à l’imaginaire de l’écrivain.»

Dans le même dossier du Magazine Littéraire, Philippe Roussin (Centre de recherche sur les arts et le langage, Ecole des hautes études en sciences sociales) observe que, persuadé de son talent, Céline faisait prévaloir son statut de médecin de banlieue parisienne sur celui d’écrivain ; une manière d’affirmer un ancrage populaire et d’afficher son mépris pour les cercles littéraires. C’est ainsi, nous dit Philippe Roussin, qu’après la sortie du Voyage Céline accorda ses premiers entretiens à la presse (entre octobre 1932 et avril 1933) au dispensaire municipal de Clichy où il donnait des consultations. Les photographies le montrent alors en blouse blanche, entouré du personnel du dispensaire ; jamais à une table d’écrivain.

«Il adressait à des jurés du prix Goncourt des lettres sur papier à en-tête des services municipaux d’hygiène de la ville de Clichy, souligne Philippe Roussin. Un de ses premiers soutiens à l’Action française, Léon Daudet, écrivait du Voyage que "ce livre est celui d’un médecin, et d’un médecin de la banlieue de Paris où souffre et passe toute la clinique de la rue, de l’atelier, du taudis, de l’usine et du ruisseau".» Les choses s’inversèrent lorsqu’il lui fallut, après 1945, répondre de ses pamphlets antisémites. Le médecin se réclama alors l’écrivain, seule stratégie de défense pouvant avoir une chance de succès : on pardonne plus aisément à celui qui écrit qu’à celui qui agit. Et l’on sait jusqu’où, à cette époque, purent aller certains médecins.

Retour en France ; et en 1952 Féerie pour une autre fois, roman au centre duquel un narrateur est présenté comme «médecin assermenté», «médecin, anatomiste, hygiéniste», un «saint Vincent» écoutant «les plaintes de partout». Jusqu’à sa mort l’homme ne fut pas avare en entretiens. Autant d’occasions offertes de faire la part entre l’identité littéraire et l’identité médicale. Il déclarait, en octobre 1954 : «J’ai un don pour la littérature, mais pas de vocation pour elle. Ma seule vocation, c’est la médecine, pas la littérature.» Et encore : «Je ne suis pas un écrivain (...). Il m’est arrivé d’écrire ce qui me passait par la tête mais je ne veux être qu’un simple médecin de banlieue.» Ce qu’il fut, aussi.

Jean-Yves NAU
Revue Médicale Suisse, 23 février et 2 mars 2011

Photos : 1- Thèse de Doctorat de médecine de Céline
2-Philippe Ignace Semmelweis

Théâtre : "ça a débuté comme ça" - Du 29 mars au 2 avril 2011 à Toulouse

Ce spectacle, déjà présenté en 2010, revient sur les planches du théâtre du Pont-Neuf à Toulouse du 29 mars au 2 avril.

Bardamu engagé en 14/18 par enthousiasme, découvre l'absurdité totale de la guerre. La peur au ventre, la seule question qui le taraude désormais est : comment sortir de cet abattoir international en folie. Du front à l'arrière, les pérégrinations tragi-comiques de Bardamu retracent les débuts cocasses du roman; les débuts de ses déboires dans la guerre, dans l'amour, dans la folie et dans le grand théâtre de la vie. "Ça a débuté comme ça" le voyage.

"Pour que dans le cerveau d'un couillon fasse un tour, il faut qu'il lui arrive beaucoup de choses et des bien cruelles."

C’est ce roman qui a révélé Céline, sa révolte anarchisante et son style argotique et gouailleur, vigoureusement rythmé. Avec une faconde et une truculence inconnues depuis Rabelais, Céline crie sa haine du monde moderne, monde absurde, monde gâté, où l’on n’aperçoit pas le bout de la nuit. Cette oeuvre selon les mots d’Henri Godard « s’adresse aux hommes », outre son inventivité langagière, elle fait appel en eux, à un sens du tragique et à leur pouvoir, pouvoir qui leur est propre et qui est de trouver la force d’en rire.

Du mardi au jeudi à 19h30
Vendredi et samedi à 21h

THÉÂTRE DU PONT NEUF
8 Place Arzac 31300 Toulouse
Métro : Saint-Cyprien-République

Merci de confirmer votre présence au 05 62 21 51 78

Louis-Ferdinand Céline par Borislav Prangov

http://boris-prangov-art.eu/

Le siècle de Gallimard par Pierre Assouline

Attendez vous à lire et à entendre beaucoup de bien de la maison Gallimard dans les mois à venir. Non que le respect dû à une centenaire en ses jours anniversaire fût de nature à annihiler tout esprit critique. C’est simplement que les établissements Nrf ont acquis avec le temps le statut de lieu de mémoire et que le projet littéraire qui en était à l’origine relève désormais du patrimoine national. Ce qui n’est pas une mince victoire pour une entreprise strictement privée, familiale et dynastique qui a réussi à ne jamais dévier de la ligne éditoriale que lui avait assignée son fondateur, Gaston Gallimard, disparu en 1975.

« Je ne suis pas un commerçant comme un autre, j’ai passé un pacte avec l’esprit ». Ainsi disait-il, conscient de s’exprimer comme tout éditeur pourrait le faire. Ou plutôt : devrait le faire. Colloques et publications vont classiquement la célébrer à l’occasion de son premier centenaire. L’exposition qui ouvre ses portes demain à la BnF donne le coup d’envoi des festivités; et son catalogue vaut le détour car il présente des facs-similés de correspondances et de rapports au comité de lecture que les Archives maison ne montrent guère aux chercheurs. Mais en se lançant dans la réalisation d’un documentaire sur l’histoire de la Maison (sur Arte ce lundi 21 mars à 22h10), William Karel ne pouvait en faire autant. La geste de la Nouvelle revue française à travers l’Histoire contemporaine des Lettres et des idées n’a guère été filmée, et pour cause : il n’y avait rien à filmer. Il a donc pris le parti de ressusciter l’ininterrompue conversation épistolaire qui lia non seulement ses membres fondateurs (Gide, Copeau, Ruyters, Drouin, Schlumberger) mais également ses piliers (Rivière, Paulhan, Arland) ainsi que ses innombrables ambassadeurs (Claudel, Sartre, Camus, Malraux, Aragon, Bataille, Genet…). On voit par là que cette histoire de famille autour des Gallimard&Fils se double de l’histoire d’une famille d’esprit, des écrivains qui s’aiment, se jalousent ou se détestent, mais s’accordent à peu près autour d’une certaine idée de la littérature symbolisée par le mythique monogramme Nrf. Milan Kundera dit de cette aventure éditoriale qu’elle est unique non seulement en Europe mais au monde. A croire que Gallimard participe de notre exception culturelle. D’où vient que la fameuse couverture blanche, qui tire plutôt sur l’ivoire désormais, continue d’exercer un attrait magique aux yeux de nombre de romanciers et d’intellectuels, et que certains se damneraient pour paraître dans cette livrée ? Probablement d’une certaine stabilité familiale, malgré les turbulences successorales. Cette continuité a permis la constitution d’un fonds littéraire unique, où les profits d’Harry Potter permettent de maintenir à flot d’exigeantes collections publiées à perte, comme autrefois le succès de Kessel tendait la main à l’insuccès de Blanchot, et la popularité de Simenon faisait la courte échelle à l’effacement de Michaux. Paternalistes, les Gallimard comprennent difficilement que leur fidélité ne soit pas réciproque ; d’autant que le plus souvent, elle l’est. De Larbaud à Modiano, de Jouhandeau à Le Clézio, en passant par Faulkner, Vargas Llosa et des milliers d’autres, ils n’ont guère fait d’écart sinon de circonstance. Des moments d’égarement. Car qui y est admis est vite persuadé par l’esprit des lieux que l’on n’y entre pas pour publier un livre mais, dans la mesure du possible, pour y construire une œuvre. Faut-il être fier pour avoir un tel souci de la pérennité ! Rien de tout cela n’aurait été possible si l’homme à qui les pères fondateurs avaient confié la gestion du gallimard comptoir d’édition de leur austère revue, n’avait eu un sens aigu de la durée. Il n’est pas de décision éditoriale et littéraire qu’il n’ait prise sans la replacer aussitôt dans une vision à long tterme. Sans cet orgueil, qui lui fit le plus souvent projeter ses livres et ses auteurs dans la perspective floue d’un avenir incertain plutôt que dans les « coups » assurés d’un présent plus excitant, le catalogue Gallimard ne serait pas. Le génie de Gaston 1er fut de se donner et de leur donner à tous les moyens de cet orgueil en préservant contre les aléas de l’Histoire une certaine idée du livre.

Pierre ASSOULINE
http://passouline.blog.lemonde.fr, 21/03/2011