Louis-Ferdinand Céline a écrit et vécu à Montmartre mais aucune plaque ne le rappelle. Une conséquence de ses propos sulfureux avant la période de l’occupation. Il n'empêche que l'une des oeuvres majeures de la littérature du XXème a été écrite à l'ombre des moulins, entre rue Lepic et rue Girardon.
Cité des Brouillards à Montmartre…Dans cette ruelle à l’allure mystérieuse où Gérard de Nerval a connu les affres de la dépression, Louis Ferdinand Céline a bien failli se faire assassiner. L’endroit est un lieu idéal pour un tournage de cinéma. On pourrait y commencer un film sur l’occupation. Mais qui veut la mort de Céline ? A cette époque l’écrivain qui a déjà publié « Voyage au bout de la nuit » (écrit dans sa majeure partie au 92 de la rue Lepic) alors qu’il vivait avec la danseuse américaine Elizabeth Craig, va s’installer au 4 rue Girardon avec sa nouvelle compagne, autre danseuse, Lucette Almanzor, et Bébert son chat . Pendant l’occupation, il vit là, au cinquième étage d’un trois pièces au mobilier rustique entouré de massifs meubles bretons.
Quand il habite au 4 de la rue Girardon Céline n’est plus le docteur des pauvres qui rédigeait jusqu’à trois heures du mat ‘ pendant que l’ « impératrice » Miss Craig allait danser à Pigalle avec son copain de jeunesse Marcel. C’est un notable qui fréquente les « figures » de Montmartre : le peintre Gen Paul, l’homme aux deux passions (la peinture et la boisson) volontiers séducteur qui lui présente Marcel Aymé voisin de quelques mètres au 26 rue Norvins. Chaque dimanche matin se joignent à eux le comédien le Vigan (le Christ de Golgotha de Duvivier), acteur surdoué capable d’incarner une « chaise » mais à la réputation de « fêlé » qui n’aurait jamais laissé passer la lumière. L’acteur habite à deux pas, rue Simon Dereure. Il y a aussi Ralph Soupault le dessinateur au verbe haut et à la mauvaise réputation. qui illustrera plusieurs fois les habitués du banc « Junot ». A l’heure de l’apéritif la petite bande se retrouve au Taureau ou au Maquis, un bistrot tenu par une ancienne actrice du muet et où venait jadis Poulbot…Céline plutôt taciturne interroge avec intérêt d’Esparbès, un spécialiste de l’histoire napoléonienne. Il raconte son voyage en Russie et ses conséquences, il moque l’anar Gen Paul quand il se vante d’accrocher sa patère (il était unijambiste) au clou avant de lutiner ses conquêtes au premier étage de son atelier. De temps à autre on prend un verre à l ‘Assommoir ou au « Rêve » un bistrot sur la rue Caulaincourt tenue par Pomme la patronne et son mari bon vivant. L’ascète Céline (il ne boit pas une goutte) parle peu, écoute, se nourrit des potins en médecin de quartier ou prolonge des débats linguistiques sur l’argot populaire qu’il transcendera dans ses romans. Sauvage, timide, Céline est toujours prêt à rendre service sur le plan médical. Quand il revient du dispensaire en moto, les passants de l’Avenue Junot regardent amusés le docteur Destouches et ses « ficelles ». A cause de sa blessure au bras (Céline a été médaillé en 14), il accroche autour de son cou tous ses objets(gants , serviettes, manuscrits etc.) avec des bouts de ficelle… pour ne rien perdre. Il participe aussi à cette époque aux réunions du Cercle Européen ou à des conférences qui lui vaudront à la libération d’avoir « L’article 75 au cul », bref d’être accusé de collaboration.
Ironie du sort : se réunit clandestinement à l’étage inférieur de l’immeuble où il habite, un réseau de résistance dirigée par une femme, Suzanne Champfleury. Dans ce réseau, un jeune normalien qui va devenir un écrivain célèbre, Roger Vailland, commence la rédaction du « Grand Jeu » une de ses œuvres les plus connues. Vaillant connaît Céline ou plus précisément son œuvre et ses pamphlets récents publiés juste avant 40. Pour l’étudiant communiste, pas de doutes. Céline a la fibre antisémite, il fréquente et reçoit à son domicile des collabos. Il a déjà livré « Bagatelles pour un massacre », un texte d’une violence antisémite radicale, une « éjaculation précoce » dira plus tard Philippe Murray, un déchaînement verbal et excrémentiel analyseront les psychanalystes .Rien à voir avec le génie de ses livres précédents. Indigne et évidemment non négociable ...
Le jeune résistant songe à envoyer une grenade par la fenêtre lorsque le petit groupe est réuni au cinquième. Mais le réseau dirigé par la propriétaire du 4ème, Suzanne Champfleury serait « brûlé ». Alors on pense à la mitraillette. Mieux vaut tirer dans le tas dès que l’occasion se présentera. A l’extérieur.
Le lieu du crime a même été arrêté par la bande hétéroclite composée de jeunots de Normal Sup et de petites frappes. Les alentours du square Junot (désormais Square Suzanne Buisson), à l’endroit même où trône aujourd’hui la statue de Dalida ! Pourtant, le débat s’éternise. « C’est tout de même un grand écrivain » avancent ceux qui ont lu le « Voyage », une « révolution littéraire » adoré par…Trotsky en personne ! objectent d’autres. Alors faut-il ou non abattre l’écrivain ? On renonce. A la libération Céline sera même lavé du soupçon de dénonciation qui pesait sur le réseau dont il connaissait parfaitement l’existence. Le mari de Suzanne donnera une toute autre version des faits que celle de Vaillant.La période montmartroise de Céline a aussi inspiré certains de ses romans. C’est le cas de l’incroyable Normance (rédigé pendant l’exil) où il évoque dans un style halluciné le bombardement allié d’avril 44. L’écrivain observe les avions alliés depuis sa fenêtre et décrit une « apocalypse » . Normance (en fait la deuxième partie de « Féérie ») est sans doute le roman le plus incroyable de Céline. L'action est quasiment nulle et tout ne tient que par le style. Les personnages de ce roman sont ses amis montmartrois ! Au premier rang Jules, peintre cul-de-jatte et alcoolique évidemment Gen Paul. Dans un délire hallucinatoire au milieu des bombes, l’auteur insulte l’infirme juché sur le moulin de la Galette pendant près de 400 pages …
On connaît le différend qui opposa Céline à Gen Paul et la dispute légendaire avant l’exil, à l’angle de la rue Norvins et de l’avenue Junot. Une brouille devrait –on dire- une petite crise de jalousie à cause de Lucette- et qui généra un ouvrage littéraire considérable-on dirait aujourd’hui expérimental ou underground- dans lequel GenPaul comparé au Diable et baptisé Golo golo subit les foudres de la verve célinienne. Peu après ces bombardements, le couple par peur des représailles quitte un matin de juin 44 le numéro 4 de la rue Girardon pour un exil de plusieurs années au Danemark. Mireille Mac Orlan (l’épouse d’un autre voisin prestigieux) vint les embrasser avant ce départ.Une plaque évoque la mémoire de Marcel Aymé (aujourd’hui épargné de ses contributions à la presse collaborationniste), une autre commémore l’artiste Gen Paul. Céline lui, est resté tabou. Devant le 4 de la rue Girardon ou devant le 92 rue Lepic, rien ne signale l’existence de l’écrivain du Voyage. Rien n’évoque la période trouble de la collaboration. Encore récemment, la Mairie s’opposait à toute forme de commémoration par une plaque de l’ écrivain pourtant au programme de l’agrégation, considéré comme un des plus importants pour l’histoire de la littérature et dont les romans sont considérés comme des œuvres capitales
Rien n’interdirait pourtant de mentionner sur cette plaque ses erreurs .
Jean-Laurent POLI
LePost.fr, 18/06/2011
Article paru dans la revue Paris Montmartre n°1383 2ème trimestre 2011.
vraiment un excellent article...Montmartre fut vraiment un endroit hors du commun , frequenté par de sacrés ..monstres sacrés...mention particuliére à l'immense Le Vigan, peut etre le plus "habité" avec Michel Simon...
RépondreSupprimerCéline oublié de la mémoire de Montmartre le sera-t-il aussi de celle de Meudon ? C'est la question qui sera posée le plus sérieusement du monde par Rémi Astruc lors du colloque "Figures et lieux patrimoniaux en questions" le jeudi 8 septembre en l'Abbaye de Maubuisson. Voici en effet l'intitulé de son intervention : "Quand la municipalité de Meudon inaugurera-t-elle le square Louis-Ferdinand Céline sur les hauteurs de sa commune ?".
RépondreSupprimerContact : UCP 33 bd du Port 95000 Cergy-Pontoise
(source : http://www.fabula.org/actualites/figures-et-lieux-patrimoniaux-en-questions_45543.php)
petite correction... Céline a vécu au 98 Rue Lepic de 1929 à 1941, et non au 92...
RépondreSupprimerLe Rêve, rue Caulaincourt n'était pas tenu par Pomme, mais par Elyette et son mari. Pomme tenait un petit restaurant au coin de la rue Lepic et de la rue Tholozée. Toutes les 2 ont eu une magnifique clientèle d'artistes ! Ce sont des amies de ma mère...
RépondreSupprimerRue Lepic 92 ou 98?
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